Une loi scélérate de plus, ou la légalisation de l'abjection .



(Simone Weil)

Ce texte manifeste le fondement de la notion de discrimination positive .
Les modernes se plaisent au spectacle de leur bonté ; ils veulent que leur narcissisme puéril soit MORAL . Ils se plaisent à l'image des enfants victimes, qui est en miroir l'image de leur bonté parentale pour des enfants de loin, sans odeurs, sans cris, sans caprices . Leurs propres enfants, ils ne les éduquent pas et les laissent à l'abandon dans des tas de bouffe et d'écrans, en font des êtres parfois à peine humains, obèses et stupides à un point que la terreur naît dans l'esprit qui les observe-mais cette réalité là, ils en détournent les yeux volontiers, quand les écrans s'allument d'enfants d'ailleurs .

Le narcissisme puéril des modernes s'appuie toujours sur l'invocation de la MORALE . Et de même que le lâchage de toute transmission aux enfants, si ce n'est la charge des retraites et des dettes accumulées - la solution juste de la baisse générale des retraites (surtout les plus élevées) pour résoudre le problème de la baisse des cotisations ayant été écartée-se couvre de la moraline la plus dégoulinante et d'images pitoyables de pauvres vieillards abandonnés par leurs enfants au bord des routes, la définition légale du sexe comme définissant une différence essentielle, acquise depuis la parité politique, se couvre d'un vacarme l'annonçant comme une grande avancée de la MORALE la plus élevée de l'histoire . Quant à la justice, elle permet l'illégal, et cela ne dérange personne, plus personne ne sait ce que c'est .

Je suis légalement, maintenant, un HOMME . Tu es légalement, là, une FEMME . Précisons un vocabulaire ontologique de base .

Un étant se définit par une essence et par des accidents, déterminés, locaux, temporaires . Si je pose qu'un HOMME est un étant pourvu d'un corps et d'une âme, alors le sexe est un accident : il donne une teinture à l'étant, sans altérer son essence . Un MÂLE et une FEMELLE humains partagent l'HUMANITE commune . Un HOMME à la peau noire, un juif, un homme assis, tout cela sont des accidents de son HUMANITE . Il est mon frère dans la perspective de l'humanité .

Bien sûr, certains accidents sont éphémères, comme être assis, et d'autres liés à un individu donné, comme le sexe, ou le fait d'être né chrétien ou juif, mais cela n'en reste pas moins des accidents . Certains sont plus déterminants que d'autres, par exemple il est clair qu'un membre féminin de l'oligarchie est plus déterminé par l'appartenance à l'oligarchie que par son sexe, de la même manière que lors de la Révolution russes, des femmes miliciennes fusillèrent des femmes de l'aristocratie, ou encore que des femmes gardèrent des femmes dans les camps nazis et participèrent à l'extermination . Que des accidents surdéterminent, et fassent obstacle à l'expression de l'essence, c'est la notion même de péché dans la pensée traditionnelle, notion très éloignée de la MORALE .

L'essence commune est ce qui permet la communication des personnes les plus éloignées dans l'espace et dans le temps . La culture verticale est l'unité transcendante de l'humanité, non unidimensionnelle, comme à l'inverse l'est la division des hommes dans les domaines de la guerre commerciale et politique de tous contre tous . La terre divise comme le mort se divise en os dans la tombe . Tous sont un fils d'Adam, né des racines de l'arbre dans le ciel .

La perspective selon laquelle l'humanité est l'essence commune à tous les êtres humains est le fondement juridique de toute déclaration des droits ou des devoirs de l'être humain . Elle signifie que le plus vil esclave ne peut être considéré comme une chose, car il porte en lui une empreinte de ma propre essence .

Toute autre ontologie porte la division dans ce qui ne doit pas être divisé, et est mauvaise dans toute les voies . Si l'accident devient une détermination de l'essence, l'humanité s'abolit . Si la race devient essentielle, tu est JUIF . Je suis ARYEN . Nous sommes ennemis, non frères, ennemis comme l'antilope et le lion . Si le sexe devient essentiel, alors l'homme et la femme sont des ennemis, comme Ève et le Serpent . Or toute discrimination "positive" qui pose une différence infranchissable dans la loi pose une différence essentielle . La différence essentielle est un crime contre l'humanité . Je pèse mes mots .

La discrimination n'est jamais "positive" OU "négative" . Elle est . Si je refuse un être humain parce qu'il est noir, ou pauvre, j'accepte les blancs et riches . Si je prend pour un poste une "femme" parce que c'est une femme, je refuse un "homme" parce que c'est un homme . Ce n'est pas parce qu'aucun homme n'est candidat qu'il n'y a pas de discrimination . Aucun pauvre inconnu un peu sensé ne cherche à monter les marches du festival de Cannes . Cela ne peut servir à conclure qu'aucune discrimination n'y est exercée contre les pauvres inconnus .

La discrimination positive est un oxymore, une impossibilité logique ; la MORALE voudrait rendre possible le nécessaire MORAL . Mais une morale qui rend nécessaire l'impossible n'est pas supérieure, elle n'est que tout à fait stupide, pour la plupart, et venimeuse pour ceux qui le manipulent sciemment . La contradiction que le réel apporte à la morale permet de renforcer indéfiniment la COERCITION violente censée FORCER le REEL à devenir MORAL . L'échec inévitable permet de culpabiliser les hommes, afin de renforcer encore la coercition . Ainsi TYRANNIE et MORALE avancent-elle ensemble, l'une dans la poche de l'autre dans le spectacle, et inversement dans le réel .

Les conséquences de la pensée moderne du "féminisme" sur le concept de la personne sont aussi particulièrement répugnantes .

Définir l'homme et la femme par leur sexe physique comme des espèces opposées est une opération anthropologique d'une sottise que le parcours des siècles devait permettre à l'humanité présente, qui se glorifie de ses lumières .

L'homme et la femme sont des polarités opposées qui se définissent par relation ; c'est l'homme qui fait la femme, et la femme qui fait l'homme . L'homme est puissance de lien à une femme, et la femme puissance de lien à un homme . La puissance n'a nul besoin de l'attestation de l'acte .

Dans la principe masculin se trouve l'image et la ressemblance de la femme, pour pouvoir la reconnaître et avoir la puissance de la rencontre ; et dans le principe féminin se trouve l'image et la ressemblance de l'homme . Par ailleurs, surgeons nés d'une souche commune, toute femme est un homme en puissance et tout homme un femme en puissance .

Une personne a en elle une part polarisée par le féminin et une part polarisée par le masculin ; et cette polarité peut être très variable . Une personne physiquement féminine peut être essentiellement masculine ; une personne physiquement masculine peut être essentiellement féminine . Quand ce phénomène participe à la construction de l'image de soi, la contradiction entre le sexe physique et le sexe vécu est possible . C'est une chose connue de tous .

Si, de manière loufoque et impossible même en principe, car les pôles forment une unité, je voulais quantifier, je dirais que dans un groupe, l'équilibre des principes doit se réaliser selon la part réciproque des principes en chacun . Si dans une direction tricéphale l'un est 40%féminin et 60%masculin, et l'autre 70% féminin et 30% masculin, combien doit être le dernier pour que le principe stupide des 40/60 soit assuré ? Et pourquoi pas d'ailleurs 39 et 61 ? Ou 41 et 59 ? Weininger a déjà posé ce genre d'équation que je laisse à Coluche .

En tant que pôles, féminité et masculinité sont des fonctions complémentaires . Ces fonctions sont habituellement exercées par des personnes dont le sexe physique est correspondant à la fonction ; mais dans les sociétés traditionnelles, il n'y a là aucune obligation légale généralisée . A la loi salique des rois de France qui réserve le trône aux enfants mâles, répond le règne des reines d'Angleterre . Si la plupart des généraux sont des hommes nobles, la geste de Jeanne d'Arc montre que la destination divine peut dépasser la réalité sociale et physique . Enfin, chez les Indiens des plaines, un jeune homme pouvait s'habiller en femme et vivre avec les femmes sans déshonneur . Des femmes furent capitaine de vaisseaux pirates . Toute loi n'est humaine que par ses exceptions . La grandeur de la justice est de savoir ne pas appliquer le droit mécaniquement . La grandeur de l'ermite est d'accueillir Tristan et Iseult, proscrits par le Roi, au nom de la Justice qui dépasse toute Loi .

La Justice est l'équilibre des fonctions . Dans une personne, les fonctions créent un équilibre particulier sur l'horizon de l'humanité commune . Un homme d'orientation homosexuelle n'a pas une essence différente des autres qui justifierait une communauté différente, par exemple . Refuser toute haine de l'homme ou de la femme d'orientation homosexuelle n'est pas leur reconnaître leur orientation comme une essence . Il ne peut pas exister sans blessure, sans dissolution de la Cité, de communautés basées sur des accidents . Des fraternités, des liens, des associations, mais pas des communautés séparées par la force de la loi .

Le seul ouvrage féministe valable que je connaisse, chaotique mais puissant, le King Kong théorie de Virginie Despentes, déclare justement que le seul féminisme défendable est celui qui permet aux hommes d'assumer leur part féminine, et aux femmes d'assumer leur part masculine . Qui ne promeut pas la libération de la femme, mais la libération de la femme et de l'homme de la tyrannie moderne du genre physique unidimensionnel . Car là est l'opération de la tyrannie, l'essentialisation des accidents . L'enfermement dans l'infime présenté comme un libération .

Platon ne se résume pas à son orientation homosexuelle . Tel autre ne se résume pas à son hétérosexualité . Simone Weil interroge et implique le siècle, homme et femme confondus . Elle ne se résume pas à son anorexie, à son judaïsme, à sa féminité . Les accidents enjoignent par l'infime, l'humanité conjoint par la grandeur . Quels que soient leurs masque de MORALE, la séparation par la Loi univoque des personnes selon le sexe est une infamie .

L'homme noble, féminin ou masculin, n'est pas accidentel . Amadou Hampâté Ba, noir musulman polygame, Simone Weil, femme juive sans vie sexuelle connue, et Yakamoto Tsunetomo, samouraï nippon probablement d'orientation homosexuelle me sont plus proches que la plupart des hommes blancs hétérosexuels monogames agnostiques et bien pensants de ce siècle . Aucun de ces critères n'a la moindre essentialité, bien au contraire, ils sont néants et puissance de néant . Car ces hommes nobles furent des personnes tournées vers l'Ange à la fenêtre d'Orient, non vers la terre et ses puissances de division indéfinie . De l'air, de l'air ! Pendant les croisades, les guerriers nobles, les sages, surent se reconnaître . Dans le Temple, les templiers laissèrent vivre une mosquée dans une chapelle latérale . Le Graal iranien parvint d'Iran jusqu'à Wolfram von Eschenbach, et de là à Wagner .

La guerre n'oppose pas des accidents . La guerre concerne la survie de l'essence de l'homme . Écrasons l'infâme, frères humains !

Viva la muerte !




(Amadou Hampâté Ba)

Fragments d'un traité de guerre idéologique lus dans un chewing gum . Principe de priorité de la lutte contre l'idéologie-racine.

Le Système qui ne pense de différence qu'a l'intérieur de lui-même se pense dans les termes d'une idéologie générale, l'idéologie racine, dont l'analyse complète reste à faire . Elle est essentielle, car l'analyse idéologique n'est autre que la destruction phénoménologique, la reconquête de la liberté de penser et d'agir dans un monde non déterminé par les positions du passé . Dans un horizon ontologique donné, il est possible de choisir ; des choix ont été faits, et ils sont oubliés comme choix, et vécus comme nature . Dans le monde, la nature même, de Jean Scot Erigène, les Anges existent plus intensément que moi ou qu'une pierre ; cela n'est plus le cas . Notre ontologie n'admet pas les même étants . Peut importe la raison ou le tort, ce qui importe est de revenir au lieu de la décision . Alors je reconquiers la puissance de légiférer sur l'être .

Notre ontologie qui est la matrice combinatoire générale des matrices idéologiques spécifiques, comme les libéralismes, le marxisme officiel, le nazisme, etc...doit être démontée pièce à pièce . Ses conséquences sont profondes et complexes, indéfinies, indiscutables . L'ontologie est une fondation de monde, science et art .

L'idéologie racine, le monde "réel" du Système, l'homme hypersocialisé produit par le Système sont uns en un sens originaire . Cette idéologie possède des caractéristiques très reconnaissables avec un peu d'entraînement :

Ontologiquement elle pose comme première et principale le mode d'existence de la chose matérielle, et mesure toute être en fonction de la chose ; la chose est le plus intensément, et plus on s'éloigne de ses caractéristiques d'objet sensible localisé dans le temps et dans l'espace, moins on est, d'une exténuation allant jusqu'à la négation pure et simple . Ainsi le signe, le spectacle, le mythe, sont secondairement, d'un être fantomatique ; le nombre est encore moins, à peine une représentation (mais quel est l'être représenté parle nombre?) ; n'est pas du tout, l'Ange . "Objectif" est mélioratif ; "subjectif" péjoratif .

Par exemple, pour citer des analogons thématiques de cette structure, la substance matérielle de l'homme , ou race, peut devenir l'expression la plus sûre, la plus "objective" d'une personne, en tant que la plus matérielle ; la substance matérielle de la société, ou structures de production, l'expression la plus déterminante, la plus "objective" d'une société ; ou l'expérience matérielle le critérium certain, la "preuve objective" de la "théorie scientifique". Ou encore, le substratum matériel, le cerveau, le point de fascination pour la compréhension de la pensée, à travers la psychophysiologie . Dans ces dispositions sémantiques apparaissent comme épiphénomènes respectivement la civilisation d'appartenance, l'idéologie racine, la théorie, ou l'âme .

Elle pose également les étants comme des atomes dotés d'identité fermée sur elle même et auto-suffisante, isolables par soi dont les liens sont des accidents, des contingences, et de ce fait ne peut développer une pensée sophistiquée des liens ; elle pense toute pluralité comme un tas . Elle ne peut penser l'ordre et harmonie comme étant de manière consistante, et les renvoie à l'illusion . Elle est naturellement nominaliste, les noms renvoyant seuls à une substance, verbes, compléments et adjectifs renvoyant à des accidents de la substance n'emportant pas décision dans la définition, dans l'essence . Car l'idéologie racine assimile l'essence à la définition .

Politiquement cette ontologie analoguée thématiquement abouti à une défense de l'individualisme et de toute les théories du contrat, les individus étant réellement, les communautés politiques étant des tas . Au fond à ses yeux la société n'existe pas .

Pour que les communautés soient réellement des tas, il est nécessaire que les individus qui les composent soient interchangeables, et ne soient engagés que dans des liens accidentels, donc révocables arbitrairement à tout moment ; en conséquence des communautés sans mémoire ni passé . "La lutte contre les discrimination" est le processus d'annihilation des différences conséquentes au profit d'un "droit à la différence" qui se réduit à un "droit aux différences" sans AUCUNE CONSÉQUENCE . Par là se parachève la dissolution de la communauté .

L'individu sans liens est pour le Système l'individu "libéré" ; ainsi le Système pense la liberté comme individuelle, et comme arbitraire, selon le principe du libre goût, du "j'aime" et "j'aime pas" souverain . Mais cette absence de liens est ce qui le rend totalement dépendant du Système pour maintenir le spectacle de sa souveraineté vide et sans conséquences.

Le droit est pensé comme devant être absolument homogène pour tout individu, pour tout lieu, et en tout temps . Cette conception est liée à l'incapacité à penser des différences fonctionnelles sur un horizon d'égalité de dignité, et donc à penser une communauté organique . Pour garantir cette uniformisation forcée, le Système doit s'engager dans une énorme bureaucratisation, et une inflation légale, car la réalité résiste à cette hybris de l'égalisation . Toute résistance locale au processus provoque la mise en place de nouveaux dispositifs d'égalisation, qui peuvent être absolument paradoxaux, comme "la discrimination positive" .

La dévalorisation par principe du passé en tant que passé, liée à la nécessaire négation des liens, est le progressisme, ou déroulement historique caractéristique de l'idéologie racine . Le culte de la jeunesse en est un analogon humain individuel .

Axiologiquement elle pose dans la puissance matérielle la plus haute valeur, avec la même règle d'exténuation de la valeur . Elle se représente le bonheur comme une accumulation indéfinie de biens, ou encore comme espace vital . La supériorité spirituelle est proprement impensable dans le Système, elle y apparaît comme forfanterie .

L'idéologie racine est ainsi nommée car son ontologie est la matrice combinatoire de toutes les description idéologiques locales, ainsi la théorie politique du contrat est l'analogon local de l'ontologie de la chose, les individus étant des choses, unes fermées sur elles même ; ainsi le matérialisme atomique et le mécanisme sont-ils des analogons locaux de cette ontologie pour construire une image de "l'infiniment petit". Si le mot "local" en contexte est ambigu, je parle dans le même sens de "thématique" .

Elle est aussi nommée ainsi parce que de fortes oppositions locales résultent en général d'inflexions divergentes dans la logique générale de idéologie racine mais dont la structure est sensiblement maintenue . Par exemple, le nazisme est une inflexion matérialiste-biologique, le communisme une inflexion centrée sur l'uniformisation bureaucratique, le libéralisme une inflexion privilégiant la rupture maximale des liens . Mais ces idéologies partielles se fondent sur la même idéologie racine, et conservent une finalité immanente, entéléchie, commune . Ainsi les hippies roulèrent-ils dans le véhicule qu'Hitler avait pensé et préparé .

C'est dans le cadre de l'idéologie racine que la structure matérielle précède, cause et détermine la structure idéologique de la société ; que la pensée est systématiquement disqualifiée comme perspective et opinion arbitraire, que le sexe faussement pensé comme brut, non intermédié-la pornographie - a plus de réalité que, est la vérité de l'érotique, que l'exploitation brute est la vérité du lien féodal et du salariat, selon le Manifeste de Marx, que la vacuité nihiliste est la vérité du sens, de la métaphysique et de la religion, que la propagande la plus abrutissante est la vérité de la rhétorique . Le sens général de cette direction de l'idéologie racine est la dé-symbolisation, la négation des médiations symboliques qui construisent l'être humain comme une œuvre d'art raffinée dans ce creuset qu'est une grande civilisation . Or la pornographie, l'exploitation, le nihilisme ne sont pas des transparences mais des constructions sémantiques-symboliques de la transparence, une illusion culturelle de transparence .

La pensée est intermédié par essence, même la pensée qui nie la médiation . Cette pensée paradoxale est mensonge, et l'idéologie racine est aussi la diffusion du mensonge et de l'hypocrisie à l'échelle d'une civilisation . Ce qui est appelé politiquement correct, ce langage mensonger qui doit être connu comme tel par celui qui l'utilise, en est une illustration dont la gravité doit être pensée : on demande aux hommes de mentir pour le bien, de sacrifier la sincérité et la spontanéité au nom de la morale .

L'idéologie racine a une structure paradoxale, ce qui avant d'être une faiblesse est une grande force qui lui permet de répondre à tout et d'avoir toujours raison .

La lutte contre la propagande doit croire en la vérité . La propagande liée à l'idéologie racine est une automatisation des comportements humains, une submersion de leur défense par la masse simultanée de l'information qui assaille les sens . Son modèle est le spectacle, le grand spectacle totalitaire, la répétition rythmique de la musique amplifiée, le cinéma . Cette submersion, cette domination fait du cinéma un art du féminin, qui réduit à une impuissance jouissive le spectateur . Une star du rock en scène possède les spectateurs, multiplie les figures de la domination . La musique la plus violente, la plus masculine, joue en réalité sur une ambivalence féminine, comme le rend sensible Marylin Manson . Ceci connu n'entraîne pas condamnation . La télévision est une nuance indiscrète de cette domination .

Le principe de l'idéologie racine peut être formulé ainsi : le cœur de l'œuvre de combat rapproché est le démontage systématique de l'idéologie-racine . Le démontage est la manifestation de l'arbitraire idéologique de la nature construite par l'idéologie racine . Cette idéologie est aveuglement, et négation du spirituel . Ainsi aucune force matérielle n'est nécessitée . L'humour le réalise aussi bien que la métaphysique technique, l'érotique comme le mystique . La foi en la supériorité du spirituel doit être conséquente . La force paradoxale de la rareté est une vérité ; l'infime en ce siècle est inversement grand en puissance . Enfin, il faut être conséquent avec la logique inflationniste du Système, et ne pas y participer .

L'idéologie racine est partie fonctionnelle du Système, et partie nécessaire à son fonctionnement . Si cette idéologie s'effondre, dévorée par les termites du souterrain, le Système ne pourra pas continuer dans son essence . Les modèles antérieurs sont l'Europe des Lumières, ou la christianisation de l'Empire romain .

La seule identification indispensable de l'ennemi n'est pas une personne, mais l'idéologie racine dans son caractère systémique, total, qui exige une guerre totale . Ecrasons l'infâme !

Et viva la muerte !

Yi King 60 . La limite . Le monde comme prison .






Hexagramme 60. Tsie , le lien, la limite . Le précepte de droit . Le monde moderne apparaît comme un prison . Le Yi-King apporte des élements de réponse sur cette apparence qui révèle une forme de réalité . Extraits de la version téléchargeable sur le site de l'AFPC . Merci à Pierre Palpant .


1045. Tsie ; liberté, les préceptes cruels ne peuvent pas conduire à la perfection.


1051. Premier trait nonaire : ne pas sortir de la cour de la porte intérieure ; pas de culpabilité.

1053. Deuxième trait nonaire : ne pas sortir de la cour de la porte extérieure ; présage malheureux.

1055. Troisième trait hexaire : comme sans principes ; comme devant se lamenter ; pas de culpabilité.

1057. Quatrième trait hexaire : jouir en paix des préceptes, liberté.

1059. Cinquième trait nonaire : préceptes agréables ; présage heureux ; en entreprenant il y aura des félicitations.

1061. Trait supérieur hexaire : préceptes cruels ; présage malheureux de la perfection ; dissipation des regrets.

TSHENG TSE. — Tsie. « L’Ordre des koua » dit : « Hoan, séparation ; les êtres ne peuvent pas résulter d’une séparation indéfinie, aussi le koua hoan est suivi du koua tsie. » Quand les êtres sont séparés et dispersés, il convient de les contenir et de les arrêter et c’est là ce qui fait que le koua tsie suit immédiatement le koua hoan. Comme koua, il est constitué par le marais sur lequel s’étend l’eau. La capacité du marais est limitée ; si l’on y verse de l’eau, lorsqu’il sera plein, il débordera, ce qui constitue l’image symbolique de limitation et ce qui fait que le koua est appelé tsie 1.

1045. Tsie ; liberté, les préceptes cruels ne peuvent pas conduire à la perfection.

TSHENG TSE. — Du moment où les choses sont réglées par des préceptes, elles peuvent parvenir à se développer librement et c’est pour cela que le koua tsie comporte le sens de liberté. La noblesse des principes réside dans leur conformité à la justice, et si cette justice est dépassée, ils deviennent cruels et abusifs. Lorsque les préceptes arrivent à être cruels, comment pourraient‑ils constituer des règles permanentes ? Ils ne peuvent pas être obser­vés et maintenus avec fermeté pour devenir permanents, de sorte qu’ils ne peuvent atteindre à la perfection.
TSHOU HI. — Tsie ; avoir des limites et être arrêté. Ce koua est composé du koua simple touei au‑dessous et du koua simple khan en dessus. Il y a de l’eau au‑dessus du marais ; sa contenance est limitée, de sorte qu’il constitue une limitation ou réglementa­tion. Les principes comportent certainement une voie de liberté. De plus, dans la sub­stance de ce koua, les traits positifs et négatifs sont en nombre égal et, d’ailleurs, le cin­quième et le second traits sont tous les deux positifs, de sorte que le sens divinatoire com­porte la liberté de développement. Toutefois poussés à l’excès, les préceptes de toute réglementation deviennent gênants et cruels, de sorte que la formule avertit encore qu’il ne faut pas les observer comme s’ils constituaient la perfection.


1046. Le commentaire de la formule déterminative dit : Tsie, liberté ; participation de la dureté énergique et de la douceur malléable, la dureté énergique possédant la justice.

TSHENG TSE. — La voie rationnelle du koua tsie comporte essentiellement le sens de liberté d’expansion et de pénétration ; lorsque les choses sont réglées par des principes fixes (tsie) elles peuvent se développer librement. De plus, dans les aptitudes du koua, la dureté énergique et la douceur malléable se partagent les positions ; la dureté énergique possède la justice et n’est pas excessive et c’est encore la raison pour laquelle le koua est considéré comme exprimant la réglementation et pour laquelle il est susceptible de liberté.
TSHOU HI. — Explication de la formule du koua au moyen de la substance même de ce koua.


1047. Les préceptes cruels ne peuvent pas conduire à la perfection ; la voie rationnelle est limitée.

TSHENG TSE. — Les préceptes poussés à l’extrême limite et devenant cruels et pénibles à supporter, il devient impossible de les maintenir avec une fermeté persistante et de les observer d’une façon permanente ; la voie rationnelle est alors parvenue à son extrême limite.
TSHOU HI. — Il en est encore parlé au point de vue de la raison d’être du fait.


1048. Se plaire à s’exposer au danger ; mériter sa situation d’après les préceptes ; justice et droiture par la liberté.

TSHENG TSE. — En en parlant d’après les aptitudes indiquées par les koua simples, au-dedans satisfaction, au‑dehors danger : se plaire à marcher dans le danger. Dans ce qui lui plaît, l’homme ne sait pas se borner ; s’il rencontre inopinément le danger, il pense seulement à s’arrêter. Or, s’arrêter au moment où il est satisfait constitue le sens du précepte et l’idée de principe qui limite et retient ; il mérite sa situation à cause des préceptes. Le cinquième trait occupe le rang prééminent et mérite sa situation ; il est au-dessus du marais, il a des principes ; il mérite sa situation et c’est par ses principes, c’est lui de qui dépendent les préceptes et les principes. En se plaçant, il se conforme à la justice et à la droiture, c’est avoir des principes et pouvoir les communiquer librement. La justice et la droiture constituent la liberté, l’excès les rendrait odieux et cruels.
TSHOU HI. — Il en est encore question au point de vue de la substance et des vertus des koua simples ; K mériter la situation, justice et droiture », se rapporte au cinquième trait. De plus le koua simple khan est considéré comme indiquant la libre transmission.


1049. Le ciel et la terre marquent les règles (tsie) et les quatre saisons s’achèvent ; les préceptes (tsie) servent à déterminer et à régler ; ils ne détruisent pas la richesse, ils ne nuisent pas au peuple.

TSHENG TSE. — Il est question de déduire la voie rationnelle des préceptes et de toute réglementation. Le ciel et la terre sont soumis à des règles (tsie), aussi, ils peuvent engen­drer les quatre saisons ; sans ces règles, ou préceptes (tsie), l’ordre de ces saisons serait troublé et interverti. L’homme saint institue des règles et des principes qui constituent des préceptes et il peut le faire sans nuire à la richesse publique et sans nuire au peuple. Sans les préceptes qui les réglementent, les passions de l’homme n’auraient pas dé limi­te ; elles le conduiraient aux déportements de la licence effrénée et jusqu’à la destruction de sa richesse, au détriment du peuple.
TSHOU HI. — Dernière analyse de la voie rationnelle de la réglementation par les préceptes.


1050. Le commentaire traditionnel de la formule symbolique dit : Au‑dessus du marais il y a de l’eau ; retour par des préceptes (tsie). L’homme doué emploie les règlements et les prescriptions sur les mesures et sur les nombres ; il délibère sur la vertu et l’action.

TSHENG TSE. — L’aptitude du marais à contenir de l’eau, ou sa capacité, a des limites ; s’il y en a trop il sera rempli et débordera. C’est là un exemple de limitation (tsie), aussi le koua est considéré comme exprimant la réglementation restrictive. L’homme doué considère l’image symbolique présentée par le koua tsie : et il l’applique à l’institution et à l’établissement de règles sur les nombres. Toute chose, importante ou futile, légère ou grave, élevée ou minime, virtuelle ou réelle, correspond toujours à un nombre et à une mesure déterminée, et qui est considéré comme un principe (tsie). Le nombre exprime la multiplicité plus ou moins grande ; la mesure exprime la règle instituée qui limite et défi­nit. Délibérer sur la vertu et les actions c’est‑à‑dire maintenir intactes les vertus intérieures et innées, tandis que leur manifestation extérieure constitue leur action. Les vertus et les actions de l’homme doivent être pondérées, après délibération, et alors elles sont conformes aux préceptes. Délibérer veut dire discuter et apprécier, afin de chercher à atteindre au degré (tsie) juste et convenable.


Commentaire :

La première erreur concernant le droit ou la morale pointée par le Yi-King est de confondre le droit positif, ou son application avec la perfection du Droit .
Le droit positif, le droit écrit concret des hommes, est en soi à distance de la perfection, dévoré de vide et d'abîme comme un corps mort. L'essence du droit est la puissance de légiférer, le règne.


L'homme moderne se reconnaît dans le spectacle comme il se reconnaît dans le miroir, comme vide . Il est par le regard . L'artiste veut être regardé, mais ne peut le désirer car il se méprise lui même comme objet d'attention . Aussi veut-il diriger le regard vers son œuvre pour dire « c'est moi » . Et il veut poser ses jugements de valeur comme des « valeurs », légiférer à travers son oeuvre, qui pose une beauté, une esthétique .


De même qu'il dit « je suis aussi cela »l'artiste traditionnel s'identifie au plus haut, à la puissance, et aime au delà de l'acte ; là où le moderne regarde son œuvre et dit « je suis ». L'homme moderne vérifie son existence en créant, et n'est que par l'acte . L'homme ancien exalte son au-delà, sa puissance . Ainsi le droit traditionnel est-il inhumain à bon droit .


Faute d'être, l'homme moderne se divertit du vide en aimant le vide . Savoir qu'un spectacle est vide ne l'arrache pas à son divertissement . Croire de même, de manière strictement analogue, que le spectacle est le plein, l'Être, est croire que le Droit est le droit positif . Plus exactement , selon la réduction typique, que le Droit n'est QUE le droit positif .

La deuxième erreur est celle du marais de la moraline . L'eau stagnante est celle qu'enserre des limites de préceptes gênants et cruels . Ces limites ne peuvent conduire à la perfection . L'eau stagnante est toujours putride ; la pensée fermée est celle d'une charogne .
Le caractère apparemment exigeant des principes, leur cruauté, leur caractère d'expression du sadisme et de la soif de domination ne sont pas une garantie de perfection .


La troisième erreur est celle du lien de la limite au danger . Par le principe de précaution, l'homme moderne veut poser la limite avant le danger . Or la limite qui conduit à la perfection est celle qui est librement posée par l'arrêt face au danger concret .


Sans affronter le Dragon intérieur et extérieur, l'homme est réduit à un pantin, un Don Quichotte qui ne combat que des moulins, et reste immature, ou sombre dans la folie de la dissociation entre un réel vide, et des romans de chevalerie, c'est à dire des mondes virtuels complètement vides d'être, comme Avatar, où il va chercher ce qu'il ne peut trouver en réalité. Le vide impitoyable tisse le monde moderne .


Le danger est la voie de l'apprentissage des limites qui conduit à la perfection . C'est pourquoi le Dragon est emblème de perfection .
Le danger et l'affrontement de la mort sont un droit plus grand que des libertés octroyées présentées comme des droits, ainsi la « liberté » moderne .

Viva la muerte!

Le couple : et merci Augustine!


(Tokyo, 1947 . Du tatouage comme rapport sexuel hors de la forme du couple)


Écrire sur le couple sans être édifiant ni amer peut paraître difficile, non en soi, mais parce que celui qui ne peut craindre aucune lecture de ses pensés n'est pas en couple, et que celui qui est en couple peut difficilement diffuser une sincérité totale . Commencer ainsi est déjà faire un pas de côté pour la plupart des hommes, ceux qui achètent des cartes postales roses en forme de coeur pour les X ans de mariage de...car je pose implicitement que dans le cadre du couple, une sincérité totale n'est pas souhaitable . "Le couple", en vérité, couvre plusieurs espèces . Il n'importe, je dois suivre ma destinée .

Le couple doit être pensé d'abord non comme vie subjective, comme espace de vie subjective, mais comme fonction objective de l'ordre social . C'est à dire que la signification et la vie même du couple comme habitus dépend du cycle historique parcouru par la société . Le couple de César et Cléopâtre, le couple de Tristan et d'Iseult, mon couple, ton couple, ami, ne peuvent être appelés "le couple" que par analogie, si ce n'est par homonymie . Le couple moderne porte en lui le reflet du Système de vie moderne . Là encore, n'importe quel lecteur qui m'a lu ne serait-ce qu'une fois trouvera ce dévoilement éventé ; mais l'œuvre de dévoilement de la vie humaine comme système de dispositifs de domination n'en est pourtant qu'a ses débuts .

Car une forme de vie humaine, que ce soit un être humain pourvu d'une réelle pensée personnelle de sa vie, ou encore justement un couple, peut aussi être une position négative par rapport à une domination cyclique . Cela signifie qu'il est un port, un havre d'un monde dur et égoïste, voire monstrueux . Il sera d'autant plus négatif du monde qu'il en aura une connaissance approfondie . Tel le conjoint non juif d'un juif resté fidèle et loyal sous le IIIème Reich, telle la femme loyale à un exilé dans notre pays, tels les couples romanesques du Dr Jivago ou du Maître et Marguerite . En passant, sur l'étranger, ami . Si une femme de valeur de mon peuple se porte garante d'un homme, alors cet homme fait partie de mon peuple . Si ma fille un jour choisit cette voie, cet homme sera de mon sang . Le sang est Esprit . Le refus de la dissolution des peuples n'est pas l'administration de l'exclusion arbitraire : il n'y a aucune contradiction . Être accueillant n'est possible que si les bases de mon monde ne sont pas menacées, et si l'accueil n'est pas une expropriation . On peut être exproprié de soi sans changer de population, comme ce fut le cas de la Bretagne . L'étranger qui dans mon pays commet des crimes doit être chassé sans aucune pitié ; il n'y a pas là double peine . Mais celui qui commet des crimes ne doit pas être identifié à celui qui sert le bien public . L'ancien droit des peuples reconnaissait à la femme cette puissance de donner le droit du sang, et je ne vois aucune raison de le rejeter aujourd'hui . On doit, pour résister, penser avec les tripes . J'ai connu des hommes nobles, amants spirituels de mon pays, nés très loin de moi, au delà de la route de la baleine . Aucun code barre préfectoral n'attestera jamais leur noblesse . Voilà l'effet du couple, de l'amour qui crée des liens entre étrangers et entre ennemis, qui abolit l'étranger et l'ennemi et les passe en frères et en amis .

Pour penser sereinement le couple, comme pour penser toute situation humaine, faite de chair et de sang, de cruauté et de grandeur, de bêtise et de raffinement, il est indispensable de distinguer les personnes des causes jugées . Objectivement, pour prendre un exemple, la volonté de restaurer par la force des chars et des bulldozer Caterpillar-le char d'assaut dans sa version tournée vers l'Inanimé-la Terre Promise, par la simple volonté humaine, est en soi un paradoxe qui mène des hommes pleins d'espoirs balayés par le vent des déserts, à commettre des actes d'une noirceur ténébreuse, à prendre la place des assassins qui terrifient leurs cauchemars, est en un mot un piège . Les fils de déportés qui se retrouvent à trier des familles, à retrouver des enfants tués par une armée dont il font partie . Une horreur insoutenable . Mais pourtant les espoirs qui soulèvent leurs poitrines sont ceux de tout homme qui veut vivre dans le monde, avoir des enfants et les protéger de la mort, quand on a vu l'atroce mort des parents . Ainsi les soldats qui autrefois dans l'Est entendaient les hurlements des hommes transférés, des hommes impitoyables qui ne voyaient rien et vomissaient, des chefs qu'il fallait opérer d'horribles ulcères . Tout cela est vrai, et ne peut être éclairci, le bien d'un côté, la mal de l'autre : ils sont étroitement entrelacés, dans une danse amoureuse, et l'un passe en l'autre sans cesse . Il n'y a pas, pour toi, homme noble, à prendre parti, à répondre à cet appel asservissant à donner un avis, à participer à des débats . Tous y ont raison dans leur perspective, et donc tous y ont tort . Le plus urgent à apprendre pour l'homme moderne est à faire silence de ses perspectives étroites, non à s'en assourdir . Bien plus grand est de discerner ce qui est la question véritable de ce cycle . La question qui implique en un point toute l'explication déroulée qui est le monde, étendu comme du sable . Une de ces questions est l'amour .

Le couple est une question humaine, et met en jeu la totalité de l'humain . L'humain met en jeu la puissance même . Il met en jeu l'affrontement, le drame dans le Ciel . Le couple d'un tueur peut être le havre qui lui permet de tuer, tuer et encore tuer . Il peut aussi être le lieu où l'atroce anormalité du monde des adultes, après les conseils des parents, quand elle ne peut être intégrée par l'idéologie, est déniée, mise de côté . Ainsi pendant la guerre civile, le Dr Jivago et sa maîtresse pansent les blessés, les veillent, puise se retirent au fond d'une petite ville, dans la chaleur d'une bibliothèque encore ouverte, un lieu calme et silencieux envahi de mondes anciens, se retirent dans une terre isolée, dans un petit appartement, toujours plus retirés . Quand le déni explose, quand les apparences de tranquillité s'effondrent, le monde vécu prend fin : la femme du chef nazi, vaincue par la curiosité et l'inquiétude, est allé voir le camp, a vu les petits enfants menés à la mort et se pend ; l'adversaire démasqué dans son monde de spectacle, spectacle de prospérité et de respectabilité sociale tue sa famille, brûle sa maison .

Cette illusion de l'authenticité que vit le couple est démasquée à mes yeux par ces cas extrêmes . Non que ce qui est occulté soit aussi envahissant qu'un brouillard de ténèbres quand le barrage brutalement lâche ; mais le couple est un spectacle, un lieu de monstrance et d'occultation . Et pas seulement pour les visiteurs, avec lesquels on n'aborde pas certain choses intimes, avec lesquels on sourit juste après une dispute terrible et qui n'est pas oubliée, qui reprend dès leur départ . Le couple est un spectacle d'abord pour les vivants, spectacle rassurant ou terrifiant pour les enfants, et pour les adultes, spectacle de leur être, de leur existence, de reconnaissance mutuelle, spectacle de leur séduction, spectacle de l'amour ou spectacle de la haine . En tant que dispositif d'ordre, le couple est un contenant ; le Spectacle n'est rien d'autre que la re-définition permanente de rôles définis . Le Spectacle ne peut rien inventer au-delà de la puissance des rôles, à la fois indéfiniment et unidimensionnellement, comme l'évolution d'une courbe dans un plan . Le couple joue alors le rôle fonctionnel de dispositif de domination .

Les défenseurs de la créativité sociale moderne auront toujours une indéfinité d'exemples, tous unidimensionnels de cette créativité de chewing gum ; et ceux qui veulent en montrer les bornes auront toujours une indéfinité d'exemples de ce qui ne peut être fait, et qui pourtant est indispensable à la vie humaine . L'enjeu véritable est dans la connaissance de ce qui est essentiel là la vie humaine, non pour se perpétuer biologiquement à la manière d'une matière vivante, mais pour être humain . Une vie humaine peut être inhumaine ; un couple humain peut être inhumain . Vivre n'est pas assez . Avoir le coeur qui bat, comme Tarik, peut être le fait d'un mort . Un homme peut respirer, parler, marcher, travailler, et être tout à fait mort . Sur plusieurs plans . Il peut être mort au monde, avoir connu l'extinction ; il peut être mort à lui même, et désirer tous les jours se tuer dans le secret de ses pensées ; il peut être devenu tellement fonctionnel, tellement simple, qu'il n'est plus qu'une machine sans vie . Il peut être allé si loin dans la voie des ténèbres qu'il ne peut revenir, qu'il porte la marque physique de la condamnation . Le président Reagan ne se reconnaissait plus lui même, était moins qu'un enfant, comme le Roi Méhaigné de la geste d'Arthur . Il était l'image morte de la puissance vide qui l'avait porté, qui avait fait de lui le spectacle de la puissance . Un corps vivant d'homme peut aussi être le masque souriant d'une avidité démoniaque de sang et de mort, comme fut Ted Bundy, comme le jeune Bateman qui erre dans les dédales d'American Psycho de Breat Eaton Ellis . Le tueur en série fascine le monde moderne par son spectacle de normalité . Là encore, la fascination et l'horreur qu'inspire l'extrême dans le monde moderne sont liés à sa puissance de dévoilement ; car la fascination pour l'horreur révèle le serpent lové au fond de soi . En vérité, ce qui m'est étranger m'indiffère par essence . Le monstre humain dévoile une puissance en mon intime le plus profond . Et mes propres forces ne peuvent terrasser le Dragon .

Le rôle est un contenant, un système de règles dont la conscience morale est évanouie . Notre société est société du Spectacle, vue comme chatoiement ; et une société tyrannique, analysée comme matrice de possibles . Et le couple, en tant que spectacle, cache des aspects de la personnalité qui ne demandent parfois qu'a rejaillir . Mais cacher n'est pas intégrer, c'est mettre de côté pour préserver les fonctions correctes de la personne, c'est à dire de maintenir la personne fonctionnelle à la société humaine, en soi bonne, mais négative dans la perspective de l'ascèse illuminative .

Dans cette dernière perspective l'accomplissement d'un homme est de devenir ce qu'il est en puissance, dépassement de l'homme, et donc de la société humaine concrète du présent cycle . Pour cela il doit abandonner ce qui ne lui est rien, et aller vers son Orient, dans une œuvre de déterminations et d'indétermination entrelacées, une œuvre d'amplitude et d'exaltation . Ce qui est détermination, et indétermination, élévation et abaissement, est nommé d'ailleurs d'après une perspective, et l'une passe en l'autre par le passage de perspectives . L'Orient de l'homme est en puissance dans la totalité de son être, comme la statue dans la pierre ; et si des aspects essentiels de son être sont occultés par le rôle, comme son aspect féminin par son rôle masculin, ou réciproquement, et sa puissance de soumission par son rôle de dominant, comme cela est fréquemment manifesté dans des perversions, alors il ne peut commencer aucune œuvre .
Connais toi-toi-même, disait l'antique sagesse . Le service de l'Orient, que Marc-Aurèle appelle, en traduction, le principe directeur, est l'enquête en direction du plus profond . C'est à ce principe directeur que doivent aller nos soins . Or, le fait d'être contenu par un rôle ne peut diriger vers l'accomplissement .

L'accomplissement passe par la reconnaissance intime de ce fait : en voyant St Michel terrasser le Dragon, je ne suis pas St Michel, je ne suis pas le Dragon . Je suis leur combat et leur déchirement . Je ne suis pas étranger au pire bourreau, qui me permet de me valoriser et de porter haut MA moralité ; le pire bourreau est mon frère . Je ne suis pas étranger à la victime, à ce garçon terrorisé du Ghetto, qui pourrait me faire apprécier MA supériorité et MON courage, comme le montre l'abject sourire infime de bien nourri du soldat qui tient son fusil ; je suis aussi porteur de la terreur, de sa terreur . Terreur et cruauté se lovent en moi, et se tordent en moi comme la murène parmi mes tripes . Terreur et cruauté sont des reflets du regards des ténèbres sur le lac d'où s'élève le château de l'âme . Reflets, mais aussi puissance, ce que désigne l'image de la Dame du lac, occultée sous les eaux, et gardienne de l'Épée, c'est à dire des puissances du Règne qui vient . Terreur et cruauté peuvent passer en puissance d'élévation, si je m'abaisse devant Toi en les reconnaissant en moi, en devenant ainsi réceptacle des eaux célestes, celles qui abreuvent l'homme noble .

C'est en creusant vers le nu de mon fond, vers les racines des ténèbres, que je trouve la force de m'élever, comme l'arbre, ou plutôt comme lierre sur le tronc des âmes du passé . Mais pour cela je dois voir le spectacle pour ce qu'il est : un spectacle . Voyant le spectacle pour ce qu'il est, je peux en jouïr . Et partager, et pleurer sur la tragédie . Mais avec la distance infime qui fait que l'on sait que le rideau va tomber, qu'il faudra dire comme Auguste : la pièce est jouée ! Cette étrangeté est le sentiment d'étrangeté du Gnostique . Tel est le savoir du spectacle comme spectacle . Ce que les hommes, ce que nous jugeons le plus important, notre vie, nos biens, notre respectabilité, ce que Don Diego dans le Cid juge vital, son pauvre honneur, cela est vanité et poursuite du vent . Nous avons du mal aujourd'hui à le comprendre . Cela, de la noblesse, de l'héroïsme ? Que pèsera son honneur une fois son corps reposant dans la poussière ? Et qui en aura cure ? Ignace de Loyola, dans son autobiographie, montre justement que le renoncement à ces envies de tuer furent déterminants pour découvrir un héroïsme plus grand .

Le couple, en tant que spectacle, est ce qui permet à l'homme de vivre, et comme dit l'Ecclésiaste, à vivre ce qui lui est donné de joie sous le Soleil . Le couple, en tant que lieu d'ordre, est lieu d'accordement des opposés par le spectacle, c'est à dire par l'occultation des différences . Mais ces différences rejaillissent . L'occultation est difficile à tenir . Un homme voit une femme, une femme étrange ou brillante, superbe ; ils discutent, se découvrent des mondes communs . Se regardent . Se désirent, sans doute possible . Mais ils sont en couple . La mari est un homme de prestige . Ils ne veulent pas tout jouer, leur vie, sur une "passade" . Ils la jouent cependant, échangent des messages . Aucun rendez vous, aucun contact charnel n'a lieu . Une amitié est explicitement posée, avec ses limites . Rien n'est explicitement dit . La femme laisse deviner, plus délivre une insatisfaction de son mari, de sa vie, qu'elle découvre subir . Le mari, lui, devine quelque chose, fouille les messages, lit ce cruel miroir de lui-même . C'est le drame conjugal, mais les liens, les investissements sont trop forts, et les mots, la réflexion, le recul manquent . La femme s'excuse, le mari oublie, tout revient dans l'ordre . Ce moment de la systémique du couple est si puissant dans notre monde qu'il n' a rien de personnel et peut être connu dans un grand nombre de variantes . Même l'amitié privilégiée ne peut être admise entre adultes dans la plupart des couples, alors le sexe...Pourtant, cet interdit est l'annihilation d'une voie essentielle de réalisation .

Ce qui s'est produit, c'est que l'homme et la femme ont besoin pour la société et pour la descendance d'un lien inamovible, mais que le caractère inamovible de ce lien exclut la grande passion amoureuse et ses grandes eaux, sa fascination pour les ténèbres et la mort, comme pour le Soleil invaincu, au moins dans la durée, car la grande passion n'est pas la paix, mais la guerre, la conjuration des opposés par le conflit, l'intégration par l'exaltation des sexes . Une histoire d'amour, un roman d'amour, comme ils naissent dans la matière de Bretagne, naissent analogiquement à la chanson de geste, au roman de quête et de combat . Dans le rituel de la passion se joue une exaltation verticale, une hiérarchisation, une violence simulée qui ne peut aboutir, en ce qui concerne une famille, qu'au chaos et à la mort . Tristan et Iseult, comme le fin'amor médiéval en reconnaissait la règle, ne peuvent être des couples mariés . Bien sûr, dans la "haute" société du Spectacle qui sert de modèle à tant d'hommes d'occident, la passion peut passer par le mariage, mais cela n'est possible que parce que la fortune met en état d'apesanteur le couple quelque temps, d'apesanteur par rapport à la vie ordinaire qui est le milieu ordinaire du couple .

Notre pensée occidentale, depuis la fin du moyen âge, vogue dans cette confusion très incommode, entre la pensée de la passion amoureuse, et celle des obligations bien connues et des limites du couple ordinaire . Depuis en vérité l'oubli des règles du fin'amor, alors que ces notions restaient vivantes dans les civilisations chinoises, indiennes, et même persane . Il n'y a pas déshonneur, ni volonté de briser un mariage, dans l'éclair qui parcours les esprits et les corps dans des rencontres d'étoiles . La fragilité extrême du couple est largement liée à cette illusion et à cette désillusion quasi mécanique qui accompagne la "mise en ménage" moderne . Cette illusion ne permet pas de chercher et de trouver la bonne distance, l'aération qui fait vivre le couple, comme l'air permet le feu du foyer . Cette illusion est une cause certaine de malheurs individuels et collectifs, quand le choix se situe entre le sacrifice de sa vie humaine et l'acceptation de liens vécus comme une étroite prison et l'accumulation de haine . Le couple posé en harmonie avec ce que le Yi-King est fondamentalement une institution vitale, bonne, noble, et peu d'homme sont destinés à n'y pas vivre . C'est un lieu de tendresse et d'amour, et même de réalisation . Mais c'est un lieu, en ce que tout lieu implique une totalité qui le comprend, et qu'il ne comprend pas . La puissance qui passe à travers moi, cela qui veut le vouloir ou volonté de puissance veut tous les lieux, veut la totalité .

« Je me dois à beaucoup et beaucoup se doivent à moi. Combien de mes vies passées parlent par ma bouche (…) je souffre de ne pouvoir vivre en même temps toutes les vies, toutes les réalités . La vie de l'oiseau, du serpent, de la pierre, de l'étoile (...) Ce n'est pas la mort qui me fait peur, mais mon incapacité à vivre la vie de tous . Sur mon lit de mort, je ne regretterais pas tant de n'avoir pas possédé toutes les femmes actuellement vivantes que de n'avoir pas eu celle qui ont vécu autrefois et celles qui ne sont pas encore nées . Ce qui me tourmente, ce sont les limites du temps et de l'espace... (...) le possible est la source de toute souffrance(...) »
Bulatovic, Gullo Gullo.

L'amour moderne délié par la pensée peut rejoindre l'antique fin'amor adapté à un cycle moins lumineux . J'ai demandé à une talentueuse et piquante jeune fille de m'écrire un texte à ce sujet, et elle ne m'a pas déçu . J'ai cru, quand j'ai commencé quelques dialogues drolatiques avec elle-un être bizarre, à la fois tout à fait capable de l'insensibilité la plus sévère, et capable d'être émue par le discours d'un monarchiste marginal, capable aussi d'une crudité et d'une obscénité à toute épreuve, et aussi de délicatesse romanesque- qu'elle avait alors 28 ans, ce qui me rendait ce badinage acceptable . Puis j'ai compris qu'elle en avait 18, et donc 19 aujourd'hui . Mais la valeur n'attend pas le nombre des années, et les questions les plus importantes de la vie, comme l'amour sexuel, doivent êtres traitées comme est l'amitié, légère à la manière du papillon . Et puis, immense avantage, je ne suis pas responsable de l'horrible vulgarité de la jeunesse, ce qui me réjouit fort . Je suis obligé, par souci d'authenticité, de reprendre textuellement son essai que la morale réprouve à l'évidence, et dont je suis choqué, et que je condamne avec la dernière vigueur, et que malgré ma réprobation je reproduit pour que chacun puisse ressentir un dégout similaire : et merci Augustine !

Il s'agit d'une lettre :

Monsieur X...

Vous m'aviez demandé (il y à quelque temps déjà) d'écrire mes arguments les plus "méchants" contre les maris jaloux (ai-je bien compris ?). Je vous ai écrit ce que je pense sur ce sujet : voilà donc pour vous !

"Maris Jaloux, Époux fidèles, Méticuleux curés : je vous vois tel que vous êtes : en vérité bien bêtes.
On voit beaucoup de ces souffreteux compagnons qui ragent de voir leurs épouses dans d'autre bras que les leurs : quelle égoïsme en somme. Pour l'épouse tout d'abord : figurons nous : le même corps pour une vie (c'est vrai quoi, il faudrait manger de la même chose pendant 10, 20 , 30 ans ?! Pour moi on ne ferait pas pire en me contraignant à l'escalope pour le restant de mes jours) comment alors ne pas finir en hystérique, en vielle rapiat, en stressé du balai ?
Il est même sain d'aller «voire ailleurs», ne pas se contraindre ni regretter : les regrets : voilà le poison du couple : Pendant que lui pense à la blonde de se matin , elle est sûr que le grand brun d'hier sait mieux gamahucher que lui : l'ennui en cadeau, la belle sincérité que voilà ! Mari trompé , vieux cocu , ton orgueil en à pris un coup ? Va voir ailleurs, prend d'autres culs et reviens joyeux dans ton lit , voilà mon conseil.
Je me demande même , sincèrement , biologiquement parlant, au bout de 30 ans de rapport chaque mardi soir : comment ne pas enfiler sa femme comme on enfilerai ses pantoufles ? Et puis il faut l'avouer : quelle bonheur de revenir à sa «bite d'amarrage», de retrouver son «nid d'amour» après avoir vu d'autre gars . Les bonshommes c'est comme les pays : on revient toujours sur le siens." En espérant que vous y trouverez se que vous cherchiez.
Augustine.

Oui, voilà ce que j'attendais de vous . Et merci encore!

Lécher la neige.


(Hayashi Tadahiko. La neige de Ginza. Tokyo, 1936. )


Sur la neige les pas fondent comme une vision tremblante
Le loup souffle le sépia sur la piste des arbres
Le sang de la proie s'étale en baisers rouges
Sur les pentes percées de fleurs d'hiver vides
Je parcours une peau saisie par la glace.

Ô parfum d'aurore de l'orient
Chemin lisse vers l'origine
Tant et tant de dureté t'ont rendue si tendre
Le désert t'a faite fontaine,
La tristesse pas à pas t'a adoucie,
Pareille à un galet de silex glacé
En puissance de braise

La cime aimée des marées célestes
L'écume des nuages t'humecte de roses
Je bois à la source du fol,
Car vaine est la poursuite du vent,
Vaine la course sur les plaines
Pour saisir le soleil à pleines dents .

A son coucher le sang envahit les arbres,
Le soleil s'étale en baisers rouges
Ô t'embrasser
Embarrasser ton regard et ton âme
Le désert t'a faite fontaine,
La glace sur ton flanc se fait délices,
L'empreinte des ténèbres m'entoure de ses bras
Comme les plumes enserrent le nid
Au creux de tes hanches .

La cruauté est tendresse,
Le sang est un vin dévorant,
La possession est une perte,
Je désire la folie comme Saturne désire la mort
Tu es ma canicule posée sur la glace
Qui s'étire à mon regard à l'indéfini,
Serpent d'étoiles de peau aux tétons de vigne,
Victoire couronnée de givre .

(Araki)

Vitesse, ou le désir et le temps des astres .

(Torsten Solin)

La vitesse, tel que nous la connaissons, est un concept qui fut défini par Pierre Varignon (1654-1722) le 5 juillet 1698 . Hier . Pourtant, le concept de vitesse nous paraît être un fait de nature . Cette apparence fait apparaître la puissance de fascination de l'idéologie racine, qui nous fait prendre à chaque instant du construit pour du donné . La vitesse est une fascination moderne à interpréter .

La vitesse semble liée au déplacement, au voyage . Elle est calculée comme le rapport de la distance d'un point A à un point B au temps mis pour parcourir la distance qui les sépare . Le voyage n'est-il pas ce déplacement d'un départ à une arrivée, une destination ? Cette notion moderne du voyage est spatiale, exonérée du temps . Aller de A à B en un an, ou en une minute, c'est du pareil au même pour dire « je suis allé à... ». Par ailleurs , le mieux pour un déplacement est le temps le plus réduit à nos yeux . La chauve souris est préférée au serpent et à ses enroulements lisses dans la poussière .

La conception grecque du voyage, de l'Odyssée, est celle du déroulement du temps, de la puissance et de l'acte, de la fleur au fruit et au vin . Quand je pense un voyage, il est en puissance, comme la statue est en puissance pour l'artisan, avant qu'il ne la réalise . Puis le voyage se déroule, comme empreinte d'une puissance, d'une forme, dans une matière, et donne lieu à la manifestation d'un destin . Le destin était toujours déjà présent, mais est manifesté à tous . Le voyage est une trans-formation . Car le voyage est une aventure et une tentation du dieu, qui va aboutir à des épreuves, des énigmes, un chant de souvenir .

Le mieux est le temps le plus réduit à nos yeux . Notre voyage est un simple déplacement, déplacement des problèmes comparable au déplacement névrotique . « Amer savoir, que l'on tire du voyage ...» . Le voyage est le maintien, dans l'idéologie racine, d'une identité isolée stable dans un repère spatial vide . Déplacer un objet ne le transforme pas, car sa position est purement accidentelle et étrangère à son essence . De même, pour l'idéologie racine, l'enracinement de l'homme est annihilé, puisque l'humain n'entretient qu'une relation vide et accidentelle avec l'espace . D'où la défense idéologique de la libre circulation absolue des hommes, cette croyance typique et déshumanisante . L'homme le plus humain est comme l'arbre, tendu entre la terre et le ciel, polarités où il s'enracine et se déchire . Le voyage authentique est exception et transformation .

Le mieux est le temps le plus réduit à nos yeux . Mais c'est illusoire, car le voyage réside justement dans le temps du déplacement .

Ce temps est une suspension de la normalité quotidienne ; on ne dort plus dans son lit ni avec les même personnes, on ne mange pas selon ses habitudes, on ne fréquente plus les mêmes visages . "Nous promenions notre visage / Sur maints charmes de paysages/ Ô soeur, y comparant les tiens" . On quitte son monde, et l'ensemble des automatismes qui le constituent . On doit penser pour chaque geste autrefois inconscient . On doit valider et légitimer sa vie au regard du nouveau . En clair, la partie fonctionnelle que nous sommes sort de son milieu, ouverte à de nouvelles formes . Sa puissance de formes, insatisfaite de son monde d'origine, comme le jeune Perceval le Gallois, se transforme en nostalgie indéfinie et la nostalgie en puissance de quête . Le voyage se révèle en son essence par la quête du Graal, qui n'a pas de destination spatiale . La quête est errance spatiale, amoureuse et sanglante, et parcours d'un labyrinthe spirituel .

Le voyage est alors un rite, c'est à dire un acte analogue à un acte dans le ciel, ou encore un symbole ; il est l'analogue d'un voyage de l'âme . Il rend sensible à l'homme enfermé dans le monde les autres mondes . Mais cela suppose que ce voyage dépasse l'espace, comme le voyage au bout de la nuit, et ses scènes fantastiques .

Si la vitesse devient indéfinie, et le déplacement instantané et commun, toute notion de voyage s'annihile . Partout on retrouve le même, comme le modèle d'hôtel international . La vitesse indéfinie est une clôture du monde, et non une ouverture . Le monde intérieur devient inconnu et désertique à mesure que l'espace est arraisonné .

Le voyage empêchait de se préoccuper de tout le quotidien, et c'est le sens du pèlerinage . Par le pèlerinage s'abolissent les soucis ; le risque de mort est accepté ; et le parcours terrestre est vu comme l'analogue ici bas d'un parcours céleste . La Croisade était ainsi vécue . Le voyage marque la détermination à changer sa vie à n'importe quel prix, quand sont brûlés les vaisseaux, même des conquistadores, ou des émigrés . A son échelle, son prix est la vie même . Tel est le lien inconditionnel . L'étrangeté la plus proche n'est que la vie des autres, et l'étrangeté la plus grande est celle de celui qui vous ressemble le plus en ce monde, celle de ma part féminine . Une étrangeté si proche et fascinante, comme le regard du serpent ; un sourire infime et énigmatique sont un voyage .

La vitesse est une illusion de déplacement qui annihile le déplacement ; le déplacement matériel coupé d'analogie symbolique reste une technologie vide . La vitesse immobile est illustrée par le circuit qui revient inlassablement à son point de départ, quelque soi l'ampleur de la boucle ; ainsi les modernes sont-ils fascinés par la circumbulation terrestre, ce cercle qui enferme les possibles, et les réduit à l'indéfini minimal par la vitesse . Un tour du monde en une demi heure, dans une station spatiale, n'est pas un voyage . Le parcours infini d'un cercle indéfiniment petit est l'immobilité locale .

Ainsi la vitesse montre-t-elle l'incapacité moderne à attendre les fruits du Temps, à comprendre les Cycles . Tel est le seul sens légitime de la science des cycles dont l'astrologie est le vestige défiguré . La science d'amour, voyez à ce sujet Ovide, est une science des cycles : cycle annuel, cycle de la vie humaine, cycle de la personne . science des cycles et science des liens se répondent .Vouloir une séduction immédiate, pour le Don Juan moderne, ne peut se réaliser parfaitement que par la prostitution . Nous avons fait des concours de nombres . Cela fut drôle, mais sans consistance . Le commerce sexuel, hygiénique, rapide, est aussi vide que la vitesse sur circuit sécurisé ; il oublie que le voyage est plus que l'arrivée, et comprend le cycle du départ et du retour . De même pour le séducteur ; la courtoisie est faite d'étapes lentes et hiérarchisées, qui comprennent un retour . Sans aucun doute, bien des blessures naissent d'un empressement, d'une vitesse excessive . Mais le désir est aussi désespoir, vide qui doit passer en puissance, qui est ce qui veut la volonté de puissance : il est douleur, sentiment de course à l'abîme, à la folie . Il croit devoir exiger une satisfaction rapide .

La vitesse est aussi fascination, même pour l'homme noble, comme sœur de la mort . Le désir veut la vitesse . En un instant le monde est changé quand la vitesse et le voyage s'accordent . Ce désir est le désir du Kairos, de l'instant qui marque la bascule du Cycle, ou la conscience de la complétude de la transformation comme foudre . Peu d'hommes la connaissent . Mais cet instant est l'alliance du temps et de l'éternité ; le fruit d'un immense murissement des astres harmonisé à soi . C'est pourquoi la fascination d'une image, d'un sourire infime doit être maitrisé en puissance .

La Vague est toujours déjà présente ; et si elle doit se manifester, le désespoir est une bassesse . Si elle ne doit pas, il est vain de l'attendre . Aussi la vitesse et l'action parfois ralentissent-elles l'oeuvre du temps .

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova