(Luca Signorelli, fresque d'Orvieto) |
J'ignore pourquoi, mais je songe à passer plus précisément à des pratiques rituelles, théurgiques, et je pense que je ne vais pas tarder à choisir entre Martinès de Pasqually et Agrippa, le plus probable, ou la voie hermétique qui ne semblent pas nécessairement doubles . Je sais que Crowley a appliqué la voie d'Abramelin le mage, mais que cette voie est, semble-t-il longue et dangereuse . Et Crowley est peu de choses . Qu'importe Crowley, si l'on a William Blake et Martinès de Pasqually ?
La question est de dépasser la parole pour aller vers la théurgie . Le théurgie est la science de la maîtrise des êtres celestes par la maîtrise des dimensions indéfinies du soi impersonnel . Pour aller vers la théurgie, il ne suffit pas de lire des livres, il faut apprendre des sciences traditionnelles, comme la science du temps astronomique et du calendrier annuel des rites, la science des matériaux, du sang, de la sève, du souffle, du souffle des os . Une telle acquisition des dimensions qualitatives du temps et de l'espace est un travail de fond considérable aujourd'hui . Le risque est aussi de voir naître le désir d'acquérir des pouvoirs de manipulation sur les autres . De cela, je suis bien averti . J'espère que je saurais aller vers des formes saintes de magie célestielle . Les oracles chaldaïques notent : matérielle est l'envie...sans envie est la gent théurge...
J'avais écrit sur la mémoire du sang, sur le caractère supra-individuel de certaines formes étranges de souvenirs . Je résumerais mes recherches, parce qu'à ce jour je crois ne plus être très éloigné – peut être à tort – de comprendre le lien de fraternité entre Abraham et Loth .
Il repassa par ses pérégrinations, depuis le midi, jusqu’à Béthel, jusqu’à l’endroit où avait été sa tente la première fois, entre Béthel et Aï, 4 à l’endroit où se trouvait l’autel qu’il y avait précédemment érigé. Abram y proclama le nom de l’Éternel. 5 Loth aussi, qui accompagnait Abram, avait du menu bétail, du gros bétail et ses tentes. 6 Le terrain ne put se prêter à ce qu’ils demeurassent ensemble; car leurs possessions étaient considérables, et ils ne pouvaient habiter ensemble. 7 Il s'éleva des différends entre les pasteurs des troupeaux d'Abram et les pasteurs des troupeaux de Loth ; le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays. 8 Abram dit à Loth: "Qu'il n'y ait donc point de querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens; car nous sommes frères. 9 Toute la contrée n'est elle pas devant toi? De grâce, sépare-toi de moi: si tu vas à gauche, j'irai à droite; si tu vas à droite, je prendrai la gauche." 10 Loth leva les yeux et considéra toute la plaine du Jourdain, tout entière arrosée, avant que l'Éternel eût détruit Sodome et Gommorhe; semblable à un jardin céleste, à la contrée d'Egypte, et s'étendant jusqu'à Çoar. 11 Loth choisit toute la plaine du Jourdain, et se dirigea du côté oriental; et ils se séparèrent l'un de l'autre. 12 Abram demeura dans le pays de Canaan; Loth s'établit dans les villes de la plaine et dressa ses tentes jusqu'à Sodome. Genèse, XIII.
Les mondes peuvent être résumés dans l'implication d'un cercle pourvu d'un point central, d'un axe et d'une roue . Cette roue est souvent vue comme étant le Tao immobile et le Zodiaque, le mouvement du ciel étoilé, ou l'eau des fleuves . Abraham est l'homme du centre, de la loi, de la pierre levée, axiale, de Bétel, ou encore du chêne de Mamré . La voie de tels hommes est le retrait progressif du Temps, et le retour vers l'éternité immobile du Principe . Il est l'homme de l'advaita, de la non-dualité, de la réintégration par l'obéissance .
Et Loth est l'homme de la Terre irriguée comme le Jardin du Seigneur, celui qui s'éloigne sur la Rose des vents, vers la fortune ; il est celui qui reste dans le Temps, la souffrance et la jouissance des mondes .
Car comme la réunion, qui est souffrance de privation féroce jusqu'à la réalisation effective de l'Un, la division est ambivalente, souffrance et jouissance de la réunion, sur le modèle de la jouissance polaire du sexe . Celui qui reste dans le Temps reste dans la destruction, dans le monde de Kali, qui est nostalgie, déchirement de la chair, sang répandu, et danse . C'est à lui que la Baghavat Gita dit : Lève toi, saisis la victoire et jouis de l'Empire dans sa plénitude, car tous vont mourir .
Je crois que le fond de toute la Gnose est d'enseigner le caractère foncièrement bon de la dualité la plus douloureuse, et donc le caractère de bonté, par delà le bien et le mal, de l'existence du mal . Telle est le déchirement des dieux primordiaux ou même la crucifixion . Tels sont les Caïnites, les adorateurs du Serpent, l'Évangile de Judas dans l'Antiquité ; telle est la défense de la justice de Tristan et d'Iseult ; telle est la Roue de la Table ronde, représentée comme un zodiaque, qui est faite d'errants dans l'immensité du temps et de l'espace pour garantir la puissance d'un Royaume terrestre, la prospérité de la terre, des saisons, des amours . Abraham et Loth pour autant sont frères . Ils sont même jumeaux . L'un, comme Castor, vit sur la terre et sur l'eau courante ; l'autre est aspiré vers le centre Céleste . Ce jumeau céleste est présent dans le souffle de l'entretien nocturne du Maître avec Nicodème dans l'Evangile de Jean .
Entretien de Jésus avec Nicodème .
Mais il y eut un homme d'entre les pharisiens, nommé Nicodème, un chef des Juifs, qui vint auprès de Jésus, de nuit, et lui dit : Rabbi, nous savons que tu es un docteur venu de Dieu ; car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n'est avec lui . Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu . Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ?
Jésus répondit: En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d'eau et de souffle, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de souffle est souffle . Ne t'étonne pas que je t'aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau . Le vent souffle où il veut, et tu en entends sa voix ; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l'Esprit.
Nicodème lui dit : Comment cela peut-il se faire ? Jésus lui répondit : Tu es docteur en Israël, et tu ne sais pas ces choses ! En vérité, en vérité, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous rendons témoignage de ce que nous avons vu ; et vous ne recevez pas notre témoignage . Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses célestes ? Personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, comme le Fils de l'homme qui est dans le ciel .
Personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel . Ainsi les hommes de la race de Caïn sont-ils les anges déchus qui virent la beauté des filles des hommes . Ces hommes sont doubles, déchirés de la déchirure d'Adam . Ils sont jumeaux, l'un tourné vers la Terre et l'autre tourné vers le Ciel, et se tiennent à distance, et pourtant infiniment marchent l'un vers l'autre, vers le temps où ils seront à nouveau Un . Chaque homme du temps a un jumeau céleste qui l'attire comme un pôle, et vers lequel tantôt il se dirige, autour duquel il tourne, et enfin qui parfois le repousse intensément .
Chaque homme du temps ne cesse de revenir dans le temps, et c'est pourquoi l'enseignement de la Kabbale sur la transmigration des âmes, sur la roue du destin rejoint le Bouddhisme, ou la Gnose sur les voies de l'Apocastase . Empédocle note : Il y a un oracle de la Nécessité, une antique ordonnance des dieux, éternelle et fortement scellée par de larges serments : si jamais l'un des démons, qui ont obtenu du sort de longs jours, a souillé criminellement ses mains de sang, ou a suivi la Haine et s'est parjuré, il doit errer trois fois dix mille ans loin des demeures des bienheureux, naissant dans le cours du temps sous toutes sortes de formes mortelles, et changeant un pénible sentier de vie contre un autre.
La haine, chez Empédocle, est le principe de la division – et c'est bien de la race de Caïn et d'Adam, cette race condamnée à la soif indéfinie du désir d'amour, de retour, dont il est ici question . C'est la face de l'homme du désir . Les Trente mille ans sont la durée symbolique d'un cycle humain . L'Ange personnel est ce jumeau ; et il est l'image personnelle de chaque homme depuis le sixième jour, celui dont les offrandes ont été accordées mais qui a éternellement renoncé à aller sur le cercle des mondes, aux aubes et aux crépuscules, et à la chair . Tandis que chaque homme sur les cercles des mondes s'est séparé de son jumeau céleste, accomplissant le meurtre de Caïn .
Dieu dit: "Qu'as-tu fait! Le cri du sang de ton frère s'élève, jusqu'à moi, de la terre. 11 Eh bien! tu es maudit à cause de cette terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère!" 12 Lorsque tu cultiveras la terre, elle cessera de te faire part de sa fécondité; tu seras errant et fugitif par le monde." 13 Caïn dit à l'Éternel: "Mon crime est trop grand pour qu'on me supporte. 14 Vois, tu me proscris aujourd'hui de dessus la face de la terre; mais puis-je me dérober à ta face? Je vais errer et fuir par le monde, mais le premier qui me trouvera me tuera." 15 L'Éternel lui dit: "Aussi, quiconque tuera Caïn sera puni au septuple." Et l'Éternel le marqua d'un signe, pour que personne, le rencontrant, ne le frappât. 16 Caïn se retira de devant l'Éternel, et séjourna dans le pays de Nôd, à l'orient d'Éden. Genèse, IV.
Comme Adam se séparant de Dieu en désirant être comme lui, les hommes sont issus de la race de Caïn, du moins certains d'entre eux – et leur crime est aussi une élection et une protection divine, soixante dix fois sept fois . La Genèse elle-même note que de tels êtres angéliques ont eu du regret devant la beauté des cercles, et ont rejoint d'eux-même les êtres de chair .
Il est des vivants dont les doubles sont aussi vivants, et qui les retrouvent sur cette terre ronde – ce sont les Fidèles d'amour . Les anciens Druides avaient pour homme suprême un individu énigmatique nommé Mog Ruiz, le Serviteur de la Roue, dont le nom a été conservé par écrit dans la tradition Irlandaise .
Il est donc deux voies de réalisation : l'une dépose la chair et le corps comme corps de malédiction, et passe par le repentir comme retour ; l'autre part du corps et conserve l'incarnation du souffle en trouvant à la chair de ténèbres l'orientation qui l'offre à l'axe lumineux de la Roue et lui permet une complète harmonie avec l'Un – la construction d'un corps de cosmos, le passage de la puissance du Serpent dans l'axe vertical de la Roue selon la symbolique tantriste . C'est toute la voie hermétique et alchimique, et elle passe par la douleur du déchirement assumé .
La première passe par la Nuit obscure de l'ascèse, de l'abandon du corps par un être incarné, aveugle à tout ce qui n'est pas corps, immense domaine qui pour lui n'est que ténèbres et glace du cœur ; la deuxième passe par l'oeuvre au noir de l'ami des ténèbres, la cuisson et la carbonisation infernales de toutes les illusions d'équilibre, du oui au cosmos céleste prononcé sans d'abord en assumer lucidement l'extrême dureté de celui-ci pour l'individu vivant de sève et de sang, promis à la perte de tous ses liens, à l'errance et à la mort indéfinies . Extrême dureté de l'abandon, du déchirement, symbolisée par l'éponge de vinaigre et la lance plantée dans le cœur du Christ .
Et pourtant cette voie est aussi celle de l'homme noble du Yi-King, parce qu'elle est la voie de l'exaltation de la chair, la voie de ceux qui marchent sur le feu, aux côtés de ceux qui marchent sur les eaux du monde . Et toutes les sciences du temps et de l'espace dont j'ai parlé sont là pour permettre de construire le microcosme comme un miroir d'or, en parcourant la totalité de ce corps, de sa douceur, de ses souillures, ou de ses faiblesses, de ses absences, des ses battements, de ces inspirs et de ses expirs .
Dans une telle conception, le rapport entre exotérique et ésotérique devient aussi une fraternité d'inversion ; le terme très ancien de Rose-Croix, rose des vents, déchirement et épines devient significatif . L'homme du cercle ne hait pas l'homme du retour, mais il ne peut être compris par lui . Le livre d'Évola sur la philosophie hermétique est extrêmement clair et explicite à ce sujet, et a achevé de me convaincre . Ainsi sommes nous hommes du Haut désir, fils et filles de Caïn .
C'est notre folie et notre haine qui comme le Scorpion se retournent et nous font nous retourner vers la vie et la puissance d'en haut, vers la fontaine de vie, les eaux d'en haut . Ceci ne peut être compris que de très peu d'hommes, et nous devons nous y résigner, non nous en réjouir .
Vive la mort !
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