Projet d'une Déclaration des devoirs envers l'être humain




Comme un végétal, comme un fleuve, ce texte est modifié en continu.


Le blog exige un flux continu, c'est une forme très temporelle d'expression. De ce fait il se forme les fragments des grands traités de l'âge de l'écrit, comme la travail à l'œuvre. Un moment, il faut arrêter et publier. C'est un tissage continu. Voyez y les fragments d'un livre qui lui aussi aurait pu être.

L'écriture est comme le vampire. L'épuisement gagne non seulement le corps, mais aussi l'esprit et l'âme. L'auteur se sens fatigué jusqu'au plus profond des os. L'auteur se sent mourir de l'intérieur, comme un feu qui couve dans une mine de charbon. Il se sent autre, étranger à sa propre vie. alors il arrête. Puis le feu reprend, et il recommence.

Ce texte n'est pas revendiqué par un nom ou un prénom, et contient de nombreuses citations. Ce texte est tissage de fils nouveaux et de fils anciens, au gré de la Lune. La parole des sages produit de l'Être.


« Le représentant de la Mutinerie,informés de l'échec de la Révolution en France, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris de la vérité qui fonde le bonheur humain sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs.


L'ignorance et l'oubli de leur puissance est la seule source des malheurs actuels des hommes, qui viennent habiter en vain des îles ensoleillées pour des bonheurs toujours pressentis et toujours perdus, remplacés par les déchirements du pouvoir, de la richesse et de la mort.


Il proclame la présente déclaration qui est comme le miroir de la Déclaration des français de 1789, arrivée par le lent vol des vaisseaux qui s'égarent parmi les routes de la baleine.






Déclaration des droits des dix milles demeures de la vie de l'homme, incluant les devoirs envers l'être humain :




I



La liberté humaine est antérieure et supérieure au droit, inaliénable et sacrée. Elle est fondement du droit, non pas fondée par lui. Elle même est fondée ontologiquement sur deux piliers : sur l'Être aux visages multiples, indéfinis, dont l'homme est l'image, et sur l'Imagination, qui est première puissance et vertu de l'homme à l'image de l'Être.



Ceci est la destinée éternelle, inconditionnée de l'homme. Mais cette destinée inconditionnée de droit est à conquérir dans les faits. La cruauté est la première évidence du réel.



Dans le monde, la forteresse de la liberté est la mort. La mort est l'essence de la Voie.




Aucune remise ne cause de l'essentielle liberté de l'esprit humain ne peut être légitime, car c'est elle qui fonde par entéléchie tout Droit, tout Ordre, toute œuvre humaine. L'Être lui même est puissance de forme, et l'imagination est l'analogue le plus proche de cette puissance, ce feu qui s'écoule indéfiniment et produit les mondes.



Le droit ne fonde pas la liberté humaine, car c'est elle qui produit le droit. Le droit n'a aucune légitimité d'aucune sorte en ce domaine principiel, car la légitimité d'un ordre ne s'applique qu'aux niveaux ontologiques égaux ou inférieurs.



En effet le droit est construction d'un monde de règles posées par une volonté souveraine. La volonté est sous la dépendance de la liberté. La souveraineté appartient aux Prophètes et aux Rois. La souveraineté garantit la Liberté ou est usurpation. Ce point devra être éclairci.



II


Ce qui peut être évoqué, dessiné de la main de l'artiste, posé par une opération logique, nommé par les mots de la tribu, tout cela est né et a accédé à l'être.
Ce qui est devient une demeure pour l'homme, un foyer de sacrifices, un lieu où planter au profond ses racines, un centre immobile de sa liberté.



Ce qui naît est en même temps soi-même, n'était rien avant et ne demeure pas au delà. Ce soi même est comme dans le rêve, étendu au monde éclos dans sa totalité, et en même temps fermé sur soi.



De tout objet de ce monde, celui qui l'évoque peut dire avec vérité : je suis aussi cela.




La poiésis n'est pas puissance seulement dans le monde des choses, mais dans l'ensemble des demeures où l'homme peut habiter, dans l'ensemble des mondes. La poiésis est la matière et l'œuvre de l'imagination qui produit de l'Être.




III




    Tout ce qui est n'est pas une chose et n'existe pas selon la modalité de la chose.



En effet qu'est ce qu'une chose? Une chose est une objet pour la conscience qui est objet selon les sens externes : vue, ouïe, toucher, odorat, goût. Par la conscience la chose est temporelle; par la vue la chose est spatiale. Une chose est un objet ayant aspect, capable de produire des sons, un toucher, un lieu, un temps, un nom, une production locale de signes, de plaisir, de déplaisir ou de rien, comme une méduse morte.



Toute la multiplicité essentielle chaotique de la chose-méduse, gluante, translucide, irritante, émettant au contact des bruits flasques que j'échoue à décrire, puante dans sa putréfaction, ici et maintenant, est focalisée, réunie en une représentation de la conscience, ce que Kant a appelé unité synthétique de l'aperception dans l'Esthétique transcendantale de la « Critique de la Raison Pure».



En elle même la chose apparaît donc comme éclatement kaléidoscopique involué en un objet de la conscience doté de coordonnées spatio-temporelles et d'aspects sensibles. La chose, en latin « res », existe comme réelle.



Pour la survie de ce que l'homme a de plus élevé, la société humaine doit comprendre et reconnaître en droit que la ré-alité, le caractère d'être une chose, n'est pas la totalité de l'Être. Nous en donnons des exemples.



Les nombres sont, mais ne sont pas des choses. Les nombres sont, car leurs relations ne sont pas arbitraires, comme celles de fantômes purement imaginaires issus d'âmes en faillite morale. 2+2=4 n'est pas un rêve et se vérifie. Pourtant les nombres n'existent pas comme des choses.



Le nombre 3 par exemple n'a ni lieu ni temps ; ici, maintenant dans cette page futile, et dans les graves calculs d'un chef donné par la Providence pour notre Évaluation, il est le même.


Le nombre 3 est tout à fait étranger à nos sens. Les notations « 3 » ou « III » ne sont pas le nombre 3, pas plus que la notation « chien » n'aboie, ne mord, ou ne console de la frustration sexuelle. Notez bien en outre que la notation « chien » est propre et ne coûte rien.


Le nombre 3 n'est qu'absence comme réalité, et pourtant il est. Le nombre 3 est un objet de la conscience, comme les fantômes ou les démons. Les fantômes et les démons sont, sans être des choses. Les mathématiques, La sorcellerie, la démonologie, le déguisement sont des sciences. Platon a habité les demeures mathématiques. Lautréamont a chanté avec raison les graves plaisirs des mathématiques, hors du temps et de l'espace, domaine proche de l'Eternel.


Tout ce qui est n'est pas une chose et n'existe pas selon la modalité de la chose.



Il y a tous les mondes possibles qui n'ont pas été vécus, des souffles légers comme des bulles de savon, qui se tissent parmi les mots et parmi les silences des personnes parlantes sous la voûte nocturne, même dans une foule.


Il y a les fleurs qui n'ont pas éclos, les fruits qui n'ont pas été cueillis, les enfants qui n'ont pas grandi.


Les personnes qui auraient pu être, tout comme moi.


Les personnes qui cherchent leur homme de destin.


Les îles imaginées, le grand Océan lactescent sous la Lune, nos pas dans le sable furtif. Les brèves lueurs des braises sous la cendre des mots vrillent l'œil intérieur. Les paroles s'enroulent vers les étoiles au rythme secret de la rotation des sphères. Milliers, milliers et milliers d'étoiles de destin!



Les mondes s'évoquent dans le rougeoiement des mots. L'évocation du feu, l'imagination active, est grâce, poiésis des mondes, et douleur âpre et grande gisant sous la cendre des mondes. Murènes se convulsant et se déchirant parmi les tripes. Grande et profitable douleur du porteur d'étincelle ! Il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré.


C'est un adieu, un adieu de plus envers ceux que j'aime. Un adieu d'étranger du grand nulle part à sa maison de naissance, qu'il a encore entrevue et encore-déjà perdue.


Ce qui aurait pu être s'est montré et occulté dans les ténèbres de l'instant.


Déjà les marées effacent nos pas emmêlés. La mort naît à chaque instant, est l'ombre de chaque instant. Tout ce qui est trouvé est déjà perdu. Et l'ombre devient comme l'ombre des rochers sous la lune, l'ombre de la douleur et de l'angoisse. L'ombre de la mort qui suivait nos pas silencieux. La mort comme la mer, comme l'amour et la haine qui nous déchirent, montent vers nous avec certitude et enserrent notre seuil, nous emprisonnent sous le fanal hiératique de la Lune.


Des pas s'éloignent au loin dans l'obscurité. Tes pas que mon regard efface. Nous ne pouvions plus nous donner de grâces.


Cela était l'ombre de la joie, en dégustant les grâces données, en ce monde où la dégustation est sœur du dégoût.


C'est la science du bonheur et du malheur. Malédiction et bénédiction. Et alors que les marées bientôt me couvrent et m'aspirent vers les abysses, je reste immobile et je pleure, comme un phare sur la mer, qui pleure au dessus des eaux.



IV




    La personne n'est pas une chose. Le tissage des demeures sur un soleil noir est la personne, au fond insaisissable,


« car tu ne sais ni d'où il vient ni où il va. »


    L'homme est une réalité partielle et nécessairement un tissage fragmentaire. C'est en assumant son destin qu'il en rend l'assomption atteignable.



La personne est faite de liens tissés centrés sur un abîme insaisissable, même à elle même, un puit insondable et un volcan de flammes. On ne peut définir, et donc assigner des limites à la personne authentique, dont l'objet corps est un masque, persona. Le corps d'un mort est l'objet qui était un constituant de la personne, le résultat de ce que les Anciens appelaient symboliquement « le départ de l'âme ». L'erreur fut de faire de l'âme, tissage de tissages indéfinis, une chose.



Il n'y a rien de défini à trouver dans la recherche de soi-même. La quête est le résultat. La question est la réponse.



Je répète : Une personne, comme une relation, comme un nombre, est, sans être une chose. Une personne, une relation est une demeure où s'abriter et se chauffer lors des glaciations de l'âme. Et comme toute demeure, elle peut voir ses murs monter et l'air s'y raréfier.




V


    Les demeures sont des tissages de liens en droit en nombre indéfini. La personne est un tissage de tissage en orbe autour d'un centre sans réalité. La Patrie est un tissage de tissage de tissage, et tout tissage est centré sur un Abîme puissant, un Ange, image de l'Abîme originel.


    L'Abîme originel se co-engendre visible à la rencontre d'un regard, odorant, à la manière du feu qui prend l'odeur des aromates, à la rencontre d'un sentant, audible pour l'auditeur, sensible pour une peau de rencontre. La beauté nait dans l'œil de celui qui regarde. C'est l'Ange de la face, le multiple aspect personnel de l'Abîme.


    Le dieu, l'Ange, analogue à la personne est le masque de la Déité. Ce masque est une production du temps. Il est signe de l'immobile dans le mobile, de l'inconditionné dans le conditionné.


    Ainsi Il est et il n'est pas en toute personne, en toute demeure, analogue à des fils en tout tissage.


    L'instant, l'instant crucial, le kairos, est image de l'éternité autant que la durée indéfinie. La rose est image de l'éternité autant que le roc impassible.


    L'éternité est amoureuse des productions du temps (W.Blake).




Un État est, sans être une chose. Une Patrie plus encore. l'État est un tissage de relations de personnes. Les citoyens agissent en fonction de l'État, mais ils seraient bien en peine de le désigner du doigt ou de le toucher.



VI


    Une personne peut de droit antérieur à tout droit possible, participer indéfiniment de multiples demeures, de multiples mondes. C'est la pratique de la liberté et le destin. La liberté de choix dans un monde pré-donné et déjà construit est la liberté animale, celle des rats de labyrinthe, vendue par la tyrannie comme essence de la liberté. Le labyrinthe de la tyrannie est unidimensionnel.


    La production de mondes de choix à partir de situations de désespoir, de marée montante de la Destruction, l'ouverture de voies est la liberté humaine. Là où le choix, la liberté est absente, l'homme essentiel produit les mondes qui la produisent à nouveau. Le choix de liberté est déchirement et co-engendrement de la personne, détermination, position et négation entrelacés, mort et résurrection.


    Celui qui était avant le croisement des astres n'est plus celui qui foule le sol de ce rayon . Celui là est autre que lui-même.


    La liberté ne peut être éteinte, comme la Lumière ne peut être voilée par aucune tyrannie. Elle peut seulement éloigner la lumière, plonger le regard dans les ténèbres. Aucune tyrannie ne peut enfermer la puissance. Seule l'Imagination permet ce refus réaliste des ténèbres.


    Aucun homme ne peut de droit être soumis absolument, c'est à dire privé de mondes par l'oppression dans le monde des choses. Cette opération est matériellement possible par la négation des besoins élémentaires de l'homme. L'homme alors est écrasé vers l'animal.


    Aucun homme né à la Gnose ne peut l'être de fait. A lui, au plus profond des ténèbres reste une étincelle. Mais l'étincelle n'est que souffrance quand rien de concret ne peut fleurir dans le réel.


    Face à une pareille tentative de négation, la mutinerie est un droit strict d'application immédiate.




Les besoins élémentaires de l'homme ne sont pas définis de manière complète à notre connaissance. Simone Weil, dans "l'enracinement", en a construit le projet, qui doit être poursuivi et justifié. Il est possible, selon Henri Corbin, que ces besoins soient différents selon les personnes.
La distinction des niveaux de liberté s'appuie sur une structuration qui sera aisément reconnue par le lecteur familier des œuvres de T.S Kuhn, de l'école de Palo Alto, de la linguistique structurale et finalement des "Principia Mathematica" de Russel et Withehead. La distinction en question est celle de la capacité de production d'une combinaison à partir d'une matrice combinatoire finie (par exemple la production d'une phrase dans une langue) et la production d'une matrice combinatoire capable de (re) produire les matrices existantes (par exemple le métalangage utopique, l'Ürcode)- et d'autres imprévisibles.
Au niveau épistémologique, c'est la distinction entre l'usage d'une théorie instituée (la "science" normale" ou "paradigmatique" de Kuhn) et la révolution scientifique qui produit des problèmes et des situations entièrement nouveaux, impensables auparavant.

La tyrannie classique ferme tous les niveaux de liberté ; la tyrannie moderne laisse largement ouverts les choix à l'intérieur d'un paradigme fini. La fermeture peut donc être niée, et la résistance est donc beaucoup plus difficile.

Il convient alors de remarquer qu'aucune des grandes civilisations historiques ne pourrait être au regard des standards de la tyrannie floue. Des besoins vitaux de l'homme étaient soutenus par ces civilisations, que la tyrannie floue interdit. Ceci pour son prétendu pluralisme.


    VI-2


    Un homme peut par essence parler au nom de tous les hommes. Un homme peut par essence proclamer l'injustice et la fausseté de tous les autres hommes, sans pour cela faire preuve de présomption. Un tel homme fait usage de sa liberté. Cet usage n'entraîne pas de souveraineté temporelle, en ce qu'il est un pouvoir spirituel sauvage, typique de l'âge de fer.


    Tout homme de gnose sait obscurément la vérité, et sait la reconnaître quand elle est dite. Même dans un langage de monde étranger. L'expression de la vérité est un grain de sable dans la machine de ténèbres. Ainsi dans les temps de ténèbres, une poignée d'hommes qui rendent témoignage à la vérité sont-ils un danger pour toutes les tyrannies.

Luther a été soutenu par la force de la vérité face à l'immense Empire. Il en a été de même de la Rose Blanche. Le modeste paysan catholique Franz Jägerstätter avait raison contre son évêque, et contre tous ceux qui lui donnaient tort, mais il a aussi raison contre ceux qui aujourd'hui voudraient se parer de lui.
Le refuznik n'est soutenu que par sa liberté invincible face à la tyrannie, même si son corps et son souvenir peuvent être écrasés, à grand peur et douleur profonde, comme une punaise par le poids inexorable du monde des choses.

Cet usage de la vérité peut être beaucoup plus banal, être fonction de tribun syndical, de chef de groupe, ou fonction de fou. Il est comme l'ondée dans le désert.

La vérité cruelle est puissance, choc, larmes et/ ou rires.


    VI-3


    De ce qu'un homme dit la vérité, il ne s'ensuit pas que le contraire de ce qu'il dit est faux.


    De ce qu'un homme dit la vérité, il ne s'ensuit pas qu'un autre est dans l'erreur.


    De ce qu'une tactique est adaptée, il ne s'ensuit pas qu'une autre n'est pas adaptée. "Regarde la poutre qui est dans ton œil, avant de regarder la paille dans l'œil de ton frère."



Celui qui se protège de la tyrannie par la dissimulation a raison.

Le contraire de la vérité est le politiquement correct. Le politiquement correct est la parole qui s'autorise à mentir pour des raisons morales. Le mensonge est mise à l'écart des mondes, et le mensonge institutionnalisé est étouffement des signes, atteinte à l'être de l'homme. Ainsi le crime peut progresser sous le masque de la vertu, comme Juliette le démontre. Mieux vaut-moralement compris!- le renard de Machiavel que le Tartuffe moderne.



Il est trop facile, des dizaines d'années plus tard, à nos Bouvard et Pécuchet de donner raison à ceux dont ils agonisent de sottises les homologues d'aujourd'hui. Ainsi le régime chinois est-il mise en esclavage de millions d'hommes, et nous allons objectivement soutenir cette tyrannie explicite. Ceux qui le dénoncent sont aussi rares, gênants et irréalistes que ceux qui dénonçaient les Jeux de Berlin en 1936. Mais n'oublions pas que la tyrannie chinoise n'existe que parce que nous existons nous. Elle est notre image. Nous ne la soutenons que parce que nous sommes nous mêmes à l'ombre d'une tyrannie. Regarde la poutre qui est dans ton œil...



VII




    L'Univers est le tissage général des mondes, le langage kaléidoscopique qui permet la rencontre des personnes de tous les mondes. L'Univers est fait de liens, non de choses. Dans l'Univers un étant se définit par ses liens, et donc ne cesse de se redéfinir, ne se définit pas définitivement. L'Univers est la matrice combinatoire générale des mondes. L'Univers est le vestige de la langue adamique, c'est à dire le signe obscur qui fait ressentir l'absence. Pour l'amant, le signe obscur, l'absence, est déjà cela : un feu de ténèbres, la joie.


    VII-2


    L'Univers est fait de signes communs. Les astres et le temps céleste en ont été la première manifestation. Tout homme dans sa mondéité propre voyait se lever le soleil, rayonnant symbole de la communauté et de la co-appartenance des mondes, comme les rythmes des saisons, les routes, la mer.


    Et la langue est une image locale de l'Univers.




De plus en plus ce sont les flux médiatiques qui fondent l'Univers commun. Cela est une régression, non un progrès. Car le ciel étoilé échappe à la propagande.




    VII-3


    Le seul lien définitif est le lien passé. La seule chose exacte est la chose passée. Seuls les morts ont une identité univoque, mais pas même leur souvenir.




Il est important d'insister sur ce point. Être victime n'est pas un état, mais une relation. De ce fait, les esclaves parvenus au pouvoir sont des maîtres, et non des esclaves. La dictature du prolétariat est un oxymoron. Les esclaves rêvent d'être des maîtres et d'humilier ceux qui les humilient : ceux là même sont leurs modèles et leurs références morales. Même, consultés comme maîtres, ils aggraveraient la condition des esclaves. Devenus riches, ils arborent grossièrement les insignes de leur richesse, l'or, les femmes, les voitures, les maisons kitsch. Au pouvoir ils pillent, tuent, exterminent.



L'esclave est un facteur de conservation du monde des choses.



Il est difficile à l'esclave de se penser comme esclave, lui qui a intériorisé la morale du maître. Il veut sauver les apparences et se penser comme maître, ne serait-ce que d'un pavillon de banlieue, ou vainqueur dans une situation de projection complètement illusoire, comme supporter. Il éprouvera pour ses maîtres une fraternité d'identification, comme si le commercial qui tient ses chiffres était le Chef de l'état, et comme si le contremaître était chargé de responsabilités comparables à celles d'un manager, lui permettant de comprendre sa vie. Le pauvre aime se parer d'insignes voyants de luxe. Si le maître réel lui permet de sauver les apparences, et flatte cette identification, l'esclave votera pour son maître dans une élection. Ce paradoxe choque les esprits simples, mais se vérifie de manière massive dans les démocraties modernes. Alors que les élections ont lieu et que l'information est disponible, même si le spectacle domine les flux d'information, les candidats de l'oligarchie, du tout petit nombre de vainqueurs quantitatifs opulents, sont très souvent élus malgré l'évidence de leur intérêts réels très éloignés de l'intérêt du plus grand nombre, à la mesure même du monde des choses. Ainsi des masses d'ouvriers votent-ils pour ceux qui organisent leur exploitation, et la mise au service du système de leur vie même.



Ce constat ne doit pas être interprété comme une expression de mépris, mais comme le constat que le système ne peut donner aux personnes modestes une identification satisfaisante, et qu'il nécessite donc une aliénation, une fuite dans l'illusion comme phénomène social de masse. Se créer un spectacle ou jouer un rôle est vital pour beaucoup de gens modestes, et ils le savent très bien : ils se la jouent. Se la jouer. L'opium du peuple n'est nullement la religion, mais le spectacle. Seuls ceux qui ont la force de poser des valeurs et des règles différentes du système global peuvent trouver cette identification satisfaisante, cette image positive de soi-même qui se tisse à partir des signes de l'Univers.



Toutes ces considérations ne développent pas le modèle de la société d'ordre, où les liens de chacun hiérarchiquement organisés définissent une identification satisfaisante sans s'identifier à un modèle de toute puissance. Ce modèle de toute puissance est au fond le fruit de la bêtise au front de taureau quand elle rêve : elle ne veut que de plus grandes cornes et plus de poils.



Mais ceux qui se révoltent, en général, ne demandent qu'à se rapprocher du standard de vie des plus aisés. Ainsi l'oligarchie est-elle la référence générale du monde moderne.



L'importance de sauver les apparences, du spectacle, explique que les médias soient un centre du pouvoir médiocratique et oligarchique moderne.



Le lien, et non la nature, permet aussi d'insister sur le fait que les représentants oligarchiques des minorités opprimées ne sont des opprimés qu'en apparence. Ils sont des cas particuliers de l'oligarchie.



Des ancêtres victimes d'oppression ne créent pas de noblesse pourvue d'un droit d'oppression. Il n'existe aucun droit d'oppression, dans aucune circonstance.




    VIII



    Le monde des choses, la ré-alité, n'est qu'un fragment de l'univers. Il est le plus petit dénominateur commun des personnes. Bien que ferme, solide et inexorable, il n'est pas la mesure des mondes. Il n'est pas la mesure de l'Univers. Il est un vestige de mesure. C'est- par ignorance et nostalgie-au monde des choses que toutes les demeures sont mesurées par l'ennemi.


    La puissance du monde des choses est fondée sur son lien à la vie et à l'expression de la personne. Il est partagé par toutes les personnes, comme l'intime de l'âme paraît une citadelle déserte. Il est le commun par excellence et l'obscurité la plus profonde, le noyau aveuglant du soleil et le silence des enfers.


    Sans les choses, je ne respire pas, je ne fait pas de signes, je ne connais personne, au fond je ne sais pas si je suis.


    C'est par le monde des choses que triomphe la force, que la torture est possible.


    Il est le souverain et l'inexorable pour la masse des hommes, l'accouchement dans la douleur, la sueur sur le front, la lutte pour la survie, le citron lumineux qui fait fendre les dents.



    VIII-2


    Le caractère inexorable du réel en fait une arme très puissante, chimère faite de la griffe du lion, de la serre du vautour, des canines déchirantes des chiens, des venins, des lames tranchantes, matériaux et explosifs des armes. Les armes sont usage effectif et signe, communication de la force. Les porter visiblement est un privilège.

    Les paroles de puissance, les lois tyranniques, les objets médiatiques, les énormes outils de la propagande dite "communication" doivent être classés dans les armes non létales. Leur entéléchie est la puissance et la domination de l'adversaire.


    Les objets des grands désirs humains sont des armes inexorables. Leur usage n'est libre qu'en apparence. Ainsi la beauté féminine ne va-t-elle que vers la puissance mondaine, et ne prend conscience d'elle même, comme la lune, qu'au soleil de la puissance du Siècle.

    Le séducteur, la séductrice, ont un caractère inexorable comme le félin qui saisit sa proie. Le meurtre et la mort rôdent autour de la séduction, et tous sont fascinés par le sang comme par le sperme. Les différences sont légales, mais absentes dans l'objectivité des symboles.


    L'argent, mesure humaine des choses, en reçoit le caractère inexorable.Cette puissance a sa logique propre et met des hommes à son service, autant qu'elle même sert ses serviteurs.

    Cette force des choses qui passent à travers ces armes, la mort, l'argent, le sexe se retrouve dans leur usage. En réalité cette force commande son propre usage. La fin est la volonté de puissance, le déploiement de la puissance d'extension et d'intensité maximales.


    Seul celui qui est mort au monde, le renonçant, peut réellement s'éprouver à cette force. Tout autre est vaincu. La mort est gage de la liberté humaine.


    Les autres doivent négocier pour vivre.

Marx a noté quelque part que le capitaliste était au service du capital ; il convient d'ajouter que l'ingénieur est au service de la technique, le militaire et le policier sont au service des armes, et que le séducteur est au service de la puissance de la séduction, comme le soutenait Schopenhauer.

Tout usage possible de puissance sera réalisé. Peu importe l'identité de l'agent. Peu importent les comités d'éthique. Les comités d'éthique l'adaptent à l'expression de la puissance, interdisent provisoirement l'impossible provisoire. Le rôle de ces comités est d'autoriser.

La réalité de la liberté humaine dans ces domaines est très faible ; celui qui le vit le sait. Ainsi rares sont ceux qui désobéiront à un porteur de révolver, et très rares les hommes qu'une femme belle et organisée ne séduira pas. C'est pourquoi les femmes ont été utilisées par les services de renseignement.

Ovide, dans "de l'amour" note avec raison qu'une femme sur mille n'écoutera pas les paroles de l'amant.

De ce fait les mariages tiennent par peur, habitude et ennui. En absence d'assaut. Les personnes très convoitées font rarement les couples stables. La fidélité la plus répandue est négative, non positive.

Il est clair que la chasteté et la pauvreté de l'ascète sont le moyen et le signe de sa situation hors du jeu des mondes. Le renoncant est le seul à pouvoir être le plus fort face au monde des choses, là où les autres hommes en triomphant dans les signes se leurrent de leur triomphe face au réel même. L'étranger et l'ascète sont un et même, errant dans les mondes.

L'Empereur est au service des choses.

IX



    La poésie générale, ou Art, est le pouvoir de création de mondes et de fragments d'Univers, en lesquels des personnes trouvent leur demeure durablement. La poiésis est la puissance de donner de l'être-hic et nunc- aux images, entendues au sens le plus général. L'image est la structure de ce qui peut être. L'absence de partage signe une absence de puissance, et une impropriété de l'activité poiétique. La foudre qui fonde dans la destruction ne doit pas être confondue avec la destruction pour la destruction de l'impuissance jalouse.




    IX-2


    La science fondamentale est un produit de la poiésis.



Dans la pratique, la théorie a toujours largement précédé "l'expérience", contrairement aux attentes et aux affirmations de l'idéologie réaliste. Par exemple la poiésis mathématique précède par nécessité la poiésis physique. La réussite matérielle spectaculaire des sciences fondamentales condamnent par contre l'opinion selon laquelle la science fondamentale est assimilée à la libre fantaisie. Ces deux options ignorent le concept de l'Imagination.



    IX-3


    Dans l'œuvre, ou poiésis, le créateur se produit lui même, se projette comme une image sur un écran, être sans essence, comme une vague qui se brisera sur la grève. Il est à la fois le personnage et la demeure, l'ami et l'ennemi, la cheminée et le feu. Poussière d'être, ses rêves sont poussière de poussière.


    Toute transformation en vient. A lui couleur, odeur, goût, splendeur, désespoir et mort. Sans lui les mondes sont indicibles et obscurs.


    Comme lui, et en lui l'Être rêve, produit des images. L'imagination, le rêve de l'être est puissance de poiésis sans sujet.


    Analogue à la Déité, entière et insaisissable en toute choses, en toute manifestation.


    Entière dans la rose, et entière dans une larme. Entière aussi dans le crime et la poussière.


    A rien absente et à tout absence.



"J'ai cru que Tu étais un ami et je t'ai appelé." Celà, le "j'ai cru", est tort et raison.


    X


    L'homme pour simplement être selon sa nature de chose, vivante, animée, spirituelle doit manger, boire, respirer, mais aussi habiter des demeures. L'homme est une force qui va. Le dépassement de l'homme est l'homme.



    X-2


    De ce que l'Abîme est seul et unique, il est engendré au sens en engendrant. Il nécessite l'homme pour être Soi. Insaisissable par la voie de l'Un, Il est insaisissable par le multiple, car tout multiple est un masque, comme les écailles du dragon qui réfléchissent les étants.




Les besoins élémentaires de l'homme se définissent à tous les niveaux hiérarchiques des mondes. Si l'on ne définit que des besoins vitaux du corps, on ne distingue pas l'homme de l'animal. Il existe des besoins vitaux de l'âme, des besoins vitaux de l'esprit par référence à la destination de l'homme.


L'homme se co-crée avec son opposé à chaque niveau, comme l'organisme n'explore pas un donné, mais co-produit son identité et son environnement dans un mouvement unique. Ce que F. Varela nomme l'énaction, la co-création des identités dans l'opposition et l'entrelacs, et dans le temps. Verbalement , c'est la construction de l'identité par le récit. Ainsi la structure produit le temps, et le temps produit la structure.

La poiésis comme l'énaction montrent qu'il n'est rien de tel que la nature, et donc aussi la surnature, pensées comme des instances séparées. Ces distinctions d'entendements sont des vues de raison, des mensonges de la raison. Il n'est rien d'autre que l'abîme dans l'impensé, et l'exposition de l'impensé est une contradiction dans les termes. On ne peut nommer, penser l'impensé que relativement à une pensée, jamais en général. La nature est nature par réflexion, miroir de l'esprit et deuxième livre. De ce qui est vu ressort aussi le regard.


L'impensé est pensable par spéculation comme ombre de la pensée, sans contenu : la puissance de ténèbres sur l'horizon de laquelle tout apparait, la source et le point aveugle qui organise la rotation des mondes. A la fois inconnu et tout puissant, obscurément connu de tous les hommes ayant des yeux, obscurément cherché. L'homme est par essence dépassement, au delà, navigation vers les horizons. L'homme doit conquérir son essence. En voulant sortir de son état, il devient une bête (v.Pascal). L'impensé du point de vue du sujet est appelé puissance du point de vue des mondes.


L'Art véritable, ou poiésis, est transformation concrète de la vie. Le regard change les mondes habités. Ainsi celui qui apprend la période de sa mort quitte-t-il son monde ancien pour un autre, et son monde ancien est définitivement perdu. Le changement est puissant, destructeur, tempête d'âme. Il n'est pas imaginaire au sens des hommes réalistes. Ainsi Paracelse distingue-t-il la puissance d'Imagination, chargée d'Être, de la fantaisie.


Une relation ; une amitié, un amour invisible, un mariage sont, sans être des choses. La relation est plus que les choses. Avoir un sens c'est avoir un lien. L'Unique n'a pas de sens. Avoir de multiples liens est avoir de multiples sens. L'Ange a ainsi de multiples sens. L'analyse est une démarche qui risque d'aveugler par focalisation sur un sens. Le tissage est le principe du monde. Le langage est l'analogue humain de la sémiosis du monde. Le monde ne peut être distingué entre des données brutes et des données perçues. La possibilité théorique de la psychologie, qui prétend étudier le fonctionnement de l'esprit par comparaison implicite ou explicite avec des informations réelles ou brutes, n'est pas certaine.



L'homme, être de multiples liens, est un être équivoque, et décevant et trompeur pour qui cherche en lui le repos. Pourtant, la plupart des hommes cherchent cela chez l'autre qui leur manque, la certitude, la sécurité, le repos. Cette recherche mutuelle pour deux est le couple. Le couple est un tissage univoque. Il est sécurité, force, port en eaux calmes. Il est une chose bonne. Il est par nature étranger à la violence destructrice de la passion. Elle aussi est une chose bonne donnée au fils de l'homme. Rien n'est plus sûr qu'un mariage de vieux, sinon un mariage de morts. La passion dans la sécurité est une aporie comme le développement durable. La société et la comédie humaine n'ont digéré cette contradiction que dans les civilisations les plus raffinées, comme l'Inde classique, ou la Chine. C'est la question de la typologie et de la hiérarchie des liens.



Plus que l'esprit de l'escalier est l'esprit de l'Abîme.





XI



    Qui augmente le savoir augmente le malheur, mais le malheur des hommes est de limiter l'Être à la réalité, au réel. L'homme est fait de parties et n'a pas de totalité en soi. La totalité dans le monde des choses ne se fait sentir que par son absence. L'homme ne peut pas trouver la réconciliation dans la seule réalité.




L'homme a les pieds dans le réel, mais il vit aussi dans les multiples demeures où il accède autrement que par ses pieds. L'homme « moderne » veut faire advenir ces demeures au réel par la technique et construire le paradis terrestre, la réconciliation, par le travail forcé, la technique et la puissance. Cela est contradictoire en soi, puisque la force technique est une puissance dont l'œuvre de destruction dépasse l'œuvre de production, et dont la force d'emprisonnement inévitable, l'aliénation, dépasse la libération réelle et aussi illusoire de la puissance sur les choses.




XII




    Pour se faire obéir du réel, il faut obéir à ses Lois. Et c'est ainsi qu'en croyant se libérer du Réel, l'homme moderne s'y enferme toujours davantage.


XII-2



Car l'homme n'est pas seulement soumission pratique au réel, mais aussi par essence puissance d'Imagination, puissance de production d'être. L'homme est par essence le négatif du réel, et sa plus forte affirmation est la plus forte négation de celui là. Ce qui fait du « réalisme » un mensonge mortel pour la vie humaine.



XII-3



Pour le gnostique, le réel est une matière à informer par des images, une base substantielle fluide des métamorphoses. Mais autant par le percept et le concept que par la phénoménalité effective, qui échappe à la volonté.



Le réel peut ainsi se définir comme matière et comme résistance obscure.



A ce titre la personne est matière. Il n'est pas de transformation d'étant qui ne transforme la puissance de transformation.



L'alchimie est une illustration de cette co-transformation.



XIII



Une appréciation de valeur, une règle, une loi ou un ensemble organique de lois ne peut s'appliquer légitimement que dans les mondes hiérarchiquement égaux ou inférieurs à la souveraineté qui les fonde.




XIII-2



Les hommes serviteurs du monde des choses posent comme licite tout attentat effectif contre la liberté humaine d'habiter les dix mille demeures, si l'objectif avoué de l'infraction aux principes est préalablement posé comme moralement souhaitable dans le monde des choses.



Le moralement souhaitable est le déploiement univoque d'une puissance de production quantitative. Les besoins matériels élémentaires et le désir humain sont instrumentalisés pour produire toujours davantage. La satisfaction n'est pas atteignable même dans l'abondance. La civilisation reste élémentaire, végétale et animale.



L'Art général, la poiésis est sacrifiée à la production quantitative. Cela amène à nier le propre de l'Imagination, et à mettre chacun également au service des choses.



De ce fait l'Imagination est rabaissée comme fantaisie.



La "morale" est l'arme de guerre de toute illégitimité, puisqu'elle pose que toutes les demeures doivent respecter les règles d'un monde inférieur. C'est une usurpation permanente du Verbe.





La règle édictée est triviale : une famille peut développer des coutumes mais celles-ci n'engagent pas les lois nationales. Poser des lois est une puissance analogue au Verbe, non la seule ni la plus nette ; simplement la plus connue. Ce qui est posé dans le verbe devient être.



Du point de vue des mondes, le pouvoir des politiques élus des électeurs effectifs ou des chefs d'entreprise élus par suffrage censitaire des actionnaires n'atteint pas légitimement les mondes de la poiésis. C'est pourquoi les interventions du politique ou du financier dans les normes de la recherche fondamentale, de l'Art, de la pensée sont illégitimes et évidemment absurdes. Ce qui a été vrai avec Lyssenko l'est encore aujourd'hui. Il importe de réfuter avec force toute prétention de légitimité universelle qui serait issue du suffrage universel-cette légitimité est un mandat qui ne peut s'exercer en outre que dans des champs légitimes. De même, le fait que l'argent puisse servir de levier d'intervention universel ne rend pas celui qui en est le maître législateur légitime, quand bien même il trouvera aisément des courtisans.



Ainsi le démos des athéniens n'avait-il pas de légitimité à juger Socrate et avait le devoir de l'entretenir matériellement indépendamment de son jugement sur lui. Le principe d'organisation des domaines d'activités qui relèvent de la poiésis ne peut être que l'auto-organisation par les personnes concernées. C'est un devoir envers l'être humain que de leur donner des moyens suffisants d'existence. Le mécénat est un honneur du riche et du peuple ; ainsi la poiésis les inscrit-il dans l'éternité et développe leur conscience d'eux-même, leur être pensé objectif, leur gloire au sens authentique. Le mécenat est même la fin de l'organisation politique saine, sachant que "la religion", je dirais plutôt la fonction des Brahmanes, en tant qu'ensemble de moyen de liens entre la société humaine et les mondes supérieurs, ne se distingue pas d'elle.



Car "la religion" n'est rien d'autre que cela, l'ordonnancement du monde humain par les mondes de l'Imagination, par la lumière de Gloire. La transfiguration de la vie humaine, la réalisation de son essence. Elle se fait par les Lois, comme les lois de Manou, par l'enseignement, les rites, l'ensemble harmonieux des existences. Cela n'a rien à voir avec la terreur et la moraline des tartuffes.



C'est cette fin suprême qui est anéantie par le règne des choses comme lien politique de base. Le développement de la technoscience et l'énormité des moyens quantitatifs qu'elle exige modifie ces conditions au profit de la puissance et de l'argent. Aussi la technoscience n'est pas une montée en puissance de la science, mais un asservissement. Ce point mérite d'être discuté.



La moralité moderne ne peut revendiquer de s'appliquer ne serait-ce qu'à l'art sans sombrer dans la caricature de l'art d'entreprise, ou du réalisme socialiste, ou de l'art républicain. Céline est un grand écrivain, et cela est étranger à ses jugements de valeur. Son art peut être apprécié sans partager ses funestes interventions politiques. Boulgakov était indépendant de Staline dans son activité d'écrivain. Le tuer n'y aurait rien changé ; et Staline avait ceci de supérieur à nos Césars ivres qu'il le savait, et qu'il l'a laissé écrire, malgré sa folie et sa cruauté.



En particulier, la sécurité et la certitude sont des principes de base de la moralité des choses. Ce monde a besoin de sécurité et de certitude pour rendre solide, concret, échangeable, ses appréciations de valeur fragiles et éphémères par nature. Or ni la sécurité ni la certitude ne peuvent être apportés par la poiésis, qui par essence est destruction de la sécurité et de la certitude. C'est celà qui oppose le Grand Inquisiteur à Jésus dans la parabole de Dostoievski. Ainsi les porteurs de flambeaux ont-ils dans l'histoire connu les supplices des peuples et de leurs maîtres : le cas de Giordano Bruno est à comparer à celui du Maître. La Croix est l'autorité de la chose jugée.



La liberté humaine antérieure et fondatrice du Droit pose l'illégitimité absolue de l'intervention de souverains humains, quels qu'ils soient et sous aucune raison, dans son domaine : il existe des domaines non légaux. Il ne s'ensuit pas qu'ils soient non régulés, et moins encore livré à la toute puissance humaine, qui est toujours illusoire.



Car la liberté humaine dans le monde des choses n'est pas grand'chose. La mentalité d'esclave cependant est la condition de l'esclavage. Cette mentalité déploie une appréciation de valeur fondamentale : un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort, ou encore la vie biologique est prioritaire sur toute autre étant, est la plus haute valeur.



On hésiterait aujourd'hui à affirmer que l'Art ou la liberté valent plus que la vie humaine. Pourtant ce jugement est à la base de toute résistance à l'oppression, ou de toute défense de sa civilisation par un peuple dans la guerre. Les résistants nous disent que la vie humaine peut être sacrifiée à ce qui la dépasse. L'Occident vénère le sacrifice.



Nous dépensons une somme énorme d'argent et de travail pour les vieux, les handicapés, la médecine du corps ; à côté, les efforts fait pour grandir la vie humaine sont superfétatoires et à contresens. Ainsi le 1% culturel, qui fait que l'architecture ne ressort que de la rationalité de l'ingénieur, auquel s'ajoute une "œuvre"vide de sens calculée par un %...L'architecture est création d'espace de possible, comme une théorie nouvelle, une morale nouvelle, un amour nouveau. Sinon, c'est la fabrication de boîtes ; et c'est bien de celà qu'il s'agit. L'art est dissocié de l'utile.



Ces choix ne sont nullement des choix qui s'imposent sans discussion, mais des choix imposés par une sénocratie. Je ne brulerais pas une bibliothèque pour une vie humaine, si on ne me montre pas ce que l'Art pèse de sang et de larmes. Brûler une bibliothèque c'est amoindrir la vie humaine en général, là où la mort d'un seul n'est rien que de droit.



Mourir est certes "mourir à douleur", dans le sang, la panique et la merde. "Seigneur, seigneur..." Ma mort m'incite à vivre.



XIV




    De ce fait les jugements de valeur du monde des choses sont posés comme effectivement obligatoires, et refoulent, dénient toute valeur aux dix mille demeures. Les hommes du réel posent la réalité comme Être total, et tout Autre que le réel comme néant, passivement ou activement nié. Les actes nient autant que les paroles. C'est pourquoi il est légitime de parler de Tyrannie totalitaire, en constatant l'usurpation et la négation systématiques.




XV



    Le sens des mots de tyrannie et de totalitarisme sont néantisés par la Tyrannie floue de l'ordre bourgeois. Car en effet cette tyrannie ne rend pas obligatoire un ensemble orthodoxe de comportements, mais incite de manière insidieuse mais puissamment coercitive à des classes de comportements acceptables. La tyrannie statistique n'en est pas moins parfaitement déterminée. Les limites n'en sont pas moins rigoureuses d'être floues et insaisissables. Car le passage de la limite est net, quoique toujours particulier, et donc insaisissable par la théorie ou le droit.




Pourtant déjà les amitiés et les amours humaines dépassent toutes les choses que s'approprie vainement l'homme pour être heureux. Elles les dépassent en joie et en douleur, car qui veut la vie, l'âpre saveur de la vie, doit la jouer et risquer la douleur des déserts. Qui veut garder sa vie la perdra. L'accumulation des choses est sécurisante, les choses ne vous quittent pas. Mais elles ne vous choisissent pas, ne brûlent pas de vous, ne chantent pas de longues complaintes sous la Lune, sur les rivages des fleuves, en vôtre grâce. La personne que chante le poète devient immortelle en des demeures de parole. Qui a oublié Iseult la reine, Marguerite, ou les amours d'Apollinaire?




« Le Pont Mirabeau




Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

(...)
L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

(...)


Choisir les choses est manquer de foi en le destin.




XVI


    La certitude et la sécurité ne sont pas le critère d'une vie qui doit nous mener à une bonne mort. La certitude et la sécurité, comme la morale et la raison, sont des appréciations de valeur qui mènent à l'ensevelissement de la vie. Certitude, Sécurité, Raison, Morale, sont les idoles d'un monde désertique, une vallée sans issue de roches sombres où brûle le flamme noire de l'enfer.




Un monde sans eau pour l'âme qui a soif, sans rire et sans larmes. La vie est irresponsable, impitoyable et cruelle comme la brûlure du Soleil, vie au goût mêlé du sang des sacrifices et des roses. Vie des falaises hiératiques et vie des noyés tournoyant vers l'Abîme. La vie humaine dans sa dignité et sa splendeur , comme la mer, n'est pas le lieu des repos.



XVII



    L'Art et la Magie sont pour la vie et non pour les tombeaux. La meilleure poésie générale advient à l'existence dans la vie des personnes, et dans l'ensorcellement et la transfiguration des choses. Cette dernière opération a lieu par la transformation matérielle et par le signe, et non par la transformation technique seule, ne signifiant rien d'autre qu'elle même et le service des choses.



Les demeures de l'homme, les « modernes », ceux qui se nomment tels les appellent « culture » et en accumulent des choses dans des musées, musées des Arts premiers, primitifs, comme si l'accès aux dix mille demeures était une nécessité du passé, réservée aux sauvages. Comme si seule comptait la réalité de toutes ces choses disparates et non l'Être, les Anges très puissants dont ils sont ou étaient les signes et les supports dans la vie des personnes habitant leurs demeures. Les musées sont des tombeaux et des prisons. La littérature est vécue, ou pauvreté essentielle, dénuement, qui cherche à se compenser et à se cacher à elle même, comme une forme de pornographie.


XVIII



    La guerre est inévitable et elle est déjà là, souterraine. La guerre est une réalité et dépasse la réalité. C'est dans la vie, l'âme, l'esprit des personnes, tous les jours, que la guerre a lieu.



XIX



    Ce qui cause la guerre est la volonté de mobilisation totale des personnes comme des choses, et autour des choses. C'est la réalité d'une volonté d'une soumission absolue à une entéléchie contraire à celle du tissage humain. C'est l'annihilation pratique et symbolique des demeures. Ceci est présenté comme la réalisation extensive du désir humain, comme une toute puissance de la liberté humaine.



XX


    Comme le monde des choses et son système sont une figure globale, la seule guerre efficace est la guerre totale.




XXI


    Cependant la guerre ne peut se dérouler comme guerre de puissance, car dans le monde des choses, la puissance du Verbe et de l'Imagination n'est pas créatrice de victoire à la mesure des choses.


    À cette mesure, la victoire de l'Esprit ne peut être.



XXII



    Le terrorisme et la répression sont les deux mâchoires du même piège à con (Manchette). Ceci est une condamnation définitive de la lutte armée. Qui combat dans le monde des choses prend les armes de l'ennemi.



XXIII



    Le monde des choses n'a d'autre entéléchie que le déploiement complet de sa puissance. Ce sont les moyens qui suscitent une indéfinité de fins pour une entéléchie unique. Le communisme, le capitalisme, le nazisme sont des maximisations du déploiement de la puissance matérielle. Le combat matériel est par principe déploiement de puissance, service des choses. Il y a cependant des degrés dans la violence destructrice des régimes modernes, qui justifient l'usage de la guerre matérielle.



XXIV



    La puissance médiatique est aussi un déploiement matériel, quantitatif de puissance ; et l'usage de la propagande médiatique, quelle que soit la cause défendue, est avant tout service et justification du système.C'est en ce sens qu'il est vrai que le média est le message.


    C'est l'illusion la plus commune que le combat pour des bonnes causes, comme la diffusion par propagande de messages "moralement positifs" puisse servir autre chose que le système qui les diffuse. Pire, certains utilisent le mensonge et la manipulation pour servir leurs "bonnes causes". Naïvement donné, ce service se paie au prix excessif de la complicité morale, ou douze deniers.


    L'extension quantitative illimitée de la communication abaisse le prix à payer pour la mutinerie. L'utilisation doit être contre-utilisation en elle même. C'est à dire que la manière de diffuser compte autant , sinon plus , que le message.


    Le pire service que l'on puisse rendre à une cause est de le défendre avec de mauvaises raisons (Nietzsche).


    On conseillera aux imbéciles de défendre le système-ils le font déjà pour la plupart, mais il ne faut pas insulter l'avenir. On leur donnera les arguments. Surtout ne découragez pas les imbéciles. Voyez Flaubert à ce sujet.


XXV




    La guerre est la lutte de l'esprit contre l'esprit, car l'esprit a trahi la vie et l'homme.



XXVI



Ce sont les appréciations de valeurs, les structures de pensées de l'idéologie des choses qui doivent être dressées contre elle même. Car l'Univers est commun, et ainsi tout langage poiétique. Cela ressemble à l'action d'un virus. La force de l'ennemi doit devenir nôtre. L'entéléchie du système le pousser à se dévorer lui même.



XXVII



    Le combat spirituel oblige à tous les masques, pour occuper en profondeur le terrain de la poiésis, de la production symbolique, ou Art général. Car c'est aussi avec des arguments et des techniques compatibles avec l'ennemi que le combat peut être utile. C'est pourquoi dans tout combat la complicité avec l'ennemi, la compromission est inévitable.



XXVIII



C'est l'Encyclopédie qui au dix huitième siècle s'est avérée la meilleure arme d'une guerre de cette espèce. Elle a déployé les structures de pensée et les arguments de l'Europe contre elle même. L'Encyclopédie du XXIème siècle n'est qu'analogue, c'est à dire essentiellement différente.




La lutte est de nature spirituelle, car c'est l'esprit de l'homme qui a trahi le plus haut de l'homme en voulant la toute puissance, et c'est l'esprit qui doit se ressaisir lui même et détruire ses illusions morbides.



Rien ne doit être conservé de l'ancien monde sans transformation profonde.



L'illusion de la toute puissance n'est atteignable qu'avec des choses, ou par la violence totalitaire sur des personnes, par l'écrasement physique et symbolique. Mais là encore cette toute puissance est partiellement illusoire : la résistance humaine n'a jamais cessé dans les camps. Aujourd'hui la société bourgeoise voudrait administrer les personnes comme des choses. Les sciences de l'Éducation ne pensent pas les portes à montrer, les ciels et les mers à parcourir, les clefs à transmettre, mais sont des sciences de la modification du comportement pour qu'il soient mesurables et quantifiables comme dans la production des choses. Beaucoup de sciences humaines deviennent des sciences de conformation et d'adaptation. A ce titre elles véhiculent comme vérités évidentes les appréciations de valeurs du règne de la quantité. La répression est décentralisée, diffusée jusqu'aux personnes elle mêmes, au nom de jugements indiscutables du Bien.




XXIX



    Le combattant spirituel doit nécessairement revendiquer le Mal comme sien, pour ne pas être récupérable. Car dans le monde systématique des choses, le bien revendiqué est un moteur du système, le vrai est un moment du faux général.


Dans la compensation imaginaire, le divertissement, et l'auto-justification à la fuite se perd la force et le radicalisme implacable de la mutinerie. La lucidité doit être impitoyable et cruelle pour affronter une réalité impitoyable et cruelle sans fuir dans les arrières mondes et le divertissement. Les demeures ne sont pas des abris. Les personnes qui y habitent marchent dans le monde des choses, et vivent l'emprisonnement de la négation triomphante. Nous sommes forcés d'agir comme si ce que nous savons de plus précieux était pur néant dans notre monde quotidien. Aucune compensation, aucune négociation ne sont possibles par principe. Un piège typique du système est de proposer la négociation, ou des aspects moralement valorisés. Les engagements généreux du politiquement correct sont des pièges du système. Le vrai dans le système est un moment du faux, de la falsification générale. Le vrai est ainsi au service du mensonge, et le bien au service de la corruption. C'est pourquoi le combattant doit être mal pensant, et revendiquer le Mal.

Cela ne veut pas dire qu'il doit reprendre des idéologies que le système rejette avec raison comme inhumaines, même par provocation, car c'est un déshonneur de se servir de morts innocentes pour faire de la provocation. L'horreur de ce qu'ont subi les victimes doit être respecté. Quant à l'usage de la force, il oblige à entrer dans les règles du monde des choses, où la défaite est inexorable.



La pire défaite même étant de vaincre. Car alors le vainqueur assume la nature du vaincu, et devient l'agent de la puissance qui animait son ennemi. On en trouverait beaucoup d'exemples.



Nous, mutins, avons coupé les ponts avec l'Europe, pour proclamer la puissance de la Liberté que nous avons apprise en Europe dans les mots, et dans les faits par nous-même. Les européens « réalistes » ont besoin d'une bonne cure de surréalisme, d'hyperréalisme, pour sortir des cimetières de choses figées, mortes, échouées, qu'ils ont apprises jusqu'au plus profond des os et les empêche de vivre au delà de leurs ténèbres. Ils sont comme ces centaines de soldats morts debouts, pris dans les glaces, vu une nuit d'hiver de 1943 sur la steppe du front de l'Est, à la lueur menaçante de la Lune.




XXX



La lutte qui s'engage est une lutte à mort, mais seul ce qui est réel peut mourir. Fondée sur rien, notre cause ne peut être vaincue.






Hommage à Ernst Junger, un frère.


Les dix mille demeures de l’homme, l’homme moderne les appelle du mot extérieur de « culture ». Et les enferme dans les musées, les musées des Arts Premiers, « primitifs », comme si les dix mille demeures étaient des choses réservées aux sauvages. Comme s’il n’y avait là que des choses du passé. Comme si seule comptait la réalité de toutes ces choses, et non l’Être, les Anges très puissants, incontestables, dont ils sont ou ont été signes ou supports. Comme si être pleinement homme, porteur de feu, était possible dans la négation des dix mille demeures.

Nous condamnons les musées. L’Art et la Magie doivent être dans la vie et non dans des tombeaux de choses. La littérature doit être dans la vie et non dans les caveaux des bibliothèques. Quand au cirque, nous démontrerons qu’il y est déjà.

« A l’instant même où cela est connu et reconnu, on voit s’effondrer tout l’échafaudage monstrueusement compliqué qu’a bâti pour se protéger une vie devenue très artificielle ; en effet cette attitude que nous avons caractérisée au début de notre recherche comme une innocence plus sauvage n’a désormais plus besoin de lui ; c’est la révision de la vie par l’Être, et celui qui aperçoit de nouvelles et plus vastes possibilités de vie salue cette révision dans la mesure et même la démesure de son impitoyable cruauté.

L’un des moyens pour préparer une vie nouvelle et plus hardie consiste à anéantir les appréciations de valeur de l’esprit dépourvu des liens qui n’obéit plus qu’à lui-même, à détruire le travail pédagogique auquel l’âge bourgeois s’est livré sur l’homme. Afin que cela eût lieu de façon radicale et non sous la forme d’une réaction appliquée à faire revenir le monde de cent cinquante ans en arrière, il fallait passer par cette école. Il importe maintenant de faire l’éducation d’un type d’homme qui possède la certitude désespérée que les revendications de la justice abstraite, de la libre recherche, de la conscience artistique doivent faire la preuve de leur légitimité devant une instance plus haute que celles qu’on peut rencontrer au sein d’un monde de liberté bourgeoise.

Si cela a lieu d’abord dans la pensée, c’est qu’il faut aller chercher l’adversaire sur le terrain de sa force. La meilleure réponse à la haute trahison de l’esprit envers la vie est la haute trahison de l’esprit envers « l’esprit » ; cela compte au nombre des hautes et cruelles jouissances de notre temps que de participer à ce dynamitage »

Ernst Junger, « Le Travailleur », trad J.Hervier, C. Bourgeois ed.

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova