L'homme moderne, un rat emmuré : ce que les gens normaux et le bon sens ne savent pas, c'est que tout est possible (Arendt)



Hannah Arendt, "l'origine du totalitarisme".

« Comme les démagogues et les aventuriers de l'ère impérialiste, les chefs des mouvements totalitaires ont ceci de commun avec leurs sympathisants intellectuels qu'ils s'étaient trouvés à l'extérieur de la "bonne société" dès avant la faillite du système.
Lorsque l'arrogance de la fausse respectabilité fit place au désespoir anarchique, cette faillite apparut comme une chance inouïe pour l'élite comme pour la populace.

D'autre part, l'élite n'était guère plus jeune que la génération dont l'impérialisme avait usé et abusé moyennant de glorieuses carrières en marge de la respectabilité : joueurs, espions, aventuriers, chevaliers à l'armure étincelante et tueurs de dragons. Ils partageaient avec Lawrence d'Arabie le désir de « se perdre » et un violent dégout pour les critères existants, pour toutes les puissances établies. Ils se rappelaient « l'age d'or de la sécurité » mais aussi la haine qu'il leur avait inspirée, et la réalité de leur enthousiasme lors qu'éclata la première guerre mondiale. Hitler et ses ratés ne furent pas les seuls à remercier Dieu à genoux quand la mobilisation balaya l'Europe en 1914. Ils n'avaient même pas à se reprocher d'avoir été une proie facile pour la propagande chauvine ou les explications mensongères sur le caractère purement défensif de la guerre. L'élite partit pour la guerre avec l'espoir enivrant que tout ce qu'elle connaissait, la culture, la texture de la vie, se perdrait peut être dans un « orage d'acier » (Ernst Jünger). Dans le vocabulaire soigneusement choisi de Thomas Mann, la guerre était « pénitence » et « purification »; « c'était la guerre plutôt que la victoire qui inspirait le poète ». Selon les mots d'un étudiant de l'époque, « ce qui compte, c'est d'être toujours prêt de faire un sacrifice, ce n'est pas l'objet pour lequel on fait le sacrifice »; ou bien selon ceux d'un jeune ouvrier, « peu importe qu'on vive quelque années de plus ou de moins, pourvu que l'on ait quelque chose à monter en justification de sa vie ». (...) les poètes avaient proclamé leur dégout pour cette saleté de culture » et poétiquement invité « barbares, Scythes, Nègres, Indiens, ô vous tous, à la piétiner »


On peut se contenter de qualifier d' »accès de nihilisme » le mécontentement violent à l'égard de l'avant guerre et des tentatives ultérieures de restauration-mécontentement qu'expriment Nietzsche, Sorel et Pareto, Rimbaud, T.E Lawrence, Junger, Brecht et Malraux, Bakounine, Netchaiev et Alexandre Block. C'est oublier combien le dégout peut être justifié dans une société saturée par l'idéologie et la morale bourgeoises. Mais il est non moins vrai que « la génération du front »contrairement à ses guides spirituels, était complètement absorbée par son désir de voir périr tout cet univers de fausse sécurité, de fausse culture, de fausse vie. Ce désir était si fort qu'il dépassait, en résonance et en clarté, toutes les tentatives antérieures visant à une « transformation des valeurs » (tentative nietzschéenne), à une réorganisation de la vie politique (les écrits de Sorel),à une résurrection de l'authenticité humaine(bakounine), ou à un amour passionné de la vie dans la pureté des aventures exotiques (Rimbaud). La destruction impitoyable, le chaos et la ruine en tant que tels assumaient la dignité de valeurs suprêmes.

