La lutte contre les discriminations comme dispositif de domination : I, revu.

(Füssli, le cauchemar)



Introduction : finalités- espace de dialogue-l'élaboration comme chantier en cours.

Le présent texte est un début, et le témoignage d'un chantier . Ce chantier est la remise à plat et l'inventaire de la direction suivie par l'Occident, et de la direction de son savoir objectif, depuis le XIVe siècle . Après deux guerres mondiales et la guerre civile mondiale qui porte le nom de mondialisation, seule cette question reste urgente . Urgente, parce que la planète semble partie dans une direction à la fois incontrôlable, en l'absence d'une régulation suffisante, et aux conséquences de plus en plus manifestes, et mettant en péril la survie de l'homme, soit par conflit, soit par catastrophe . Il n'existe actuellement aucune capacité humaine de contrôler réellement le développement accéléré du Système .

Face à un enjeu aussi massif, la répétition de l'idéologie progressiste n'est rien d'autre que la poudre à éléphant . Cette expression vient de l'école de Palo-Alto . Un homme assis dans un wagon se levait régulièrement pour jeter sur les voies une pincée de poudre qu'il prélevait dans une boîte . On lui demanda ce qu'il faisait . Il répondit que c'était pour éloigner les éléphants des voies . Mais il n'y a aucun éléphant, lui dit-on . Il ajouta : c'est bien pour cela que je jette ma poudre !

Malgré tous les discours des idéologues modernes, ce n'est pas la barbarie archaïque des sauvages qui nous menace, mais la modernité même . Rien ne fut plus moderne, plus modernisateur, que les totalitarismes . Rien ne fut davantage un laboratoire de la modernité que la guerre totale, la mobilisation totale . Et ce qui est en crise, c'est bien le Système moderne, avec sa puissante d'accélération et d'assimilation toujours constante, face à la limitation des ressources et les bouleversement des équilibres systémiques qui rendaient la terre habitable .

La droite révolutionnaire, aveuglée par sa haine de la modernité, a trop souvent adhéré ou sympathisé avec les totalitarismes « de droite », sans voir leur profonde familiarité avec le monde moderne . La gauche, aveuglée par son rejet des violences totalitaires, ne peut pas voir la familiarité du monde libéral avec le projet totalitaire, malgré l'occultation et la symbolisation de la violence du Système dans les pays riches-car dans les pays pauvres, la violence est ouverte et extrême .

La remise à plat de l'idéologie globale du Système paraît longue et tardive face à l'urgence, mais sans ce travail préalable tout effort aboutit à la complicité réelle avec le Système . Le Système a mis la morale à son service, et les bons sentiments servent de leurre à son expansion . Le Système est justement systématique, et on ne peut pas conséquemment défendre ses bons côtés et vaincre ses côtés destructeurs . Le terrorisme et la terreur d'État ont assez montré qu'ils étaient les deux faces d'une même mâchoire . Le Système avance masqué de la morale et de ses bons côtés . Les hommes issus de la gauche ont énormément de peine à admettre la nécessité d'abandonner l'idéologie globale du Système, y compris le discours, par exemple, de la « lutte contre les discriminations ».

La remise à plat doit permettre à tous les hommes de révolte et de culture qui rejettent instinctivement le Système de se réunir sur de nouvelles bases critiques, de formuler un refus efficace, cohérent et solidement argumenté, ce qui est impossible dans le langage idéologique du Système . Tout discours dans le cadre de l'idéologie -racine du Système est fonctionnel au Système . Il ne s'agit pas de prêcher un retour au passé archaïque, mais de permettre un véritable changement du paradigme idéologique de l'occident, en préalable à la reconquête d'une force de transformation globale du monde, d'un monde que toutes les perspectives humaines condamnent pour sa cruauté et son absurdité massive, et de sa course à la destruction de plus en plus flagrante .

Critiquer « la lutte contre les discriminations » telle qu'elle est dans le cadre du Système n'est en aucun cas faire l'apologie du racisme ou du machisme . C'est poser que la défense de la dignité humaine de tous les êtres humains doit se formuler dans d'autres langages que le langage trompeur de l'idéologie racine, car ce langage est un langage qui organise l'exploitation de l'homme et la destruction des liens sociaux . Tel est le bilan de la « gauche » européenne : partout elle a servi l'avènement de la société libérale, y compris lorsqu'elle a pris les armes .

Ce texte s'adresse en priorité aux gens de gauche qui veulent refonder l'exigence de justice . Les intellectuels issus de la droite révolutionnaire n'en profiteront que s'ils mettent de côté ce qu'a pour eux d'évident le refus de la lutte contre les discriminations . Destructeur, il ne détruit que pour permettre de reconstruire . Idéologiquement, l'urgence est pourtant de mettre à terre les évidences idéologiques séculaires qui nous aveuglent sur la catastrophe à venir .

Ce texte est dédié à Simone Weil, en admiration pour sa combativité, comme pionnière de notre combat, plaçant l'ontologie au point de départ du refus du monde moderne ; et Amadou Kourouma, pour la cruauté de la réalité qui passe dans ses textes sublimes . Voilà la réalité : Allah n'est pas obligé d'être juste, nos idoles modernes non plus . Cette dédicace servira aussi à prévenir un mésusage de ce texte .

I Qu'est ce qu'un dispositif de domination dans le cadre du Système?

Un dispositif de domination est un sous-système fonctionnel du Système général . (il lui est utile .)
L'étude d'un sous-système idéologique du Système dominant actuellement le monde-la société de marché- ne peut avoir pour nous qu'un sens, qui est de montrer que ce sous-système est une fonction utile du Système général, une partie fonctionnelle . Montrer qu'il est une partie fonctionnelle peut se faire de deux manières principales à ce que nous savons, d'abord en montrant les points d'insertion du sous-système au Système (par exemple, si une idéologie est produite et diffusée par les cadres du Système général, on peut supposer que cette idéologie est fonctionnelle) et ensuite et surtout en montrant que la finalité immanente du Système, appelée entéléchie, est servie par le fonctionnement et la production du sous-système .

L'entéléchie du Système peut être approximativement formulée comme étant la maximisation (indéfinie) du déploiement de la puissance matérielle . Cette finalité est immanente et non visée par l'homme comme fin ; elle est la direction générale que prend de lui-même le Système, à travers tous les méandres possibles, et qu'il a toujours rejoint à ce jour, depuis qu'a été institué en Grande Bretagne un marché autorégulateur . Le Système est circulaire, ses effets nourrissent ses causes, et augmentent sa puissance . Un tel Système peut être qualifié d'"inflationniste", à la manière d'une réaction en chaîne . La « liberté » dans un tel système est étroitement déterminée . On peut faire tout ce qui va dans le sens du Système sans difficultés, sans principe général, mais le reste pose des difficultés . Les entreprises surveillent étroitement la vie sexuelle de leurs employés parce que le puritanisme au travail rend plus productif ; mais la pornographie et le sexe sont « libérés », car ils favorisent la diffusion de produits très divers .

L'analyse des produits du Système général est l'analyse de sous-systèmes fonctionnels intelligibles comme tels, ayant donc une certaine autonomie en image de la totalité, comme le Système de Santé, le Système judiciaire, etc, tout en accomplissant des fonctions du Système général . Un sous-système fonctionnel n'a pas besoin de ne produire que des effets favorables au Système général, il suffit qu'il en produise statistiquement assez .

Par exemple, la guerre froide est un dispositif de maximisation du déploiement de la puissance matérielle, avec la course technologique et la course aux armements ; mais on pourrait citer de nombreux exemples dans le contexte de la guerre froide ou du capital a pu être gaspillé de manière non optimale . Il n'empêche que l'entéléchie d'un conflit comme la guerre froide ne peut être différent de l'accumulation gigantesque de puissance et de son déploiement, que toute la logique du conflit rend urgent . Il en est de même de la "guerre totale" excluant réciproquement tout marchandage, et n'envisageant que l'anéantissement physique de l'adversaire, qui commence en 1941 . La nouveauté la plus intime de cette époque est là, dans la guerre d'extermination . Avec la mondialisation, la guerre économique pousse à l'optimisation maximale du déploiement de la puissance et de l'exploitation des hommes dans l'industrie et les services, le monde devient un Système unique de production et d'échange, dont les « pays » doivent être pensés comme des sous-systèmes fonctionnels pour devenir intelligibles . Dans un pays de consommation de masse, les contraintes seront moins voyantes que dans un pays de production comme la Chine ; mais tout le Système est lié à la tyrannie chinoise .

La culture et l'idéologie comme sous-systèmes fonctionnels .
La société de marché est un Système de civilisation totale ; il véhicule des modes de production mais aussi une ontologie, une constitution culturelle générale du monde qui lui est caractéristique . Le Système tend à transformer tout étant en "objet-marchandise", l'objet étant une série de déterminations ontologiques de base, soumis par définition à la puissance de l'homme par la technique et la marchandise étant à la fois l'ensemble des liens possibles d'insertion de cet objet dans le monde des marchandises, et la mesure de cet objet .

Toute pensée d'étant qui ne soit pas un objet, (comme par exemple un lien social, un amour), et qui ne puisse pas être une marchandise, (comme un objet sacré, ou le corps humain comme exclu par principe de l'échange), sont rejetés par le mouvement de l'idéologie racine vers le non-être (non être pensé par l'idéologie comme ensemble de tout ce qui n'est ni objet, ni marchandise) avec des étapes d'exténuation ontologique encore en cours, qui passent par "l'imaginaire" ou la "superstition", la « suppression des tabous » . Ces étranges arrières mondes de l'idéologie-racine sont à la fois pour elle inexistants-comme l'âme, dans la psychophysiologie- et nommés, décrits, puisque l'idéologie racine doit les nommer, ou les étudier, pour les nier, mais les étudier en les présentant comme des illusions (assimilation de la vision à l'hallucination), symptôme, erreur, etc...avec ce paradoxe que l'idéologie moderne doit sans cesse penser des « illusions puissantes », des illusions ayant une force causale sur la « réalité » au sens de l'idéologie moderne .

La "psychanalyse" ou "anthropologie" matérialiste de "la religion" avec ses interprétations alambiquées et réductionnistes, ou évolutionnistes, est un modèle de cette démarche de "purification de la réalité" de tout ce qui, d'après l'idéologie racine, la voile, par exemple "l'imaginaire", "l'illusion" mais aussi le sens, car dans l'idéologie racine, l'être en lui même est vide de sens, et seul le regard souverain de l'homme pose le sens sur l'écran translucide de l'être . Il convient alors d'expliquer par des causes acceptables dans le cadre de l'idéologie-racine, des causes "naturelles", pourquoi par exemple tel homme peut se prétendre prophète et pourquoi d'autres les suivent . Par hypothèse, cela signifie que celui qui parle dans l'idéologie-racine (l'"anthropologue", l'"ethnologue") est lucide et parle ancré dans la "réalité" ou "vérité scientifique", tandis que celui dont il parle (le "primitif", l'homme "traditionnel") est aveugle et parle ancré dans des "réalités imaginaires" . Seul problème, quand l'homme traditionnel parle de l'homme moderne, il le taxe réciproquement d'aveuglement ; et pour trancher en ce domaine, il convient de posséder l'autorité qui ferait la référence . Et l'autorité des "anthropologues" comme celle des "professeurs de philosophie" n'est que celle que leur délègue le Système, en tant qu'ils sont fonctionnels, soit par l'idéologie qu'ils diffusent, soit parce qu'ils sont inoffensifs et servent de symbole de "liberté".

Dans le relativisme moderne, qui peut prétendre posséder ce centre de référence ? Ne fait-on pas sottement gloire à Galilée d'avoir chassé l'homme de ce centre illusoire, comme si chez Dante l'homme était le centre de jugement du monde, tout en plaçant ce pauvre déchu, l'homme, en position divine de juge et donateur exclusif de valeur et de sens à l'ensemble de l'être, dans un mouvement de pensée dont la contradiction est pourtant choquante ?

L'exorcisme scientiste, la négation de l'esprit et du sens dans le monde, leur fermeture comme pure spécificité humaine, c'est à dire le nihilisme s'accomplit dans le discours idéologique moderne . Une telle posture ne prétend implicitement rien moins que savoir ce qui est au delà de la représentation, une matière dépourvue de sens ; mais ce prétendu "savoir de ce qui est au delà de la représentation" est justement une représentation idéologique . Le plein accomplissement du relativisme scientiste est la destruction du progressisme, puis du relativisme, accompli dans l'œuvre de Paul Feyerabend ou de Quine . L'idéologie racine est à un tournant inassimilable depuis longtemps, puisqu'elle se dévore elle même, mais ce fait est gardé dans l'ombre par les idéologues du Système . L'idéologie matérialiste-réductionnisme réfutée, déconstruite, demeure le cadre de référence de la police idéologique du Système .

Il s'agit véritablement d'une guerre métaphysique, qui est ancienne, et encore parfaitement actuelle . Rien ne doit être plus intensément que la marchandise, qui doit être la mesure de ce qui est "réel". Globalement il paraît normal de liquider la société d'une localité au nom de l'économie, que ce soit par un plan de licenciement, ou par la construction d'un équipement énergétique ou industriel géant . Le capital, la production sont plus que le tissu social, qui ne peut être mesuré . Sans parler du reste, comme "le milieu naturel". Ce dernier commence à être pris en compte mais en tant que "ressources naturelles", dans une visée identique .

Historiquement, le réductionnisme matérialiste dans l'idéologie (qui d'un point de vue analytique n'est qu'un changement de vocabulaire, doublé d'un changement d'attitude par rapport au signifié lié à ce changement de vocabulaire) est parallèle à la réduction du monde en marchandise, au siècle de la naissance du marché autorégulateur . Pour donner un exemple simpliste, traiter de superstition les vaches sacrées signifie les passer à la boucherie (transformation en marchandise), et lever des obstacles "absurdes et aléatoires aux échanges" quant ces vaches bouchent les axes de transport . La destruction des superstitions, vue par des demis habiles comme un progrès, est en ce sens la destruction d'obstacles au libre marché, et n'est pas un progrès du savoir humain des masses, progrès cruellement fantomatique pour celles ci .

La vache sacrée, ou la vache marchandise n'ont rien qui soit "objectif", mais résultent de la relation entre les bovins et les hommes intermédiée par la culture ; il n'y a là aucun conflit de vérité que "la Science" pourrait trancher . Croire qu'un habitus face au monde, une attitude générale, soit autre chose qu'un choix souverain, une décision humaine, est poser qu'il existe une façon vraie d'être au monde, alors que l'habitus n'est pas du domaine du vrai, mais du désirable .

Pour être plus clair, il convient de faire l'hypothèse, comme Kant, d'un réel nu, d'un être en soi inconnaissable ; et de constater que toute relation à l'être est intermédiée par la culture, le symbolique . Il n'y a pas, comme le croient les programmes de philosophie d'école, "l'homme" et "le monde", deux pôles qui rentrent directement en contact . Tout savoir, tout « contact avec » est intermédié, suppose un tiers le plus souvent symbolique . Je ne rentre pas en contact avec elle, mais avec ses paroles, sa peau, sa bouche . Le frémissement de sa peau, son souffle sont déjà des signes, non des faits . En matière de lien anthropologique entre l'homme et le monde, je dois ajouter "le savoir objectif"(Popper) entre "l'homme" et "le monde" . L'ensemble des "croyances" d'un groupe humain n'est pas fait de thèses cognitives sur l'être, abstraites et scolaires, mais de parties fonctionnelles d'un être au monde global, d'un habitus . La question de la vérité, la "lutte des lumières contre la superstition" sont des nuages de fumées de l'imposition par la force de l'être au monde du marché aux groupes humains de l'Europe et du monde . L'idéologie est à la fois détournement du regard de l'habitus pragmatique vers le monde des idées, et détermination de l'habitus pragmatique de manière insensible . La philosophie est l'habitation du monde, ou rien .

A titre d'exemple, la pratique religieuse dominicale s'est effondrée en Bretagne pendant les "Trente Glorieuses", à la fois par "lutte contre la superstition", que par destruction réelle d'une organisation humaine traditionnelle, destruction des liens entre les hommes et entre les choses, à la manière de la "modernisation" des indiens d'Amérique . Il s'agit d'une sous-totalité systémique, et rien n'est plus trompeur que de distinguer "des aspects positifs" et des "aspects négatifs" d'un tel processus . Il convient soit de le vouloir, soit de le refuser en totalité . Dit autrement : si tu pense qu'il y a des "aspects inhumains intolérables" dans la société moderne, il faut la reprendre en totalité .

Je crois qu'un paysan de l'époque moderne avait plus de savoirs, et d'autonomie qu'un habitant sans diplôme des cités modernes, et comme le dit Brassens, celui qui ne donnait pas à l'âne des coups de pied au ventre, et qui savait donner du pain et du feu à l'errant, celui là était déjà d'un type humain supérieur à un grand nombre d'hommes de ce temps, qui se délectent de violence et haïssent leurs voisins, à la manière de la plèbe de Rome . Bien sûr, il priait, et voulait être conduit à travers ciel au père éternel . Horreur ? Naïveté, que cette condamnation . Car ces « superstitions », autant que des thèses sur la réalité (comme l'existence du Ciel, du Père éternel, ou des fantômes), sont conjointement des liens humains et des pratiques étrangères au marché, (Donne et on te donnera...quel père, à qui ses enfants demandent un poisson, donnera des pierres?), à la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, comme aujourd'hui encore la sanctification du dimanche, ou la condamnation de l'usure, ou les lois somptuaires, et j'en passe . La destruction des superstitions a été celle de pratiques culturelles et de liens sociaux qui protégeaient l'homme de la technique et du marché, de l'hubris, démesure, qui étaient connus et condamnés . Maintenant c'est fait, et il est vain de vouloir revenir en arrière .

Globalement, toutes les idéologies qui ont historiquement été des parties fonctionnelles de la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, en particulier le "marxisme" de l'URSS, le nazisme et le libéralisme moderne se situent sur le même socle idéologique, que j'appelle l'idéologie racine . C'est un point décisif de la critique idéologique . Cela peut être démontré par l'archéologie idéologique, mais ce n'est pas le lieu ici : notons que ce socle est ontologique, c'est à dire a pour base les définitions de ce qui est (donc vaut dans cette idéologie, mais on pourrait dire aussi ce qui vaut comme marchandise, ou saisissable par la technique, donc mérite d'être) et de ce qui n'est pas (et ne vaut rien, est insaisissable et ne doit pas être, donc mérite d'être détruit ou nié si nécessaire) . C'est pour cette raison que les origines lointaines de l'idéologie racine se situent, tout à fait concrètement, dans les débats métaphysiques de l'automne du Moyen Âge . L'idéologie racine est partie fonctionnelle d'un Système protéiforme, qui peut leurrer sur la profonde similitude de ses avatars .

A titre d'exemples, le marxisme soviétique, en réduisant tout à "la matière", légitimait la destruction des coutumes et des croyances des peuples de l'URSS qui pouvaient ralentir la production, utilisait l'utopisme et le désir de justice d'hommes nobles écœurés par le Système sous sa forme capitaliste pour paralyser toute opposition à la tyrannie du Système sous sa forme bolchevique, et mesurait tout par la production quantitative, même d'objets inutilisables, même truquée : le modèle de la vie sous Staline est Stakhanov, l'ouvrier d'usine fasciné par sa production mesurée par des chiffres, et notre L.O.L.F ne mesure rien d'autre . L'idéologie Nazie, tout en réunissant des ennemis du Système, les mit à son service par le nationalisme, le travail forcé, la coordination de la production telle que Speer l'orchestra, et l'exploitation corporelle des "races inférieures". Toute la vie du Reich devint avec la "guerre totale" orienté vers la production matérielle, loin de l'"idéalisme" revendiqué . Les guerres mondiales furent des processus de "mobilisation totale", de laboratoires du totalitarisme, par la maximisation de la production et de la destruction (autrement appelée consommation), qui sont deux faces de la même pièce .

Enfin, notre Système libéral condamne gravement les totalitarisme passés tout en aggravant sans cesse l'exploitation des hommes au travail, et en faisant vivre un monde en "paix" au rythme de croissance d'économie de guerre, grâce à "la concurrence libre et non faussée". La "mobilisation totale se perpétue, seuls les masques changent . A titre d'élément de méditation, je rappelle que la discussion et l'argumentation ne peuvent naître que sur un horizon commun, et donc que toute situation de communication présuppose des positions racines communes . Dans la violence des luttes et des polémiques, cette nécessité reste un point aveugle...pourtant la guerre est un processus symétrique qui conduit les ennemis à se ressembler : voyez là encore la guerre froide .





A bientôt!

Sur le principe directeur, ou les fins de l'individu.

(John William Godward)



Ces derniers temps j'ai perdu mon temps . Et j'ai vu des hommes nobles perdre en vain leur temps . Perdre son temps, c'est se bercer des fatuités du monde, c'est bavardages et querelles . Bavardage que de parler à un cuistre . Querelles, que de polémiquer avec des êtres infimes, capables de faire indéfiniment durer les plus petites polémiques . Mon coeur n'est pas le tambourin que bat le monde .

"Zadig dirigeait sa route sur les étoiles. La constellation d'Orion et le brillant astre de Sirius le guidaient vers le port de Canope. Il admirait ces vastes globes de lumière qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraît à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue." Voltaire.

Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue. Non qu'ils le soient sans cesse, mais ils le sont quant ils se perdent en querelles vides . Dans l'Âge de fer, ils tendent à le devenir .

Le concept le plus à même de libérer de ces bulles de vide, qui reflètent des mondes et paraissent consistantes, est un antique concept des pensées de Marc-Aurèle, traduit par principe directeur. Je retrouve cette notion chez Oscar Wilde, dans ses aphorismes .

« Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa vie pleinement, entièrement, complètement, ou trainer l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose . »
Oscar Wilde, Aphorismes .

La propre vie qui doit se vivre pleinement, c'est celle du principe directeur.

" Rien de plus misérable que l’homme qui tourne autour de tout, qui scrute, comme on dit, « les profondeurs de la terre », qui cherche à deviner ce qui se passe dans les âmes d’autrui, et qui ne sent pas qu’il lui suffit d’être en face du seul génie qui réside en lui, et de l’honorer d’un culte sincère. Ce culte consiste à le conserver pur de passion, d’inconsidération et de mauvaise humeur contre ce qui nous vient des Dieux et des hommes. Ce qui vient des Dieux, en effet, est respectable en raison de leur excellence ; ce qui vient des hommes est digne d’amour, en vertu de notre parenté commune ; digne aussi parfois d’une sorte de pitié, en raison de leur ignorance des biens et des maux, aveuglement non moindre que celui qui nous prive de distinguer le blanc d’avec le noir."

Barrès avait écrit dans le même esprit le Culte du moi . Non pas un narcissisme infantile qui cède à la première pulsion, mais bien au contraire un ordonnancement étroit de la puissance pulsionnelle au service de l'Orient de l'Âme, de cet "haute étincelle" d'Ekhart . L'entéléchie de l'âme est multiple, habitations multiples, chemin vers le haut et chemin vers le bas Un et même .


L'entéléchie de l'âme, voilà ce qui exige la plus grande impassibilité, et aussi la capacité cruelle à trancher des liens, et à mépriser ; voilà ce qui exclut la haine, car la haine est une passion active, un énorme arraisonnement de l'objet de la haine sur nous . Par ailleurs, il est totalement vain de vouloir discuter, argumenter, convaincre . Il est possible de tout prouver, même la vérité . Et la vérité, c'est que la parole du maître pose un monde . La vérité, ami, c'est que tu ne me lirais pas si tu ne m'avais déjà compris . Si tu n'a pas vécu ce qui se dit dans ces paroles, alors tu ne le vivra pas en le lisant.

La discussion ramène au niveau le plus bas qui seul est commun . Je ne m'abaisserai plus à argumenter sérieusement, sinon avec mes frères d'armes, avec une possibilité réelle d'arracher des vérités, et de se mettre d'accord . Pour les autres, le mensonge de l'accord social sera une forme de compassion, afin de ne pas gâcher leur digestion . Comme dit Wilde, la vérité est bien la dernière chose à dire à une jeune fille bien élevée . Bonjour aux désobéissants, aux malpolis,

Et viva la muerte!

La "lutte contre les discriminations"comme dispositif de domination.I.Qu'est ce qu'un dispositif de domination idéologique?

(William Blake)



Un dispositif de domination est un sous-système fonctionnel du Système général . (Il lui est utile .)
L'étude d'un sous-système idéologique du Système dominant actuellement le monde-la société de marché- ne peut avoir pour nous qu'un sens, qui est de montrer que ce sous-système est une fonction utile du Système général, une partie fonctionnelle . Montrer qu'il est une partie fonctionnelle peut se faire de deux manières principales à ce que nous savons, d'abord en montrant les points d'insertion du sous-système au Système (par exemple, si une idéologie est produite et diffusée par les cadres du Système général, on peut supposer que cette idéologie est fonctionnelle) et ensuite et surtout en montrant que la finalité immanente du Système, appelée entéléchie, est servie par le fonctionnement et la production du sous-système .

L'entéléchie du Système peut être approximativement formulée comme étant la maximisation (indéfinie) du déploiement de la puissance matérielle . Cette finalité est immanente et non visée par l'homme comme fin ; elle est la direction générale que prend de lui-même le Système, à travers tous les méandres possibles, et qu'il a toujours rejoint à ce jour, depuis qu'a été institué en Grande Bretagne un marché autorégulateur . Le Système est circulaire, ses effets nourrissent ses causes, et augmentent sa puissance . Un tel Système peut être qualifié d'"inflationniste", à la manière d'une réaction en chaîne . La « liberté » dans un tel système est étroitement déterminée . On peut faire tout ce qui va dans le sens du Système sans difficultés, sans principe général, mais le reste pose des difficultés . Les entreprises surveillent étroitement la vie sexuelle de leurs employés parce que le puritanisme au travail rend plus productif ; mais la pornographie et le sexe sont « libérés », car ils favorisent la diffusion de produits très divers .

L'analyse des produits du Système général est l'analyse de sous-systèmes fonctionnels intelligibles comme tels, ayant donc une certaine autonomie en image de la totalité, comme le Système de Santé, le Système judiciaire, etc, tout en accomplissant des fonctions du Système général . Un sous-système fonctionnel n'a pas besoin de ne produire que des effets favorables au Système général, il suffit qu'il en produise statistiquement assez .

Par exemple, la guerre froide est un dispositif de maximisation du déploiement de la puissance matérielle, avec la course technologique et la course aux armements ; mais on pourrait citer de nombreux exemples dans le contexte de la guerre froide ou du capital a pu être gaspillé de manière non optimale . Il n'empêche que l'entéléchie d'un conflit comme la guerre froide ne peut être différent de l'accumulation gigantesque de puissance et de son déploiement, que toute la logique du conflit rend urgent . Il en est de même de la "guerre totale" excluant réciproquement tout marchandage, et n'envisageant que l'anéantissement physique de l'adversaire, qui commence en 1941 . La nouveauté la plus intime de cette époque est là, dans la guerre d'extermination . Avec la mondialisation, la guerre économique pousse à l'optimisation maximale du déploiement de la puissance et de l'exploitation des hommes dans l'industrie et les services, le monde devient un Système unique de production et d'échange, dont les « pays » doivent être pensés comme des sous-systèmes fonctionnels pour devenir intelligibles . Dans un pays de consommation de masse, les contraintes seront moins voyantes que dans un pays de production comme la Chine ; mais tout le Système est lié à la tyrannie chinoise .

La culture et l'idéologie comme sous-systèmes fonctionnels .
La société de marché est un Système de civilisation totale ; il véhicule des modes de production mais aussi une ontologie, une constitution culturelle générale du monde qui lui est caractéristique . Le Système tend à transformer tout étant en "objet-marchandise", l'objet étant une série de déterminations ontologiques de base, soumis par définition à la puissance de l'homme par la technique, et la marchandise étant à la fois l'ensemble des liens possibles d'insertion de cet objet dans le monde des marchandises, et la mesure de cet objet .

Toute pensée d'étant qui ne soit pas un objet, (comme par exemple un lien social, un amour), et qui ne puisse pas être une marchandise, (comme un objet sacré, ou le corps humain comme exclu par principe de l'échange), sont rejetés par le mouvement de l'idéologie racine vers le non-être (non être pensé par l'idéologie comme ensemble de tout ce qui n'est ni objet, ni marchandise) avec des étapes d'exténuation ontologique encore en cours, qui passent par "l'imaginaire" ou la "superstition", la « suppression des tabous » . Ces étranges arrières mondes de l'idéologie-racine sont à la fois pour elle inexistants-comme l'âme, dans la psychophysiologie- et nommés, décrits, puisque l'idéologie racine doit les nommer, ou les étudier, pour les nier, mais les étudier en les présentant comme des illusions (assimilation de la vision à l'hallucination), symptôme, erreur, etc...avec ce paradoxe que l'idéologie moderne doit sans cesse penser des « illusions puissantes », des illusions ayant une force causale sur la « réalité » au sens de l'idéologie moderne .

La "psychanalyse" matérialiste de "la religion" avec ses interprétations alambiquées et réductionnistes, ou évolutionnistes, est un modèle de cette démarche de "purification de la réalité de l'illusion", de l'exorcisme scientiste qui s'accomplit dans le discours idéologique moderne . Il s'agit véritablement d'une guerre métaphysique, qui est ancienne, et encore parfaitement actuelle .

Historiquement, le réductionnisme matérialiste dans l'idéologie (qui d'un point de vue analytique n'est qu'un changement de vocabulaire, doublé d'un changement d'attitude par rapport au signifié lié à ce changement de vocabulaire) est parallèle à la réduction du monde en marchandise, au siècle de la naissance du marché autorégulateur, c'est à dire souverain . Pour donner un exemple simpliste, traiter de superstition les vaches sacrées signifie les passer à la boucherie (transformation en marchandise), et lever des obstacles "absurdes et aléatoires aux échanges" . La destruction des superstitions, vue par des demis habiles comme un progrès, est en ce sens la destruction d'obstacles au libre marché, et pas un progrès du savoir humain des masses, progrès cruellement fantomatique pour celles ci .

La vache sacrée, ou la vache marchandise n'ont rien qui soit "objectif", mais résultent de la relation entre les bovins et les hommes intermédiée par la culture ; il n'y a là aucun conflit de vérité que "la Science" pourrait trancher . Croire qu'un habitus face au monde, une attitude générale, soit autre chose qu'un choix souverain, une décision humaine, est poser qu'il existe une façon vraie d'être au monde, alors que l'habitus n'est pas du domaine du vrai, mais du désirable .

Je crois qu'un paysan de l'époque moderne avait plus de savoirs, et d'autonomie qu'un habitant sans diplôme des cités modernes, et comme le dit Brassens, celui qui ne donnait pas à l'âne des coups de pied au ventre, et qui savait donner du pain et du feu à l'errant, celui là était déjà d'un type humain supérieur à un grand nombre d'hommes de ce temps, qui se délectent de violence et haïssent leurs voisins, à la manière de la plèbe de Rome . Bien sûr, il priait, et voulait être conduit à travers ciel au père éternel . Horreur ? Naïveté, que cette condamnation . Car ces « superstitions », autant que des thèses sur la réalité (comme l'existence du Ciel, du Père éternel, ou des fantômes), sont conjointement des liens humains et des pratiques étrangères au marché, (Donne et on te donnera...quel père, à qui ses enfants demandent un poisson, donnera des pierres?), à la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, comme aujourd'hui encore la sanctification du dimanche, ou la condamnation de l'usure, ou les lois somptuaires, et j'en passe . La destruction des superstitions a été celle de pratiques culturelles et de liens sociaux qui protégeaient l'homme de la technique et du marché, qui étaient connus et condamnés . Maintenant c'est fait, et il est vain de vouloir revenir en arrière .

Globalement, toutes les idéologies qui ont historiquement été des parties fonctionnelles de la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, en particulier le "marxisme" de l'URSS, le nazisme et le libéralisme moderne se situent sur le même socle idéologique, que j'appelle l'idéologie racine . C'est un point décisif de la critique idéologique . Cela peut être démontré par l'archéologie idéologique, mais ce n'est pas le lieu ici : notons que ce socle est ontologique, c'est à dire a pour base les définitions de ce qui est (donc vaut dans cette idéologie, mais on pourrait dire aussi ce qui vaut comme marchandise, ou saisissable par la technique, donc mérite d'être) et de ce qui n'est pas (et ne vaut rien, est insaisissable et ne doit pas être, donc mérite d'être détruit ou nié si nécessaire) . C'est pour cette raison que les origines lointaines de l'idéologie racine se situent, tout à fait concrètement, dans les débats métaphysiques de l'automne du Moyen Âge .

Propriétés de l'idéologie syntones (conformes, utiles) au Système :
Rendre le Système désirable...
L'idéologie comme sous-système a aussi pour finalité de masquer le caractère inhumain, ou absurde, de l'entéléchie - la maximisation indéfinie du déploiement de la puissance matérielle, ou "croissance économique", qui rend par exemple la guerre locale tout à fait fonctionnelle-et de le présenter sous des traits positifs . Système absurde, car l'oreille n'est pas remplie de ce qu'elle entend, l'œil de ce qu'il voit, la bouche de ce que l'on mange, que la course au bonheur par l'accumulation est vaine, et doit s'étourdir de divertissements de plus en plus puissants pour continuer à croire en elle même .

Globalement, l'idéologie présente comme "progrès"(sans s'interroger sur la perspective qui en fait un "progrès") le déploiement du Système, et comme libération : libération des Ouvriers, des travailleurs Allemands, des esclaves, de la femme, temps libre, libéralisme, etc, etc . Cette lecture du déploiement du Système dans toutes ses variantes est le "progressisme". L'idéologie est l'opium des intellectuels : elle permet de faire croire à des gens qui perçoivent l'absurdité du Système général - c'est au fond assez aisé de s'en rendre compte- qu'ils se placent en opposants, se démarquent, quant ils servent le déploiement du Système . Dans le spectacle médiatique, ce Système tout à fait amoral par principe se revêt sans cesse des oripeaux du discours moral . Le résumé du progressisme est "le déploiement du Système est moral, c'est à dire bon et juste", (malgré les difficultés de quelques uns qui doivent accepter une "reconversion" pour suivre le développement inéluctable, etc)

Rendre le Système bon et omnipotent...
Il est tout à fait hors de doute que la préservation de la santé des populations, la sécurité, l'écologie...sont les moyens des fins du Système, les innombrables facettes de la mainmise tyrannique du Système sur les hommes, l'avancée de leur domestication et de leur assimilation au Système . La prévention du cancer a été d'abord l'œuvre du IIIème Reich, avec la publicité anti-tabac ; et ce n'est qu'un exemple . Le Système est une mécanique inflationniste qui ne peut pas s'arrêter, et son déploiement suppose l'asservissement à son entéléchie toujours plus poussée des hommes dans la totalité de leur vie . Le totalitarisme n'est pas un accident de l'histoire mais une tendance de fond du Système . Le contrôle doit être toujours plus étendu spatialement, c'est l'extensivité du déploiement, et toujours plus présent dans l'existence humaine, c'est son intensivité . L'omniprésence, l'extensivité du Système se montre par exemple dans la multiplication automatisée des contrôles, par exemple la vidéo-surveillance et les radars automatiques, la surveillance d'internet, et l'intensivité dans le codage toujours plus poussé de l'ordre de la vie professionnelle ou privée, par exemple "la prévention de santé", ou encore le budget énorme de "la politique de la famille et de l'enfance" des collectivités territoriales, dont la réalité d'observation et d'action normative n'échappe même plus aux travailleurs sociaux .

Dans notre monde "démocratique", l'application mécanisée de la loi, contraire à toute conception humaine du juste, conception qui se glorifie à raison de la capacité à l'exception, tel le jugement de la femme adultère, rend le "citoyen" objet passif et impuissant de mécanismes bureaucratiques sur lesquels sa "souveraineté" en tant que membre de la Nation est une plaisanterie mélancolique . Mais cet écrasement du "citoyen" n'en est sans doute qu'à ses débuts . Le totalitarisme de demain est en gestation dans la réalité déterminée du Système . Idéologiquement, la culpabilisation, le Bien (et le rejet de l'Axe du mal) et la morale deviennent les arguments les plus répandus de son enracinement dans l'être humain .

Un exemple majeur de ce codage de la vie, et de cette instrumentalisation de la morale pour briser des résistances au Système s'appelle "la lutte contre les discriminations" . La moraline politiquement correct est alors le cheval de Troie de la mise au pas de la société, au travers de la confiscation de la détermination des critères d'organisation de la société . C'est le sujet général de cette étude, nécessairement complexe au regard de la complexité actuelle du Système, qui multiplie de plus les dénégations et les masques, au risque de détruire toute possibilité de parole commune par sa continuelle manipulation et inversion des mots . La lutte contre les discriminations a pour enjeu de définir les classifications sociales légitimes ; la totalité de l'organisation sociale y est donc questionnée . La classification est une opération archétypique de la pensée humaine et du langage, un fondement du discours idéologique . L'étude en soi des classifications et de leurs propriétés est une clef de l'analyse idéologique capable de détruire l'évidence de l'idéologie racine .

Recherches sur les fondements métaphysiques de l'idéologie-racine : la distinction être et existence et l'univocité de l'être .

(L'échelle de Jacob, communication des mondes par W.Blake.)




Au XIVème siècle, Duns Scot pose que l'être de Dieu et l'être des choses est l'être commun, qu'il est univoquement désigné par le mot être : l'être est un . Il nie la thèse de l'analogie de l'être, thèse de Thomas à la suite des platoniciens, posant que si l'être de Dieu et l'être des choses est analogue, il n'est pas identique, il est miroir et énigme, selon la parole de Paul dans la première épître aux Corinthiens (13, 12) : « Videmus nunc per speculum in aenigmate, tunc autem facie ad faciem" . Nous voyons maintenant dans un miroir, en énigme ; nous verrons alors face à face, je connaitrai comme je suis connu." Pour Scot, il ne peut y avoir science théologique si l'être n'est pas univoque, car la science est un modèle commun entre science divine et science de la nature, cela dit de manière simpliste . Si l'être divin est essentiellement différent de l'être connu par la raison, la théologie lui paraît condamnée . Mais l'être, et l'existence comme mode d'être particulier de la créature individuée n'ont qu'en commun le moins saisissable, et le plus lointain .

L'ontologie de l'objet quelconque n'est pas l'ontologie de l'Ange ou de Dieu mais l'ontologie de l'existant, de la créature . Le principe d'individuation ne peut être appliqué aux niveau d'être supérieurs à l'existant . Pourtant, l'ontologie de l'objet devient l'ontologie générale par ce mouvement de l'analogie à l'univocité . De même, ce passage est évidemment une dé-symbolisation : la symbolique est interprétée comme ontologie au niveau de l'existant, ainsi la symbolique des sphères devient pensée comme assemblage de sphères réelles, ayant le caractère ontologique de choses .

Il est essentiel pour Scot que la théologie soit une science, au sens institutionnel qu'il pose . L'univocité de l'être, et la théologie comme science sont des parties d'une institutionnalisation de la transmission, d'un recul de la Gnose .

La distinction métaphysique entre l'être et l'existence est une des clefs de compréhension et du bifurcation de l'idéologie racine . L'ère scotiste qui ouvre l'époque de l'idéologie racine est l'époque de la thèse de l'univocité de l'être . L'univocité de l'être a pour sens l'unicité de l'être - le refus de la transcendance, des autres mondes ayant leurs modes d'être propres . L'univocité de l'être, posée pour rendre scientifique la théologie, est en réalité fermeture de la théologie ; et ouverture du lent procès du nihilisme européen . Car l'existence, notre monde, devient alors la mesure de l'Autre monde, et ne trouve que le vide, le néant, car rien n'est hors de l'existant à la mesure de l'existant, mais ce rien est un néant déterminé par un aveuglement de décision humaine .

Notre monde, l'existence, se définit par son ontologie faite d'objets distincts, dotés d'identité, et individués . C'est le monde des choses . C'est l'ontologie validée par l'idéologie -racine . Notre monde, le monde de l'existence, est un monde issu des possibilités de l'être ; mais ses caractéristiques ontologiques ne sont pas celles de l'être en général . Les mondes supra-individuels ne connaissent pas les individus et les identités . Individus et identités existants sont des analogues d'étant subsistant dans d'autres mondes, des images dans le miroir, images répercutées indéfiniment et multiplement ; mais l'existence n'est qu'un pays de l'être, même pour nous, voyez l'ontologie des entités mathématiques . Un nombre déjà est indépendant du temps et de l'espace pour son identité .

La reconnaissance de multiples mondes et le caractère dérivé, et même inférieur de l'existence, est la base de la thèse de l'analogie de l'être . Non pas étrangeté totale des modes d'êtres, mais analogie, tissage de correspondances énigmatiques, de signes pour qui a des yeux, des oreilles . Le miroir est la meilleure métaphore de la science de l'être . Une autre métaphore de la multiplicité hiérarchisée des mondes ayant leurs lois ontologiques propres est l'image du monde des sphères, que l'on peut schématiser entre le monde sublunaire, le monde de la naissance et de la mort, des choses éphémères ; et les mondes au delà de la lune, marqués par l'éternité et la rendant visible au monde sublunaire par la splendeur du soleil et du ciel étoilé . La splendeur des cieux raconte la gloire de Dieu et provoque la nostalgie essentielle, telle est l'ontologie antique, aussi bien romaine que chrétienne .

Le débat sur la personnalité, au sens advaitiste du terme, comme le visage essentiel d'un être humain, prend un éclairage singulier si l'on veut bien s'arrêter, y penser . Ce qui fait l'essence d'une existence humaine n'est pas du domaine de l'existence, des choses, de l'identité, du concevable (classable sous un concept) ou du saisissable par l'homme . Est concevable et saisissable par l'homme ce qui est hiérarchiquement sous lui, ce sur quoi il peut exercer une puissance . Or mon essence m'échappe absolument . C'est le principe directeur des stoïciens, qui échappe à mes vues, et est comme un éclat des mondes célestes . Elle est le point aveugle de ma pensée, qui ne saisit que des aspects ou des actes ; quant à croire que je peux y exercer seul une puissance, cela est illusoire .

Toute existence m'est ouverte à la mesure de ma puissance en ce monde, mais je ne peux être essentiellement autre par ma puissance . C'est la leçon d'Icare . Ma puissance d'existence même m'aveugle à mon impuissance ontologique, ainsi les hommes de puissance, guerriers comme technocrates, nient-ils aisément l'être, qui échappant à leur prises, est pour eux pure néant et pure folie . Mon essence appartient à l'être, elle est ce soleil noir toujours déjà présent et qui échappe à ma prise comme à toute prise, et qui permet le martyre .

Si je crois pouvoir écrire la formule de mon être et mettre la feuille dans un tiroir, pour la retrouver et me retrouver si je me suis perdu moi-même, alors je m'illusionne absolument . Aucune formule, aucune description ne peut exprimer mon essence . Elle est soleil noir parce que comme la nuit, elle est essentiellement indéterminée dans l'existant, et pourtant elle est . Semblable au loup, elle assimile et se transforme sans cesse dans l'existant . Elle est inconnaissable analogiquement au Suprême . Je ne suis celui que j'étais que parce que je n'existe pas en totalité . Alors que Moïse était, je suis . "Je suis" n'existait pas, mais était . Ainsi les jours s'en vont, et je demeure .

L'être dans le monde des choses apparaît comme puissance, manifestation ; possibilité, et énergie de passer le possible dans l'existant . Toujours cette puissance est à la fois totalement dominante et totalement invisible, et totalement indéniable . Rien n'est sans raison, mais cette raison est hors du concept et de la saisie . Avancer sur le chemin de la raison, même infime, est déjà rencontrer une puissance matérielle d'apocalypse, au risque de la destruction du monde et de son âme . Les personnes ont de l'être par leur puissance de réaliser . Telle est l'œuvre du penseur, la poiésis des mondes . C'est pourquoi le sage fondateur n'est pas un scientifique moderne : l'existant en acte n'est pas la mesure qu'il retient, mais bien le possible, qui est, incontestablement, et que l'existant manifeste . Le possible est une image de l'être . Loin de prendre l'existence en acte comme mesure de la vérité, l'"objectivité" des modernes, c'est sa vérité, vérité identique à l'être, qui condamne tout ce qui existe à l'obsolescence nécessaire de la race des hommes et des feuilles, êtres mortels, soumis à la génération et à la corruption . Mais cette condamnation ne peut être totale, puisque l'existant est image de l'être .

La distinction métaphysique de l'être et de l'existant, proche dans son articulation de la différence de l'être et de l'étant, permet d'éclairer des différences de sensibilité traditionnelles . Pour le Bouddhisme, tradition de l'Âge de fer, le repère est l'existant, et l'être est donc vide et vacuité . Mais cette vacuité est justement cette plénitude qu'il faut atteindre, au contraire du nihilisme pour lequel le vide est tout simplement néant, à nier et à oublier . Pour l'Advaïta, tradition des âges angéliques, l'être est la plénitude toujours déjà réalisée de l'Un ineffable, et l'existant est maya, illusion, vide et vacuité . Conceptions doubles et unes . Dans le christianisme, la multiplicité des mondes répond aux paroles "mon Royaume n'est pas de ce monde", et l'absence manifeste de l'être dans l'existant correspond à la parole "les premiers seront les derniers", l'essentiel disparaît dans l'existant .

La thèse scotiste de l'unicité de l'être paraissait indispensable à son auteur pour fonder la théologie comme science, et Scot avait raison de le penser si la théologie doit être la science d'un concevable et d'un saisissable . Mais l'homme ne peut saisir ni concevoir par sa puissance propre, par la lumière naturelle, l'Ange et Dieu, pas plus que sa propre essence qui le fuit . Il ne peut exercer sur eux de puissance . La théologie est une science de l'être, une voie négative et poétique, qui parle par analogie et donc métaphore ; le théologien est le poète par excellence . Il est aussi le logicien par excellence, parce que la poésie porte la nécessite de l'être, et seul l'âge moderne peut la croire arbitraire .

L'homme ne peut changer par lui même son essence, seule la grâce le peut, qui désigne l'intervention d'une puissance supérieure à lui . Celle ci est essentiellement même que son essence, mais autre que son identité existante, et sa volonté existante . C'est pourquoi mourir, et renaître son des métaphores adaptées et nécessaires . La nostalgie authentique est la nostalgie de l'être, et elle est insaisissable par la psychanalyse .

En posant la thèse de l'univocité de l'être, l'ens commune, qui par glissement devint la thèse de l'unicité de l'être -la distinction des deux thèses étant d'ailleurs délicate, car basée sur la distinction réelle à l'intérieur d'une dénomination désignant une essence commune- Scot ferme à la pensée humaine la multiplicité des mondes et le renvoie vers la terre . Comme le monde sublunaire devient le seul monde réel, il était conceptuellement inévitable qu'il soit posé comme infini, puisque la fin du monde sublunaire est le début des Autres mondes .

Aussi le titre de Koyré, du monde clos à l'univers infini, est-il à la fois vrai et erroné . La clôture vint de la thèse de l'univocité de l'être, qui ne pût comprendre le modèle d'univers antique, modèle symbolique des mondes hiérarchisés, le monde des sphères, que comme un monde de sphères existantes comme notre monde, et ainsi fit du monde des sphères une clôture matérielle . La symbolique spatiale de l'emboîtement hiérarchique des mondes fut comprise comme réellement et uniquement spatiale . Or les Autres mondes ne sont pas spatiaux, et sont toujours déjà présents là, et ailleurs, analogue aux nombres sur ce point, et au delà de cette image . Il est clair qu'une sphère unique subsistant à l'unicité de l'être, la nôtre, le monde devint effectivement indéfini, mais unidimensionnel ; la clôture fut alors partout et nulle part, partout présente et partout niée, indéchiffrable .

Bruno tire les conséquences logiques du système, la connaissance objective issue objectivement de ses fondements, de son axiomatique ontologique : le monde est Un, Infini ( exactement indéfini, c'est à dire s'étendant univoquement (là est la limite) dans un espace sans limites spatiales définies (là est l'infini des modernes, avec l'infini des nombres, oublieux que l'espace (et le nombre) est une détermination, que toute détermination est négation et limite)) et multiple, c'est à dire qu'il existe des êtres vivants dans des univers îles unidimensionnels, comme le montrent les grandes découvertes .

Ce monde est le monde de l'idéologie racine, né tel qu'en lui même, libération apparente des limites et enfermement réel de l'être humain, qui est appelé à ne plus vivre que de pain, esclave des mines d'or . Toutes les libérations désormais seront des enfermements et des occultations, tout progrès de l'esprit, flamboyant de splendeur, un oubli invisible, à partir de la Renaissance . Toute époque est une grande époque, et une époque est grande par ses lumières comme par ses ténèbres . Cette période d'ouverture apparente est une période majeure d'occultation des mondes . Le fil entre les hommes et les Cieux fut rompu ; et le regard de l'homme fut aspiré par la sphère de la lune . L'homme de Kant n'est que le produit de cette clôture essentielle du monde .

Détruire l'idéologie racine passe par la reconnaissance de la pluralité des mondes . Tel est le caractère subversif de la Gnose . Telle est la reconnaissance de Judas .

La nostalgie, teinture essentielle de la fraternité des peuples celtes.

(Carl Gustav Carus, Monument à la mémoire de Goethe, 1832, Kunsthalle Hambourg)

"There are states in witch all visionnary Men are accounted."

La fraternité authentique s'enracine dans l'habitation des mondes .

La nostalgie, la douleur liée au désir du retour, retour à l'origine, au commencement des mondes, et retour à la maison, aux embrassements des pères et des mères, à la danse rassurante des flammes, au pain et au sel, pour ceux qui jamais n'ont eu de sol et de maison, ceux que la guerre a isolé d'eux même, ceux qui ont perdu l'or de la langue maternelle . Nous, Bretons, et tant d'autres .

La nostalgie, douleur nocturne, douleur du ressouvenir comme ressac des eaux marines, est plus qu'un sentiment, c'est un être au monde de certains peuples, et ceux qui le partagent sont frères, ainsi les peuples celtes . Dans les styles musicaux antiques, les styles poétiques, figurait le style nostalgique .

« Où est la belle Hélois
Pour qui fut châtré puis moine
Pierre Abélard à St Denys... »

La nostalgie est aussi un concept central de la Gnose, un concept racine, comme l'Arbre antédiluvien de la connaissance du Bien et du Mal , du bonheur et du malheur . La nostalgie indique que la connaissance du Bien entraîne celle du Mal, que le bonheur vécu se perd de ce vécu même...la nostalgie dit à l'homme qu'il est étranger, habitant d'autres mondes et d'autres demeures, d'autres fraternités .

La nostalgie est d'être, non d'existence ; l'homme peut changer son existence et non son essence . Amer savoir, que l'on tire du voyage...la douleur essentielle de la nostalgie se perpétue en tous temps, en tous lieux, en tout amour...

La nostalgie, c'est ce musicien breton que je n'ai vu que quelques minutes, et m'a offert de clarinette et d'accordéon d'une femme un air de style nostalgique de mon peuple . Un air sublime, qui fait venir des larmes de mer et d'algues au fond de la gorge, comme le souvenir tendre d'anciennes noyades, parmi les eaux salées du Nord . Nous sommes restés silencieux quelque temps, et il m'a invité chez lui . Le partage de cette nostalgie, de ce monde intime, faisait qu'en période de guerre, j'aurais remis ma vie entre ses mains . A tort peut être, mais probablement pas : nous étions, au delà d'immenses différences, frères de sang, du sang spirituel de la nostalgie .

Une amie mienne intensément proche, à qui je confiais mon regret et ma douleur d'une époque interminable, violente et ténébreuse de ma vie -l'habitation d'un sépulcre de rêves, l'effondrement du monde intime, la guerre, la haine et la tristesse jusqu'à la mort comme compagnons de la nuit- époque revenue sur les ailes d'un air nostalgique, empreint des reflets de l'Autre Monde, typique de cette terre où un homme disparaissait dans les grincements de la nuit, me répondit : « C'est utile de ne pas oublier mais c'est douloureux, le prix à payer je crois. »

Sans réflexion philosophique ressort le fond de notre âme dans cette phrase . Le souvenir nous fait vivre, et la douleur et la mort sont des trésors de la vie humaine . Le bonheur a son prix de souffrance : c'est le sort de l'homme . Qui fuit la souffrance rencontre le désert blanc immaculé du monde moderne .

La nostalgie est cette souffrance délicieuse comme les guerres de l'amour, des instruments de musique, et des joutes du Verbe . L'amour est combat des âmes et des corps . L'homme combat Dieu comme Jacob l'Ange . La totalité de l'Archange comprend le Dragon et l'épée, le coup porté, le feu de la bouche et le sang écoulé .

Aussi sommes nous frères du Gitan d'Andalousie au chant déchirant la nuit, porteur du couteau ; frères des femmes Kabyles qui se racontent des apparitions angéliques, ou du marabout africain qui visitait ses frères exilés avec l'âcre arôme mystique de sa terre de soleil et de sang .

On nous a laissé notre corps, et on a tant essayé de voler nôtre âme . C'est le sort des esclaves qui nous a été promis . Aussi sommes nous frères des juifs, qui priaient « si je t'oublie, Jérusalem" , et de ceux portaient l'espoir de Sion, comme des palestiniens chassés de leur terre . Eux aussi sont frères, frères de la race des hommes, du sang de Caïn et d'Abel . Nous ne pouvons sortir de nos contradictions . D'eux tous je suis frère, de leur douleur et de leur folie, et pas des ingénieurs d'Europe, pas des boîtes, des cercueils qui se déplacent que sont les hommes dépourvus de mondes .

Marc, III.

"31Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font demander.
32 Beaucoup de gens étaient assis autour de lui ; et on lui dit : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui te cherchent. »
33 Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? »
34 Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères.
35 Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova