Souffle dans les fleurs du jasmin, que mon coeur se réjouisse.


(Charleston on a skyscraper, 1926. FB boobs)
Si je savais être un, je saurais être infiniment plusieurs sans me déchirer.

Si l'air était fait de doigts de femmes, et le vent portait l'or de ton parfum, je deviendrais air se jouant dans les fleurs du jasmin.

Si je devais magnifier un art, ce serait l'art du funambule. L'homme ne peut choisir entre les mondes, car il est comme un fil tendu entre les mondes, comme la voile d'un grand navire gonflée d'esprit et tenue par le fin réseau des cordes. L'homme est un lieu par excellence, ce vide qui est, qui a puissance d'être plus intensément qu'un volcan dévoré par ses propres flammes de soufre, le lieu qui est d'être le lieu de vacuité.

La scène de la guerre de la Terre et du Ciel, de Satan élevant son étendard écarlate contre Dieu au nom de Dieu, pour que Dieu soit magnifié, comme Rome par l'incendie.

La grandeur est l'équilibre d'un point sur le Vide, qui porte les mondes comme une couronne, comme une aurore. Les hommes se meurent de ne plus croire en leur puissance, de ne plus savoir créer par le fer et le feu au cœur de leur douleur, de plus savoir faire plus que survivre dans un monde qu'ils croient trop vieux pour être puissance de mondes tout autres. Les hommes se meurent entre les murs qu'ils ont construits, et qu'ils croient plus durs que la texture des mondes.

Il est des temps comme des fleuves enserrés dans des gorges, prisonniers de leur passé, et condamnés à errer dans leur parcours fixé ; et des temps comme les fleuves étalés, inondant et embrumant sur la plaine, qui changent de lit sans cesse en abandonnant au désert des capitales du monde. Ainsi une armée romaine découvrit Babylone au milieu du désert. Babylone, demeure des chacals !

Ce destin leur avait été prophétisé.

S'il est une noblesse, c'est celle de risquer sa vie par une cause. La noblesse est comme le trempage d'une lame de fer et d'acier, une épreuve. Et il n'est plus de cause dans le monde, et il n'est plus de noblesse. Partout où le regard se porte, il n'est que gorges immenses, portes de fer, labyrinthes. Où est la plaine immense, la route de la baleine scintillant au soleil vert ? Où est l'Autre monde qui est l'ouverture indéfinie de tout lieu, ouvert par l'horizon, l'infini du passé et la puissance infinie du Jugement à venir ?

Ne voyez vous pas que le monde infini, succédant au monde fini du passé que vendent les historiens des sciences est un mensonge ? Notre monde rond est fini, un aquarium de l'âme. Tout lieu fini est infiltré au plus profond par l'infini qui le porte comme la condition même de son être présent, son être-là de lieu. L'homme n'est pas essentiellement une substance, mais un lieu, un champ clos de forces qui s'affrontent. Le Jardin clos est le lieu même de l'infini. Le Jardin est le lieu même de la Révolte, le lieu de séparation des quatre fleuves vers l'indéfini des terres.

La noblesse n'est pas à l'homme, mais l'homme est à la noblesse. Ce qu'est la vertu est la cible que doit infiniment désirer la volonté, tendue à se rompre ; ce qu'est la vie est le cheminement infini qui y mène. La vertu dont je parle est au delà du bien et du mal. Je refuse de me fier à la morale, je refuse de me questionner sur mon désir à chaque pas – je refuse de vouloir être bon. Je ne veux que la Justice, aveugle et impitoyable, et aussi la pitié, cette fraternité de sang et de douleur ; je ne veux que le lien de fidélité et la force du féal.

Tous ne peuvent avoir les mêmes partages, et c'est le destin du chien de manger par terre, ou sur les genoux de l'homme. La puissance du désir qui parle balaie l'individu ; l'histoire balaie l'individu ; la mort balaie l'individu. L'individu est cet atome qui se la joue empereur, et qui règne sur un tissage d'illusions. Le Spectacle est la misère de l'homme.

Le Spectacle est une ontologie, une production ontologique du miroir de l'ego, le reflet d'un reflet. Qui veut balayer le Spectacle de son âme balaie l'individu ; qui veut se libérer se libère de lui-même.

L'homme est grand en ce qu'il se nie en restant humain, sans devenir pour autant un monstre, mais au bord de l'abîme. L'homme est le funambule de ses désirs par delà le bien et le mal. Encore faut-il pouvoir monter sur la corde de l'arbre inversé, la corde des pendus d'Odin.

Odin, qui passa dix nuits pendus sous l'arbre de vie, et fut rendu borgne. Ce supplice fit de lui un voyant. Le Voyant.

L'homme vertueux de ce temps est un homme qui ne cesse de se limiter. Celui dont je parle est porté vers l'infini par la puissance de ses limites, par le fer de ses prisons intérieures qu'il a forgées lui-même. L'homme de puissance qui chemine indéfiniment en lui-même veut une terre infinie, veut l'infini des trois mondes, veut les abîmes du désir et du péché, veut l'angoisse de la vie et de la mort qui passent comme un instant.

Il est très simple, et très difficile de comprendre ce qui est très simple. L'ensemble du monde moderne se meurt comme un vieil arbre, qui ne produit plus de fruit.

Le lendemain, comme ils étaient sortis de Béthanie, il eut faim. Voyant de loin un figuier qui avait des feuilles, il alla voir s'il y trouverait quelque fruit, mais s'en étant approché, il ne trouva rien que des feuilles : car ce n'était pas la saison des figues. S'adressant au figuier, il lui dit : " Que jamais plus personne ne mange de tes fruits ! " Et ses disciples l'entendaient.


Passant au matin, ils virent le figuier desséché jusqu'aux racines.Et Pierre, se ressouvenant, lui dit : " Rabbi, regarde : le figuier que tu as maudit est desséché. "
En réponse, Jésus leur dit : " Ayez foi en Dieu.


En vérité je vous le dis, si quelqu'un dit à cette montagne : "Soulève-toi et jette-toi dans la mer", et s'il n'hésite pas dans son cœur, mais croit que ce qu'il dit va arriver, cela lui sera accordé.

Marc, 11

L'arbre d'Odin, l'arbre d’Éden et ce figuier sont un et même.

Et ce vieil arbre, à un moment, quel que soit le souvenir de sa grandeur, des vies humaines passées à son ombre, des amoureux adossés à son tronc – ce vieil arbre tombera. Déjà, il tombe. Il est tombé.

Tous les arbres sont toujours déjà tombés. Tous les hommes qui n'ont pas leurs racines dans l'Autre monde sont toujours déjà morts. Et c'est Justice.

Souffle dans les fleurs du jasmin, que mon coeur se réjouisse à embrasser ton souffle.

Vive la mort !

(L'arbre inversé)

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Zinaida Serebriakova