Ce qui atteste de la sincérité de ces sentiments, c'est que très peu de représentants de cette génération furent guéris de leur enthousiasme pour la guerre par l'expérience réelle de ses horreurs. (...) ils chérirent une expérience qui pensaient-ils, les couperaient définitivement de l'odieux environnement de la respectabilité. Et ils ne cédèrent pas à la tentation d'idéaliser ce passé (...)
Aucun élément de ce climat intellectuel n'était très neuf.(...)Tels étaient les instincts anti humanistes, anti libéraux, anti individualistes et anti-culturels de la génération du front, qui faisait un éloge brillant et spirituel de la violence, de la puissance et de la cruauté. Auparavant (...) ils lisaient non pas Darwin, mais le Marquis de Sade. A supposer qu'ils aient cru à des lois universelles, il est sûr qu'ils ne souciaient guère de s'y conformer. Pour eux, la violence, la puissance, la cruauté étaient les qualités de ces hommes qui avaient perdu leur place dans l'univers et qui étaient trop fiers pour appeler de leurs vœux une théorie du pouvoir qui les réintègrerait dans le monde en toute sécurité. Ils se satisfaisaient d'être les partisans aveugles de tout ce que la société respectable avait banni, sans considération de théorie ou de contenu, et ils élévaient la cruauté au rang de vertu cardinale parce qu'elle contredisait l'hypocrisie humanitaire et libérale de la société.

Si nous comparons cette génération aux idéologues du XIXème siècle avec lesquels elle semble avoir tant en commun, la différence principale est le surcroit d'authenticité et de passion. Ils avaient été touchés plus profondément par la misère, ils se souciaient davantage des angoisses et étaient plus vivement blessés par l'hypocrisie que ne l'avaient été tous les apôtres de la bonne volonté et de la fraternité. Et ils ne pouvaient plus se permettre d'être des tueurs de dragons,parmi des peuples étranges et passionnants. Il n'était pas possible d'échapper à la routine quotidienne de misère, de médiocrité, de frustration et de ressentiment, embellie par la fausse culture d'un langage distingué ; de se conformer aux coutumes du pays des merveilles ne leur épargnerait nullement la nausée croissante qu'une telle combinaison inspirait continument.
Cette impuissance à s'évader dans le vaste monde, ce sentiment d'être pris aux pièges multiples de la société(...) »

Commentaire

Ce portrait des élites intellectuelles à la veille de 1914 et de la prise du pouvoir par les communistes et les nazis peut être corroboré aisément. Ce qui est un fait certain, c'est le dégout et le rejet général qu'avait provoqué « l'ère de la sécurité », les quarante dernières années de prospérité du XIXème siècle. Il n'y a pas que Nietzsche, Rimbaud, Lawrence ; on pourrait ajouter Daudet, avec son « stupide XIXème siècle », Thomas Mann, Evola et tant d'autres.
« L'ère de la sécurité » est aussi nôtre, et dans le portrait ainsi tracé je lis comme dans un miroir, un miroir sévère et déformant. Le sentiment de vide, d'hypocrisie et de mensonge qui m'accable au sujet du monde moderne est le nôtre. « Rien de nouveau sous le soleil », dit l'Ecclésiaste. De cela il faut d'abord retenir que les potentialités de la société bourgeoise ont connu une expansion quantitative mais nullement qualitative. A savoir, que l'essence de la vie humaine dans notre civilisation n'a pas connu de variation fondamentale. Ainsi le romain du second siècle comprenait-il aisément Cicéron ; les cycles sont qualitativement peu variables. Ce que l'on dit aujourd'hui du sport est peu différent de ce qu'on en disait vers 1900. Autre exemple informé, les paradigmes des sciences cognitives sont très comparables en 2008 et en 1860, malgré toute la puissance technologique mise en œuvre. (Par exemple "Neurophilosophie" de P.Churchland est un livre du XIXème siècle idéologique) .

Notre seule supériorité, c'est de savoir quelques pièges : piège de la guerre et piège du totalitarisme.
Ce dernier mot et concept désigne un mouvement global qui est le symbole énigmatique du monde moderne, dans sa manières de déguster, digérer et se renforcer du dégout qu'il suscite et de la chair de ses opposants. Nous écrirons un article défendant ce concept contre Zizek. Le totalitarisme n'est pas l'Autre en lequel nous fondons notre droit absolu d'écraser les autres, en ce qu'il prouve que nous sommes à côté du Bien. Le totalitarisme est notre miroir. Le totalitarisme c'est nous, là et maintenant, dans l'accablement du soleil vertical. Ce mouvement met au jour ce qui est caché dans notre Age de fer.

