Le chasseur de la nuit .


(Man Ray)


Il est des mots qu'il faut prononcer, parfois . Il est bon de dire fermement les choses, pour ne pas avoir à discuter inutilement . Je ne me lie pas les mains et l'âme avec aucune moraline de ce temps dégradé . Il en est ainsi de la chasse comme du désir . L'homme ne peut être sans reste transformé en animal domestique . Et les hommes de la morale, en ces temps, sont les derniers hommes de Nietzsche . Les hommes du rite ne sont pas les hommes de la morale .



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Amadou Kourouma, dans en attendant le vote des bêtes sauvages, rappelle l'existence de confréries de maîtres chasseurs en Afrique noire . Mais de telles confréries de chasseurs de la nuit existaient dans la tradition des Grecs . Et un ordo carbonari, un ordre des forêts ne peut être qu'un ordre chasseur . Qu'est ce qu'un ordre chasseur ?

Le sagittaire est un chasseur stellaire, et les cercles des mondes sont des cercles de chasse et de poursuite, ainsi celle du Loup Fenrir, loup de l'obscurité poursuivant le soleil . La chasse nocturne est l'image même de la Roue du Temps . Les mondes sont les forêts obscures des chasseurs de temps .

Les hommes du temps sont les hommes de la transmission et de l'oubli, les hommes de la sève, de l'écume des lèvres, du sang et du souffle, de l'arbre inversé figurant les bénédictions . Le temps, c'est la division des sexes et l'errance dans l'espace . Les hommes du temps sont des chasseurs, et des hommes de l'amour de l'homme et de la femme . La femme de cet ordre est celle qui court avec les loups, la gitane qui prophétise – elle est la figure nocturne de la Diane, qui déchire Actéon fasciné par son corps nu, pour le faire renaître .

La chasse est une figure puissante de l'Éros . L'arc est à la fois l'arme du chasseur, de l'amant de l'amour et du mystique en quête de sa fin . Le chasseur cruel, aux ordres de la Reine, c'est à dire des puissances ténébreuses et jouissives de la matière, chasse la biche, la femme dont la biche porte le cœur tendre et doux . Il sacrifie la tendre biche à l'amour et à la loyauté que porte sa désobéissance finale . Il tue sans tuer, il dissimule son cœur de lumière dans les ténèbres de la forêt, cache le blanc de son blason sous le rouge du sang versé en abondance .

Le sein délicieusement percé, pénétrée par la chaleur de la flèche divine, la sainte est en extase, et salive comme le loup qui reconnaît la piste de la femme parmi les fleurs . Le comte Zaroff est le chasseur devenu fou de son désir, du gibier le plus dangereux, l'homme – une figure de Sade . Car la sainte comme le chasseur sont des hommes du désir, toujours plus au delà, plus ultra – des vagues de déferlement d'eaux célestes et des puissances de transgression, de destruction du fragile ordre humain . La splendeur de la femme est à la fois lumière et risque de destruction, de guerriers qui s'entretuent pour posséder cette splendeur .

Le danger et la transgression sont toujours aux côtés de l'extase – le sublime est identique au débordement, mais au débordement d'un ordre supérieur, là où la démence est le débordement de l'informe .

Ainsi le chasseur nomade est-il à la fois le danger obscur, le torrent destructeur du feu, et l'instaurateur de l'ordre, de l'Empire – le destructeur et l'homme du Ciel éternel .

Le dépassement de l'homme est l'homme . Interdire le débordement est interdire l'homme .





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Je suis un chasseur . Je sais matériellement ce qu'est pister une proie en forêt, patiemment, lentement, méthodiquement . Humer l'air, tendre l'oreille au plus petit craquement de branche . Poursuivre, marcher de nombreuses années s'il le faut – jusqu'aux confluent des deux océans . Et sachez le : les liaisons dangereuses sont le récit de la course d'un chasseur .

Je suis un chasseur . Je sais matériellement ce que c'est de préparer pendant des heures des armes, d'aiguiser des couteaux, des pointes, de couper des épieux, de durcir des pointes au feu, fabriquer un arc, une fronde, une ligne de pêche, de fixer des fers sur un manche, de graisser des armes – l'odeur de tout cela est faite de cuir, de sève, de fer, d'huile . Et sachez-le : l'alchimiste préparant des parfums et des baumes, pour être à l'image de l'oint du Seigneur, et la femme hiératique de Baudelaire est aussi une chasseresse qui aiguise des armes .

Tout est filets, rets, flèches qui cherche à lier le cœur – et ce désir, cet immense désir est Janus, à la fois immense amour du fils de l'homme, et dents du loup . Qu'il est bon de se lover autour de l'homme dangereux comme de se chauffer parmi les glaces autour de la cruauté de la braise, à toucher la peau ! Ô mon aimée, ta splendeur et ta puissance sont faites des montagnes de l'horizon, semblables à des vaux parfumés de ta chair, et aussi de la mâchoire, des griffes et des yeux de la louve .

L'amour désire la puissance qui peut déchirer . La violence est au cœur de l'homme qui se vit de sang et de souffle . Elle est le feu intérieur du fourneau de l'âme . Plus l'homme est grand, plus grande est la puissance de ce feu du cœur .

Cette puissance enchaîne le déchainement, et l'homme puissant n'est pas différent d'un roc ou d'un arbre pour manifester la violence . Mais l'homme puissant est comme le volcan, il est le creuset de lave et de soufre .

Loin de nier ou d'étouffer ce feu à travers lui, il est bon de souffler puissamment sur ces flammes, avec discipline . D'intensifier les contradictions .

Que l'immobilité soit celle de l'archer une fraction de seconde avant le tir . Que la course entraîne l'immobilité métallique de l'épée de l'âme, comme est l'esprit du Veilleur .





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Je suis un chasseur . Je sais matériellement ce qu'est planter une flèche dans un oiseau, ou encore viser, immobile, tirer et voir l'impact sur la proie . Je sais à la fin, achever la proie . Je sais briser les vertèbres entre mes mains . Je sais ce qu'est plonger un couteau dans la chair ou dans un crâne, pour tuer . Je sais saigner, répandre le sang . Je sais que quand un ennemi est à terre, il faut l'achever .

J'irais chercher le serpent sous la pierre et je lui briserais les vertèbres entre les doigts . Le Dragon m'en saura gré .

Je n'ai pas de plaisir à tuer, et comme les Peaux-Rouges, je m'excuse auprès de ma proie, que j'aimais, et auprès du Grand Esprit, qui a donné le souffle à tous . Le chasseur, comme le carnassier, tue non par jouissance égotique, mais par délégation de l'ordre éternel du monde . Je déteste faire souffrir . J'ai toujours méprisé ceux qui, autour de moi, frappaient les faibles, terrorisaient, jouissaient de la violence . Le feu ne brûle pas pour brûler .

Ce que je sais aussi, c'est que tous les êtres humains du passé ont su le faire, tuer, répandre le sang, et même pire . Ils ont nourri, et nourrissent des enfants, de chair, et c'est pour cela qu'aujourd'hui d'autres qui les condamnent au nom d'une morale sans vérité, sans chair, peuvent être vivants . Ils ne sont vivants parce que d'autres sont morts - et ils l'oublient pour être à l'aise avec leur conscience hypersocialisée . Faire passer la gratitude envers les ancêtres après la paix artificieuse de la conscience, c'est bien la marque d'un narcissisme immense, et d'autant plus puissant qu'il s'ignore . Car la violence est parfois le nom du sang, de la vie, de la résistance à l'ordre de la mort que le temps toujours dépose comme une vase sur le cœur des hommes .

L'homme ne peut regretter d'être carnassier, pas plus que le carnassier ne peut recevoir de reproche de tuer . J'aime à manger de la viande crue - tel est le rang et le privilège du chasseur . L'homme tue de droit comme le tigre . Comme le tigre, il peut être d'une solitude absolue grâce à sa puissance . C'est cette puissance de solitude qui lui donne son endurance à la souffrance, et sa puissance de liberté face à toutes les puissances des mondes, y compris la plus haute . Il n'est d'autre Lucifer qu'Adam .

La vie tue . La vie mord . La vie déchire, griffe . La vie détruit . La vie sélectionne, privilégie, élimine . La vie nourrit de chair, protège et aime le faible, le petit comme son enfant . La vie brûle, et la vie est la splendeur spiralée sur l'axe des étoiles .

Autant je méprise le violent pathétique, autant je méprise celui qui ne connait que la pitié, et qui n'a pas pitié des hommes du passé, de ceux qui ont survécu dans un monde âpre et impitoyable et transmis la vie . Plus l'être est faible et impuissant, empoisonné par la moraline, plus tout dans le monde lui paraît violent . Un regard peut lui être une agression . Le monde des hommes doit-il n'être aligné que sur la faiblesse des êtres empoisonnés par leur éducation à l'impuissance ? Alors il n'y aura plus de place pour les hommes qui mettent la liberté au dessus de la vie même .

Quelle amertume d'entendre tous ces jugements d'hommes incapables de se fournir eux-même la moindre nourriture et qui crachent sur les chasseurs et les guerriers du passé . C'étaient des hommes cruels ? Des hommes mauvais ? Mais avaient-ils une fin, ou était-ce une cruauté gratuite ? Le monde dans lequel nous naissons est un monde en guerre . Et je veux, j'estime comme une haute valeur de savoir être impitoyable et sans la moindre hésitation quand les circonstances l'exigent . Et impitoyable, d'abord envers soi-même .

Celui qui au nom de la compassion rabaisse la Splendeur devant la laideur, l'esprit devant l'imbécilité, la vache et le chien devant le loup – celui qui laisse l'animal domestique prétendre à la puissance de la bête sauvage – celui là sert la laideur et l'imbécilité . L'homme à l'âme torte, domestiqué et grégaire sera toujours une figure de la laideur et du ressentiment, même s'il est armé d'un média, d'un fusil ou d'un Caterpillar qui porte sa voix pleine de moraline à la hauteur de celle d'un géant législateur, ou le rend invincible dans une bataille .

Plutôt un lion mort qu'un chien vivant, tel est le principe intime de toute résistance . Le chien reste un chien, malgré ses propos retors . Je le dis devant Dieu : je suis un homme de vengeance, et je ne vois pas la vengeance autrement que la chasse . Je suis un homme libre, et l'homme libre doit apprendre à ne pas craindre la mort .



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Il appartient d'abord à chaque homme de se défendre . Cette sauvegarde de la liberté suppose d'accepter l'inévitable : des hommes sont victimes d'autres hommes .

A celui qui a faim de poisson, il est possible de donner du poisson ou d'apprendre à pêcher . Mais seule la deuxième voie l'élève . Il n'est pas bon d'appeler sans cesse à plus de limites et de protection par la puissance de l'État , mais bien plutôt de transmettre à chacun les moyens de se poser pour lui-même ses limites et sa protection .

Si je prends l'exemple du désir, il est possible de comprendre cela . Tout âme désirante pour une part cède au désir, et pour une part y résiste . Il n'existe pas de limite précise, mais un continuum toujours mouvant . Toujours, sauf aux moments les plus puissants . Il est aisé de fixer le complètement consenti, et le complètement forcé . Mais pas la frontière .

Toute âme désirante dit plus ou moins oui et non, et la cristallisation finale n'est pas un processus simple et transparent . Il est possible de condamner une très large part du désir consentant comme extorqué par la violence de l'autre désirant, d'autant plus que l'on fait peser un poids de peur et de culpabilité qui renforce indéfiniment le non, au non de la propriété de son corps, qu'il serait bien bête d'abandonner, comme toute propriété dans le monde bourgeois . Les discours qui veulent à tout prix faire de vous une victime font effectivement de vous une victime en vous arrachant votre conviction, comme le discours et l'empressement du séducteur peuvent arracher des consentements .

Il est possible de poser que bon nombre de consentements même explicites sont extorqués par violence, menace, surprise, nécessité ou ascendant . Le consentement explicite sera toujours aisé à contourner par les puritains du contrôle social . Une étudiante consentante, séduite par Kennedy était à la fois surprise et intimidée, par exemple . N'est-elle pas victime d'un prédateur ?

Si l'on admet sans discussion tous les renforcements de l'État et le renouvellement infini des nouvelles catégories de victimes, cela signifie tôt ou tard qu'on laisse à chacun la liberté de se définir comme victime et de définir la gravité de son agression – c'est à dire que pour protéger les dominés des dominants, on crée une machine de renversement, ou les dominés deviennent les uniques possesseurs de la puissance souveraine et du droit .

Comme être reconnu comme victime est un titre soumis à d'importantes récompenses, il est évident que toutes les luttes sociales vont multiplier sans cesse les victimes, et les nouveaux « droits », droits d'être entendu, de se plaindre, de saturer de plaintes le Spectacle . Et sans cesse on nourrit la perversité, car à l'instant même où une victime est identifiée comme telle face à un bourreau identifié comme tel, elle devient en puissance bourreau de son bourreau . Se plaindre devant une foule est parfaitement fonctionnel avec le narcissisme de fond de la structuration psychique la plus fonctionnelle . Il n'existe aucune limite à un tel processus .

Plus grave, ce processus nourrit la formation de la toute puissance d'un État policier, traitant avec de plus en plus d'arbitraire les situations, et se posant comme indiscutable au nom des victimes, comme représentant légitime des victimes, avec l'appui d'une armée de criminologues et de spécialistes de l'Éthique, c'est à dire de l'interdit . Voyez Outreau . Le processus actuel est celui d'une hystérisation de l'interdit, hystérisation qui rend incompréhensible la normativité non seulement l'antiquité, mais même les années soixante . L'hystérisation de l'interdit sur la chasse, sur la corrida ou sur le désir sont analogues .

Auguste, Louis XV, Casanova ou Kennedy étaient des stars glamours pour leur cycle . Ils seraient aujourd'hui des toxicomanes du sexe avouant leurs péchés, des homme louches aux multiples procès de mœurs, sans compter les procès de morale dans le Spectacle pour tout ce qui ne peut être poursuivi . Le sort de Sade serait pire, dans une époque qui le glorifie . James Dean serait privé de permis et ferait des stages de sécurité routière . Quant à Catherine de Médicis, mère de la Reine Margot, elle serait emprisonnée pour proxénétisme aggravé, pour avoir dirigé en personne l'escadron volant, un groupe de jeune femmes dévouées à l'éros . Et sa fille, Marguerite de Valois, serait jugée pour ses mœurs... Ajoutons la liste indéfinie des hétaïres, des courtisanes coupables de recel de proxénétisme ou de racolage, et celle des clients, tous pervers à condamner ou à soigner . Aristophane enfin purgerait une peine de vingt ans . Mais plutôt que de regarder comme des pervers tous les êtres humains du passé, on peut regarder en face notre perversion à utiliser la morale et la culpabilité comme arme d'intimidation sociale aux mains de puritains assoiffés d'une puissance venimeuse .

La culpabilisation de l'homme et de ses forces souterraines, de la puissance comme du sexe est en pleine croissance, et c'est assurément la croissance la plus nette du présent cycle de la civilisation industrielle - qui prend eau de toutes parts .

Transmettre à chacun les moyens de se poser pour lui-même ses limites et sa protection . Cette position suppose nécessairement de limiter la protection maximale de l'État aux enfants et aux personnes les plus fragiles, sous tutelle, mais d'accepter les risques pour les autres – de refuser la généralité de la plainte et la multiplication des délits . Plutôt que l'État, des réseaux de solidarité et de protection peuvent assurer la sécurité de tous . Mais vouloir que personne ne puisse se penser comme victime, c'est vouloir la dictature . Il n'est pas possible, en dehors des mots les plus vides, de concilier la liberté et l'annulation du risque .

Et l'annulation du risque, c'est la mort .



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La domestication radicale de l'homme - le projet d'hypersocialisation des Gender Studies ou des anti-spécistes, entre mille autres qui ne manqueront pas de surgir - ne peut être réussie qu'à l'ombre d'un État de surveillance automatisée, monstre que la technique rend possible, et l'hystérie morale probable . Déjà un être humain intoxiqué du siècle regarderait toute la civilisation grecque, ou tout autre grande civilisation passée avec horreur, et s'empresserait de la détruire .

Mais le dépassement de l'homme est l'homme . Interdire le débordement est interdire l'homme . Matthieu, 10 : Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive . Car je suis venu séparer le fils de son père, la fille de sa mère, et la bru de sa belle-mère . L'homme aura pour ennemis les gens de sa maison .

La violence, l'agressivité sont au cœur sanglant de la vie, au cœur de l'alchimie de l'amour . Telle est la grande Guerre Sainte . L'amour est violent et destructeur dans l'océan du cœur . Pour autant la compassion reste au cœur du sage . Le sage se méfie de la cruauté, car la cruauté est vile . Trop souvent des chiens errants se servent de l'image des loups pour servir leurs illusions de puissance . C'est une question délicate – mais à chaque situation, le gnostique sait trouver le discernement qui lui permet de rendre justice à chaque instant.

Vive la mort !

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Nu

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Zinaida Serebriakova