(Araki) |
Légèreté des temps.
Le Hagakure dit : Les
questions de grande importance doivent être traitées de manière
légère.
La vie est insaisissable, comme le
vent. La vie humaine ne laisse pas plus de traces dans les mondes que
le sillage des navires sur la mer.
Tous les pas des hommes s'effacent sur
l'estran quand le flot monte sous l'attraction de la Lune. Les hommes
naissent, entrent dans l'histoire et en sortent. Pour un artiste,
l'histoire n'est pas là pour les hommes, la lumière n'est pas là
pour les hommes. Les hommes sont là pour l'histoire, les hommes sont
là pour magnifier la lumière et rendre grâce à la lumière.
L'amour n'est pas là pour les hommes : les hommes sont là pour
manifester l'amour dans la lumière des mondes comme dans la cendre
des grands incendies.
Le culte des forêts et de la Nuit
n'est pas au service de l’Éros, c'est l’Éros qui est une
puissance de la magie – et c'est la magie qui l'emporte et emporte
l'ego comme un varech. Il est un éros lié à Saturne, et à la
rotation éternelle des mondes, l'éros des saisons au service du
temps. Il est un Éros éternel qui est plus grand que le Temps et
que sert le sage.
La vie est comme la grâce : elle
est là, elle est puissante comme une vague, mais elle est comme le
sens d'une phrase musicale, absolument scellée. Mon aimée est un
puits, une fontaine scellée, dit le Cantique. La phrase, comme
la musique, sont le déroulement du serpent du temps dans le temps,
et la Grâce est une, et ne peut se dérouler. Elle est comme une
braise dans une main, ou comme une escarboucle dans une autre - rose parmi les épines.
Éternellement l'éternité est en guerre avec le temps, et cette
guerre produit le temps dans les mondes, comme le cœur fait circuler
le sang et le souffle dans la chair vivante.
Un chant s'élève sous la lune, un
chant qui serre le cœur comme les artères dans le cou du buffle
sous les mâchoires déchirantes du lion. Car la splendeur nous élève
sans aucune pitié pour nos petitesses. La volonté puissance à
travers nous excède toute pitié, tout apitoiement, tout sens moral
– c'est pourquoi il n'est rien d'humain qui ne doive être sacrifié
pour goûter la sagesse de la chair et des mondes. Dans la Voie,
celui qui recule est mort, non celui qui tremble, et dont les cheveux
se hérissent sur la tête. « La mort est l'essence de la
Voie » est le blason de cette détermination indéfinie, de
ce feu toujours renaissant et sans origine.
Le feu est cette force qui purifie les
minerais et en fait des métaux – est la forge des épées, des
dents et des griffes de fer des souterrains.
La quête qui passe par l'art est comme
le foyer de Vesta – il doit demeurer un feu dévorant, il doit être
sans cesse nourri, il mérite le sacrifice, l'infamie des enterrés
vivants, la transgression la plus dure de soi-même. Il est au dessus
des divisons des hommes, de leurs jeux ; il porte au fond de lui
le soleil noir d'un deuil ignoré, comme les Vestales condamnées
étaient vêtues et transportées dans des corbillards. Moby Dick est
cette figure de l'implacable cachée dans les abysses, des délices
de l'ambre gris et des parfums cachés derrière les dragons. Il se
montre finalement, insaisissable aux harpons de fer, entrelacé de
cordes vaines, à la fois comme corbillard et comme aurore.
La chair est cette rose infime et
éphémère qui est l'instant de l'éternité, cette intense
fragilité sur laquelle toutes les autres questions importantes se
brisent comme la mer sur les récifs de granit, là bas vers le Nord.
L'homme qui s'est retourné en lui-même
sur la Voie peut traiter de manière légère les questions de grande
importance, parce qu'il connaît le monde comme une peau humaine, et
sait que le parfum et le toucher de la peau sont la vérité de la
chair, et le goût de sel la vérité du sang.
Les premiers seront les derniers.
L'infime est le plus important. Il
n’y a que les esprits superficiels pour ne pas juger sur
l'apparence, dit Wilde, et on trouve chez Nietzsche des
considérations analogues. L'air qui s'écoule à l'ouverture du boitier d'écriture du samouraï est saturé de jasmin.
La splendeur est implacable, au même
titre que le temps, la nécessité unique, père de la douleur – au
même titre que la mort. C'est celui qui a appris à mourir qui a
appris la splendeur – c'est celui qui est mort qui a trouvé le
souffle éternel de la vie.
C'est alors qu'il connaît la grande
légèreté, le dieu dansant et les loups qui se vivent de vent, l'odeur mêlée du sang et des roses.
Vive la mort !
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