De la Tyrannie floue.





ou la Démocratie comme déjà-Ancien Régime.

La démocratie est une invention grecque. Dans le principe, la démocratie est l'extension horizontale de l'aristocratie, et la citoyenneté est une supériorité qui se paye de multiples devoirs. La Cité démocratique grecque exclu l'individualisme et la réflexion solitaire, condamne Socrate et valorise avec raison les Sophistes, qui passent par l'exercice public de la pensée plus que par l'exactitude, cette dernière étant marque d'orgueil et d'isolement. Enfin la démocratie exclut toute laïcité à l'origine ; la laïcité ne nait que de la division nationale, des guerres de religion successives qui déchirent le corps civique.

Le citoyen est celui qui est libre, indépendant par ses biens ou son travail, ce qui exclut les salariés ; qui défend physiquement la Cité à la guerre, ce qui exclut les femmes et les handicapés physiques. Et qui donne sa vie à la Cité. La démocratie grecque n'a rien d'un régime individualiste

Seuls les élargissements successifs des charges militaire et de l'impôt du sang expliquent les élargissements successifs de la citoyenneté. De même en 1945, le droit de vote des femmes vient après la défaite, la fin de la vanité masculine, et aussi après la résistance de femmes qui éclaire la lâcheté des vieux hommes blancs notables.

Nous ne savons plus penser un régime de l'intérêt collectif. Prenons le cas de l'homosexualité grecque et de la nôtre .

Les grecs acceptent l'homosexualité, la vantent et la pratiquent ouvertement. Mais il ne leur viendrait pas à l'esprit de parler d'une « communauté homosexuelle », ou d'un « mariage homosexuel. »

La seule communauté au dessus de la maison, oikos, c'est la Cité. Ce qui fait la communauté c'est l'autochtonie, la langue, le sacrifice, la guerre. La préférence sexuelle est de l'ordre de l'amitié, du penchant privé. Elle ne crée rien de public. Elle ne peut se dresser contre la cohésion de la Cité.

De même, le mariage est une institution politique, d'intérêt public ; il ne suppose et ne nécessite aucune inclination personnelle. Le seul devoir des conjoints est de prolonger et nourrir le corps social et de maintenir l'alliance des familles. Et donc l'homosexuel doit se marier et féconder sa femme. Le sexe homosexuel, comme le sexe hétérosexuel récréatif, est libre mais ne peut être favorisé institutionnellement sans oublier la finalité du mariage. Il n'y nul besoin d'encadrer par les lois l'amour, l'amitié, l'inclination, sauf s'ils mènent la cité à la ruine.

Ainsi le régime juridique de l'homosexualité peut parfaitement être libre sans considérer l'égalité juridique des couples comme légitime, car il y a dissymétrie au regard de l'intérêt public. La revendication d'égalité montre seulement l'incompréhension de l'esprit des lois, et l'arraisonnement de la Loi par des intérêts privés.

Il est utopique de croire que la Cité ne peut pas se soucier de la survie physique du peuple . Une communauté qui le croit et n'organise plus sa survie physique et plus de transmission adopte une attitude suicidaire : car c'est alors non seulement à ses Dieux qu'elle ne croit plus, c'est à ses arts, tout de parodie, et à sa langue. Il est remarquable que l'art contemporain ne croie plus à l'Art, comme l'homme de la rue ne croie plus en la morale publique.

L'évolution démographique du corps social est un problème politique et ne relève pas de la liberté individuelle. Une Nation s'appuie sur une population.

Estimer que le vieillissement massif de la population qui frappe déjà l'Europe et va s'aggraver n'est pas un problème est suicidaire.

Estimer que le problème des retraites est totalement dissocié du problème de la reproduction du corps social est suicidaire.Car si les retraités dominent une démocratie, alors toutes les mesures et les lois favoriseront la rente, qui n'existe que par la production. Asphyxier la production au nom de la rente, par exemple ne pas faire d'investissement de recherche pour baisser les impôts des propriétaires de capital, qui est une pratique de plus en plus répandue et insidieuse, est à moyen terme suicidaire.

Récupérer les dépenses de la politique démographique (allocations, remises d'impôts...) pour baisser le prix des carburant ou payer les retraites est suicidaire.

Toute ces mesures ne sont rendues possibles que par le naufrage de la notion d'intérêt national.

La Nation a un corps. La Nation a une langue. Les œuvres sont des illustrations de la Nation, des symboles de son unité et de sa force pour soi et pour les autres. Les symboles sont les facteurs d'unité. De ce fait, le corps, la langue, les artistes et les artisans ont partie liées à la politique.

L'art d'entreprise est une conséquence de la dissolution de l'intérêt public.

De nos jours on utilise le sport dans ce but ; et cela ne choque pas que des chefs d'État se rencontrent dans des stades, comme les empereurs romains décadents, comme Commode, qui combattait dans l'Arène. Mais le sport est un spectacle instrumentalisé par les politiques et par le capital. Il ne réunit que superficiellement et sans créer d'Univers symbolique, sans fonder de civilisation digne de ce nom.

La démocratie moderne repose sur la Nation depuis son origine révolutionnaire. La Nation a précédé la Démocratie. Cela n'est PAS une proclamation nationaliste, car le nationalisme biologique, ou xénophobe, est clairement une impasse. C'est l'affirmation que la Démocratie a été adaptée à un peuple ayant conquis son unité et la conscience de lui même sous le nom de Nation. Ce qui fait que les citoyens défendent raisonnablement l'intérêt général c'est que très clairement l'intêret de la Nation est très clairement le leur. Si l'intérêt de la Nation leur est étranger, ou n'est pas dans la conscience, alors les votes et les élus seront communautaires : les représentants ne représentent plus la Nation mais des communautés. De ce fait il n'y a plus de représentants de la Nation mais des représentants des communautés. Et chaque individu a intérêt à appartenir à une telle communauté qui lui permet d'accéder à la puissance sociale, comme représentant des femmes, des homos, des Arabes, des handicapés, des Bretons, des patrons...

Le mensonge ou spectacle se généralise. On est représentant des opprimés, il y en a plus pour voter, et on défend les intérêts de l'oligarchie, cela seul paye vraiment. Ainsi on voit des poly-opprimés, femmes prolétaires d'origine étrangère, se montrer aussi parées, répressives et féroces au service de l'oligarchie que des hommes bourgeois blancs. Les gouvernements sont des castings d'opprimés photogéniques. On oublie qu'une fois maître, la victime n'est plus victime mais bourreau. Voyez Ahmadou Kourouma, que Dieu le remercie pour ses oeuvres. Il n'y a pas dans la réalité de cercle carré, pas plus que de dictature des opprimés. La dictature d'un groupe est l'oppression des autres. Point. Seule la hiérarchie organique concilie l'organisation et la reconnaissance.

Si l'État se comporte comme prédateur et dépèce les richesses publiques, banques assurances, énergie, eau, transports, pour les distribuer à ses clientèles, alors l'État doit mentir et parler gravement de l'intérêt général en le piétinant. Du développement durable en s'asseyant dessus. Du respect du Droit en soutenant des tyrannies. Ce règne absolu du mensonge au sommet crée une démoralisation souterraine mais persistante .

Qui peut croire réellement à l'intérêt national quand on ne se sert de l'évocation des victimes et de la morale que pour rendre service à un pouvoir cynique et manœuvrier dans le partage des richesses et de la rente?

En vérité, on commence à se méfier quand un discours sur les myopathes, les déportés, les victimes, la pollution commence à être une fois de plus bafouillé de termes ronflants. On ne veut plus l'entendre! La cruauté de Kourouma ou de Sade apparaît comme un souffle d'air pur dans ce monde corrompu. La cruauté est devenu synonyme de liberté. Le Vampire est un héros moderne. L'âge moderne est fasciné souterrainement par le nazisme et s'en déculpabilise par des rites expiatoires multipliés.

L'immoralisme cynique et crypté du sommet, comme dans les régimes totalitaires, trouve à son service la Bêtise au front de taureau. Les hiérarchies intermédiaires sont faites de serviteurs avides de pouvoir et de reconnaissance, et qui connaissent et cachent avec soin leurs insuffisances, ou dont la suffisance se passe de cette dernière lucidité. Ceux là croient et se parent de la « déontologie », de l' « éthique », de l'idéologie en bref et croient à ce nouveau culte, quel qu'il soit. Les apparatchiks de la Démocratie auraient été apparatchiks en URSS ou ailleurs. Voyez les anciens pays communistes avec les hommes affaires issus des jeunesses communistes... S'ils sont très bêtes, ils écrivent de graves livres pontifiants sur ces sujets à principes-à compte d'auteur, en fin de carrière. Avisés, ils écrivent des livres à principes plaisants, avec des images, et en gagnent de l'argent, comme le « Grand traité des petites Vertus ». Les livres graves et moralisateurs sont tellement nombreux! Rares sont ceux qui écrivent ou même disent que tout cela, "l'éthique", la "déontologie" est foutaises, car c'est le bouclier, la légitimité de leur domination.

La morale légitime les imbéciles, cela devrait te faire réfléchir, mon lecteur. Les imbéciles sont les plus surs garants de la moralité publique. Ils la respectent souvent sans aucun effort, n'ayant aucune imagination et des désirs simples. Et la dissidence, et les refuzniks sont souvent immoraux par excès de pureté...

L'immoralisme des représentants, leur mépris ouvert des lois et des principes dans leurs actions, de la sincérité dans leurs propos, le délitement de la Nation par les communautés sont des évidences publiques.

La justification permanente de la propagande, de la manipulation, de l'irrespect des principes les plus fondamentaux du régime se fait par l'invocation grandiloquente de « bonnes causes » (voir le « tableau synoptique des bonnes causes » à suivre). Ces bonnes causes sont instrumentalisées, sont des armes d'un exercice cynique et brutal du pouvoir. Mais cet armure de bénignités victimaire rend impossible toute opposition réelle organisée. Comment être contre une bonne cause?

On vous dira :

«Vous êtes contre le secours des victimes? Si vous répondez oui, on vous dira que c'est un délit et qu'il est vain d'espérer le respect et l'écoute : on vous écrasera comme une punaise. Mépris, silence, procès. Voyez Bové, dont je ne partage pas les idées.

Si vous voulez dire : « Non, mais... » on vous coupera immédiatement la parole, comme s'il y avait là quelque chose d'inintelligible pour le bon peuple : On sourira d'un air supérieur :

« Alors, vous êtes pour lui! »dit le journaliste.

« Alors vous êtes pour moi ! » dit le politique.

On assiste à une déréalisation de la vie politique, qui devient fiction, pour les « faits », et parodie, pour le « débat » et la « consultation ».

Ce tableau est le tableau de la vie politique des « démocraties » modernes. Celles ci sont des médioligarchies libérales, avec une fonction essentielle d'ingestion et d'excrétion, au service des populations âgées et riches, sans avenir, et préoccupées de gamineries et de vieillissement. Leur égoïsme est absolu et se pare de tout ce qui est biologique, équitable, durable... Cette société ne se préoccupe d'éduquer que pour produire à son service et consommer. Il n'y a pas de projet national.

Il y a des logiques floues. L'individualisme,le communautarisme superficiel et le politiquement correct sont la pente de la tyrannie floue, déconcentrée du monde moderne. Cette tyrannie est basée en partie sur l'autonomie des comportements programmés et sur le désir.

La démocratie moderne est déjà un Ancien régime. Mais son manteau doit cacher Léviathan. Jamais il ne se découvrira de lui même, car il se pare de toutes les dépouilles des bonnes causes. Un épouvantail de Justice!

Une tyrannie floue.


De la Tyrannie Floue 1

Des Grands Interdits sous les fleurs artificielles


La Tyrannie totalitaire classique est déterminative, capricieuse, déterminative, pleine d'ordres, de réquisitions, d'obligations, de travail forcé, de terreur. C'est une tyrannie linéaire, concentrique, unanimiste.

La Tyrannie floue de cette fin d'âge de fer semble peu sérieuse à la plupart des hommes. Quel risque représente-t-elle, quel est l'enjeu de sa critique? Cette réaction nous indique pourtant le premier critère de reconnaissance de la Tyrannie floue : sa déréalisation, son aspect insaisissable qui facilite tant le négationnisme, le rire qui balaie la question.


Pourtant la Tyrannie floue est bel et bien une tyrannie, un pouvoir négateur irrésistible pour la plupart des hommes, oppresseur et contraignant, et illégitime. Ce que nie la tyrannie floue ne peut venir à l'être ; ce régime empêche la vie pleinement humaine de se déployer dans sa hauteur, largeur et profondeur ; ce régime met au service de sa réalisation la vie entière des hommes.

Enfin ce régime ne peut respecter aucune légitimité ni d'ordre juridique présentant de réelles garanties, des garanties intangibles, inaliénables et sacrées, à ses sujets dit « citoyens ». En cela il est comparable au « mouvement »totalitaire.

La tyrannie floue est ainsi nommée par analogie à la logique floue. Là où une opération logique classique donne un produit unique, une opération de logique floue donne un ensemble de résultats, un espace de probabilités déterminées, une apparence stochastique sur de faibles séries mais atteignant une forme par la répétition, qui produit des masses critiques sur des séries indéfinies. Ainsi se forment des figures par le passage des hommes sur un estran sableux, qui finissent par former des chemins principaux, majoritaires. Un attracteur étrange : le Léviathan. La tyrannie floue n'agit pas par détermination directe et uniforme du comportement, mais par limitation insidieuse de l'espace de possibilités, et plus par l'incitation et la manipulation que par l'interdiction brutale. Il suffit d'une régularité probabiliste des grandes masses de peuple pour que le système fonctionne de manière déterministe. Cela est analogue au rapport entre la théorie quantique et la mécanique classique.

Là où une tyrannie classique pose des interdits rigoureux et explicites, la tyrannie floue laisse autant que possible l'interdit dans l'ordre de l'implicite et proclame la liberté individuelle. Le respect de l'interdit est posé comme une évidence de fait, la frustration de l'interdit étant réduite au minimum et même occultée, déréalisée. Nous nous posons aussi peu d'interdits explicites que possible.

Les déterminations implicites des matrices de comportement recommandées, les négations les plus intimes de ces matrices, sont déréalisées. Il ne s'agit pas d'interdire des choses réelles mais de ne pas faire de choses qui de toutes façons n'ont aucun fondement ontologique. Ainsi j'ai le droit de croire en la sorcellerie, mais je risque un procès si je la pratique sincèrement ; non pour sorcellerie, mais pour abus de faiblesse. De même le racisme est interdit non pas parce que nous ne le voulons pas, mais parce que les races humaines n'existent pas. L'interdit est une erreur, avant d'être une faute. Là où le totalitarisme détruisait physiquement ce qu'il niait, la tyrannie floue prive ce qu'elle nie de poids ontologique. La violence est devenue invisible, déréalisante.

Si je pose comme dans les civilisations traditionnelles que la religion est le lien entre la communauté humaine et le monde des dieux, et donc le lien des hommes dans la communauté elle même par l'intermédiaire des dieux, je suis libre de le penser comme une croyance privée. On se contentera de sourire. Mais renvoyer la religion au privé est vouloir faire vivre un poisson dans les nuages. L'ordre laïc est l'interdiction de la religion vécue des Grecs, des Romains, des Juifs, de toutes les grandes civilisations. Elle est l'interdiction d'un ordre humain organique ouvert sur la dimension verticale, sacrée.

Mais la laïcité n'est nullement présentée comme une interdiction massive et grave méritant discussion ; elle est présentée comme la liberté pour tous de croire « ce qu'on veut » - le supermarché de la « religion », où chacun fabrique sa « religion », le marché libre appliqué à ce qui est commun et donc la destruction inévitable de l'Univers commun et de la transmission des symboles sur des critères contingents et sans valeur, ceux du caprice individuel. La laïcité, c'est le libre marché appliqué à la croyance. Et rien de plus.

On ne peut pas croire « ce qu'on veut », être grand beau et riche quant on est petit laid et pauvre sans sombrer dans la folie. Croire ce qu'on veut est être une victime de la machine aux illusions, la volonté de croire des choses réconfortantes, ce que les progressistes connaissent très bien par la pratique, car il est bien évident que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes comparé à l'horreur de la Grèce Antique. Mais cette laïcité de « croire ce qu'on veut » et de « respecter les autres »présente toute volonté d'établir un Univers de civilisation comme « un retour de la Barbarie ». Je ne peux donc pour respecter cela que « croire ce que je veux », croire que ma croyance est personnelle, arbitraire,fantaisiste, et être conscient que ce que je crois n'a qu'un intérêt infime, privé. Le croyant de l'âge laïque vit une religion vide, sans prise dans le monde des hommes, et sans poids ontologique. La religion de l'Âge de fer est impuissance résignée ou furieuse. L'inflation émotionnelle des cultes en masque le vide.

Sous la liberté la laïcité est une interdiction essentielle qui ne veut pas s'avouer. Je peux croire mais pas réaliser. Croire sans réaliser rend la croyance vaine. Je peux parler mais tout doit rester « des mots. », des paroles verbales. Il s'agit bien de la négation ontologique de cet Être qui gêne l'idéologie de la Tyrannie floue.

Et celle-ci n'a nul besoin de parti unique ni d'un canal officiel. Elle accepte, comme une musique, d'infinies variations qui en fond un caméléon idéologique. Mais rien d'essentiel ne varie pourtant. Entre nous, lecteurs, le premier apport de Guénon est celui d'une pensée construite, rigoureuse, et extrêmement rétive au dressage idéologique moderne, qui a su dresser les plus féroces ennemis, comme Nietzsche, ou les ignorer. Le contenu vient après le glaive qui déchire le voile.

Pour être transmise l'idéologie est présentée de différentes manières :

Comme « fait » (définition : ce qui ne se discute pas, qui échappe à la remise en cause discursive. Une autre : phrase pourvue de la force ontologique de l'Être.)

Comme espace de positions légitimes dans un débat (jamais si possible comme axiologie explicite, car dire explicitement une axiologie est aussi rendre évident son arbitraire, plus précisément le fait qu'elle repose sur le jugement d'un Souverain. Et cette évidence renvoie à la question de la légitimité, sur laquelle l'idéologie moderne ne peut que se montrer vide, ne reconnaisant que des légitimités provisoires et fragiles.C'est à dire les légitimités du contrat posant des volontés individuelles. Légitimité totalement fictive dans le monde de la Nation ; aucune entité politique n'a jamais été fondée sur un contrat. La tyrannie floue accepte la mythologie rationaliste à son service.

Par la condamnation des positions illégitimes comme délit, discriminations, etc, motivées par la bassesse ou l'ignorance, et non par des raisons rationnelles ou humaines méritant examen.

Ainsi on présente comme de grands et sots obscurantistes les marabouts africains traditionnels, ou les adversaires des Lumières; et celui qui veut aujourd'hui rejeter l'idéologie dominante est invité à porter la responsabilité de l'inquisition, des guerres de religion, de la traite des noirs, des lettres de cachet, de la corrida, du racisme, du fascisme et du nazisme, du goulag, et j'en passe. Pourtant je ne revendique aucune de ces responsabilités. Il est vain d'argumenter.

Basé sur de grands interdits implicites, inavoués, la tyrannie floue est donc essentiellement basée sur le mensonge, ou Spectacle de la liberté. Car les grands interdits travaillent le désir humain. Il faut sans cesse proclamer la liberté pour effacer la trace de l'interdit , lave bouillonnante qui menace toujours de déborder du Volcan endormi. Masquer le paradoxe mortel que livre le peintre bouffon de la toute puissance individuelle :

« Nous hommes libres, sommes libres. Hommes libres, un deux, trois, désobéissons! »

(Alfred Jarry, Ubu enchainé.)


A contrario exact au Mont Dol on voit encore l'empreinte de pied du Dragon quand il bondit pour combattre l'Archange, et les ermitages très anciens qui entouraient ce signe. Les saints gardent le signe du Dragon. C'est le signe de la Gnose.

Le plus grand désir humain est d'être comme des Dieux, connaissant le bonheur et le malheur ; l'analogue des dieux, puissance de réaliser, de séduire, de vaincre, créer, bâtir, ordonner un monde, dominer, transcender, s'élever parmi les cieux. Dans l'ordre horizontal, ce désir de puissance ne peut être avoué et se pare sans cesse du désir de servir. Le mensonge et la mise en scène font depuis partie de l'essence du politique. L'Artiste lui même doit parler de l'art avec ironie et distance, cacher sa volonté de puissance et de Théurgie. La force du penseur est la cruauté avec laquelle il se scrute comme volonté de puissance.

La volonté de puissance, l'agressivité, la violence sont fondatrices d'homme. L'homme véritable est cruel, dément de désir, fait d'ailes comme l'Aigle et le vautour. L'homme véritable, l'Adam, s'affirme consciemment par le mal depuis l'origine. Il est cette force qui va au delà des limites où le dépose son impétus. Vaisseau fantôme sur des océans fantômes, au delà des rugissement et des hurlements de la route de la Lune.

C'est cet homme authentique qui peut vouloir la Croix.

Le désir de puissance, le désir de mort, le désir gnostique sont trois grands interdits de la tyrannie floue. Ces trois sont rassemblés sous l'unité de la Nostalgie, la soif essentielle de l'homme pour le surressentiel, la conscience, qui se limite et se dépasse à partir de ces limites par des bonds successifs, comme une grenouille, ou encore par les convulsions d'une murène, ou encore comme le Tigre, image du feu qui se répand en incendie. Je le répète, les hommes sont fascinés par la puissance et la violence de manière inavouée, et se déchargent de leur culpabilité inavouable par des commémorations et des devoirs de mémoire. Pourtant le Maître lui même a affronté la Tentation, et la fuite de la tentation n'est qu'une tentation de plus, la tentation de se croire bon par soi.

Comment se présente la cage où la tyrannie floue enferme l'exilé spirituel? Elle se présente par l'ouverture unidimensionnelle, la négation et l'anesthésie. Elle se présente comme toute puissance, absolutisme horizontal de l'individu.

La dimension horizontale est largement ouverte et même matraquée par une véritable propagande. Ce matraquage occulte la fermeture de la dimension verticale. On parcourt librement un plan.

Là où la cage de la tyrannie classique est faite de terreur, de sang et de torture, la cage de la tyrannie floue est faite de vide et d'anesthésie.

La puissance d'anesthésie de la tyrannie floue, qui permet d'effacer toutes les douloureuses aspérités du réel, est pratiquement impossible à refuser. Qui refusera une anésthésie pour une opération au motif de vouloir goûter l'âpre saveur de la vie? Et le fait de savoir que l'on peut éviter la douleur change totalement le sens de la douleur, la rend inacceptable, absurde, objet de révolte et de scandale. Le destin devient choix. Pourtant la douleur était le poinçon de la production de l'homme véritable, un ingrédient des initiations.

L'homme moderne ne peut que fuir la douleur avec horreur. Il ne peut l'affronter puisqu'il peut la fuir sans efforts. Le courage nait dans l'incendie des vaisseaux, de l'obligation vitale de combattre. C'est le courage des martyrs; Le chat acculé affronte les chiens.

La vie anesthésié rend l'homme dépendant de la société moderne, qui le protège de la douleur et des affres de la mort, même en pensée. Qui aujourd'hui affronterait la torture?


Bénits soient les pas de celui qui viendra

Pour m'annoncer la mort!


L'absence d'interdit de la toute puissance individuelle n'est pas une puissance supérieure pour l'homme de la nostalgie.

Les interdits sacrés, comme le talon d'Achille, enseignent la créaturalité, sont les ouvertures vers le destin, la transformation le retour vers le monde des dieux. Car une totalité close, indestructible, que veut former le désir horizontal, ferme la voie des métamorphoses, des floraisons, des fruititions de l'âme et de l'esprit, qui partent aussi nécessairement de destructions et de pertes. Tout choix est perte de ce qui n'est pas choisi. Il est du destin de l'homme de renoncer à chacune de ses plus grandes réussites.

Les interdits sont les prises qui permettent de passer les parois, les appuis qui permettent l'impulsion du retour à la surface. La toute puissance de la créature n'est qu'impuissance rageuse. Vide. Ainsi le regard de Staline au sommet de sa puissance. Ainsi notre élu.

Il risque de se voir, l'homme de la tyrannie floue, homme châtré, privé des affrontements, des risques de mort, des choix cruciaux de la vie et de l'histoire, il risque de se réveiller à cinquante ans comme n'ayant pas vécu comme un homme, dispersé comme une brume par ses propres désirs, écrasé par ses illusions sur l'horizon toujours insaisissable de la satisfaction du plaisir, vieil enfant incapable de mûrir, incapable d'être récolte, moisson. Incapable de mourir avec joie d'une vie ayant eu une réalité. Il n'est plus qu'un corps, dans l'amertume et la crainte de la mort.

Affronter la tyrannie floue est peu possible, vu la disproportion des moyens. Mais celui qui passe sans se laisser attirer par cette sirène fascinante l'oublie par les chemins. Celui qui accepte de se laisser lier, de fermer ses sens. Car celui qui n'affronte pas l'ennemi ne crée pas l'ennemi.

C'est pourquoi le but de ce travail étant atteint, lecteur, ne t'attarde pas à ces problèmes infimes. Je parlerais bientôt des particularités de l'organisation de la Tyrannie floue.

Le Nihilisme comme Eléphant



(Iris, Dürer)

La Gnose est la recherche de la connaissance salvifique. Le gnostique cherche le salut sur les voies étroites et tortueuses du savoir, des hommes savants, des livres recouverts de poussière et d'oubli. Il le cherche dans la vie des auteurs et dans les mythes, ces récits qui sont comme des index pointés vers les astres cachés.

Que cherche-t-il? Comment savoir ce savoir qui justement est cherché? Et comment le chercher sans le savoir?
Tout commence par le dépassement du langage par la pensée. La sémantique est dichotomique par nature. Toute position sémantique est négation. Toute description comporte une ombre, qui est structurellement identique et sémantiquement opposée à elle. Ainsi les discussions des systèmes philosophiques, sur le progressisme et la réaction, sur le matérialisme et le spiritualisme sont elles fondées sur des unités concrètes. Il ne peut naître de communication que sur la communion de fondements communs qui ne sont pas mis en cause. Une affirmation matérialiste "tout est matière" a pour ombre l'affirmation "tout est esprit", et de même "Dieu existe" lève dans l'horizon sémantique l'aurore de la "mort de Dieu". L'être lui même est fait de polarités.

C'est pourquoi toute "orthodoxie" qui s'installe pour ordonner la Cité humaine doit définir ce qui peut être dit, elle même comme ensemble de thèses, et définir l'hérésie. L'orthodoxie pose l'hérésie comme son ombre, et l'hérésie nie l'orthodoxie tout en étant son image en négatif, tant et si bien qu'elle ne pourrait
complètement la nier. L'hérésie veut remplacer l'orthodoxie, devenir celle-ci. Ainsi les idéologies totalitaires. Elle est le gouvernement fantôme de la Cité, rôle qu'assument « les partis extrémistes » dans notre âge.

Notre monde de tolérance est aussi intolérant que n'importe quel autre, aussi affolé de ses ombres, toujours en condamnation morale et recherche de figures du Mal. Et ceux qui invoquent avec hauteur la nécessité de faire de « la place à la diversité »seraient bien incapable de faire de la place à ceux qui se moquent bien de «faire de la place à la diversité »et de leurs moralités chipoteuses et bécassières ; la diversité acceptable doit répéter leurs vénéneuses insignifiances par ses représentants autorisés! La diversité légitime est celle qui ne remet rien d'essentiel en cause. Et c'est pourquoi cette « diversité »est toute superficielle, et la monotonie bien réelle. La dichotomie, et le dualisme implicite de la morale ordinaire dominent notre âge autant et plus que les âges passés.

La Gnose véritable cherche la réintégration du Mal ; pose la naissance des Ténèbres dans la procession de la Lumière. Le combat nait dans l'Un, et chaque homme porte cette déchirure fatale. Tout étant en porte la marque. Le péché originel concerne l'origine même. La marque qui est portée fait le savoir originel comme une souffrance, la question motrice de la quête gnostique, la nostalgie ou désir. Mais contrairement à la psychanalyse théorique, ce désir n'a pas d'objet connu, et c'est donc le savoir de la nature de l'objet du désir qui est la quête. Il n'y a ni deuil, ni mélancolie au sens de rumination vaine d'une perte d'objet. Et savoir l'essence de la nostalgie, c'est savoir répondre à la question : qui suis-je, la question de l'Apollon de Delphes posée comme obligation : « connais-toi toi même. ». Là l'objet se dissous en son essence, n'apparaît que comme un symbole de l'absence de tout objet.

Face à la division métaphysique, morale et mondaine, la Gnose est la dimension intégrative, la puissance infinie de dépassement et de destruction des apparences mondaines binaires. La Gnose est la dialectique que symbolise le Tao, mais aussi la Croix, montrant le supplice de la déchirure qui marque l'existence à partir du Principe. Savoir, c'est relier, donc tendre vers l'Un. Il n'y a opposition que dans un horizon de négation, de tragédie. La Gnose contient les récits du drame céleste, qui ne peut être dit.

La Gnose ne cherche pas la réconciliation par la négation du négatif. Cette volonté est illusoire car paradoxale. Voyez la situation de ceux qui veulent détruire tout le mal : c'est illusoire, car celui qui détruit n'est pas pur, et paradoxal, car dans leur œuvre de destruction ils commettent et aggravent le mal. Le bourreau n'est pas innocent. Il parsème le monde de grands cimetières sous la Lune. Notez bien que la négation du négatif ne produit du positif qu'abstraitement, et que concrètement l'acte de nier l'emporte. La négation concrète du négatif redouble le négatif, le renforce en l'intériorisant et en le dissimulant. Au mieux on produit un spectacle de réconciliation. Enfin le jugement sur ce qui doit être classé positif ou négatif se fait de perspectives humaines, c'est à dire est entaché de négatif, ce qui ne peut qu'entraîner le bourreau dans des « dommages collatéraux »qui deviennent vite plus importants que l'éradication attendue. Voyez la corruption rapide et radicale des Utopies humaines.

Pas de réconciliation illusoire donc, mais bien- dans la sénestre du Père- dépassement des oppositions par l'exaltation de celles-ci dans le temps : c' est la Guerre céleste. « Le combat, père du monde ». Le Maître dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais la guerre » mais aussi « aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ».

C'est de la naissance de la dyade en l'Un que nait le Temps, c'est à dire le Verbe auprès de Dieu, Récit archétype, Cantique des cantiques. Pour la Gnose le récit symbolique est un mode de pensée autant que le texte argumentatif. Cela ne peut être le cas d'une pensée discursive qui fonctionne par séparation, et pour laquelle le mythe n'est qu'un conte, une fabulation arbitraire.


Les courants gnostiques affirment l'unicité de la puissance divine, tant dans l'adoration-on ne peut adorer que Dieu- que dans le service. C'est le sens de l'amour des ennemis. Ainsi trouve-t-on un évangile de Judas, où Judas aurait reçu l'enseignement de la nécessité de sa trahison du Maître lui même. Ainsi Boulgakov rappelle-t-il le Faust de Goethe en frontispice du «Maître et Marguerite » : « Je suis celui qui éternellement veut le mal , et qui éternellement fait le Bien. » ; ainsi fait-il de Ponce Pilate le plus proche interlocuteur de Ieshoua. Par ce sens de l'ambiguïté, certains gnostiques ont été, comme Marie-Madeleine, et comme le Maître lui même, source de scandale. Mais c'est la condamnation du moralisme pharisien que l'on retrouve sur Ses lèvres : « Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés : car c'est à la mesure de vos jugements que vous serez jugés ». Juger, c'est séparer. « Il fait soleil sur les bons comme sur les méchants ». Cela ne signifie nullement qu'il n'y a pas de jugement, mais que le jugement de l'homme est corrompu, et une cause d'aveuglement.

Le caractère hétérodoxe de la Gnose n'est pas miroir d'une orthodoxie, mais se situe dans l'absence principielle de définitions dogmatiques, car la définition est une fin et nie la dialectique fondatrice du drame céleste et humain. Seul le retour vers le désert du Suprême est la fin, le silence et la paix. La Gnose n'est pas l'hérésie mais peut en être une source par malentendu, si l'on affirme la Gnose comme une affirmation discursive, alors que les mots ne sont que voile qui doivent toujours déjà être dépassés. L'exigence de la Gnose dépasse l'exigence humaine de l'établissement d'un Ordre mais ne la nie pas, étant étrangère à l'ordre mais aussi à ses enjeux. Beaucoup d'hérétiques sont des gnostiques mal dégrossis qui affirment une gnose comme une foi, donc entrent en conflit avec l'Ordre, ce qui est une erreur, sinon une faute. Car l'Ordre, selon la perspective, est une image de l'Ordre divin. Ce jugement cependant offre de grandes difficultés à l'âge moderne, où des ordres monstrueux se sont élevés. L'absence d'intervention des courants gnostiques dans les débats publics ne peut être une règle absolue, d'autant qu'à l'Âge de fer se rencontrent des gnostiques sauvages, comme Simone Weil, dépourvus de la sécurité d'une transmission sapientielle, et que leur seule soif recommande à la fontaine.

En résumé, en plus de ces accointances suspectes avec l'hérésie, la distance à l'énonciation et à la morale fait de la Gnose la complice, voire la source du Mal aux yeux de l'homme moral. Qu'en est-il du nihilisme?

Les affirmation "tout est matière" opposée à "tout est esprit" n'auraient absolument aucun sens dans l'absolu. Ce ne serait qu'une discussion arbitraire sur l'arbitraire du signe choisi pour nommer « la substance constitutive de toute chose. », si tant est que cela corresponde à une classe de faits. Le sens du débat n'est pas là, dans l'explicite des termes, il est dans les appréciations morales et culturelles implicites sur le couple "Esprit VS Matière". Une philosophie analytique est superficielle en se croyant rusée : la pensée se meut dans l'horizon anthropologique d'axiologies implicites, et n'est pas pur calcul de formules explicites.

A savoir que s'affirmer nihiliste ou matérialiste est poser que les valeurs morales ou esthétiques, ou le sens et la finalité, (que notre culture classe comme attributs de l'esprit) sont des jugements arbitraires. Ces jugements sont dit arbitraires car non fondés sur l'être, "l'objectif", mais "subjectifs". Là encore, la réconciliation, la fin des contradictions inhérentes à l'exercice de la pensée est assimilée à la négation d'une des deux polarités d'une dyade. C'est une opération abstraite paradoxale. Comme si "l'objectif" existait en soi, en dehors du sujet qui pose un objet. Et comme si on pouvait assimiler "subjectif "et "arbitraire", comme si je pouvais choisir arbitrairement ce que je ressens. (Cette assimilation est révélatrice de l'anthropologie de la toute puissance individuelle de la mentalité moderne.) Ces jugements arbitraires sont le produit d'esprits individuels et leur être n'est qu'un souffle si une puissance ne les impose à autrui. La domination est la clef des "jugements de valeur" partagés. Il n'existe réellement que les forces et les positions : c'est un point de vue dit cynique. La morale, c'est la culpabilité au service de la domination. Là dessus, on conclura généralement qu'il faut poursuivre notre plaisir individuel alors que tant de menteurs moralisateurs nous disent de chercher notre salut, etc. (et bien sûr les menteurs ne tiennent ce discours que pour nous asservir à leur propre jouissance.) Pour connaître cela, voyez Onfray, à la suite de myriades de petits maîtres.

Mais cette posture pseudo rebelle, cette négation ontologique, cette condamnation au subjectif du Bien, du Beau, de la Finalité, du Sens, (négation ontologique avec survalorisation de l'homme, c'est encore plus consolant et vendeur : ne suis-je pas ainsi la mesure de tout bien et de toute beauté? Voilà une grande satisfaction d'étudiant moyen ou de petit bourgeois)-cette négation ne nait que dans l'horizon de l'opposition Esprit VS Matière, qui produit structurellement le couple Objectif VS Subjectif. Le subjectif pur est ontologiquement infime, arbitraire, en définitive produit d'une imagination sans puissance. « Un jugement purement subjectif »ne mérite d'être pris au sérieux que comme expression d'un ego souverain, mais pas pour juger d'une existence, où le subjectif produit la fantaisie des fantômes, des martiens et des fées. Une telle matrice combinatoire satisfait l'ego moderne. L'objectif de la production matérielle, de l'argent, de la puissance mondaine est protégé dans sa solidité et sa concrétude rassurantes. Les propriétés de la "matière" sont définies par la négation de celles de "l'esprit" et réciproquement à l'intérieur de notre langue. Ce renversement, cette soi disant rébellion n'est que conservation renversée et rien de plus. Et cela, dans l'intérêt global du système social existant, à la manière des obscurantistes que ces auteurs montrent du doigt avec suffisance. Tout ça pour arriver à quoi? A renverser l'huile, Anouchka?

Pour arriver à conclure que ces oppositions sémantiques dichotomiques, qui posent des moments comme des essences séparées sont les principes souterrains de ces débats sans saveur, et que le penseur supérieur n'a pas l'obligation d'être dupe, de partir des obligations sémantiques de son langage et de sa culture. Au fond spiritualistes comme matérialistes sont des perroquets stériles de matrices sémantiques. Le penseur supérieur n'a pas d'opinions. Il cherche la matrice commune des opinions, pour en sortir.

De même pour Nature VS Surnature. On conçoit en Occident le Surnaturel comme un monde autonome surplombant la Nature elle même autonome. C'est le fondement de la séparation entre la Théologie et la Physique. En réalité, on peut aussi le penser le surnaturel comme hypernaturel, hyperousia conformément à son essence, comme exaltation de la Nature, toujours déjà présent en elle, et ce qui est vu est à la mesure des yeux qui regardent et non de ce qui se montre. La mesure, c'est ce qui mesure, non pas ce qui est mesuré. L'homme qui mesure ne trouve que lui, mesure du monde. L'homme qui mesure est donc nihiliste : "il n' estrien que moi, moi, moi!".
C'est pourquoi le sage au présent cycle ne peut que conseiller la démesure qui brise la mesure : "Si tu as le sentiment d'être allé trop loin, c'est que tu as eu raison"(Hagakure).

Le Seigneur est toujours déjà réalisé. « Là où Moïse fut, je suis.» Le poisson peut nager à l'indéfini, partout où il ira il sera encore dans l'eau. Le saumon doit revenir à la source et mourir, alors il verra au delà de l'eau. Dans l'histoire des sciences, ce phénomène est objectivé sous le nom de « changement de paradigme » à la suite de Thomas S Kuhn. Mais on en parle beaucoup et on le voit peu. En réalité, le saumon de la nature est bien un symbole de la Gnose, et l'observation de de la nature est Temple pour ce qui contemple en l'homme. A ce titre, l'observation des Iris de Dürer en apporte le signe pour qui a des yeux. Et comme le rapporte l'Edda, être borgne est peut être le moyen de voir.

De ce fait il n'y pas de monde surnaturel surplombant un monde naturel séparé, mais un seul entrelacement kaléidoscopique de mondes qui s'occulte et se montre selon la formation du regard. Et la formation du regard, c'est la Gnose. La gnose, c'est apprendre à voir. Voir est une discipline du désir. On a mille exemple de choses qui n'apparaissent qu'avec le savoir. L'homme domestique tombe, se perd dans la montagne et meurt, là où le voyageur et l'éclaireur vont en rêvant sans même voir leurs pieds. Et l'homme ami de la mer voit la vie et le monde dans son miroir. De même certains ne comprennent pas pourquoi le Cantique des Cantiques est retenu dans le Corpus de la Bible. L'apparent n'apparait que dans un regard, l'audible n'est entendu que par des oreilles. « Qui suis-je, demande le Maître. (...) C'est toi qui le dit »

Car la pensée, quelle qu'elle soit, est humaine et position de l'homme. Ce sur quoi elle informe est bien plus le sens du regard que le monde sensé être vu. Et la position n'a d'intérêt que pour la vie, entendue non pas comme biologie mais comme mode d'être de la créature vivante, dite animée. La position est point d'appui pour la transformation et n'a de sens que par rapport à cette cause finale. La position des éléates, qui niaient le mouvement, n'avait aucune valeur si elle n'entraînait qu'une vie identique à ceux qui le constataient. Le Nihilisme ne se comprend que comme aveuglement : j'ai cherché, je n'ai rien trouvé ; ainsi il n'y a rien, et ceux qui ont trouvé ont des illusions, des symptômes. Ceux qui ont des symptômes sont des malades qui doivent être guéris ou écartés. Le nihilisme cherche à expliquer ce qui a été vu, et cherche à fonder la vie humaine dans la négation qui ouvre à la toute puissance de l'ego : « rien n'est vrai, tout est permis!» C'est ainsi que des aveugles- des sots bien informés, et fort riches avouons le- croient juger ceux qui voient. Le nihilisme est l'idéologie conséquente de la société de production/destruction, de l'âge moderne. Nier la valeur, l'existence même de ce qui s'oppose au procès de destruction/ production n'est que la première étape de la destruction pure et simple des obstacles. Nous en donnerons maint exemples. Le plus visible pour l'humanisme moderne est la destruction de populations humaines après avoir diffusé des idéaux de négation de leur « valeur », de leur « utilité ». Un autre est la négation de la valeur objective de l'oeuvre d'art, soit par le marché, soir par le subjectivisme esthétique qui définit le beau comme ce qui est dit beau par un ego, ce qui permet de faire de tout un art, selon la toute puissance individuelle, et donc d'annuler la particularité de l'Art.

La Gnose véritable doit transformer la vie. C'est pourquoi elle est devenue Théurgie en avant dans le cycle de l'Empire Romain, là ou l'alchimie conceptuelle ne réussissait plus à former les métamorphoses de l'Adepte. Aujourd'hui il semble que l'Art soit la théurgie cherchée. L'Art véritable est Théurgie.

Dans les activités théurgiques, qui font Dieu, l'Art est une première citation. L'Art, c'est de rendre visible ce qui se dévoile à un regard supérieur. Non pas visible à tous, mais à ceux qui peuvent au moins sentir comme une lumière infime sous une porte fermée dans l'obscurité. Ainsi, dans une grotte peut-on sentir le mouvement de l'air, le signe du dehors ensoleillé, l'odeur des fleurs et de l'humus. On ne peut voir avec les yeux d'un autre, entendre avec ses oreilles, et pourtant c'est cela l'art, communiquer ce qui n'est pas universel, une passion au sens spirituel du terme-ou non. La pornographie veut communiquer la passion sexuelle que sont censés vivre les acteurs. Cette communication peut être d'un ordre très élevé ; elle n'en est pas moins inférieure au regard original. Dans les Arts visuels, la communication est une passion de la Vision. Cela distingue l'activité théurgique de l'Art d'activités décoratives.

Ainsi dans les arts visuels peut-on communiquer sans parole, communiquer sans signes, malgré l'appui de signes ; car c'est le regard qui est communiqué. De ce fait annuler l'Art est nier la Gnose. La Gnose, qui pose tout étant comme un Vestige de la Croix, comme objet de respect et signe du mystère, ce que manifeste l'artiste. De ce fait la Gnose est contemplation du deuxième livre, et non arraisonnement, destruction comme matière première d'une production de richesse. La Gnose voit qu'un Homme peut être sacrifié à un signe, là où le nihilisme nie et sacrifie tous les signes « pour l'homme », ce qui est aussi destruction de l'humanité de l'homme, pour en faire une sorte d'organisme régulant ses échanges avec le milieu par l'absorption-destruction et l'excrétion, un être collectif, un Léviathan, dont l'entéléchie devient les nécessités du corps.

Le Nihilisme est l'idéologie officielle de l'Âge de fer, et il ne peut que se poser comme rebelle, car le modernisme et le progressisme doivent officiellement aspirer à leur propre destruction. Et j'affirme que seule une pensée née sur le terreau de la Gnose peut supplanter le Nihilisme, car seule elle lui est radicalement étrangère dans la mesure du possible, assez profondément étrangère pour en être indépendante. Simone Weil a tracé des pistes. Comme Protée, le Nihilisme réapparait dans l'horizon de toutes les idéologies modernes qui veulent le détruire. Celles ci partagent ses principes souterrains, et ne sont que des moyens de déployer la crise nihiliste de l'Âge de fer en la voilant. Le nihilisme est la partie idéologique d'un grand organisme parasitaire-il se nourrit de tout ses opposants- qui emporte le monde dans l'Age de fer, et que comme les aveugles avec l'éléphant, nous ne décrivons que par fragments sans en saisir la structure systémique. Nous ne saisissons pas la structure complète car nous en sommes une partie, parie prenante, et que la saisie complète serait pire que la mort. Il en a été ainsi d'idéologies totalitaires, mais il en est ainsi de Jean Claude Michéa, ou Zizek qui ne peuvent rien proposer contre ce qu'il savent partiellement déconstruire, restant « humanistes ». Et l'humanisme est la fin de la vie pleinement humaine, qui porte les contradictions de puissances symbolisées autrefois par les éléments. La vie pleinement humaine est douleur, déchirements vertical et horizontal , passions et choix crucial ; non la paix, mais le glaive.

Vive la mort !

Définir des mots est moins que voir ; c'est pourquoi je définis des mots. Tout cela est de la paille, mais la paille allume le feu.


Le Soleil noir de la mélancolie



(E.Munch, la jeune fille et la mort)

Le 11 mai de l’an du Seigneur 2008, vers midi, sur le bord de mer de St Malo, au lieu dit« La hoguette » sur la plage et l’estran, j’ai vu, remontant lentement, très lentement de la plage, une jeune fille étrange. Une veste d’été à carreaux noirs et blancs. Un bustier coloré. Une jupe. Pieds nus. Sur le dos, un sac. Des vêtements dépareillés. A la main, elle tenait deux morceaux de polystyrène d’échouage.

Marche lente, regard fixe. Elle est montée sur la digue, s’est dirigée vers une poubelle, y a jeté les morceaux, puis après une pause méditative est repartie vers la plage. Comme j’étais au pied de l’escalier, elle m’a surplombé un instant. Intrigué, j’ai cherché son regard.

Les pommettes et le tour des yeux marbrés de rouge, discrètement. Le visage de pierre. Les yeux fixes, noirs, la pupille béante. Elle n’a pas baissé les yeux. J’ai fini par le faire. La marche si lente.

J’ai revu dans ces yeux le soleil de la folie que j’avais vu dans d’autres yeux. Antipsychotiques, mélancolie.

Un monde étrange est passé dans nos yeux. Spirale de la folie, abîme, fascination de la mort. « Quant tu regardes l’Abîme, l’Abîme regarde au fond de toi.» - une effluve d’hôpital psychiatrique, d’enfermement.

La sonnerie à la porte. L’œil dans le judas. Les clefs, les serrures, partout. Cris, regards. Le téléphone à pièces dans le hall d’entrée, en métal ancien, comme une porte. La chaleur chargée d’odeurs vagues. L’exhibition des corps, le sexe comme un cancer. Les hautes fenêtres verrouillées, épaisses comme une eau stagnante, avec un minuscule volet mobile vers l’air du dehors.

Un frisson passe par une faille du temps. Une goutte d’eau glacée qui coule dans le dos. Ce qu’on ne peut pas dire. Le Trépas, père de la douleur.

Plus loin, elle a enlevé son sac, sa veste, a remis son sac sur son épaule nue et noué sa veste autour de la taille. Elle a marché dans l’eau, le long de la rive. Un long moment, elle a du être visible comme un point, piétinant lentement l’écume vers 12h15, sur la webcam (http://www.thalassotherapie.com/webcam/) des Thermes Marins. Quelque part il reste peut être dans une mémoire électronique le reflet imperceptible de ma vision.

La folie, la mélancolie. Qui l’a amenée ici ? Qui l’a aidée à s’habiller ? Qui la soigne, et qui souffre à s’inquiéter d’elle ?

Un monde étrange, occlus, rempli d’épines blessantes. Sans haut ni bas, gauche ni droite, proche ni lointain, jour ni nuit, soleil, étoile. Un monde où toutes les paroles sont des mensonges kaléidoscopiques qui s’enroulent en spirales. Un soleil hurlant parmi les crânes des temps. Le Trépas, père de la douleur.

Un vertige dans une cave. Une fenêtre qui déforme à l’infini les visages aimés, les brise en morceaux, dents, griffes, yeux injectés de fureur, bouches grimaçantes, avides, hurlantes.

Et le proche qui la soigne vit en ce monde et dans l’autre, le nôtre, vit du plus petit espoir, un rayon de soleil, un pas qui suit l’autre, une promenade qui finit comme une promenade, bénignement. Celui qui vit avec elle vit dans notre monde, mais à l’ombre du soleil noir qui le surplombe et teinte sa pensée, ses actes, son sommeil. Celui qui la soigne vit avec les ténèbres et étouffe de tristesse et de rage noire qui l’empoisonne. Il désire sa mort, et ce désir fait partie des ténèbres et l’enferme davantage en elles.

Ainsi parfois quand il l’a couchée et profite d’un silence, il entend les chocs sourds de ses bonds. Elle est levée, trépigne. Il monte l’escalier, et voit son regard fou, éperdu, renversé de haine. Il l’entend hurler, délirer, haleter. Il se sent démuni, lui amène les gouttes-neuroleptiques-qu’on lui a donné, le maximum. Il faut l’endormir, l’empêcher de sauter par la fenêtre, de le détruire. Elle ne doit pas être vue comme ça ni des visiteurs ni de sa fille. Quand la haine de son regard s’abat sur sa fille, le bébé de deux ans ouvre des yeux écarquillés, terrifiés. Il en éprouve une douleur atroce, de ténèbres. Il ne craquera pas.

Et les gens passent, la voient assommée, le jugent. Et les enfants des visiteurs sont terrifiés par elle et la fuient et pleurent. Drame sur drame, sans trêve. Personne pour te recevoir, te donner un vrai conseil. Car la malade, c’est elle! Personne pour écouter ta sincérité. Comment manquer d’humanité au point d’espérer qu’on t’aide, au lieu de t’accabler de reproches ?

Le Trépas, père de la douleur.

Le soleil renaissant est un soleil neuf. L’estran parcouru de myriades de pas comme des étoiles est comme une page blanche après le flot. La Terre surmontée de l’arc en ciel est neuve après le Déluge. Pourtant chaque pas a passé, comme les paroles vaines qui ne resteront pas, emportées avec les hommes mortels. Le Poème est plus qu’un homme.

Allez, pauvres mélancoliques aux yeux d’abîmes, et vous qui les portez sur les estrans infinis. Que Dieu vous bénisse au fond de l’Abîme, quand les corps blancs des noyés tournoient vers les abysses parmi les eaux du grand Océan.

Car il est le Trépas, père de la douleur, et c’est en lui, en son horizon, que toujours se lèvent les astres des ténèbres.

Le Gnostique est frère, miroir du fou et du nomade.

« Dieu a déclaré folie la sagesse du monde »

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova