Brasiers.



"Je vais faire comme si j'étais à un festin. Je vais me lancer dans une ronde autour de ta tête jusqu'à en tomber privée de la vie. Je vais danser pour les funérailles des choses qui moururent quand mourut ta vie. Vois, je vais donner un ballet sous le clair de lune, pour que tout soit dit."
F. Pessoa
La mort du prince

Et le maître disait : tu dois mépriser la douleur du corps et tirer des délices pour les hommes mortels des harmonies des douleurs de l'âme : comme le peintre sait rendre tous les infinis ors des cieux, ainsi le poète use de sa douleur comme d'une lyre, et distingue la nostalgie du ciel de la nostalgie commune de la cheminée du foyer, la tristesse à pleurer de la colère qui se mêle de larmes de l'homme qui va se venger dans les Trois Mondes. Et le poète est ceci : le vengeur gai de la grande douleur de l'Eden, celui qui de la terre et des larmes, de la sueur et de la morsure du Serpent fait le gai savoir par l'effet mêlé de la vengeance et du souvenir. En cela il est le frère du Gardien de la Terre Sainte, et chante autour de ses feux, et chante sur ses armes noyées du sang de l'ennemi. 

Chante, ô poète, au dessus des brasiers, que tes mots soient le parfum qui réveillera les dieux d'avant !

Lucibel.



Ô Seigneur Seigneur Seigneur je me suis enroulé dans le Ciel étoilé dans un combat à mort, comme le Python avec l'Aigle... j'ai tant marché dans les vallons sans retour, j'ai tellement cherché un royaume où vivre sans fuir ni déchirer soit possible - je t'ai cherché dans les yeux des fleurs, entre les mains entrelacées des forêts, parmi les orbes des nuages...et j'ai cherché avec le Serpent dans les fissures des murs, s'il n'y avait pas un souffle d'air venu de l'horizon, un souvenir  évanescent de ton souffle sur la pierre, un parfum de loin comme un crépuscule sur l'océan des larmes... j'ai cherché sur les peaux humaines, somptueuses comme des forêts - il y est aussi des labyrinthes,  des mousses couvertes de baies, des orchidées rêveuses, des fontaines, des ronces et des épines cruelles...de grands et nobles combats...Seigneur ! J'ai tellement cherché à croiser un jour ton regard...tellement cherché à déposer ma peine et ma folie, qui me font grincer des dents et les briser comme du verre...tellement cherché à plier le genou devant toi, et devant rien, rien de mortel sous la lune - ma nuque est trop raide, ma rage issue du sang noir du congre tordu dans mes tripes...mon coeur qui pompe le sang, mes poumons qui écument le souffle, ma peau qui masque ma douleur vive, mon âme même sont ensanglantés, comme les larmes coulent des yeux...et mes pieds portent un mort.

Tout ce que j'aurais pu faire par amour...

Mais c'est trop tard, depuis toujours. Car selon l'ordre et la justice du temps - toi ! toi qui fait mouvoir le soleil et les autres étoiles - tout ce qui existe dans le Temps mérite d'être détruit.

Il y eut un temps pour créer, un temps pour détruire vient. Il est des lignages de destruction.

Alors je me love dans le temps par amour de l'éternité. Je roule dans les mondes comme les étoiles dans le Ciel, gardiennes du Pôle.

Je garderai la Terre Sainte.

Car je t'aime,  ô éternité !

Vive la mort !


Nu

Nu
Zinaida Serebriakova