Sur la fonction et sur la sous-totalité symbolique : le monde se reflète dans une goutte d'eau.

( http://chatlibre.blog.lemonde.fr/2006/04/)


Les nuits de Lune, des millions de gouttes de rosée se déposent sur les tiges des herbes et des fleurs, sur les arbres, les racines semblables à des mains souffrantes, les écorces épaisses comme la peau du Dragon, les orchidées évocatrices de l'amour. Les herbes et les orchidées poussent en Enfer comme dans notre monde . A Auschwitz, il y avait le soleil, l'air et l'herbe, la certitude du Bien qui fait la certitude du Mal . En Enfer, le prisonnier peut voir l'analogon de la liberté du monde . Cela n'est rien de tangible et est tellement .



Et chaque goutte reflète la lune ; la lune s'analogue à l'indéfini . Ainsi l'Univers s'analogue-t-il en chaque âme ; feu follet éclairant fugacement la lumière, lumière du monde .


Cette analogie se construit sur les catégories du Verbe des hommes, dans les mots de la Tribu . Et ainsi l'Univers symbolique, véritable Ange de la Face se tisse avec les mondes symboliques des hommes, pour produire l'Univers d'une ère du monde . Le symbolique est une partie fonctionnelle constructrice du monde humain, une partie proprement principielle . Il est le squelette sur lequel se nouent les nerfs, les veines, les artères, les muscles, le lierre et la vigne du monde . Tout est par Lui, le Logos commun d'Héraclite, et rien n'est sans lui .



Aussi il ne saurait y avoir "surestimation du travail idéologique". Voyez à ce sujet Vladimir Illich...



Le caractère systémique, holiste du monde, fait parler de rôles fonctionnels . La représentation du mouvement ne dépend pas de l'analyse du mouvement atomique d'un mobile dans un espace homogène hors de notre monde . Pour Aristote, l'analyse du mouvement est la dialectique du Temps et de l'Eternité, et de la manifestation de l'Eternité dans le Temps . La génération et la corruption . Penser le mouvement d'Aristote comme un mobile atomique dans un espace homogène le rend incompréhensible .



De même, les relations entre les sexes ne sont le conflit symétrique des hommes, l'homme atomique, avec les femmes, la femme atomique, basées sur le rapport de force, la domination "économique et politique", que dans notre monde ; ailleurs, ces rapports sont des figures de l'harmonie cosmique, basée sur l'harmonie des opposés .


Notre monde est carcéral : et la clef en est symbolique .


La porte est là, toujours déjà ouverte .





Lettre ouverte à J.C. Michéa, frère lointain II . Le tissage des liens symboliques comme essence de la révolte contre le monde moderne.

(Suite du message précédent)




Je crois en effet que Lasch comme Michéa n'ont pas complètement dépliée l'ontologie racine du Système . Et ce point ne se situe nullement sur un lieu accessoire . L'ontologie racine du Système est l'ontologie de la chose, je l'ai dit ; et cette ontologie est amenée sans cesse à poser les pôles comme extérieurs, et plus intensément étants, que les liens qui les constituent .

(On dirait dans l'ontologie de la chose, que les choses sont autonomes quant à leur essence et à leur être, et ne nouent de liens que secondairement, relativement à cette nature et à cet être . Par exemple, cette ontologie pose qu'il existe un étant autonome « arbre » qui est un étant et un arbre par lui même, indépendemment de toute conscience . Et si je peux le voir, c'est justement parce qu'il est, et qu'il est un arbre . Un excellent évêque anglais a alors posé la question de savoir quel serait le bruit de la chute d'un arbre que personne n'est là pour entendre . Pensez aussi à l'axiome de Husserl : « toute conscience est conscience de quelque chose ». Car alors il n'est pas de conscience sans chose, et donc l'existence et l'essence de la conscience ne se déterminent que par ses relations -il n'existe rien de tel que « moi »comme une chose ayant une essence propre que je pourrais découvrir par « la recherche de moi même », une belle foutaise intellectuelle des modernes . Et je pose de plus que la réciproque est vraie, toute chose n'est et n'a d'essence que pour une conscience . Bref que les liens ne déterminent que des polarités dans l'Un, et que ces polarités ne deviennent des « choses »que dans la perspective d'une conscience déterminée . Ainsi le « moi » n'apparait que dans la polarisation de la psyché dans une structure psychique, comprenant classiquement le surmoi, le ça et plus encore, la pulsion de mort, mais aussi le monde, ou principe de réalité . Par exemple encore, nous sommes spontanément poussés à répondre à la question « qu'est ce qu'un pauvre? » par des caractères essentiels, propres à la pauvreté ; ou à imaginer possible « la dictature du prolétariat », ou « la richesse aux pauvres » sans en voir l'évident oxymore .)


Dans l'ontologie de l'objet, le moi est plus réel que le système psychique ; le cerveau physique plus réel que la pensée ; les objets industriels plus réels (l'économie réelle) que le monde financier (l'économie virtuelle), et ainsi on a pu dire que la crise économique du XXIème siècle n'atteignait pas l'économie réelle au delà de toute évidence ; les lois physiques plus réelles que la production artistique...dans l'histoire de la pensée occidentale l'analogon indéfiniment répété de cette structure a pour noms réductionnisme, ou matérialisme, ou déterminisme . En matière de politique, c'est à dire de liens humains, cette ontologie porte à nier que les liens soient réellement structurés par leur construction symbolique, et donc porte à traiter d'illusion, ou de fiction, toute construction de liens juridiques, métaphysiques, bref toute médiation symbolique des liens . Tout véritable rapport humain, et la vérité de tout rapport est le rapport de force, pour l'homme comme pour l'animal, l'objet physique ou l'atome. Là est la base de la « nécessité inexorable » à laquelle prétendaient nazisme, communisme et libéralisme . Car cette ontologie pose que la civilisation est incapable de tisser des liens spécifiques . Elle ne peut qu'en donner l'apparence . A ce titre le soupçon pèse sur tout tissage de liens . Et c'est là le thème libéral par excellence, le caractère inexorable, la réalité incontournable, du rapport de force symétrique . Comment a -t-il pu exister des civilisations non libérales ?

La structuration symbolique du lien serait un voile sur la réalité physique brutale de ce lien : trois citations l'illustrent : je m'excuse de me répéter, mais ces passages sont suressentiels .
La structure de base est présente dans des textes issus du champ scientifique du XIXème siècle, et cette structure est analoguée aux relations entre classes ou entre sexes . Il s'agit toujours de ramenener une structure signifiante, sémiotique, triadique, à une réalité de choses ne pouvant avoir d'autres liens que les rapports de force .

Claude Bernard, principes de médecine expérimentale (1858-1877) :
« Nous nous croyons libres comme nous croyons que nous vivons . (...) ce sont des illusions, comme nous croyons que le soleil se couche et se lève. »


En bon positivisme, la vie n'est qu'une manifestation particulière du non vivant, de la mécanique ; et la mécanique est déterministe . Il n'existe réellement ni vie ni liberté . Que la mécanique des atomes et des forces . Toutes les autres représentations sont des illusions . On n'a pas, même aujourd'hui en Occident, pris la mesure d'une telle pensée .

Comparer avec ce texte de Jules Soury, maître de conférences en psychologie physiologique à l'Ecole des Hautes Etudes nomme par Paul Bert en 1881 :

« Toutes nos différentes façons d'envisager la nature se ramènent à une vue unique : la mécanique céleste, la physique, la chimie, la biologie, y compris la psychologie et la sociologie, ne sont que des cas plus ou moins complexes de la mécanique générale . (...) Les sensations et les idées ne sont , au point de vue objectif, que des systèmes de mouvement . (...) l'action réflexe est le type du mécanisme de la sensibilité générale dans tout le règne organique (...) » Revue scientifique, 1883.

La dernière phrase est tout particulièrement significative, car l'arc réflexe est justement le processus vivant qui n'utilise pas la médiation sémiotique ; et c'est lui qui est posé comme l'analogon de référence pour la psychologie et la sociologie, qui devra donc poser comme illusoire toute médiation symbolique . On ne pose pas de distinction entre causalité d'un acte et raison d'un acte ; ou encore la raison n'est qu'un habillage trompeur de la cause, que la Science doit mettre à nu impitoyablement .

Marx, Manifeste...ouverture.
« Partout où elle (la bourgeoisie) a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.
La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages .
La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports
d'argent. »

Commentaire : le texte oscille entre deux interprétations . Soit les liens si variés sont des liens réels d'une variété réelle et ils ont été brisés ; soit ces liens n'étaient que des masques de l'exploitation réelle, et les masques sont tombés, la vérité apparaît . Il est clair que la structure de pensée est alors un analogon de la précédente . L'ambiguité de Marx est très significative : comment penser une transformation de la société si la natures des liens entre les personnes est nécessaire et inexorable ?

Lasch, la culture du narcissisme, pp 237-238 de l'édition de poche : histoire sociale de la guerre des sexes.

« L'escalade de la guerre entre hommes et femmes s'explique par (...) l'évolution des modèles de socialisation (...)
La courtoisie n'est plus : voilà une évidence qui ne date pas d'hier . Autrefois, la galanterie traditionnelle masquait et tempérait jusqu'à un certain point l'oppression méthodique des femmes. Les hommes avaient le monopole du pouvoir politique et économique mais, pour que les femmes acceptent mieux leur domination, ils l'adoucissaient d'un rituel raffiné (...) (suit un passage sur la force bestiale, la brutalité et la sauvagerie des hommes).
Autour de ces relations, qui pour l'essentiel, les exploitaient, elles (les femmes) tissèrent un réseau d'obligations réciproques qui eurent au moins le mérite de rendre les relations plus supportables.
La relation symbiotique entre exploitants et exploités, de tout temps si caractéristique du paternalisme, a survécu entre hommes et femmes (...) (que précairement avec la démocratie). (les femmes) exigèrent une démystification de la sexualité féminine (...).
Démocratie et féminisme ont maintenant arraché le masque et mis à nu les antagonismes sexuels jadis cachés (...) privés des illusions que conférait la courtoisie hommes et femmes (...) »

Là encore, il n'est pas besoin de monter plus avant l'analogie . Elle fait de ce texte un exemple caricatural de discours idéologique « progressiste », politiquement correct, avec sa profonde connivence à l'idéologie libérale . L'essence du rapport entre les sexes est l'antagonisme .


Voyez cette expression étrange en logique, "la relation symbiotique entre exploitants et exploités". Une relation symbiotique n'est pas une relation d'exploitation évidente. "La symbiose est une association durable entre deux êtres vivants et dont chacun tire bénéfice. Ils s’aident mutuellement à se nourrir, se protéger ou se reproduire" (dictionnaire de biologie) . « survivre c'est transformer les inconvénients en avantages et éviter que les avantages deviennent des inconvénients pour éventuellement se survivre .
La symbiose est une association à caractère obligatoire ou non et à avantages et/ou inconvénients réciproques et partagés, entre partenaires ("locaux") avec des bénéfices ("globaux") qui sont pour la nouvelle entité émergente . " (wikipédia)
Je reviendrais longuement sur cette problématique cruciale : comment penser une complémentarité qui ne soit pas une exploitation ?

Ainsi les relations entre hommes et femmes n'ont connu dans le passé, "de tout temps", qu'un seul modèle anthropologique, qui est l'exploitation des femmes par les hommes . Ainsi la courtoisie de l'époque moderne, l'amour courtois médiéval, la relation analogue à celle de Tristan et Iseult, le Kama-Sutra, les sociétés matriarcales, tous ces types de lien ne sont que le masque d'un type unique, l'exploitation brutale, éhontée, des femmes, par la sauvagerie et la force bestiale des hommes . Foutaise absolue, mes amis, colossales foutaises ! Et « les femmes » auraient d'une seule voix exigé la fin de cette mystification séculaire : radieux temps que les nôtres ! Mais ce réductionnisme grossier est indispensable à la structure narrative du récit progressiste : on part des ténèbres de l'oppression et de l'ignorance hypocrite, et on arrive au paradis de la liberté, de l'égalité et des lumières . La pièce est alors jouée, pourtant où est la liberté ?

Questions : l'auteur cite comme exemple de cette oppression d'un sexe par l'autre le droit de cuissage . Sans en discuter la réalité historique, je fais deux remarques :
Tout d'abord, quand un mâle dominant utilise à ses fins un dominé de son groupe, et que c'est un mâle, y compris pour des services sexuels, c'est de la lutte des classes ; quand c'est une femme, c'est l'oppression d'un sexe par un autre . Pourtant les femmes des castes dominantes étaient autant que les hommes à l'abri de cette oppression . La domination ordonne le possible, le sexe ordonne le type de domination exercée . Les hommes dominés n'étaient pas à l'abri des pires traitements . Il est absurde de dire les hommes se réservaient le monopole du pouvoir économique et politique quand un tout petit nombre, une caste d'hommes et de femmes, en avaient le monopole réel . Combien d'hommes n'avaient rien de ces pouvoirs ? Doit-on dire au clochard qui dort sous le porche qu'il fait partie de ceux qui se réservent le monopole du pouvoir économique et politique ? Et c'est une réalité présente .

Le droit de cuissage dans son principe n'est pas qu'une domination des femmes, mais aussi une domination sexuelle des autres mâles, en manifestant une priorité sexuelle . En clair il manifeste aussi une structure de domination de mâle à mâle . C'est le même principe que le rachat de la femme au proxénète dans le milieu traditionnel . Ce type de domination symbolique par l'exhibition de la domination sexuelle, par exemple l'exhibition publique d'une femme désirable comme sienne, est une réalité présente .

Mais ce qui est grave avant toute chose dans la machine-matrice sémiotique à l'oeuvre dans ces textes, c'est que leur conséquence est de traiter le système libéral de liens, l'extension du domaine de la lutte, comme le système de référence, le seul véridique . Et surtout, qu'il est parfaitement inutile de penser que la codification culturelle des liens entre sexes, entre les fonctions sociales, la civilisation à l'oeuvre dans ce domaine, puisse être plus qu'une mystification . En clair, toute autre société que le libéralisme est une mystification ; l'exploitation réelle est masquée, rien de plus . Tout lien non symétrique est un lien d'exploitation ; toute complémentarité, toute symbiose un masque . Mais comment à partir d'une telle position donner tort au modèle libéral ?

Michéa en est parfaitement conscient . Pages 194 et 195 de l'Empire... :

« Il existe deux manières de définir le matérialisme philosophique. Soit on y voit, avec Engels, une simple conception de la nature « sans addition étrangère ». C'est alors un autre nom de l'athéisme ou du rationalisme. Soit on y voit, avec Auguste Comte, la doctrine qui se propose d' « expliquer le supérieur par l'inférieur ». C'est évidemment cette dernière définition qui permet de parler d'un matérialisme libéral. Le programme constitutif de ce dernier, en effet, consiste, depuis Hobbes et Helvétius, à réduire l'ensemble des valeurs traditionnelles à une simple mécanique des forces élémentaires (telles que l'intérêt ou l'amour propre) dont elles ne représenteraient que le masque ou l'effet . Le matérialisme ainsi entendu apparaît donc clairement comme une machine de guerre destinée à délégitimer, conformément à une logique libérale, toute forme de référence à une quelconque loi symbolique. Il n'est pas difficile, à partir de là (...) de toute évidence le matérialisme moderne n'est souvent rien d'autre qu'un pur et simple mater-ialisme(...) »

Il faut poser un lien entre l'accès à la loi symbolique par la séparation d'avec le corps de la mère par la fonction paternelle (médiation, tiercéité) et l'investissement du langage, qui est la manifestation de la séparation, et la manifestation du séparé par le Verbe . La personnalité de base contemporaine, narcissico-hédoniste, a un faible investissement du langage, une pensée réduite à l'opératoire et un imaginaire désertique, tous ces éléments signant une faiblesse du symbolique et donc de la Loi et de la sublimation .

L'archéologie, ou destruction phénoménologique comme arme fonctionnelle.


Mais là où le désaccord s'affirme, c'est que je ne voit guère de légitimité conceptuelle à ces deux types de matérialisme . Le matérialisme marxiste est comme le matérialisme libéral de X ou de Y, une espèce du genre matérialisme, un des produits prêt à penser de la matrice idéologique globale du Système . Aucune distinction d'essence ne me semble perceptible .

Car qu'est ce que c'est que cette addition « étrangère à la nature », sinon le symbolique ? La nature en soi n'aurait aucun sens, et le sens serait une donation de l'homme . Mais une telle thèse repose sur l'idée que la nature en soi est accessible, par la science quantitative, qui devient l'archétype de référence de toute autre expression humaine de la nature . Dans les discours, par exemple en psyschologie cognitive, la représentation scientifique de la nature (quand ce n'est pas la norme politiquement correcte) est très souvent traitée comme un « en soi » qui sert de référence à la description (statistique le plus souvent) de la « représentation subjective » du public étudié, ou « échantillon de référence », représentation évidemment traitée de manière péjorative, et non analysée de manière fonctionnelle dans son sens et son usage sociaux .

Exemple concret, l'étude des représentations populaires du mouvement d'un solide, élaborée à partir d'un sondage s'inspirant de l'histoire passée des représentations du mouvement . Inutile de préciser que "le mouvement réel" de référence était en réalité la description scientifique, qui seule permettait de parler de "représentations populaires" c'est à dire distinctes de la "réalité" de référence . En clair l'étude étudiait l'écart à la norme scientifique de représentation du mouvement d'autres représentations sans aucun recul sur leur positionnement fonctionnel . C'est avec les mêmes préjugés que l'on peut décrire les progrès de la sciennce entre la représentation grecque du mouvement et la représentation réelle .
Autre exemple, l'étude des représentations concernant les hommes et les femmes, donc « les représentations sexuées » avec des questions à la con du genre « les femmes sont-elles d'après vous plus/moins résistantes que les hommes? », qui appellent par leur caractère général une émergence de représentations fonctionnelles (67% des sondés de « l'échantillon de référence » pensent que les hommes sont plus résistants que les femmes), surtout chez les classes populaires peu formée au politiquement correct, et qui savent ne pas conseiller la maçonnerie à leur filles . Ces salauds de pauvres qui « déforment la réalité », ont des « représentations »et frôlent des « pratiques discriminatoires »! Que ne sont-ils pas formés à savoir que la science échoue à montrer ces différences en soi ? Tout cela pour pouvoir conclure avec autosatisfaction que les « français, ouvriers » sont « plus misogynes » que les « cadres supérieurs et autres CSP+ »...c'est bien la peine!

Mais bien sûr les êtres humains construisent des représentations fonctionnelles de leurs liens . Et c'est la structuration fonctionnelle du couple, la répartition des tâches, qui apparaît . Dans l'ontologie de la chose, la structuration fonctionnelle ne dépend que de l'essence des pôles de la structure, et on cherche ainsi l'essence de la femme, la féminité, la masculinité, mais ces essences n'existent pas plus que l'essence de « moi ».

Bien sûr les liens sont rapportés au sujet, mais tout cela est une construction anthropologique, fondée sur la fondation de la volonté de puissance, qui a posé : « que cela soit ainsi »! Ira-t-on dire à tous les peuples premiers qui ont une structuration fonctionnelle des liens entre les sexes qu'ils sont dans l'erreur, et que nous avons la bonté de leur apprendre « la vérité scientifique »? Ce qu'il est essentiel de comprendre ici, c'est que la structuration fonctionnelle des liens est le contraire du rapport entre être humains basé sur « l'antagonisme naturel des monades égoïstes », puisque la structuration fonctionnelle est un traité de paix implicite, définissant des domaines de compétence, d'excellence et de reconnaissance . Une structure fonctionnelle de relation porte à dire à autrui : "j'ai besoin de toi".

La première règle de fonctionnement harmonieux d'un groupe humain est d'éclaircir le rôle de chacun .Voyez la vie en entreprise . Que les classes populaires conservent des représentations fonctionnelles montre qu 'elles ont gardé des capacités à transmettre des valeurs, des modes de vie et de pensée, des capacités de solidarité, bref tout ce que Michéa appelle des « vertus »; elles n'ont pas encore atteint l'atomisation libérale complète . Pourquoi faudrait-il éduquer pour changer ces représentations ? Sinon pour leur dire que leurs femmes peuvent aussi, comme leurs hommes, faire les travaux les plus pénibles ?

La science quantitative n'étudie pas le lien sémiotique, et donc affirme parfois hautement qu'il n'existe pas, qu'il est « étranger à la nature » alors qu'il échappe par principe à son mode d'enquête .
Mais penser une telle étrangeté en soi du sémiotique à la nature est déjà fort étrange, quant à l'en-soi d'un concept comme « nature »... une telle recherche est dépourvue de sens . Le lien sémiotique, ou symbolique, la différence ici ne rentrant pas en ligne de compte, apparaît arbitraire (l'arbitraire du signe) dans ce paradigme . Arbitraire, donc impensable . Enfin, il est vrai que la pensée d'un objet en soi, fermée sur lui-même, ne peut lui donner aucun sens, puisque la signification nait du lien, et même d'une insertion dans une polarité triadique, où l'essence des pôles ne dépend que de la détermination réciproque des autres . Comme dit Eckhart, je donne naissance à Dieu dans l'Âme, et Dieu me donne naissance . Cela invite à une relecture de Feurbach...je naît comme père quand naît mon fils . Dieu est créateur qu'en faisant de moi sa créature . En lui même l'au delà de l'Un, le Suprême, est le seul pôle à ne pas avoir de sens, ni d'ex-istence .

De cette situation les demi-habiles raisonnent en prétendant que c'est l'homme qui donne du sens, qui projette de la signification, qui surinterprète, et toutes expressions semblables ; l'homme, cette créature puissante, donne du sens à « la nature », puis s'illusionne et croît que ce sens humain appartient à la nature, comme les enfants qui voient des figures dans les nuages .
Mais cela n'est interprété comme une donation de sens que dans une perspective égotique infantile justement : car je recois aussi mon sens de mes liens, simultanément . Je ne suis « homme » que parce que simultanément il y a « monde », non homme, ou « nature » . C'est la structure de production du concept de nature, non-homme, qui en fait par définition un domaine du non-sens, sans parole ; car le sens, la sagesse, sont des qualités référées à l'homme dans notre matrice occidentale . C'est pourquoi cette notion de nature est absente d'autres aires de civilisation .

Reprenons cette structure ontologique de la matrice : Si l'homme a le monopole de la pensée, du symbolique, l'Univers est dépouillé de son intelligibilité par les signes et les symboles, et ne devient plus que l'objet de la science quantitative et de la technique, qui lui donnent du sens et de la valeur en le pliant à la finalité humaine . Le seul rapport valable à la « nature » est « l'exploitation », soit avec, sans sans gaspillage (développement durable) . La personnalité narcissique, qui instrumentalise ses relations à ses fins propres, est un analogon de cette structure . Mais étant objet, l'Univers ne peut plus rien exprimer, il devient « ce qu'il y a de plus inhumain, l'immensité indifférente, le silence éternel des espaces infinis », et simultanément l'homme devient l'Étranger, l'être de solitude et d'absurde . Il importe de noter que l'inquiétude existentielle de l'homme n'est pas un fait existentiel inhérent à la condition humaine, mais le produit d'une matrice conceptuelle liée à l'Entéléchie générale du Système .

Chaque homme né et élevé dans le Système porte en lui même les déterminations générales de la matrice ; c'est pour cette raison que notre psychiatrie ne peut s'étendre à d'autres mondes anthropologiques-voir G.Devereux, T. Nathan, etc.

Le « matérialisme historique » est bien l'analogon projeté dans le domaine historique de la structure idéologique caractéristique, et principielle, de la réduction à la chose du symbolique . Michéa ne l'ignore pas du tout, et là encore répond ce que je pourrais répondre moi-même : l'empire...p.63 :

« (...)l'explication de la genèse du libéralisme (...) ne rentre pas dans le cadre du « matérialisme historique » . J'entends sous ce mot la conviction, très largement répandue de nos jours, selon laquelle la clé qui déterminerait le sens ultime de tous les processus historiques devrait être recherchée, en dernière instance, dans le mouvement nécéssaire de l'économie, lui même conditionné par la tendance inéluctable de la Technique à progresser selon ses propres lois (...)Si l'on adopte cette manière de voir, les « formules libérales » comme Marx les appelle, deviennent nécessairement une simple expression idéaliste des intérêts de la bourgeoisie (Idéologie Allemande) . Et l'ascension historique de cette dernière doit elle même être comprise comme une expansion irrésistible déterminée par le développement continu des forces productives (...) Sous ses apparences radicales, cette façon « matérialiste » de considérer les choses ne représente cependant qu'une systématisation rigoureuse des postulats essentiels de l'imaginaire moderne (...) (allusion à Polanyi) Cette représentation de l'Economie comme une sphère séparée et autonome de l'existence sociale constitue une construction très récente, dont la projection rétrospective sur les sociétés du passé définit précisément l'illusion moderne par excellence .(...) "

Pour parler rigoureusement, le domaine de l'idéologie n'est pas linéairement causé par le « développement des forces matérielles » ; le domaine de l'idéologie, comme par exemple la division conceptuelle du monde humain en économique, social, politique est un élément fonctionnel du Système global . Cet aspect permet de comprendre pourquoi des énoncés « anticapitalistes » peuvent être parfaitement conformes à la matrice combinatoire de l'idéologie du Sytème, en particulier par leur structure ontologique, mais aussi par leurs conditions d'existence en tant que messages, et le lien entre ces conditions et l'entéléchie générale . Par exemple, la diffusion spectaculaire et marchande du culte du Che n'est pas un obstacle au bon fonctionnement de l'ensemble, pas plus que « l'hédonisme athée » de...pas de nom !

Ce caractère fonctionnel du domaine de la matrice idéologique est ce qui fonde la possibilité de la résistance dans ce domaine fonctionnel, puisque le développement du Système entraîne une telle puissance matérielle que la lutte armée n'est pas à portée d'une rebellion, sauf cas particuliers favorables à la guerilla, aux résultats très discutables . D'autant que la lutte armée renforce globalement le Système, en favorisant le déploiement ouvert de la puissance militaire, et en justifiant son durcissement global . Par contre le développement du Système tend à rendre la diffusion de l'information quasi gratuite, le bruit étant la forme de censure . Il est possible que cet aspect soit une chance historique de transformation .

Globalement de grandes transformations modernes ont été initiées dans le domaine fonctionnel de la pensée . Il n'en est pas moins certain que l'organisationnel, le politique, doit suivre tôt ou tard . Mais suivre, et non pas initier ; car alors, on le sait depuis Michels et on le constate tous les jours, ce sont les intérêts institutionnels du parti qui cherche des idées à « défendre », ou des catégories « à défendre » ; c'est à dire sur lesquels s'appuyer pour s'emparer d'une partie des postes de la caste dominante, pour un parti qui n'a pas d'autre objectifs réels, comme Tartuffe, que d'accompagner le Sytème pour rester dominants .

Pour le lecteur qui m'aura suivi jusqu'ici, les différences entre l'Encyclopédie et Michéa risquent d'apparaître subtiles, puisque Michéa montre sa connaissance de phénomènes historiques entéléchiques, de la réduction du symbolique, comme de l'aspect fonctionnel de l'idéologie « matérialiste ». Pour l'Encyclopédie, le désenchantement du monde n'est pas un progrès, mais l'effet sur la construction symbolique du monde de la réduction du symbolique ; en clair, Michéa reste pour nous un penseur issu de la lignée des Lumières, et déterminée par elles, et donc, malgré toute sa puissance et sa détermination, restant dans l'ontologie lié à ce qu'il dénonce .

Du point de vue de l'Encyclopédie, la constitution d'une politique issue du Grand Refus passe par la constitution d'une ontologie systémique . Il importe d'analyser les conséquences sytémiques de la constitution des universaux comme économie, société, nature... sur la production idéologique thématique, faite d'analogons thématiques du premier analogué, qu'il n'est pas simple de déterminer à travers le déroulement labyrinthique du cercle herméneutique . Car l'étude de ces thèmes de manière non critique ne pourra rien produire de plus que le renforcement de l'illusion que ces universaux ou genres idéologiques principaux sont des nécessités de fait, des réalités naturelles . Et n'oublions pas que ces catégorisations de l'Être sont des parties fonctionnelles du Système, au service de son entéléchie ; et qu'elles informent même la structure de la psyché individuelle, compréhensible sous la forme d'une « personnalité de base » distincte de personnalités de base du passé, sans parler d'autres mondes . Or un être humain privé de mondes voit s'affirmer sa dépendance aux puissances du Siècle .

Je continuerais ma lettre ouverte en travaillant la thèse que la pluralité des mondes et des lois est un point fixe de la liberté humaine . Mais tout ou tard, il faudra en arriver, dans cette lettre ouverte, à la question : que faire?



Lettre ouverte à J.C Michéa, frère lointain I . L'entéléchie comme exténuation de l'homme.




Pour continuer la discussion de la tradition anarchiste . Je suis conscient q'une lettre ouverte doit parvenir à son auteur ; si vous pouvez, faites suivre . Je trouverais bien une solution . Bye à tous.


Un travail tel que celui qui est mené ici, la destruction phénoménologique de l'idéologie du Système, ne pourrait être ce qu'il est sans le travail de Jean Claude Michéa, tant par ses oeuvres que par la diffusion des travaux de Christopher Lasch ou de Georges Orwell en France . Michéa dit « critique radicale de l'utopie capitaliste » . Mais évoquer Michéa est pour moi problématique, car cet auteur m'est parfois si proche qu'on ne pourrait glisser une feuille de papier à cigarette entre nous, et j'ai découvert Lasch à travers lui ; mais aussi si éloigné, si terriblement éloigné, que parfois je crains que nulle voile ne puisse apparaître à son horizon, provenant de mes mondes, « en ces temps étranges et difficiles ».


Temps étranges et difficiles où on peut à la fois éprouver un sentiment de fraternité et d'étrangeté extrême . Ainsi les maîtres traditionnels évoquent-ils ainsi les multiples voies vers l'Un, comme l'ardent rayonnement du soleil en largeur, hauteur et profondeur . La roue cosmique permet la communication unidimensionnelle sur son pourtour, c'est le syncrétisme, le ramassis de notions mal comprises, typique des pseudos religions modernes ; mais ceux qui sont sur les rayons ne peuvent plus communiquer, n'ayant rien de commun que ce qui est le fondement matériel de la vie humaine, c'est à dire ne peuvent qu'échanger des choses . La supériorité de l'inférieur pour faire communiquer des hommes de mondes éloignés, pour la mondialisation des mondes, est ainsi établie . Et ceux qui s'approchent du Centre sur des rayons différents, peuvent être spatialement proches, si proches, mais infiniment lointains en même temps, car séparés par la singularité ténébreuse de l'infini . Seuls ceux qui ont atteint le Centre peuvent parler à tous, mais aussi sont incompréhensibles à la plupart, et sont aussi l'Ange de la Face, la forme possible de la Révélation descendante, la forme possible pour l'homme . Car à celui qui sait voir, il n'est rien qui ne soit Révélation .


Voilà un court paragraphe et voici que, peut être, la mer rouge s'est refermée entre lui et moi . N'est-ce pas un étrange jargon mystique? Pourrait-il après ces mots me lire ? Et pourtant ce texte ne s'écrit-il pas comme un lettre ouverte? Aussi vais-je décrire ce qui nous rapproche, avant d'en venir à ce qui fait de nous des astres étrangers .


Le Système libéral et son entéléchie .


Dans ses oeuvres-celles que je connais-Michéa dresse un portrait clair et peu discutable du « libéralisme » ; il aperçoit très clairement les liens existant entre le « communisme » de l'URSS et le capitalisme . Il affirme le lien nécéssaire, l'appartenance à un système global unique, du libéralisme politique, économique, idéologique . Il dresse également une description précise de l'idéologie libérale « de gauche », montrant les liens étroits entre l' « extrême gauche », l'intelligentsia de gauche, et le libéralisme moderne . Il montre par exemple le rôle de précurseur du libéralisme que joue Sade . Sans l'utiliser de manière nette, je crois qu'il comprendrait très bien le concept d'entéléchie, comme finalité immanente et ni voulue ni nécéssairement représentée, ou connue des acteurs d'un système social global . « Je soutiens, en effet, que le mouvement historique qui transforme en profondeur les sociétés modernes doit être compris comme l'acomplissement logique (ou la vérité), du projet philosophique libéral,(...) la seule forme historique sous laquelle cette doctrine libérale originelle pouvait se réaliser dans les faits » l'Empire du moindre mal, p 14.


Pourquoi le concept d'entéléchie est-il supérieur aux mots « accomplissement logique » ou « vérité »? Parce que l'idéologie qui accompagne un système social-je dis bien l'idéologie, et non les idéologies, car il y a une matrice unique pour un système-est un sous système du Système global, et que le développement logique incontestable que l'on rencontre dans l'idéologie moderne, qui fait penser à une nécéssité interne au monde logique des idées, à une connaissance objective, ne doit pas masquer que ce développement logique est une conséquence et une condition du développement global du Système . Comme la nécessité du marché est une nécessité conditionnée vécue comme nature, ainsi la nécessité interne du monde symbolique est une nécessite conditionnée vécue comme nécessité logique universelle . La nécessité globale du Système, son entéléchie, dépasse la logique locale du sous système idéologique . Ce dernier n'en n'est pas moins une condition nécessaire du Système global .

Par contre le concept d'entéléchie contient la possibilité de la distorsion entre la finalité humaine posée dans la représentation et la réalité, et donc « la vérité » d'un système social . Ainsi se creuse l'écart entre « la doctrine libérale originelle » et « les faits » . Pour accomplir ses fins, l'homme pose des actions qui ont le plus souvent des effets très éloignés des fins posées . Ajoutons que les humains ne disposent à ce jour d'aucuns moyens de gouverner le mouvement historique actuel, et sont donc livrés par eux mêmes pieds et poings liés à l'entéléchie du Système . (A titre documentaire, ajoutons qu'un certain nombre de critères tend à laisser supposer que notre siècle sera celui d'une singularité, infléchissement chaotique, du développement du Système ; plus précisement que le Système entrera dans une singularité, et ce qui restera ne sera plus le Système . Voyez introduction au siècle des menaces de Jacques Blamont .) Pour parler comme Bernanos, nous sommes montés dans un train qui ne cesse de prendre de la vitesse, et non ne savons ni où il va ni comment l'arrêter, et nous ne pouvons plus descendre en route ; mais grâce à la Raison nous avons des Pangloss pour nous dire que tout cela est fort bien et que (c'est un fait) nous ne cessons de progresser, et que nous pouvons donc nous rejouir .


L'écart entre la fin posée et la vérité atteinte...Par exemple, l'écart entre la fête de la fédération de 1790 (où tout le monde s'embrasse hypocritement) et la guerre civile et la Terreur qui s'ensuivent ; entre les fins des communistes sincères et la terreur stalinienne, ou encore l'énorme Léviathan bureaucratique à l'agonie des années 80 . Entre les textes chrétiens et la réalité du gouvernement de l'Eglise . Il en est mille exemples . De telles observations ne doivent pas paralyser l'action, mais condamner toute pensée de réforme politique qui ne se poserait pas prioritairement la question des moyens et des processus, et qui se contenterait de bêler des fins morales . C'est vraiment trop facile d'être contre la guerre !


C'est vraiment trop facile d'être contre tout ce que la morale prêt-à-porter du Système condamne, alors que cette morale pratique sans cesse la condamnation de parties fonctionnelles de ce que par ailleurs elle exalte, ou aussi souvent, la déhiérarchisation .


Exemple de condamnation de parties fonctionnelles, on condamne les mécanismes du marché du travail avec un slogan comme « nos vies ne sont pas des marchandises » ; et en même temps on se prononce pour une liberté de circulation absolue des personnes, laquelle « liberté » ne pouvant pourtant qu' aboutir qu'a un marché du travail unifié ; et en faisant mine d'ignorer que la liberté de circulation des marchandises, et donc des personnes comme marchandises, est un fondement du Système . Exemple de déhierarchisation, typique de la linéarité unidimensionnelle du traitement médiatique de l'information, et donc caractéristique du traitement de l'information par le Système : militer contre les mauvais traitements aux animaux domestiques en période de famine et de guerre . Comme on ne peut pas régler tous les problèmes en même temps au même niveau, il est pertinent de régler médiatiquement des problèmes infimes pour que tout reste pareil . Gauche et droite l'ont parfaitement compris, qui considèrent à l'évidence les problèmes d'argent comme prioritaires pour eux, mais pas pour leurs électeurs, qu'ils voudraient beacoup plus préoccupés par le traitement des déjections canines, ou par les droits des « minorités sexuelles ». Il me paraît clair que des gens qui ont cet ordre de préoccupations, ou qui veulent interdire un rite communautaire vénérable comme la corrida, ne sont que des puritains autoritaires du Système-rien de plus .


Le critère de puissance d'une mesure politique pourrait-être : en quoi cette mesure enrayerait le Système ? Il est clair que l'interdiction de la corrida (ou le mariage homosexuel) sont des mesures nettement anticapitalistes . Leur application couleraient les bourses mondiales . Posez vous maintenant la question : et de véritables restrictions à la circulation générale des personnes et des marchandises ? Restrictions juridiques, et non financières, c'est à dire sous la forme de taxes ? Par exemple l'extension à la sphère de la production et de la consommation du principe de subsidiarité, qui permettrait d'interdire l'importation de tout produit dont on puisse produire un équivalent fonctionnel au niveau local? (bien entendu, "équivalent fonctionnel" et "espace local" seraient à définir...) Et le retour au programme du CNR pour les règles de collectivisation des secteurs non concurrentiels de fait ?


Combien de guerres ont été menées de manière impitoyable pour éradiquer définitivement la guerre, je veux dire le terrorisme, du genre humain, ou pour assurer la sécurité d'un Etat, avec pour effet d'augmenter la force, le nombre et la détermination de ses ennemis ? C'est ainsi que l'action humaine est paradoxale : ce qu'il veut obtenir, il ne peut l'atteindre sans nier ou oublier ce qu'il cherche ; ainsi il ne peut que réaliser l'inespéré, chercher ce qu'il a déjà trouvé ; Michéa citant avec raison le jeune Marx p.206 de l'empire du moindre mal : « le monde possède, depuis très longtemps, le rêve d'une chose dont il ne lui manque que la conscience pour la posséder réellement » ; souffrir d'atteindre ses buts, et de voir que rien n'a changé . Ce qui paraît si loin, si éloigné de soi, est toujours déjà réalisé .


« Question faussement simple : comment se fait-il que des gens sérieux continuent de croire au Progrès alors que les évidences les plus massives auraient dû, une fois pour toutes, leur faire abandonner cette idée ? »(Lasch, cité par Michéa dans sa préface à la culture du narcissime) . Lutter contre l'aliénation qui fait de chaque destruction produite par le développement du Système un progrès, de toute résistance à ce développement un archaïsme instinctif et jamais la décision d'une raison éclairée, c'est contre ces idées à déraciner une fois pour toute du logos commun que nous, moi et lui, travaillons avec un engagement du coeur et de l'esprit . J'ajoute que je crois être assez réaliste en caractérisant l'entéléchie du Système général par la maximisation du déploiement actuel de la puissance matérielle, production et destruction étant au fond deux faces de la même machoire de fer, de manière assez conforme au mode de calcul du PIB . En effet, la lutte de tous contre tous sur le terrain de la puissance matérielle ne peut qu'aboutir à cette maximisation, sur le modèle de la course aux armements redéployé dans le domaine économique . Cette caractérisation de l'entéléchie me permet de montrer ce qui est commun entre la mobilisation totale du travail humain dans le capitalisme du XIXème siècle étudié par Marx, et sa facette impérialiste, la mobilisation totale de l'ère stalinienne en URSS au service de la production, la mobilisation totale pilotée par Speer et Goebbels dans l'Europe Nazie, la mobilisation totale permise par la guerre froide dans chaque camp, et celle de la mondialisation actuelle . Cette maximisation passe par l'extensivité, le vol d'oies sauvages japonais, comme par l'intensivité, l'araisonnement des constituants matériels des mondes, la productivité, la recherche développement, etc . Dans le cadre de l'intensivité, la motivation des hommes par l'intérêt devient aussi importante que par la force, ce qui explique l'importance déterminante du Spectacle de la liberté, l'importance massive de la manipulation du Désir, pour avoir une motivation par « adhésion au projet personnel ». Ou pour parler comme Polocolo, par son mythe personnel, curieusement tout à fait conforme à l'entéléchie générale, en raison d'une curieuse harmonie préétablie, qui n'est que le masque d'une aliénation du moi par le désir, l'idée que je décide ce que je désire-un mensonge utile .


Le processus de réduction du Symbolique à la chose, ou la dissolution.
Un aspect déterminant de l'entéléchie.


Le point précis où je commence à me séparer de Michéa est en germe dans cette détermination de l'entéléchie . Car si le Système est maximisation du matériel, il est alors une formidable puissance de négation du spirituel, du symbolique, le complot contre toute forme de vie intérieure dont parle Bernanos, remplaçant le langage et le symbolique vertical comme médium unificateur des communautés humaines, par l'argent et par l'échange concurrentiel . Dans l'Union Européenne, les deux principaux liens effectifs entre les hommes ne sont ni le langage, la langue latine, ni l'adoration, la religion justement appelée catholique comme fondatrice d'un Univers commun à tous les mondes si variés des européens, comme dans la Chrétienté latine, mais la monnaie unique et la concurrence libre et non faussée .


Cela permet de faire comprendre pourquoi en dehors de l'Anglais, le niveau d'enseignement des langues dans l'UE est si médiocre : il suffit bien de savoir et compter et l'Anglais .
Dans un monde unifié par la langue et l'adoration, les hommes de langage, poètes et penseurs, les hommes de symboles, les artistes, et les spirituels, théologiens, batisseurs d'édifices de culte sont évidemment les hommes les plus éminents, et sûrement pas en tant que personnes, mais en tant que serviteurs du lien vertical, garant du lien horizontal, d'Athènes à Rome ; et la puissance matérielle ne peut qu'être regardée avec un mélange de méfiance et de condescendance .


Parenthèse pour des amis : dans le cadre de l'entéléchie globale du Système, ces hommes, comme nos professeurs d'université en Lettres et Sciences Humaines, ne sont plus que des survivances parasitaires, des scories à traiter, à mettre au service de l'entéléchie par « l'évaluation ». Evaluation dont l'essence est de mettre tout ce qui est « évalué » au service des finalités du Système . Et la valeur ajoutée de l'enseignement de de l'amour d'Ovide, ou de la Vie de Saint Antoine d'Athanase, est absolument nulle quand leur connaissance n'est plus un signe de distinction sociale, puisque personne, et surtout pas (pas de nom!) ne le connait . Alors on a plein de respect pour des tas de cultures, mais on en laisse l'étude à « la fraction dominée de la classe dominante », pour parler comme Bourdieu . Il est évident que la suppression (informelle, bien sûr) est très proche . Fin de la parenthèse.


Comme le dit quelque part Aristote, il est considéré comme suffisant d'être à l'abri de la pression du besoin matériel pour pouvoir penser ; mais cela suppose l'acceptation d'une vie très austère pour la plupart . Le confort matériel d'un universitaire médiéval est très éloigné de celui offert aux habitants des pays développés . Ce que le Système moderne offre de paradoxal, c'est que sa formidable puissance de production ne libère pas l'homme du règne de fer de la nécessité matérielle, mais au contraire l'asservit toujours plus totalement, intimement, puisque c'est progressivement la totalité antropologique qui ne trouve sa finalité que dans la compréhension de l'entéléchie globale du Système, ainsi qu'on peut le monter tant pour la structuration de la psyché, avec la personnalité de base du Système, narcissico-hédoniste, que pour les relations entre les sexes, et tant d'autres sous-systèmes analogiques du Système général . Loin d'être indépendance au servage des besoins primaires, détachement donc liberté, le loisir, l'otium, est devenu une industrie de production et de consommation, où le temps est compté .


La pensée humaine a vu dans le cadre du Système son ontologie envahie par la puissance de négation : progressivement rien n'a existé que la chose, l'objet matériel, la seule chose qui compte pour son entéléchie, la chose érigée en mesure de tout être . Le matérialisme est un aspect idéologique en ligne directe du Système général . De même que pour Aristote la substance est le modèle de l'Être, et que rien ne peut être dit être valablement que comme substance, ou analogie de la substance, ou par référence à la substance (comme l'accident), dans l'ontologie moderne modelée sur l'Aristotélisme vulgaire le modèle de l'être est la chose existante : or...


Tout ce qui est n'est pas une chose et n'existe pas selon les modalités de la chose : une amitié, un amour sont, et ne sont pas des choses.


Dans le cadre étriqué de l'ontologie de la chose les liens perdent toute substance et rien ne peut être pensé de supra-individuel .Cette ontologie provoque le morcellement indéfini d'un monde de purs fragments autonomes en lutte, le nominalisme, voyez par exemple le Tractatus de Wittgenstein . « 1.21 une chose peut être ce qui arrive ou n'être pas ce qui arrive et tout le reste demeurer égal (fragmentation du monde) ; 2.01 l'état de choses est une liaison d'objets (entités, choses) (conditionnement du lien par les choses, et donc détermination du lien par les choses) ; 2.0124 dès que tous les objets sont donnés, tous les états de choses possibles sont également donnés (le lien ne peut rien créer de nouveau dans ce qu'il lie) ».


Le mot « monde » et le mot « un » ne se disent que par référence à « l'esprit » (mind), à la conscience, à la « subjectivité » justement opposée, comme exténuation de l'intensité d'être, à l' "objectivité ", aussi bien dans le langage vulgaire du Système la « réalité », ou « caractère de chose » qui est le maximum d'intensité d'être, l'apanage de la Science et de l'Expert étant de réaliser le tour de force (un oxymore de plus!) de doter une parole de la puissance de la « res ». La conscience, ou le « mind », ces étranges épiphénomènes des choses cérébrales, sont capables de lier des choses et des représentations par nature éparses, lier dans un monde, mais ce monde, cette mondéité, n'est plus qu'un « phénomène subjectif », les « choses réelles » étant disjointes comme le varech sur l'estran, fragments issu des ténébreux naufrages des hommes . Au morcellement du monde pensé comme une plage de sable indéfinie, lieu vague de désirs et d'ébats corporels infantiles, aveugle à la puissance de la mer, soeur de l'amour du lointain et du Voyage, route de la baleine et des vaisseaux des morts, aveugle encore à la terrifiante puissance du Grand Océan, le vieux célibataire du monde, fait pendant analogiquement, par transfert de structures de pensée analogues, la dissolution de la communauté humaine et de son Univers symbolique, principe de communion des hommes .


Le libre marché des croyances, nommé laïcité, rendant d'ailleurs incompréhensible le caractère constitutif de la communauté que possèdent les mondes symboliques . Pour ne pas parler d'autres applications locales de cette structure ontologique fondamentale, comme le « darwinisme », qui ferment également à la structuration symbolique des mondes animals et humains, au témoignage de Lascaux, et au lien symbolique envers le Loup, que je porte . A tel point que le terme de raison, qui signifie rapport, lien, et donc analogie de proportionnalité, entre des états de choses de manifestation très divers, ou qui signifie encore poétique, métaphore comme méthode d'exploration, ce terme de raison a dérivé pour devenir, sous la forme du « rationalisme », une pensée opératoire, basée sur le calcul, la version software du matérialisme . Le rationalisme condamne la poétique pour vous remettre au travail, à la réa-lité, au monde fermé sur soi des choses : aux cercles carcéraux du Système . L'angoisse, oppression, étouffement de l'esprit est soeur de cette incarcération réelle et symbolique .


Ainsi je porte beaucoup plus loin que Michéa les effets de structure du libéralisme ; je les porte en particulier à tout ce qui concerne « le désenchantement du monde » et le réductionnisme . Ainsi je pose l'ouverture à la pluralité des mondes, pluralité verticale comme pluralité horizontale, comme condition nécéssaire du travail de lutte contre l'idéologie et contre le Système . A titre d'exemple provocateur, je pose qu'un étant confirmé par des documents considérés comme assez nombreux et fiables pour toute description de choses ou d'évènements, comme les registres des cours de justice, qui permettent à nos historiens modernes de faire de savantes statistiques de la criminalité médiévale et moderne, doit être considéré comme aussi argumenté que l'existence de tant de faits acceptés sans discussion, sur la base de sources d'autorité analogue. C'est pourquoi l'existence de la sorcellerie, de pactes diaboliques et de sabbats me paraît aussi indubitable que celle de la Révolution Française . Il en est de même des « fantômes », et des intersignes . William James lui même a collationné de nombreux faits de ce genre . Il aurait caractérisé des insectes, que nul n'en douterait ; mais là il n'est soudain plus crédible .


Non pas que nos sources ne puissent se tromper, et très largement, sur ces sujets ; mais pas inventer tout ces fragments qui réfutent l'idéologie moderne, et n'ont d'ailleurs d'importance que par cet enjeu et cette référence, étant donc parfaitement négligeables dans une perspective plus puissante . Je récuse la césure entre « l'imaginaire », à savoir tout ce que notre ontologie juge inexistant à priori, et « la réalité », à savoir tout ce que notre ontologie juge existant à priori . Je crois stupide de penser que la créativité humaine excède de beaucoup la puissance de l'Univers entier ; je soutiens que l'impensable idéologique peut parfaitement être . Aussi puis-je compter la démonologie, la sorcellerie, l'angéologie comme des sciences, avec conviction, et en particulier celle que le statut de ces sciences est un signe de l'ouverture d'une civilisation humaine aux autres mondes, et avec la délectation supplémentaire de consterner les biens pensants .


« Ce qui peut être évoqué, dessiné de la main de l'artiste, posé par une opération logique, nommé par les mots de la tribu, tout cela est né et a accédé à l'être.Ce qui est devient une demeure pour l'homme, un foyer de sacrifices, un lieu où planter au profond ses racines, un centre immobile de sa liberté. »


Et comme illustration, je préciserais que l'Auteur humain par excellence, Shakespeare, ne peut être pensé, par expérience de pensée, comme positiviste, « athée » ou « rationaliste » que réduit au nain de jardin moderne . Si une civilisation historique ne permet pas l'épanouissement de ce l'homme contient en puissance de plus grand, alors elle est perverse en sa racine : tu jugeras l'arbre à ses fruits . Une idéologie qui est amenée à condamner toutes les grandes civilisations de l'histoire (où il existait de telles sciences) pour des raisons ontologiques comme pour des raisons morales doit être rejetée : elle est étouffement, elle est congre et murène pour ton esprit .


Être pleinement un homme est avoir accès au monde imaginal, avoir les cieux ouverts pour son âme et son esprit, par l'ouverture au symbolique ; est pouvoir se représenter, se distinguer du monde vécu de la nécessité, par le relâchement de la pression vitale, moment indispensable de la poiésis humaine ; être un homme est la représentation du possible comme opposé à l'actuel ; est goûter, sapere, la sagesse, le délice de la puissance de produire du monde, la volonté de puissance comme réalisation de l'imaginal . C'est d'ailleurs la seule liberté authentique . Là encore on retrouve explicitement chez Michéa l'idée que l'être humain du Système est un être infra-humain, que le Système « exige des hommmes qu'ils cessent de « se sentir hommes» et se résignent enfin à devenir de pauvres monades égoistes » (empire...p208) . Tout ce qui interdit la manifestation de la part la plus haute de l'humain est mauvais ; et l'homme est le dépassement de l'homme .

Si un auteur d'exception, comme Shakespeare, si une grande civilisation de l'histoire te choque, ou te porte à condamner, c'est que tu as à éduquer ton ouverture d'esprit ; que ta morale est bornée ; l'illusion de supériorité que tu éprouves-je sais mieux que SankaraCharya ce qu'est la sagesse, que St Augustin ce qu'est le christianisme, mieux que Shakespeare que les étoiles n'ont aucun lien avec le tissage des destinées humaines par exemple-ne peut être que la manifestation en toi de la consternante supériorité morale du sot . Pour la bonne bouche, je citerais ici un long mais formidable passage de Lautréamont, poésies, I :


« Par cela seul qu'un professeur de seconde se dit : « Quand on me donnerait tous les trésors de l'univers, je ne voudrais pas avoir fait de romans pareils à ceux de Balzac ou d'Alexandre Dumas », par cela seul, il est plus intelligent que qu'Alexandre Dumas et Balzac . (...) Les chefs d'oeuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées, et les discours académiques . En effet l'instruction de la jeunesse est la plus belle expression pratique du devoir et une bonne appréciation (creusez le mot appréciation) des ouvrages de Voltaire est préférable aux ouvrages de cet auteur -naturellement ! »


Ne ressent-on pas jusqu'aux tripes la consternante supériorité morale du sot, de la bêtise au front de taureau épidémique en notre époque étrange et difficile? Et nos modernes professeurs de seconde ne répètent-ils pas ces pensées en colorant de noir tout le passé « réactionnaire », « ténébreux », disqualifié? Lequel ne se sent pas supérieur, et n'incite pas ses élèves à se sentir supérieurs aux hommes des siècles passés ? Ne les montre-t-on pas cruels, stupides, aveugles? Comment ont-ils pu avoir pour descendance des êtres humains si supérieurs à eux, que le premier crétin de collège puisse rire légitimement d'Héraclite, qui croyait le soleil large comme un pied d'homme? Et ceux qui croyaient la terre plate? Mon jeune ami, rappelle toi le sage qui a prononcé ces paroles, « tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien », et en son honneur rappelle toi que quand on ne sait pas qu'on ne sait pas, qu'on est le dernier des sots, on croit savoir . Alors commence par t'ouvrir au doute, sors de la cave sombre où on a enfermé ton jeune esprit . Tu t'éveillera dans un labyrinthe, où partout des forêts de symboles te fixent de leurs regards familiers . Glassy essence...poor man ! N'est-il pas tellement plus simple de ruminer son herbe dans son enclos ? Qui veut réellement de la liberté, qui n'en n'est pas encombré ? Et cet être domestiqué que produit le Système, est-il encore complètement humain?

Il en est ainsi du destin de l'être issu de l'homme et de la femme que son plus haut désir désigne à l'accomplissement des puissances de l'homme : aussi bien dans l'occident du XXIème siècle (comme aux deux siècles précédents) que dans l'URSS, ce penseur supérieur est amené par la force des choses à devenir un dissident, un refuznick, un homme qui ne peut se déterminer que par le Grand Refus . Non pas que le refus lui soit essentiel, selon l'illusion ontologique qui ferait de lui un simple inadapté, un être de ressentiment, le porteur d'une angoisse pathologique susceptible d'un traitement médical ; très simplement, face à la puissance qui menace de l'écraser ou de l'étouffer lentement, et « avec amour », il ne peut que dire non-pour survivre avec ce qu'il porte en lui . Et cela fut le cas de Marx comme de Nietzsche, de London comme de Maistre, de Beaudelaire comme des situationnistes, de Guénon comme de Rimbaud ou de Lautréamont, de Céline comme des chefs de l'Orchestre Rouge . La principale démarcation des derniers siècles, amis, fut celle qui sépara les combattants des non-combattants . Et à n'en pas douter, Michéa est de la race des combattants, et il mérite les hommages, même et surtout de ses « ennemis ». Pourquoi ennemi ?


Parce que je crains que Michéa ne conserve, malgré la fine pointe de sa critique du Système, les thématiques pricipielles de l'idéologie-racine du Système, et ne puisse donc proposer de transformation réaliste . Car si mon diagnostic est juste, c'est l'ensemble du système anthropologique moderne, son anthropo-poièse, ou production de l'homme par lui-même, qu'il nous faut transformer . Et donc tout particulièrement son idéologie métaphysique, principielle, dont tous les discours thématiques sont des analogons locaux . Car un changement localisé n'empêchera pas les analogons de proliférer à nouveau . Par exemple, l'URSS n'est-elle pas si facilement allée vers le modèle « occidental » de l'entéléchie, lui était-elle vraiment étrangère?


Je n'en suis pas sûr, et je veux en discuter.
Je continuerais ma lettre ouverte à Jean Claude Michéa sur le thème de l'ontologie-racine du Système . A bientôt!

De l'anarchie à l'âge adulte, ou le passage du Nord-Ouest.





A celui qui a lu le texte précédent, qui traite des rapports de force qui naissent entre les sexes du fait de l'abandon des régulations communautaires des liens entre les sexes, des rapports de force qui naissent entre les générations du fait du blocage de la transmission, tout ce domaine des sexes, des générations et de la transmission étant étroitement corrélé à celui de la génération, de la puissance génésique et des formes du commerce sexuel légitime, et aussi, intimement à l'organisation systémique de la domination dans la tyrannie floue, je dois ajouter deux éléments qui l'aideront dans ce labyrinthe .

Précisons aussi que de manière de plus en plus précise, je me dirige vers un démontage de thèses de Maurice Dantec ; après la guerre des sexes comme pure apparence, dans une perspective de jeune mâle dominé, d'une domination de structure essentiellement mâle axée sur la jouissance sénile, je prépare un article sur « l'Europe des Dhimmis » et la question politique du pluralisme dans un cadre non libéral . Enfin le fond de la discussion, le rapport de force entre les générations, dans son analyse et son expression moderne, s'appuie de plus en plus, dans le champ idéologique, sur la constellation « anarchiste », avec laquelle il s'agit donc de dialoguer .

Le premier élément est un élément d'illustration de la thèse selon laquelle le rapport de force entre les générations est un élément de compréhension de la « société » aussi dirimant que le rapport des sexes ou la « lutte des classes » : Et plus généralement, qu'aucune opposition ne peut être érigée en modèle explicatif général .

Pour donner d'autres informations pertinentes, ajoutons que dans la crise actuelle, les jeunes générations vont servir de volant d'ajustement à la destruction de l'emploi en priorité, et voir leur entrée sur le marché du travail devenir encore plus violente ; que les « politiques de rigueur » qui tiennent lieu depuis les années 80 de ligne officielle économique de l'UE et des pays développés sont des politiques de la rente, de la propriété, donc des vieux ; encore une fois, pas n'importe lesquels, bien sûr ! Et enfin que les remèdes à la crise sont essentiellement pensés comme des arbitrages entre la rigueur, qui maintient la rente, et donne comme mission aux jeunes générations de rembourser les énormes dépenses jouissances de leurs pères ; et l'inflation, qui liquide les biens et le pouvoir des aînés, sur le modèle de la Russie après 1991 . Enfin, en Grèce et en Italie les dernières révoltes sociales prennent conscience d'elles même comme des révolte de génération spoliées, et non sans raison, la génération à 700 euros . Reste à ces révoltes de s'armer d'une pensée adaptée . Mais voyons notre exemple archétypique.

Le système actuel de retraite et sa « réforme » prévoit rien moins qu'une négation de l'Egalité en droit inscrite au noble fronton dorique de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Plus on appartient à une classe démographique récente, plus les droits à la retraite, à cotisations égales, s'amenuisent.

Cela ne peut être comparé à un quelconque « emploi jeune » dont l'inégalité déjà flagrante peut être contre argumentée en disant que chacun passant par toutes les tranches d'âge, les différences juridiques entre les tranches d'âge ne dérogent point au principe d'égalité . Cela par exemple répond à l'appel d'inégalité que l'on ferait entre un « majeur » et un « mineur ».

Mais dans le cas de la réforme des retraites, il est faux que le passage d'un stade temporel soit universel , puisque l'année de naissance crée des différences de droit insurmontables . En conséquence, une fois de plus, un « principe sacré et inaliénable »de la Constitution est aliéné par la République au profit d'une catégorie, et ce dans un étourdissant silence général, tant des institutions juridiques que des médias . Soit jeune et tais toi !
Si les ressources des caisses de retraite baissent, quelle est à l'évidence la solution juste ?

La solution retenue est la suivante : les droits à pension fixés par un chiffre sont inaliénables et sacrés, à l'évidence plus que les droits de l'homme . En l'occurence, il faut que les nouveaux arrivants aient moins, de moins en moins, pour garantir la fixité du revenu des premiers servis . Ce système de partage est le suivant : tu est le dernier servi, malheur à toi ! Une telle brutalité de traitement ne peut être maintenue qu'en occultant les premiers servis, pour éviter les comparaisons trop faciles, et en usant d'un rapport de force judicieusement discret . En clair, chers amis des jeunes générations, on vous servira dans la rue les restes du festin derrière les murs, à moins qu'une main puissante ne fasse de vous un vieux social dans votre jeune âge .

La baisse relative des ressources par individu n'est portée au préjudice que d'un petit groupe statistique selon un seul caractère, l'âge dans le cas étudié, et d'autant plus fortement que ce caractère est plus prononcé quantitativement . La caractérisation juridique de la discrimination me semble parfaitement constituée . Imaginez, à titre d'expérience de pensée, que le préjudice soit porté contre le teint de peau, et d'autant plus que sa teneur en mélamine est forte ! Imaginez ! Mais les inégalités légitimes entre « majeur » et « mineur » ont fait exclure l'âge des facteurs les plus courants de discrimination, si bien que la Halde reste silencieuse . Pourtant la différence entre l'inégalité de droit entre classes d'âge et la discrimination fondamentale de la « réforme » des retraites est essentielle.

Brutalement dit, les ressources allouées au dernier bénéficiaires tendent vers zéro pour maintenir la prospérité des premiers, établie dans des temps prospères . Avoir vécu la prospérité est donc un droit inaliénable à la conserver autour de soi comme un bulle, les autres devraient-il crever.

Quelle serait la solution retenue dans une communauté d'égaux ? La réponse me paraît évidente : la baisse relative des ressources par individus serait amortie sur l'ensemble des bénéficiaires ; et cela aurait pour résultat d'amortir considérablement le choc pour chacun .

La baisse relative des ressources devrait être impactée sur l'ensemble des pensions, y compris par l'impôt en cas de gains constitués d'intérêts de capitaux . De ce fait les fonds de pensions, qui liquident les salariés plus jeunes dans l'intérêt des retraités, perdraient justement de leur intérêt . De plus, si les ressources relatives des caisses de retraite diminuent réellement, ce n'est pas par la cause des jeunes générations, mais bien par celles du baby-boom, qui ont eu relativement peu d'enfants, c'est à dire, qui veulent jouir de hautes retraites après avoir voulu jouir sans entraves d'enfants .

Mais ne serait-ce qu'évoquer cette pourtant évidente responsabilité collective est déjà être horriblement réactionnaire : les retraites devraient être liées à la reproduction physique de la force de création, de combat, de travail ? Quelle horrible discrimination, quelle effroyable atteinte à la liberté individuelle ! La transmission de la vie et de l'humanité, une part essentielle des devoirs envers l'être humain, est un problème purement privé et moralement neutre, qui n'est par ailleurs lié à aucune reponsabilité, et où la communauté n'a pas à mettre son nez : évidemment ! Sauf pour augmenter « la liberté individuelle » bien sûr, c'est à dire sauf au profit du Système . Et pour le Système, il est des discriminations moins injustes que les autres, et des hommes qui sont plusss égaux que les autres .

On nous tartine tous ces horribles chiffres sur les femmes, mais où sont ceux tellement plus violents sur les jeunes ? Et que ne nous assène-t-on pas l'inéquité des chiffres sur les pauvres?
La vérité est qu'on préfère démanteler les agences de statistiques qui produisent ces chiffres .

Attention aux mots, amis, une femme n'est pas une opprimée, un jeune homme n'est pas un opprimé par sa nature, mais par un autre qui peut très bien être de même nature . La tyrannie floue fonctionne par réification de catégories statistiques : une femme jeune, fille d'immigrés, ne peut faire partie de la caste oligarchique qui opprime « les immigrés ». Pourtant il en est des exemples...

Il ne peut exister d'opprimés par essence, car être opprimé est un relatif qui suppose un oppresseur . Les « opprimés statistiques » sevent de bouclier à des individus qui veulent entrer au plus vite dans la caste dominante, et les « opprimés » de la caste dominante servent de bouclier médiatique contre tout discours qui voudrait rendre transparents les privilèges de cette caste...pas de nom, de ceux qui furent « toujours du côté des victimes » en édifant une belle prospérité...La « lutte contre les discriminations » est ainsi un bien bel outil au service du pouvoir...voilà pourquoi le pouvoir l'apprécie tant ! L'Âge de fer est l'Âge de la réification, de la négation, de l'occultation des liens et des dominations...la domination passe par l'humiliation et l'humiliation passe au premier degré par la morsure du désir...désir excité avec une connivence du désir, fausse certes! par les dominants ! Et dont ils organisent subtilement la frustration .

Posez vous la question : qui désirerait une chaîne d'or énorme, une rolls, seul sur une île déserte ? Et ce Robinson se regarderait-il sur un média ? Ainsi les objets ne sont pas désirables par leur nature, comme l'affirme universellement le discours publicitaire, par leurs caractéristiques techniques, leur matières nobles, leur coupe impeccable, mais par le désir accumulé de tant d'hommes, par les campagnes de publicité, qui nous font désirer autant par elles même qu'en faisant désirer les autres, par le prix qui sert de miroir à l'importance du désir d'autrui . La valeur énorme d'« oeuvres d'art » vient de ce désir de distinction et de noblesse que leur possession semble donner, comme celle que semble octroyer la possesssion de certaines femmes . Voyez les publicités des années 70, elles ont les mêmes arguments que les nôtres pour des choses qui semblent ringardes, mortes, ridicules...aussi toute inquisition vers l'objet du désir, se demandant en quoi son essence est désirable, est vouée à l'échec ou au ridicule dans l'Âge de fer . Ce que montre magistralement Duchamp, c'est que l'objet n'est rien qu'un miroir ; c'est le désir qui fascine, ce point aveugle de l'Âge de fer, et que tout peut en faire office, et tout objet de l'Âge de fer est un leurre du désir réifié...la valeur des choses . L'empreinte, l'image de l'objet désiré, se fixe à notre insu, et échappe à toute maîtrise de la volonté, comme ces canetons de K.Lorenz, qui suivent aveuglément une boîte de conserve .

Toute inquisition vers l'objet du désir est vaine...vanité des vanités...il s'ensuit que le fait qu'un objet sexuel soit désirable ne réside pas dans sa nature, dans son essence ou dans sa forme ; sinon par exemple on ne pourrait expliquer les variations de forme de l'objet de désir, modèles de la femme, du costume, des « bonnes manières » dans l'histoire . Il est probable que la Montespan, glorieuse maîtresse du Roi soleil, nous apparaîtrait effrayante, grosse, avec une violente odeur, brutale...nous constatons cela et nous ne pouvons pas ne pas désirer selon le modèle du temps . Il semble clair que le modèle intériorisé s'impose à nous comme objet du désir ; et nous avons tendance, par la filtration déformante de la structure de pensée moderne, à penser qu'une relativité d'objet est nécéssairement un relativité par rapport à nous, une liberté ; alors que cette relativité est une détermination qui s'impose, une servitude d'objet, la forme d'un manque . La cristallisation dont parle Stendhal est une donation de qualités, une projection : nous voyons alors l'autre comme ce fantôme de complément qui nous hante, comme promesse de plénitude, et nous le voyons aisément ainsi . Une image glacée est justement ce miroir sur lequel s'accrochent tout les désirs épars, comme les crustacés sur la baleine ; en font partie les manques et les impuissances, et le désir de remplir la vie, de trouver ce dont tout être vivant, comme misérable partie, a besoin . La fonction de l'image est d'être l'écran d'une projection, donc d'être aussi lisse, aussi vide que possible, sans parole, juste un être traversant la rue . Baudelaire a décrit Kate Moss avant même qu'elle existe : à une femme inconnue, et le rêve étrange et pénétrant...

Le jeune enfant fut fasciné et empli d'un irrépréssible et douloureux désir pour ces ballons métallisés construits en forme d'animaux par la magie des noeuds ; et ainsi l'adulte devenu fortuné rendra hommage à ce désir, ni plus assimilé ni plus construit, en s'achetant une oeuvre monumentale de Jeff Koons . Un leurre, et un leurre touchant d'un monde de pur désir, sans les longues ombres que dessinent sur toutes choses les crépuscules des hommes...qui augmente la sagesse augmente la douleur...et cela, nos modernes ne peuvent le regarder en face . L'ombre d'une oeuvre de Dürer est encore du Dürer, alors que l'ombre d'une oeuvre de Koons échappe à Koons, et est justement ce qui la rend fascinante pour l'homme d'antique science : calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur .

Avoir tant désiré ce que les hommes désirent, le désir des masses, et ne saisir que le vide : telle fut la vie de Staline . Et le désarroi de Staline après la guerre fut filmé, lors de la cérémonie du premier mai : chose incroyable, ce désarroi, ce désespoir peints par Melville chez Achab, et décrit déjà par de Gaulle dans ses mémoires, sont parfaitement perceptibles dans tout l'être d'un des plus puissants tyrans de l'histoire . Car là où tous désirent, tous regardent, il n'est rien d'autre qu'un point de fuite, un soleil noir du vide .

Être opprimé et exercer une dictature morale, puritaine, est un leurre, un fantasme naïf de l'Âge de fer qui naît de la structure réelle de la domination-humiliation...la dictature du prolétariat ! Un désastre obscur ! La dictature du ressentiment, une dictature de la haine et de la revanche...vous avez joui, vous allez souffrir...à nous de jouir de votre terreur et de votre humiliation : et cela au nom du Bien ! Amères délices du puritain, qui doit se mentir à lui même pour assouvir sa cruauté atavique...là où Maldoror se sait et s'affirme cruel...et par là n'est-il pas plus juste?

La jeunesse est l'âge du désir, aussi est-elle aisément manipulée par le désir . Notre jeunesse apparement survalorisée est statistiquement opprimée au plan de la richesse et de la puissance . Elle connaît la colère et le désir de revanche . Elle est pourtant très peu défendue .

Je ne prend l'exemple de la jeunesse que pour montrer que les catégories statistiques d' « opprimés » qu'on nous vend sont des constructions bien fragiles, des fantômes, pour reprendre un mot de Stirner, et que les « représentants » spectaculaires médiatiques de ces « opprimés » ne sont pas autres choses que des membres de l'oligarchie médiacratique qui tiennent leur rôle...Il en est des fameux, tenez...on voudrait tellement que le spectacle des dirigeants soit le spectacle du pouvoir des opprimés, immigrés, descendants d'esclaves...chaperons rouges...cendrillon est devenue bling bling ! Peau d'âne peut garder sa peau, au contraire ! La robe de princesse excite la méfiance...Libres à vous amis, de croire retrouver une essence, un moi-même dans le miroir trompeur qu'une main complaisante et intéressée vous tend...une main flatteuse en apparence, qui vous identifie comme victime... et vous soutient que vous devriez être fiers de ce que « quelqu'un comme vous » soit nommé à un poste éminent, que votre nature vous y oblige, à être fier de ça...mais vous n'êtes pas plus opprimés selon votre nature que vous ne désirez selon la nature des objets . Vous désirez selon votre nature, et vous êtes opprimés par ceux qui vous dominent et par ce que ils « voient » et que donc vous voyez en vous, dans le miroir de leur regard porté de haut en bas . Vous êtes humiliés parce qu'au fond de vous même vous pensez votre nature comme humiliante...le politiquement correct est l'aveu implicite de l'inavouable sous jacent...voilà le piège du politiquement correct : ce langage est une humiliation au second degré, puisqu'on fait mine de devoir vous protéger en parlant de vous...on doit vous protéger de votre nature, ne pas vous dire la vérité que pourtant vous connaissez . Voilà pourquoi ceux qui disent votre nature d'humiliés peuvent « dire tout haut ce que les français pensent tout bas »...non mes amis, le politiquement correct est un piège...un homme n'est pas « représentant d'une ethnie », il est ou n'est pas membre réel d'une communauté réelle . Un homme noir de nationalité française n'est pas représentant des noirs, mais français, si la nation est bien une communauté . La vraie question opérationnelle est celle de la place que lui laisse sa communauté, la sécurité qu'elle lui offre . On est très loin de « la communauté noire » comme de « l'employabilité ». Une société véritablement humaine ne peut déléguer l'intégration humaine, vitale à la dignité, au simple et glacial calcul capitaliste . L'intégration humaine à la communauté est un droit de nature, un besoin vital, et les hommes portent et transmettent la vie, mais ne peuvent la donner . Là encore, ce principe est antérieur, supérieur et fondateur du droit . La distance au réel montre la dissolution réelle de la communauté dans sa forme dégénérée déjà de communauté nationale .

Dans ce contexte de déshumanisation de l'appartenance, toutes les périphrases des biens pensants sont des humiliations effectives . Pourquoi affirmer haut et fort : « une femme peut être ministre » ou « on peut être bretonnant et cultivé »? Pensez-y! « il n'y a plus ni juifs ni grecs... »

Ne nous dit-on pas avec raison que les races n'existent pas ? L'idée de race est celle d'une communauté de nature, la communauté du sang . Or la communauté n'est pas construite par la matière, mais par la forme, par le partage des symboles, la langue, l'adoration, (voyez le foyer sacré de la maison romaine et son culte des ancêtres, bases d'une communauté familiale) le récit de la communauté, la fraternité face à l'adversité, le don et le contre don . Ainsi par exemple il n'existe pas de race juive, mais une communauté juive réelle . Car tout échange non libéral tisse la communauté par la création d'obligations, là où l'échange libéral annule toute obligation, toute communautée une fois réalisé . C'est pourquoi l'échange libéral est-il le mode de tissage du monde post babélien, puisqu'il est possible entre étrangers, et ne les rapproche pas nécessairement, plus même, il les rend étrangers les uns aux autres, puisqu'il les rends ennemis en puissance, le gain de l'un dépendant de la perte de l'autre .

Le spectacle paraît renvoyer une image flatteuse à vos identifications : les « ceux qui se lèvent tôt », les victimes de l'Xphobie ; les spectateurs ne sont-ils pas « formidables, enthousiastes, etc! ». Mais tous savent, même les spectateurs, qu'ils sont de la baise . Le film les trois frères est à cet égard parfaitement explicite : « on a les trois télés... ». Ainsi l'humiliation peut-elle prendre la forme d'une défense, ce qui est le message explicite que cette nécessaire et humiliante défense est nécessaire parce que...elle ne l'est pas, bien sûr !

Dans la vie réelle, les conflits s'entrecroisent sans qu'un couple d'opposé d'un même niveau hiérarchique, « sociétal » n'ait le privilège de rendre la totalité des oppositions intelligible, en étant l'archétype de toute opposition : la lutte des sexes pas plus que la lutte des classes, des ethnies, des générations, de la gauche et de la droite, du passé et de l'avenir...il n'empêche que le principe de l'opposition est lui intelligible . Le principe des oppositions est de nier la codéfinition et la dépendance des opposés, leurs devoirs réciproques, principe de la complémentarité et de l'harmonie ; le principe des oppositions est de diviser pour masquer le règne et le vide central ; le principe des oppositions est la réfraction indéfinie de la domination par l'humiliation, par l'instrumentalisation de la dépendance, autant que par par la proclamation de la non-humiliation, de la fierté, de la « pride » ; mais cette proclamation est un aveu qu'il faut à chaque fois masquer par de plus tonitruantes déclarations . Le principe des oppositions est l'inconsistance du moi moderne qu'il faut déterminer par opposition ; et aussi de l'inflation permanente du bruit, proclamation, valeurs, plein de respect pour des tas de culture, bruit couvrant l'étourdissant silence, et absence, des nourritures terrestres authentiques : langue constituante et poétique, adoration, communauté, reconnaissance, enracinement, amour, enfantement, transmission, poiésis, vécus ensemble dans l'oeuvre humaine et la communauté .

Assez parlé des retraites et des vieux, des oppositions vides et nées du vide, allez...j'en ai bien assez dit ! Il est vain de parler de ce qui est vide, abyssalement ; il est vain de parler des tentatives de refondation de la gauche que tentent rituellement des idéologues libéraux, dans un fatras verbal et groupusculaire qui est une promesse d'inefficacité, sinon pour leurs dirigeants qui espèrent des prébendes, mais pour leurs « idées » et pour les « opprimés » qu'ils « défendent », c'est à dire pour les clients dont ils espèrent capter le temps de cerveau disponible . Ces gens ne sont pas des penseurs sérieux . Les penseurs sérieux « à gauche » sont certains marxistes, et une deuxième catégorie .

Il y donc une deuxième chose, et cette deuxième chose est une lecture critique de la tradition anarchiste .

Avant de commencer cette lecture, que ce soit de Stirner, de Proudhon, du Jack London de Martin Eden et du Talon de fer, de Stig Dagerman, de Tiqqun, ou du comité invisible, et même de J.C Michéa, issue du désir réaffirmé de parvenir à nouveau au dialogue qui s'était noué dans les cahiers du Cercle Proudhon entre les ennemis du Système libéral issus de différentes traditions intellectuelles et politiques, dialogue qui est une condition nécéssaire de réaffirmation d'une nouvelle Encyclopédie capable de creuser la tombe de la matrice idéologique moderne, je veux faire une courte remarque sur le dossier sur l'anarchisme que présente le Monde Diplomatique de ce mois .

Le Monde Diplomatique est soutenu par d'excellents auteurs, le plus puissant intellectuellement en terme d'analyse idéologique étant je crois Serge Halimi, qui peut être lu profitablement bien au delà du cercle des lecteurs altermondialistes . Mais le Monde Diplomatique devrait lire de plus près Christopher Lasch et Jean Claude Michéa, et se lire lui-même de plus près, certains articles d'auteurs nord-américains ayant touché du doigt des vérités indispensables à tout dialogue . Ce sont les articles qui constataient le caractère manipulateur des « luttes contre la discrimination », fixant l'attention contre des « inégalités » construites de manière douteuse, pour faire oublier le creusement massif des inégalités financières...non ? Un homme blanc hétérosexuel conservateur (et même chasseur!) pourrait-il aujourd'hui faire partie des opprimés, une femme noire lesbienne artiste contemporaine rebelle des oppresseurs?

Avec la sottise bien pensante qui caractérise les progressistes, un article du MD sur Proudhon note :

« Si on laisse de côté certains aspects des conceptions de Proudhon(antiféminisme, misogynie, voire antisémitisme), hélas fréquents chez les socialistes du XIXème siècle, sa pensée demeure d'actualité(...) »

Une telle pauvre phrase concentre toute la stupidité abyssale de « la gauche altermondialiste » reconnue par le spectacle médiatique de la rebellion . Si une telle phrase vous agrée, il est impossible de tisser le moindre début de philosophie globale du « libéralisme » comme idéologie funeste . Car on y retrouve deux vices métaphysiques de la pensée qu'elle prétend dénoncer .

Le premier vice métaphysique est de croire que la pensée est l'activité qui consiste à accumuler des propositions plaisantes pour nous, comme si la pensée ne produisait qu'un marché de propositions atomiques, sans chercher nullement à les relier et à tester leur cohérence . Ainsi un emblème de ce vice a pu écrire un livre du type« ce qui vaut encore chez Nietzsche », titre à la fois d'une insondable prétention (qui est-tu pour savoir ce qui vaut chez ton frère?), d'une sottise historique sans borne ( qui est tu pour définir ce qui vaut encore et ce qui ne vaut plus, nain stupide?) .

Ainsi ce type de lecteur ne lit Proudhon que pour se trouver lui même, pour se donner un nom d'autorité à lui-même ; autant dire qu'il n'a jamais commencer à penser...alors que l'essentiel de la pensée est la perception des liens entre les pensées, et que cette perception des liens est la seule activité qui puisse être appelée pensée ; et aussi la seule qui explique que la pensée soit un levier pour transformer le monde : tout se tient en matière discursive, et changer la matrice des pensées humaines est bouleverser le monde plus profondément qu'un changement de Dynastie . C'est ici, dans le travail de la pensée, que l'homme patibulaire, mais presque, peu affronter à armes égales le plus écrasant pouvoit temporel . Car la véridiction ne peut invoquer la puissance sans se trahir comme mensonge.

« Ne pouvant faire que ce qui est juste soit fort, on a fait que ce qui est fort soit juste ». C'est la vérité de tout ordre tyrannique . Cela est un savoir obscur qui peut être exposé et porté à la lumière . Et ce qui fait un ordre tyrannique n'est pas la violence de son exercice, mais son illégitimité fondamentale, son absence de principe, en grec archos, son an-archie .

Mais engager ce combat, mettre au jour l'obscur noeud de la parole aliénée de l'Âge de fer, ce que j'appelle après d'autres la matrice, n'est accessible qu'avec la plus grande rigueur et cohérence . La matrice est ce qui permet la production des énoncés, en organise justement la cohérence systémique au delà même de leur apparence contradictoire et aussi contraire . La matrice est comme le Léviathan dans les profondeurs de la mer, elle n'est pas exposée au jour ; elle est tout sauf évidente .

Ainsi l'interrogation des premiers principes de toute parole, la transformation de la matrice est hors de portée, totalement, d'un collectionneur d'énoncés épars, de celui qui cherche à se confirmer, et qui n'aboutit circulairement qu'a confirmer la matrice combinatoire générale . On trouvera chez tout auteur des choses qui « restent d'actualité »...et tout particulièrement chez les plus anodins crétins qui soient . Car si ce qui fait la valeur d'une pensée est son actualité, alors il n'est aucun autre critère de validité que « le dernier qui a parlé a raison » ; alors adieu, homme, car j'ai parlé après toi...

Il en est de l'anarchie comme de toutes choses, qui sont faites de multiples faces pliées et repliées comme les contours d'une étoffe, comme Janus, comme le symbole de la Croix : il est une anarchie ténébreuse qui se réclame de l'absence de principe, et termine complice jouissante du Système ; et une anarchie qui constate l'absence de principe et le vit comme un horizon nihiliste et destructeur, comme Jack London après Melville . Celle là connaît les délices de la delériction et du suicide, sait que « notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Cette anarchie là est aussi celle qui fut fascinée par « le sens de l'honneur, le sens du surnaturel, le sens de la communauté et du don »chez les peuples amérindiens . Solidement fondée sur le Principe, ces communautés n'avaient nul besoin de la lourde machinerie de l'Etat moderne, exactement comme les royautés celtiques avant la rencontre avec l'Etat Romain, c'est à dire avec l'avant garde de l'Âge de fer . Mais ce désespoir n'est issu que d'une éducation, celle de l'Âge de fer : il naît d'une confusion entre la matrice et l'Être . Il n'est que l'effet d'une prétention, de croire que ce que nous ne pouvons penser ni formuler ne peut être . Une prétention qui s'appuie sur la valeur ontologique des principes logiques, mais qui ne peut s'étendre au delà de leur monde légitime d'application . Une limite n'est qu'une frontière, non un mur . Ceux qui vivent dans la matrice vivent dans une prison qu'ils portent en eux même . La Gnose est justement une attitude de prisonnier évadé.

Deuxième vice métaphysique de l'Âge de fer que dévoile cette phrase, vice étroitement corrélé au premier, le refus de tant de « penseurs » de voir que les aspects sociétaux du Système comme « le féminisme »sont étroitement liés aux aspects économiques ; et cette volonté, absurde et perdue d'avance de considérer comme un progrès dans un évangile progressiste ignare toutes les transformations sociales du Système, tout en prétendant en faire une critique économique et politique radicale . Comme si la séparation des domaines « sociaux », « politiques » ou « économiques » qui structure les médias était plus que structuration aveuglante et fantomatique au sens de Stirner...l'Etat redistribue la moitié du PIB sans exercer de rôle économique ? La domination politique n'a pas d'effets sociaux ? L'appropriation économique des richesses n'a aucune conséquence sur la structure de classe de la société? Constructions aberrantes au regard d'une compréhension supérieure, dont il faut chercher la finalité dans l'entéléchie générale du Système, et non dans une transparence sans point de perspective, qui miraculeusement existerait dans notre Siècle, et miraculeusement contenterait tous les producteurs médiatiques .

Remettre en cause ces distinctions principielles, en opérer l'archéologie, ou science historiale des principes, en montrer la position originelle dans toute sa relativité, son fondement dans une volonté de puissance particulière et intelligible, puis procéder à la destruction phénoménologique qui en est la suite nécéssaire, ou se donner les moyens spirituels de voir le monde sans ces catégories qui agissent comme une forme à priori de notre représentation du monde humain, et sont une prison spirituelle : c'est ainsi que l'on refonde le monde des hommes . Techniquement il s'agit de comprendre ces universaux idéologiques comme ce qu'ils sont, de trompeuses illusions d'objectivité, des principes qui informent le monde humain avant d'être « constatés » dans la « nature humaine »,et des fonctions indispensables du Système qui se représente à lui-même en lui-même . Et se représente comme nécessité ontologique, et non comme contingence humaine fragile et plastique, afin de protéger ses dominations par le sceau de l'Être . Pouvoir répondre « c'est comme ça », sans avoir à se justifier, c'est triompher de toute question . Or toute approche fondamentale de ce type est fermée par ceux qui veulent garder le fruit et couper l'arbre . On ne rejette pas partiellement un Système .

Là où une volonté de puissance a fondé un monde,aux plus profondes racines, une autre volonté de puissance peut le déraciner en fonder un autre . Partout ailleurs la taille ne fera de l'homme que le jardinier aveugle d'un monde étranger . Un homme qui croit, parce qu'il taille, dominer la vie de la forêt .


Si l'on refuse cette séparation instrumentalisée depuis toujours par la gauche favorable au développement du Système, alors l'antiféminisme de Proudhon apparaîtra comme une marque de supériorité globale de cet auteur : car le féminisme n'est rien d'autre que l'application locale, au rapport entre les sexes, de l'idéologie libérale : on vend comme libération de la femme la constitution et la libéralisation du marché sexuel .

Et après dans la polémique contre les ennemis du Système, on classe comme ennemis des femmes, ou « misogynes » ceux qui veulent s'opposer à la libéralisation du marché sexuel ; comme on classe comme « xénophobes » ceux qui veulent s'opposer à la libéralisation complète du marché du travail et à la dissolution corrélative des communautés politiques ; comme on classe comme « communistes » ceux qui doutent de la bonté nécessaire des capitaux libres et de la citoyenneté naturelle des entreprises . Le tout étant bien sûr archaïque et pas du tout « actuel ».

La confluence entre la critique « de droite » et la critique « de gauche » du Système doit être permise par leur complémentarité. Pour des raisons historiques, la critique de droite a été plus sensible au caractère destructeur de toute dimension sacrale de l'homme et de la noblesse d'âme de l'entéléchie du Système, aspect magnifiquement montré dans la grande illusion, car la « droite » était attachée à la noblesse réelle, et avait tendance à défendre la noblesse comme ordre et comme valeur, là où des opprimés critiquaient l'instrumentalisation de l'idéal noble au profit d'une exploitation économique nue, fait apparu insidieusement dans la période de la crise du féodalisme dès le XIVème siècle et accru puissament par l'absolutisme . Et la critique de gauche s'est accentuée sur l'exploitation économique, sans comprendre que l'acceptation d'une vision « progressiste » de l'histoire et « matérialiste » de l'homme était un corrélat du Système que cette critique prétendait combattre .

Le dialogue a été possible, et le produit de cette alliance a déjà montré une terrible puissance critique, artistique et politique . Ajoutons très clairement que ce dialogue, ce tissage souterrain que propose l'Encyclopédie, ne peut démarrer à nouveaux frais que si une fois pour toutes le passé est scruté d'un oeil de fer, sans complaisance ni pitié . Très clairement, il appartient à ceux qui viennent de la droite de rejeter totalement toute complaisance pour le nazisme, sous aucune forme, et d'en finir une bonne fois pour toute avec les mines révisionnistes, en comprenant clairement pourquoi cette position est indispensable à leur hygiène spirituelle ; et à ceux qui viennent de la gauche de rejeter pareillement toute complaisance pour la Terreur de Robespierre comme pour celle de Lénine, et pour toute forme de tyrannie sanguinaire et puritaine, sans préjudice de la noblesse réelle de certains combattants égarés dans les labyrinthes des mondes . Inutile d'ajouter que comme Proudhon, il devront aussi assumer le caractère systémique de la « démocratie libérale », du progressisme idéologique, de l'absolutisme individualiste, ou encore de « la libre circulation ». Encore une fois, un système se rejette en totalité .

Ce n'est que dans les représentations du Système que la seule alternative à la démocratie libérale est la tyrannie totalitaire . Le totalitarisme est plutôt le miroir où l'entélechie du Système apparaît à nu . Le principe fonde tout, et il n'est pas la totalité . Refonder principiellement le monde humain n'est pas une démarche totalitaire, si le domaine politique demeure . L'absence de principe fonde l'idolâtrie totalitaire . L'anarchie est l'index qui pointe un vide déchirant de l'Âge de fer, l'absence nue, glaciale des ténèbres souterraines .

La liberté humaine est antérieure au droit . Elle consiste dans l'ouverture des mondes, le ciel et l'enfer . La liberté humaine ne peut se fonder sans horizons ; et il n'est pas d'horizon sans principe, sans racine immobile .

Viva la muerte!




Nu

Nu
Zinaida Serebriakova