Il serait à craindre que l'homme noble soit dans une totale impasse, puisque tant on échoué dans la percée. Comme des rats encagés dans le noir, ils ont pris toutes les directions de l'espace, pour toujours et toujours servir et renforcer la cage et approfondir les ténèbres. L'homme moderne est comme un rat emmuré.

"- Docteur, vite ! ...vous devez vous douter...toute cette gare ici n'est qu'un piège...tous ces gens des trains sont à liquider...ils sont de trop...vous aussi vous êtes de trop...moi aussi. - Comment savez-vous ? - Docteur je vous expliquerai plus tard...maintenant il faut vous attendre...vite ! ...ça sera fait cette nuit... - Pourquoi ? - Parce qu'ils n'ont plus de places dans les camps...et plus de nourriture et que dehors ça se sait."
Céline, "Rigodon "

Hamlet pourrait-il être l'archétype de l'homme moderne? Pour être clair, plutôt que l'argumentation, la pensée doit chercher des personnages archétypes, Tristan, Hamlet, qui plongent dans le fond mythique de l'Hadès. « Être ou ne pas Être, là est la question.» Etre ou ne pas être homme. Vivre n'est pas une garantie d'assumer pleinement la destin de l'homme. L'homme n'est pas indétermination pure, mais créature, manque et limite. Etant manque, l'homme est désir et quête de plénitude, qu'il ne peut trouver en lui. De ce manque la pierre est exempte. Hamlet est Prince, et l'homme moderne se flatte de sa toute puissance. La prison de l'homme moderne réside dans la prévention, le fait que ses désirs soient prévus et définis. Au delà des désirs prévus, on le condamne comme irrationnel ou sans mesure, folie et démence, objet de la médecine. C'est cela, la domestication. Ses désirs, il ne peut ni les assumer ni les refuser. De la toute puissance qu'on lui offre il ne peut sursumer son désir. La cage est une impalpable cage d'anesthésie, qui ne peut être rencontrée ni affrontée. De ce fait il peut croire tout avoir alors qu'il est nu. Pourquoi cette mélancolie s'il est Prince, et fils aimé?

J'emprunte le texte suivant avec gratitude à l'encyclopédie de l'Agora :

« Pendant que l’homme spectateur en est réduit à utiliser son œil d’aigle pour contempler l’étendue de sa soumission, que fait-il de ses mains? De ces mains qui façonnèrent et manièrent l’outil, qui firent preuve de dextérité, de doigté et furent souvent des mains de maître? Il s’en sert pour presser des boutons.
Œils servile, main inutile. L’intelligence qui s’est toujours exercée en association avec ces deux sens ne risque-t-elle pas d’être réduite par la dévalorisation et l’inactivité de ces derniers à une léthargie témoignant d’une vie qui n’a plus rien d’humain?


Mais qu’est-ce qu’une vie humaine? Sur le strict plan biologique, l’adaptabilité de l’être humain est prodigieuse. Une espérance de vie demeurant élevée dans les milieux les moins naturels accrédite l’idée rassurante que l’homme peut vivre impunément n’importe où et n’importe comment. Les téléspectateurs vivent peut-être plus longtemps que les bûcherons.


La grande question dont dépend ultimement notre attitude face à la technique est de savoir si l’être humain n’a pas déjà été façonné et fasciné par la technique et la société du spectacle au point de ne plus désirer pour lui-même non ce qui lui fait le plus grand bien, mais ce qui lui demande le moins d’effort et lui impose le moins de souffrance. «La menace redoutable que l’adaptabilité fait peser sur nous quand elle s’applique à notre espèce, dans un contexte purement biologique, consiste en ceci qu’elle implique trop souvent une acceptation passive de situations qui, en réalité, ne constituent pas un bien pour l’humanité. Les critères admis sont, de plus en plus, ceux qui correspondent au type d’existence humaine le plus inférieur, et ceci simplement pour que la société demeure dans une paix qui est en réalité une léthargie. Le «milieu idéal» tend à devenir celui dans lequel l’homme jouit du confort matériel, mais oublie peu à peu les valeurs qui donnaient tout son prix à la vie humaine» (René Dubos, L’homme et l’adaptation au milieu, Paris, Payot, 1973, p. 264). "

Être ou ne pas être réellement vivant : tel est le dilemme d'Hamlet. Le prix à payer pour être réellement vivant peut être le prix de la vie, tel est le sens de la guerre et de la croix. Cela parait très arbitraire : en effet, qui peut dire que lui ou un autre, a une vie réellement humaine? N'est ce pas plutôt la psychanalyse ou la psychiatrie qui peuvent le dire? Mais alors tout cela n'est-il pas illusion qu'une cure de Prozac pourrait éliminer? Accepter cette thèse est aller dans le sens de critiques de la modernité qui s'inspirent de la psychanalyse comme Lasch ou Zizek. Car l'illusion est une thèse de fond de la psychanalyse : le mélancolique invente la perte, car il n'a jamais possédé, et l'objet de la perte est justement un objet. Un objet, une partie du monde représenté, un symbole sur laquelle arbitrairement se cristallise la libido. Bien sûr je caricature, mais je maintiens que cela a un fond de vérité. La position platonicienne (ou gnostique) est d'une ontologie toute différente : la perte est accomplie et elle n'est pas un objet. L'illusion est de croire la mélancolie causée par une perte d'objet ; l'illusion est de combler la mélancolie par des objets : l'illusion est la société moderne. La mélancolie comme force pousse à bout et exténue l'illusion, car elle permet la remémoration, l'anamnèse ; c'est le dépassement de la mélancolie vers la Gnose, le retour.

Il y a des stipendiés du contrôle social qui prennent une souffrance universelle comme un problème individuel. Et ainsi nient la difficulté.

La situation de l'homme moderne est universelle malgré les flux des vécus individuels, qui semblent comme des îles phénoménologiques, des phares qui pleurent sur la mer, dans les ténèbres marines. Cette universalité ne peut être donnée que comme une qualité, une teinture lentement étalée sur les mondes. Cela ne se comprend que par la théorie des cycles : le cycle est caractérisé justement par une harmonie, une teinture unique sur sa durée. Ainsi le temps du cycle est l'expression d'une structure, d'une matrice combinatoire qui restreint et oriente les possiblités de la vie et de la réflexion. Car la réflexion n'est pas la production de la toute puissance individuelle, mais la production d'une structure, ce qui explique et fonde qu'une pensée puisse avoir un Kairos, un instant propice dans les cycles et les cycles de cycles. Et cette pensée aurait été pensée même si l'auteur nominal n'avait pas existé : il y a eu plusieurs Darwin, plusieurs Nietzsche, même si aucun n'a eu la force et la pertinence des pionniers. Le nazisme n'était pas un produit original. Le mépris si sensible aujourd'hui pour la Loi frappe ceux là même qui doivent la défendre, ainsi le représentant, le masque du souverain. Le mépris universel de la Loi, qui explique que personne ne semble comprendre que la violence dominatrice des "Etats" soit un danger destructeur tout à fait comparable aux totalitarismes passés, n'est pas la production d'un auteur.

Nous ne pouvons condamner la Chine car la Chine n'est pas différente de nous. Nous n'hésiterions pas nous Occidentaux à pratiquer la torture et à opprimer des peuples si la croissance était en cause. Nous soutenons trop d'actes et de pays qui ont perdu tout repère, et qui croient qu'une bonne cause justifie les moyens. Alors que les moyens dépassent la cause et que la cause est depuis longtemps instrumentalisée par les moyens. Ce sont les moyens, le besoin de déchainer la puissance, qui suscitent leurs bonnes causes. C'est là le signe certain de la tartufferie moderne. Le débat sur les bonnes causes est parfaitement stérile, puisque toutes les tyrannies du monde ont pris l'habitude de s'en revêtir, comme des baudroies ensablées qui leurrent leurs victimes.

On ne peut pas discuter d'une bonne cause : c'est là une définition. Celui qui en discute se disqualifie d'emblée, il devient l'Autre que l'on a DROIT d'écraser par la force, de lyncher. Qui aurait pu dire en 1938 en URSS que les énormes efforts de la Révolution étaient simplement une erreur, à tous ceux qui s'y étaient engagés au delà de leur vie? Qui dira aujourd'hui que les énormes efforts du progressisme libéral aboutissent au désastre et à la prison dorée? De ce fait la bonne cause n'est pas plus ouverte que ne l'étaient les tyrans totalitaires. Essayez de défendre le point de vue antique à une féministe comme une perspective légitime du rapport des sexes-ou voyez les exégètes modernistes et leurs contorsions sur Paul :

"Je veux cependant que vous sachiez que le chef de tout homme c'est le Christ, que le chef de la femme, c'es l'homme, et que le chef du Christ, c'est Dieu.Tout homme qui prie ou qui prophétise la tête couverte, déshonore sa tête. Toute femme qui prie ou qui prophétise la tête non voilée, déshonore sa tête: elle est comme celle qui est rasée. Si une femme ne se voile pas la tête, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux à une femme d'avoir les cheveux coupés ou la tête rasée, qu'elle se voile. L'homme ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image de la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme. En effet, l'homme n'a pas été tiré de la femme, mais la femme de l'homme ; et l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l'homme. C'est pourquoi la femme doit, à cause des anges, avoir sur la tête un signe de sujétion. Toutefois, ni la femme n'est sans l'homme, ni l'homme sans la femme, dans le Seigneur. Car, si la femme a été tirée de l'homme, l'homme aussi naît de la femme, et tout vient de Dieu. Jugez-en vous-mêmes: est-il bienséant qu'une femme prie Dieu sans être voilée? "
Première épitre de St Paul aux Corinthiens, XI, 3-13

Ce texte n'est pris par les modernes que comme marque de faiblesse sociologique, alors qu'il n'en comporte pas. Et si l'Apôtre ici fait preuve de faiblesse, pourquoi ailleurs n'en ferait-il pas preuve, et quel critère permet de juger cela? Il en est exactement de même des sources anciennes, véridiques quand elles rapportent ce qui nous parait vraisemblable, et imaginatives et délirantes quand elles rapportent unanimement des faits de démonologie, par exemple. Le siècle de fer est envahi de tartufferie et d'aveuglement tyranniques. Et se passionne et trouve ses délices dans le scandale moral, et les véhémentes condamnations qui secoue périodiquement les médias. Qui dira les délices de l'homme moral quand il condamne?

Il est surprenant et il n'est pas surprenant que les artistes et les autres, en ces siècles de fer, ne puissent exprimer qu' insatisfaction et rage de destruction ou d'évasion. Car l'art est mise en lumière, puissance de vérité et non pas tartufferie et propagande. Et cela l'Age de fer moral ne peut le supporter : la vérité est condamné tous les jours, les images crédibilisent les fictions multiples et au fond monocordes.
Rat emmuré, l'homme moderne ne peut que se révolter ou devenir un animal domestique promis à la vie indéfinie de l'Age de fer.
(...)

De la Tyrannie


Bosch, "jugement dernier."


"J'établirais dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c'est fait. Puis il s'aperçut qu'il était né méchant, fatalité extraordinaire! Il cachait son caractère tant qu'il put, pendant un grand nombre d'années ; mais à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête; jusqu'à ce que , ne pouvant supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrière du mal (...)"
Chant de Maldoror, I

Je voudrais persuader une aile qui je crois parfois passe de déposer une plume. Mais comment? Persuader est un art, et qui semble lié à l'artillerie dans la propagande. Quelle artillerie appellera l'oiseau? Et l'oiseau ne peut-il apporter une aide?

«La menace redoutable que l’adaptabilité fait peser sur nous quand elle s’applique à notre espèce, dans un contexte purement biologique, consiste en ceci qu’elle implique trop souvent une acceptation passive de situations qui, en réalité, ne constituent pas un bien pour l’humanité. Les critères admis sont, de plus en plus, ceux qui correspondent au type d’existence humaine le plus inférieur, et ceci simplement pour que la société demeure dans une paix qui est en réalité une léthargie. Le «milieu idéal» tend à devenir celui dans lequel l’homme jouit du confort matériel, mais oublie peu à peu les valeurs qui donnaient tout son prix à la vie humaine» (René Dubos, L’homme et l’adaptation au milieu, Paris, Payot, 1973, p. 264).


L’étouffement de l’humain semble une direction directement suivie de l’époque. Tout est possible, et c'est l'imagination maléfique qui doit monter ce qui se fera.

Je propose un critère de ce qu’est l’homme indépendamment de l’aggravation indéfinie des contrôles sociaux : c’est l’hypothèse de la catastrophe. Pour tout problème, se demander si, en cas de catastrophe, ce qui est présenté comme bon serait conservé par les êtres humains aux prises avec les nécessités réelles de la survie. Ainsi dans les pays en guerre.

Ce qui est contraire à ces nécessités implacables ne durera pas dans l’histoire plus longtemps que cette société. Par ailleurs, ces « valeurs » ne peuvent être exportées dans les zones grises du monde, et n’ont pas de réalité historique. Elles doivent être combattues pour que l’existence humaine ne soit pas une domestication et que l’homme ne soit pas rabaissé vers l'animal végétarien domestiqué, vers la viande.

Croit-on que les hommes ont vaincu les lions, les ours, les mammouths avec l'humanité mièvre de l'époque? Et les peuples chasseurs respectent ceux qu'ils combattent, non l'élevage industriel. L'adversaire est objet de sacrifice et de consommation sacrée, et non objet de calcul. Le torero respecte le toro plus que ses défenseurs modernes, qui veulent en faire une vache, alors que sa colère et sa cruauté l'humanisent et même l'héroïsent dans sa mort sacrée . L'homme ne mérite la grâce que par le mal qui le brûle et la violence qui le porte, par le feu qu'il a reçu en héritage.

La Grâce veut le péché. Le sommet désire l'Abîme.
L'Autre nait de Soi-même et en Soi-même. Il n'offre pas le réconfort du rejet de l'étranger.

La pierre est sans péché et sans grâce. "Laisse les morts enterrer leurs morts."


Dans « massacre à la tronçonneuse » première version, un jeune pousse la chaise d’un jeune handicapé sur un chemin de campagne à la lueur de la lune. Ce dernier lui dit souffrir de solitude ; pour le consoler, celui qui le pousse lui assure qu’il est avec lui et ne l’abandonnera jamais. A ce moment retentit la stridulation de la tronçonneuse portée par un homme masqué.
Comme on s’y attend, si, vous aussi ! Le handicapé est immédiatement abandonné à son sort, et horriblement massacré.

De même dans "le docteur Jivago", la fille du docteur se rappelle que lors d'une bataille, son "père" lui a lâché la main, et qu'elle ne l'a jamais revu. "Il m'a lâché la main..."un geste qui suscite un frisson sacré d'horreur.
Vous comprenez mon critère ? Que restera-t-il du politiquement correct dans une zone de guerre ?
Qui perdra son temps à écouter une vieille élevée dans la soie et la sottise proposer la reconnaissance des droits des corbeaux, quand ils se nourriront de nos cadavres ?
La vertu qu’on nous vend n’est pas le fait des hommes mais bien de la répression. Pour rendre les hommes vertueux la répression ne cesse de s’abattre. Mais la vertu ne prospère que là où la liberté métaphysique est reconnue. Le politiquement correct est un nouveau puritanisme et une tyrannie.

Dévoiler cette tyrannie est une nécessité politique. Car la plus puissante tyrannie de l'histoire naît à travers la défense officielle des "victimes" : le nihilisme s'étend. "Il faut agir en cachant complètement son jeu. Il importe avant tout d'éviter toute apparence d'humanité" (E. Jünger, journaux de guerre)

Interroger le silence















(http://wildgrounds.com/index.php/2007/05/01/
yukoku-patriotism-1966-yukio-mishima/)
Mishima, 1966

Bientôt je parlerais de Mishima, le pavillon d'or. Que dire de plus?

Mishima face au monde vide cherche des enjeux où sa vie acquiert la valeur du sacrifice. L'homme doit mourir face aux contradictions du jeu, et cette mort est délicieuse, c'est pourquoi il fait l'amour avant le sacrifice du sang.
Le visage de la femme se reflète en l'homme et l'homme en la femme. La femme est mur de silence. Pourtant des paroles sont dites. Qu'est ce que je désire? qu'est ce qu'elle désire?
Et qu'est ce, ce qui se désire?
La vitre qui nous sépare, tu peux la toucher. Le sexe sépare. Ce qui enflamme le désir est ce même qui sépare.
Contradiction de contradiction. Tenue ensemble par la chair, ces pôles sont convulsion féroce, morsure de la murène dans le creux du thorax. Explosion immobile et silencieuse maintenue dans la clôture d'un point.
Mishima plante le sabre dans le creux du thorax. Mais la murène est sauve, non lui.
Je construirais des ponts!
Mon désir fait de moi pour toi un danger. Un étranger familier.
Le toit percé qui laisse passer des gouttes lancinantes issues des brumes, qui mouillent tes cheveux, s'écoulent sur ton front et tes lèvres, s'insinuent sur les épaules et le cou comme une sueur parfumante de biche, une sueur née de l'aubépine, de la Lune et des orbes célestes.
Alors tu regardes au loin, dévoreuse d'horizon, à l'écoute des rumeurs confuses que le vent porte.
"Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
-les emporta."

De la Dextre et de la Senestre de Dieu (2)






Au Bateau Ivre, "les ayant cloués nus sur les poteaux de couleur".



Polarités, non voies qui ne se croiseraient qu'au centre.
Le tantrika, comme le papillon de nuit tourne autour de la splendeur du Guru, Ange de la face. En lui il tourne, tissé de l'étoffe de ses songes, larmes rêvées de ses larmes, roues tournées de l'Hadès. Les racines des mondes plongent dans le sépulcre.

Millions et millions de roues tournées. L'imagination évoque et roule comme les varechs des fleuves les chevelures des temps perdus. L'Image crée le monde qui contient le poête. Le Songe contient l'oeil qui le regarde. La poésie l'évoque. Evoquer, invoquer, introduire le Verbe dans les ténèbres. Le Verbe n'est pas compris par les ténèbres. Le Verbe en lui comprend les Ténèbres. De l'image coule la source qui noie la soif du poète.

Par le poême, celui qui invoque s'étrange à lui même, l'homme, par haut désir, élection irrévocable et par haut mal, «soleil noir de la mélancolie.» A lui même il doit revenir comme étranger, énigme en face de son propre regard. Il désire et ne désire pas ce désir qui le brise. Bien en puis mais!

Il doit désirer cette déchirure qui se creuse en son âme. Cela , le Serpent qui s'involue et s'explique à travers ses membres. Il doit désirer le destin qui le roule vers les mers hurlantes, lactescentes, éperdues. La mer n'est pas le lieu des répits.

Pèlerin sur les routes étrangères de son âme, son coeur est un hollandais volant, aux creux emplis de ténèbres, parcourues d'astres errants qui l'entraînent sur leurs orbes impénétrables. Des mondes comme des archipels, et le tournoiement blanc des corps morts, à la Lumière des lumières ruissellante et fluante par les interstices des abîmes. Stalactites de lumière, sources de lumière s'insinuant sous le socle de l'abysse.

Oh souvent, j'ai cherché les ténèbres et suivi les étoiles souterraines. La sirène est entourée de miroirs, tissée d'énigmes, d'estoc, de taille, de marques de sang. En compagnie du Serpent, j'embrasse la voie que j'ai suivie et je bois la source de la mer. Fait mon chemin plus rude, fermé d'entrelacs d'algues et de dragon, gueule d'enfer ; et parcouru de rocs, d'argiles, de pointes, de siphons, de vortex, d'abîmes.

Accorde moi les eaux obscures où je dépose la certitude et le doute, le oui et le non ; accorde moi la Nuit, toi qui est Lumière des ténèbres, et Ténèbres de lumière. « Je me retrouvais dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue.» Comprendre l'étoffe des ténèbres, s'enrouler en elle comme dans une couche de fleurs et de chairs sauvages. Faire des Ténèbres l'abri du pèlerin et du sage.

Regarde et je regarde aussi, si ma vue est celle d'un mort. Je cherche et c'est ce qui importe. Car il n'y a rien à trouver. A la mort ouvre moi tes bras. A ma soif verse ton eau et ton sang, à ma faim livre ton corps, chair des mondes. A mes paroles répond par le silence qui fait taire l'ordre des mots.

« J'ai cru que tu était un ami et je t'ai appelé ».

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova