Être loup, ou le silence des forêts en hiver .

(Austin Osman Spare, the vampires are coming)


Il faut dire la vérité sur ce que peut être un ordre développant la puissance spirituelle d'affronter le Léviathan du monde moderne . Dire la vérité, car il s'agit bien de vérité . Pour être le ciment d'une société humaine, il n'existe que peu de ce que Luhmann nomme des médias de communication symboliquement généralisés, c'est à dire l'expression de la puissance de l'unification, quand le développement de la complexité sociale, la multiplication des sous-systèmes fonctionnels, est corrélativement le développement de puissances de dissolution, de fragmentation à l'infini . De ces contenants de la guerre civile en puissance qu'est une société humaine, de ces médiations symboliques de l'unification, il n'est guère que le droit, le pouvoir, la vérité, l'argent, le Spectacle, l'idéologie .

Les média de communication symboliquement généralisés suivent une évolution inverse du développement de la complexité sociale .

La complexité sociale renforce les spécialisations, c'est à dire l'isolement des sous-systèmes psychiques . Ceux-ci deviennent de plus en plus impuissants à porter la totalité sociale en image impliquée en eux-même, sous la forme de la vérité .

Le règne de l'argent, comme média de communication symboliquement généralisé, est le signe de l'abandon du langage et de la vérité comme mode premier et principal de l'unification communautaire humaine . Le règne de l'argent est celui de la société post-culturelle, règne évident dans le monde moderne . L'argent est une voie de simplification indéfinie du codage social, du ciment de la société, ciment résumé à la quantité . Le codage s'exténue vers le néant de l'absurde à mesure que la communauté réelle des hommes, dans le processus de complexification et donc de division à l'infini des sous-systèmes, liée au développement des forces productives, s'exténue elle-même vers le néant quantitatif .

Autant dire que la pensée de Deleuze est parfaitement fonctionnelle à ce processus de décomposition, représenté dans le spectacle du verbe magistral comme une libération - libération parfaitement illusoire, comme si le vol d'un oiseau pouvait être libéré de la résistance de l'air .

Le processus du nihilisme, ou désenchantement du monde, est - autrement dit - identique à la transition de la vérité symbolique, comme mode de tissage de l'unité communautaire, vers l'argent et le quantitatif – mode quantitatif d'unification que représente la démocratie moderne comme concept de consensus . Le règne de l'argent et la démocratie moderne sont des miroirs fonctionnels l'un de l'autre . Comme l'argent, la démocratie moderne ne présuppose aucune autre communication entre les hommes que la quantité comme référence symbolique réduite au plus infime dénominateur commun .

L'argent, le vote, la fortune remplacent réellement le langage comme fondement de l'unité des hommes – et ainsi l'absence de toute pensée politique, le solipsisme et les illusions de la toute puissance du bloom se réduisent dans l'individu à une absence de construction symbolique des limites de l'ego, c'est à dire une forme généralisée de ce qui autrefois était considéré comme des formes pathologiques de constitution de la personnalité .

Dans la mentalité antique, le temps donné au travail productif, méprisable, n'était donné que comme réserve préalable à la pleine jouissance de la vie liée aux autres hommes, au langage, à l'amitié, la vie de citoyen, à l'amour . Nous nous représentons encore parfois le travail comme étant la recherche de moyens d'existences, et la vie réelle comme le loisir résiduel . Mais ce n'est pas le fonctionnement réel du travail social moderne . Le travail social moderne n'est que le travail comme essence de la vie, puisque la vie communautaire réelle s'exténue indéfiniment ( il n'est que de comparer la vie sociale des temps passés de la fréquence moderne de longues périodes de solitude dans la vie des hommes ) . La communauté humaine moderne ne devient que mesurée à la quantité, à l'argent . L'Union Européene n'a pas d'autre langue commune que sa monnaie . Le travail productif et le service de la quantité deviennent la seule sociabilité résiduelle, sans pour autant pouvoir servir, comme dans la sociabilité ouvrière communiste, de support d'un sens de la vie .

Il n'est rien à attendre de ce monde que de mourir à la tâche de produire et de consommer . C'est quand nous aurons compris cela, c'est quand nous aurons levé toutes les illusions résiduelles sur le Système, que nous aurons compris que nous n'avons rien à perdre de la chute du mythe libéral . Perdre quoi ? La seule peur du vide, l'absence de tous les cadres du Système – et la dépendance matérielle de tout homme dans le Système, puisque le processus de complexification des forces productives est identique au processus d'hyper-spécialisation des sous-systèmes psychiques, et donc de l'intensification de la dépendance de chaque homme, maintenus dans l'immaturité, incapables de penser leurs emplois dans leur globalité fonctionnelle, de construire leur logement, incapables de cuisiner sans parler de produire leurs aliments, incapables pour la plupart de prendre des décisions simples et vitales - incapables même de s'accorder à leur propre désir, sans immenses efforts – il n'est que de voir l'esprit de troupeau des masses du monde moderne, ou les simagrées des modernes «gender philosophes » sur le consentement sexuel .

Dans ce contexte d'exténuation des liens autres que les liens d'argent, de Spectacle et de quantité à travers le sondage et le vote, comment penser que le préalable d'un mouvement révolutionnaire soient les principes quantitatifs modernes, dit « démocratiques » ?

Le principe même du vote dans un mouvement d'Avant-garde est de poser que la vérité, comme média de communication symboliquement généralisé, c'est à dire comme principe d'unité d'un mouvement révolutionnaire, ne peut être le plus puissant parmi les hommes du mouvement . Mais au contraire, que l'opinion du plus grand nombre doit recevoir ce rôle de principe directeur de la communauté marginale . Pourtant un mouvement dissident doit s'appuyer sur quelque puissance qui le dépasse et qui l'entraîne, sur une puissance verticale - sur la vérité, analogue dans le verbe des hommes du Soleil invaincu . Telle était la position la plus normative des Avants-gardes de l'Est avant 1945, par exemple . Soutenir le principe électoral dans l'Avant-garde, cela signifie que dans le mouvement les idées les plus aisées, désirables et confortables à soutenir à partir de l'imprégnation idéologique des membres, imprégnation laissée au Système, doivent dominer le marché idéologique crée par le vote dans le mouvement . Le conformisme au Système du résultat est prévisible .

Par ailleurs, la puissance quantitative, par hypothèse, appartient finalement au Système : le principe démocratique dans une organisation révolutionnaire suppose que le Système doit être affronté avec ses propres principes, et sur le terrain où sa puissance est la plus grande . Autant dire qu'un tel « mouvement révolutionnaire » ne pourrait être ainsi qu'absolument inoffensif .

Par définition, des positions d'avant garde ne peuvent naître comme étant celles du plus grand nombre . C'est la puissance de la vérité qui permet au résistant isolé de faire face aux plus immenses puissances de répression, à la torture et à la misère ; c'est la puissance de la vérité qui permet à Marguerite Porète de refuser de se soumettre à ses juges . C'est la vérité encore qui permet à Sophie Scholl, de la rose Blanche, de proclamer que tous ces aryens qui la jugent, qui se vantent d'être forts et sans peurs, sont en vérité terrorisés par un Système policier qui les enchaîne dans des crimes sans noms . Il n'est ni dissidence, ni résistance sans vérité . La vérité est l'arme infime des temps .

La question de la vérité n'est pas une question politique . La politique doit se soumettre à la vérité . C'est l'espoir d'un règne de l'être, et non du Spectacle . Car sans vérité, il n'est pas de loyauté, et donc pas de lien inconditionnel . Un tel renoncement relève des renoncements que le Système voudrait sans gravité . Mais si, c'est très grave . Le vrai n'est pas ce que je veux . Le vrai est ce qui est .

Comment se nommait la stratégie du Mahatma Gandhi ? Elle s'appelait le Satyagraha, le « se tenir dans la vérité » .

Abandonner la vérité pour le vote, c'est donner raison à César, à Ponce Pilate . C'est poser la question préalable : « la vérité, combien de divisions ? » . La gravité réelle d'un crime ne dépend pas d'un vote, ni d'un nombre .

Écoutez ces propos d'un militant "socialiste" sur l'idéalisme dans le P.S : "L’idéalisme militant se heurte à un constat simple : les partis sont des organisations humaines et, en tant que telles, sont travaillés par des logiques et des tensions communes à toutes les organisations humaines. Ambitions. Arrangements. Passe-droits. Combines. Haines personnelles. Cliques et bandes. Oligarchies internes. Etc"...Voilà ce qu'est un parti politique : une petite réplique de l'oligarchie dominante, et une réplique de l'idéologie dominante, adaptée à un style de public fonctionnel au Système .

Quel est cet idéalisme militant, sinon un idéalisme sans affrontement du réel ? Car s'il voyait la vérité, la réalité cruelle sans ses masques du commerce électoral de la représentation, il ne serait pas la victime pitoyable du Spectacle et de ses illusions . Il saurait qu'il n'y a pas d'idéalisme authentique dans les organes fonctionnels du Système .

Il est deux faces que l'usage nomme idéalisme, parmi tous les visages possibles de ce mot parmi les hommes .

Il est l'idéalisme débile et impuissant, fils de l'idéologie racine du Système, de l'idéologie moderne . Enflé de ses certitudes vides, il veut à toute force rendre réel un ensemble de représentations de la justice et de la vérité qui sont sans enracinement puissant dans les mondes . Il en est ainsi de la lutte contre les discriminations, quand elle prétend rendre égaux, par exemple, le Maître et le disciple .

Le Maître est ce que veut devenir le disciple ; dit autrement, le Maître est en acte ce que le disciple est en puissance . Le disciple est l'image et la ressemblance du Maître ; et les Maîtres Tantrika, comme le démiurge souffle dans l'argile rouge d'Adam, soufflent dans la bouche de leur disciple pour leur seconde naissance . Le maître est la preuve sensible de la puissance de la Voie, l'Orient du disciple . En vérité, le Maître est disciple de son disciple, et le disciple maître secret du Maître ; il y a une rotation permanente des pôles, et des inversions des pôles .

Les positions hiérarchiques des pôles sont le secret de la puissance de transformation qu'ils véhiculent . Ainsi le fidèle d'Amour rend-t-il un culte à la Dame, car c'est l'écart entre lui et l'objet de son Amour qui crée le Soleil invaincu de la Vita Nuova, de la Vie Nouvelle . Sans le creusement de ce culte, de cet abîme d'amour hiératique, le feu du Désir ne peut atteindre Celui qui fait mouvoir le Soleil et les autres étoiles . Mais cet immense amour ne rend pas l'amour désincarné . La rotation des pôles plonge ce qui est en Haut dans l'argile rouge de la chair, et ainsi la forme, le rythme, le souffle s'incarnent, et forment la rose, l'alliance des mondes d'en Haut et des mondes d'en Bas . Il est une alchimie hiératique de la chair que permet l'intensification des contradictions verticales ; mais ceci ne peut être compris que des amants du Fin'amour .

Les positions hiérarchiques des pôles sont le secret de la puissance de transformation qu'ils véhiculent . Le caractère unidimensionnel du processus électoral, qui rend le préjugé le plus obtus égal à la perspective la plus profonde, est un processus comparable à la réduction massive des liens à la mesure de l'argent, au fétichisme de l'argent comme langue babélienne des hommes modernes .

Il est un processus d'aplanissement vers le bas, et le miroir du mépris de l'intelligence et de la vérité caractéristiques du Système, qui veut remplacer le langage comme puissance d'unification de la communauté humaine par l'argent et l'employabilité - accomplir la réduction de l'homme à sa fonction dans le processus de production . Réduire les polarités de l'être en acte et de l'être en puissance, qui est la puissance indéfinie du désir dans le monde, est le miroir du caractère fonctionnel du processus électoral dans le processus global du nihilisme – il s'agit d'enfermer les perspectives des hommes, qui s'appuient sur une indéfinité de mondes, dans les perspectives étriquées du développement indéfini du Système – de fermer la dimension verticale pour maintenir dans l'esclavage de la production matérielle .

Il est toujours possible, comme la plupart des oligarques, de se la parler local, pragmatique concret, pour faire comme si la perspective unidimensionnelle typique du Système était au fond la seule manière réaliste d'aborder les problèmes nés des contradictions du Système . Mais les mots sont abstraits, universels, théoriques, même ceux-là, "concret", "pragmatique" . Ces discours se la racontent, et mentent . Doit-on avoir honte de penser et de lever la tête ? Les lumières ont-elles été moins concrètes en 1789 de s'être voulues universelles ? Marx a-t-il moins bien compris le Système de se vouloir théoricien, et les marxistes n'ont-ils pas déployé une immense puissance concrète ? Ne voyez vous pas que ce mépris de l'intelligence partagé entre les oligarques et certains « indignés » est un héritage de l'éducation dans le Système – est fonctionnel, est la plus solide des chaînes pour un mouvement révolutionnaire ? Réfléchir, c'est déjà désobéir .

L'idéologie racine produit des exigences impossibles, et en particulier la volonté de rigoureusement tout réduire à des perspectives unidimensionnelles au nom de l'égalité .

L'idéalisme de l'idéologie racine n'est que le constat de l'impuissance de la volonté des hommes d'or de tout réduire à leur horizon unidimensionnel de mangeurs de poussière, leur impuissance qui les fait mordre Ève au talon . Cet idéalisme ne peut invoquer l'acte de la puissance, la fleur des mondes . Il n'est pas vrai, donc sans aucune justice .

Ce qui est faux ne peut être juste - à moins de croire que la justice ne soit que le caprice de la volonté souveraine de l'homme . Ce qui est juste est vrai ; et tout homme le sait, au fond de lui-même, dans le silence de l'intériorité . Ce qui est juste n'est pas crée comme juste, mais reçu comme juste dans le cœur de soi, reflet de la justice au cœur du monde . Ce qui est juste s'enracine dans l'expérience, la vie, le souffle de la puissance .

L'idéalisme idéologique moderne, celui de la « lutte contre les discriminations » fonctionnelle, des Gender Studies, des antispécistes, est impuissant, car ses vaines imaginations ne peuvent s'incarner ; jamais le chien ou la crevette ne pourront défendre leurs « droits égaux » à l'homme . Impuissant à s'incarner réellement, cet idéalisme vide finit dans l'amertume et le ressentiment caractéristiques de la psychologie du puritain, qui ne cesse d'appeler au renforcement de la puissance de l'État et à la répression, pour imposer de force son idéalisme frelaté et fonctionnel . Il relève de la sottise de croire possible le fonctionnement démocratique des institutions démocratiques modernes, qui sont la façade de la domination oligarchique du Système depuis l'origine . Il relève de la sottise plus grande encore de croire qu'un mouvement révolutionnaire d'avant garde, minoritaire, affrontant la plus grande puissance humaine de tous les temps dans l'ordre matériel et spectaculaire, peut s'encombrer de mimer l'impuissance politique des sous-systèmes fonctionnels de l'ordre dit « politiques » dans la constitution du monde posée par l'idéologie racine .

Les États démocratiques eux-même, pourtant si lourdement armés en toutes choses, sont ridiculement impuissants face au Système . Que peuvent peser des organisations d'amateurs narcissiques se dévorant entre eux pour des motifs futiles, émotionnels ? Que peuvent peser des organisations jugeant essentiel d'écrire sur tous leurs documents militant(E)s, citoyen(nE), dépourvus de la moindre formation sérieuse sur le Système ? Comment tous ces fatras spectaculaires pourraient-ils être autre chose que de pures illusions « politiques », des divertissements offerts par le Spectacle à des « idéalistes » dignes d'être publiés dans des reportages de Elle ?

Il faut dire la vérité : de telles « organisations » ne peuvent être que vanité et poursuite du vent . Affronter le dragon du Système doit dépasser, ignorer de tels « idéalismes » .

Nous voulons l'idéalisme radical de celui qui comprend, après le Hagakure, que toute la valeur martiale d'un homme réside dans son fanatisme, et décide de développer méthodiquement son fanatisme pour affronter une situation extrême, la situation du dissident isolé face à un Système mondialisé aspirant à la toute-puissance - l'idéalisme du résistant et de l'aristocratie révolutionnaire .

Ce fanatisme est un fanatisme sans croyance . Cet idéalisme enraciné dans l'Enfer est déconnecté de toute foi, de toute espérance immédiates . Il sait que l'objet de son affrontement est d'une capacité à l'écrasement qui le dépasse radicalement en tant qu'individu ; il sait que seul il n'est rien en tant que puissance, et qu'il doit d'abord régner dans son fors intérieur – que régner dans son fors intérieur est déjà un acte puissant d'exil du monde triomphant de la Bête . Dit autrement, il sait que seule la solidarité et la loyauté inconditionnelles à une cause, la foi à une puissance bien supérieure à sa vie misérable, la vérité, la Cause, peut triompher de l'énorme puissance qu'il affronte .

Seul, il ne peut affronter la Bête . Mais par le savoir de sa vacuité, et le recentrement intérieur dans la puissance qui le dépasse et vit à travers lui, il n'est rien qu'il ne puisse affronter, l'incendie dévorant, une vague immense, la chute d'une haute falaise . Tous les jours, il faut se penser déjà mort, dit en ce sens le Hagakure . Passé le pas de sa porte, l'homme est parmi les morts .

Le Samouraï plonge entre les mâchoires de la mort pour trouver sa propre essence, dit encore le Hagakure . La méditation pour soi-même, comme celle d'Epictète, le creusement de l'anéantissement de l'homme dans le Système est la Voie de la puissance des dissidents et des résistants, depuis l'aube de la tyrannie . Nous n'avons rien à perdre, et c'est la voie de l'intensification d'une puissance redoutable, de la puissance des loups .

La démocratie est un idéalisme faux et menteur, de force débile, de fin de race et de fin de monde...L'idéalisme militant exige une aristocratie révolutionnaire disciplinée, hiérarchisée, silencieuse, sur le modèle léniniste, plus encore sur le modèle d'un ordre . Aucune grande action n'a été accomplie par une organisation passant plus de temps à débattre qu'à combattre, même dans l'ordre de l'intellect, ou l'éristique développe la puissance idéologique .

Mieux vaut une horde de chasseurs, une horde mongole, qu'une assemblée générale moderne . Et une telle organisation est aussi souple, adaptable, impitoyable que les muscles et la mâchoire d'un loup . Aucune organisation de conquête, aucune organisation de résistance, aucune organisation de dissidents, aucune organisation secrète d'une hérésie poursuivie par une police meurtrière n'a jamais été démocratique .

De telles organisations ne sont pas non plus des dictatures, en aucun cas . Elles sont des organisations informelles, basées sur l'honneur, le lien inconditionnel, la parole donnée, la conscience de sa valeur et de ses limites . Dans les partis modernes, des individus médiocres, minables, peuvent atteindre indéfiniment leur niveau d'incompétence ; de véritables incapables peuvent aspirer à de hautes fonctions, et parfois avec succès . Cela est permis par le vote et par la manipulation .

Dans une horde, chacun peut parler pour les grandes décisions, mais aussi chacun parle avec l'autorité de qu'il est, ni plus ni moins ; chacun parle au nom de la vérité qui réunit les hommes, au nom de l'idéal . Dans Beowulf, on lit comment un guerrier en fait taire un autre dans le Hall du Roi : « mais tu as tué ton frère, ton proche le plus cher, toi ; c'est pourquoi l'Enfer t'es promis, malgré tes propos retors » . Dans l'Athènes « démocratique » comme dans la société féodale, le premier qui décide de la guerre doit être le premier à mettre son corps en danger en bataille ; et celui qui emprunte pour l'État garantit l'argent sur sa fortune . Tu veux accueillir des hommes chez toi ? Fais-le le premier . Dans les organisations modernes, les décisions sont déliées des responsabilités ; et je pose que le principe central d'une organisation dissidente doit être que le pouvoir doit s'accompagner de responsabilités proportionnelles, et directement liées au pouvoir .

Chacun ne doit parler que dans le mesure de ce qu'il est, ni plus, ni moins . Quand on ne sait pas, on peut poser des questions avec respect, mais sûrement pas se prononcer . Il est ridicule de voir des hommes ignorants faire des propositions inutiles, vues et revues, naïves, et monopoliser la parole dans des réunions qui se doivent d'être efficaces . Je répète : il faut poser aux hommes des questions de ce genre : qui est tu, et quelle est ton expérience de ce dont tu parles ? A ceux qui protestent de leur droit à l'expression, il faut rappeler le droit de ne pas écouter – tu as droit, frère, d'aller d'exprimer ailleurs . Crois-tu que nous soyons réunis pour permettre ton expression, ton épanouissement personnel, ou pour servir une cause, même si le ressenti de ton épanouissement et ta légende personnelle doivent en souffrir ? Ton estime de soi ne me concerne pas . Avant de parler, montre par tes actes que tu es digne de parler .

Ce que je dis est également valable pour le net, pour les forums, et toutes ces occasions de bavardages inutiles . Je refuse de discuter des arguments naïfs, ou des susceptibilités de personnes . Ce qui est vrai n'a pas besoin d'être défendu – expliqué, rien de plus .

Chacun doit savoir se taire quand cela est juste, et chacun doit savoir obéir avec une conviction absolue quand cela est juste, et que la décision est arrêtée . De telles compétences sont infiniment plus essentielles à la dissidence que toutes les proclamations et les manifestes qui pullulent partout .

Nous autres dissidents, révoltés, rebelles, nous n'avons pas de patrie . Il n'est plus de patrie, de ce corps blanc des amoureuses, de cette terre où planter ses racines, et aimer les hommes, et tout ce qui a le souffle de vie, et le sang, et la sève . Il n'est plus que des causes, et le ciel nu - le bleu de l'abîme vertical au dessus de l'homme .

La guerre spirituelle contre le monde postmoderne, la petite guerre, et la grande guerre spirituelle ne sont pas des lieux de débats indéfinis sur les désirs, les rêves vides, ou le narcissisme des blooms, des hommes modernes dans leur déréliction réelle et leur toute-puissance de carton . Il est vain d'argumenter comme le vent se lève . Il n'est plus le temps des débats. Il faut partir, lever les voiles, au souffle des étoiles et du Soleil noir .

La parole des Maîtres crée de l'être . Il est noble de ne pas se plier devant la puissance du Système ; il est noble de s'incliner devant un maître . Il est noble de pleurer de reconnaissance . Dans la guerre, le bavardage qui ne montre pas le plaisir de vivre est une censure de la profondeur par le bruit .

L'instant présent peut être le moment crucial . Le moment crucial peut être le moment présent . Le Kairos est la rencontre du temps et de l'éternité, le temps du silence .

A l'instant suprême, l'homme noble sait que s'il faut choisir entre se taire et parler, il est préférable de se taire .

L'ordre est le silence de la fin des cycles, des tourbillons du monde . Le silence des forêts en hiver. Nous devons désirer être des hommes de l'ordre du loup .

Le silence des forêts en hiver est le sourire silencieux des promesses du printemps .

Les loups, ou le silence des forêts en hiver . De l'organisation.


(Guido Cagnacci - allégorie de la vie humaine)




Il faut dire la vérité sur ce que peut être un ordre développant la puissance spirituelle d'affronter le Léviathan du monde moderne .

Écoutez ces propos d'un militant "socialiste" sur l'idéalisme dans le P.S : "L’idéalisme militant se heurte à un constat simple : les partis sont des organisations humaines et, en tant que tels, sont travaillés par des logiques et des tensions communes à toutes les organisations humaines. Ambitions. Arrangements. Passe-droits. Combines. Haines personnelles. Cliques et bandes. Oligarchies internes. Etc"...Voilà ce qu'est un parti politique, une petite réplique de l'oligarchie dominante, et une réplique de l'idéologie dominante, adaptée à un style de public fonctionnel au Système .

Quel est cet idéalisme militant, sinon un idéalisme sans affrontement du réel ? Car s'il voyait la réalité sans ses masques du commerce électoral, il ne serait que la victime pitoyable du Spectacle et de ses illusions . Il n'y a pas d'idéalisme authentique dans les organes fonctionnels du Système .

Il est deux faces que l'usage nomme idéalisme, parmi tous les visages possibles de ce mot parmi les hommes .

Il est l'idéalisme débile et impuissant, fils de l'idéologie racine du Système, de l'idéologie moderne . Enflé de ses certitudes vides, il veut à toute force rendre réel un ensemble de représentations de la justice et de la vérité qui sont sans enracinement puissant dans les mondes . Il en est ainsi de la lutte contre les discriminations, quand elle prétend rendre égaux, par exemple, le Maître et le disciple .

Le Maître est ce que veut devenir le disciple ; dit autrement, le Maître est en acte ce que le disciple est en puissance . Le disciple est l'image et la ressemblance du Maître ; et les Maîtres Tantrika, comme le démiurge souffle dans l'argile rouge d'Adam, soufflent dans la bouche de leur disciple pour leur seconde naissance . Le maître est la preuve sensible de la puissance de la Voie, l'Orient du disciple . En vérité, le Maître est disciple de son disciple, et le disciple maître secret du Maître ; il y a une rotation permanente des pôles, et des inversions des pôles .

Les positions hiérarchiques des pôles sont le secret de la puissance de transformation qu'ils véhiculent . Ainsi le fidèle d'Amour rend-t-il un culte à la Dame, car c'est l'écart entre lui et l'objet de son Amour qui crée le Soleil invaincu de la Vita Nuova, de la Vie Nouvelle . Sans le creusement de ce culte, de cet abîme d'amour hiératique, le feu du Désir ne peut atteindre Celui qui fait mouvoir le Soleil et les autres étoiles . Mais cet immense amour ne rend pas l'amour désincarné . La rotation des pôles plonge ce qui est en Haut dans l'argile rouge de la chair, et ainsi la forme, le rythme, le souffle s'incarnent, et forment la Rose, l'alliance des mondes d'en Haut et des mondes d'en Bas . Il est une alchimie hiératique de la chair que permet l'intensification des contradictions verticales ; mais ceci ne peut être compris que des amants du Fin'amour .

L'idéalisme de l'idéologie racine n'est que le constat de l'impuissance de la volonté des hommes d'or de tout réduire à leur horizon unidimensionnel de mangeurs de poussière, leur impuissance qui les fait mordre Ève au talon . Cet idéalisme ne peut invoquer l'acte de la puissance, la fleur des mondes . Il n'est pas vrai, donc sans aucune justice .

Ce qui est faux ne peut être juste - à moins de croire que la justice ne soit que le caprice de la volonté souveraine de l'homme . Ce qui est juste est vrai ; et tout homme le sait, au fond de lui-même, dans le silence de l'intériorité . Ce qui est juste n'est pas crée comme juste, mais reçu comme juste dans le cœur de soi, reflet de la justice au cœur du monde . Ce qui est juste s'enracine dans l'expérience, la vie, le souffle de la puissance .

L'idéalisme moderne est impuissant, car ses vaines imaginations ne peuvent s'incarner ; il finit dans l'amertume et le ressentiment caractéristiques de la psychologie du puritain, qui ne cesse d'appeler au renforcement de la puissance de l'État et à la répression . Il relève de la sottise de croire possible le fonctionnement démocratique des institutions démocratiques modernes, qui sont la façade de la domination oligarchique du Système depuis l'origine . Il relève de la sottise plus grande encore de croire qu'un mouvement révolutionnaire d'avant garde, minoritaire, affrontant la plus grande puissance humaine de tous les temps dans l'ordre matériel et spectaculaire, peut s'encombrer de mimer l'impuissance politique des sous-systèmes fonctionnels de l'ordre dit « politique » dans la constitution du monde posée par l'idéologie racine .

Les États démocratiques eux-même, pourtant si lourdement armés, sont ridiculement impuissants face au Système . Que peuvent peser des organisations d'amateurs narcissiques se dévorant entre eux pour des motifs futiles, émotionnels ? Que peuvent peser des organisations jugeant essentiel d'écrire sur tous leurs documents militant(E)s, citoyen(nE), dépourvus de la moindre formation sérieuse sur le Système ? Tout ces fatras spectaculaires seraient autre chose que de pures illusions « politiques », des divertissements offerts par le Spectacle à des « idéalistes » dignes d'être publiés dans des reportages de Elle ?

Il faut dire la vérité : de telles « organisations » ne peuvent être que vanité et poursuite du vent . Affronter le dragon du Système doit dépasser, ignorer de tels « idéalismes » .

Nous voulons l'idéalisme radical de celui qui comprend, après le Hagakure, que toute la valeur martiale d'un homme réside dans son fanatisme, et décide de développer méthodiquement son fanatisme pour affronter une situation extrême - l'idéalisme du résistant et de l'aristocratie révolutionnaire .

Cet idéalisme est déconnecté de toute croyance, de espérance immédiate . Il sait que l'objet de son affrontement est d'une capacité à l'écrasement qui le dépasse radicalement en tant qu'individu ; il sait que seul il n'est rien en tant que puissance, et qu'il doit d'abord régner dans son fors intérieur . Dit autrement, il sait que seule la solidarité et la loyauté inconditionnelles à une cause peut triompher de l'énorme puissance qu'il affronte .

La démocratie est un idéalisme de force débile, de fin de race et de fin de monde...L'idéalisme militant exige une aristocratie révolutionnaire disciplinée, hiérarchisée, silencieuse, sur le modèle léniniste, plus encore sur le modèle d'un ordre . Aucune grande action n'a été accomplie par une organisation passant plus de temps à débattre qu'à combattre, même dans l'ordre de l'intellect, ou l'éristique développe la puissance idéologique .

Mieux vaut une horde de chasseurs, une horde mongole, qu'une assemblée générale moderne . Et une telle organisation est aussi souple, adaptable, impitoyable que les muscles et la mâchoire d'un loup . Aucune organisation de conquête, aucune organisation de résistance, aucune organisation de dissidents, aucune organisation secrète d'une hérésie poursuivie par une police meurtrière n'a jamais été démocratique .

De telles organisations ne sont pas non plus des dictatures, en aucun cas . Elles sont des organisations informelles, basées sur l'honneur, le lien inconditionnel, la parole donnée, la conscience de sa valeur et de ses limites . Chacun peut parler pour les grandes décisions, mais aussi chacun parle avec autorité de qu'il est, ni plus ni moins ; chacun parle au nom de la vérité qui réunit les hommes, au nom de l'idéal : et chacun sait se taire quand cela est juste, et chacun sait obéir avec une conviction absolue quand cela est juste, et que la décision est arrêtée .

Nous autres dissidents, révoltés, rebelles, nous n'avons pas de patrie . Il n'est plus de patrie, de ce corps blanc des amoureuses, de cette terre où planter ses racines, et aimer les hommes, et tout ce qui a le souffle de vie, et le sang, et la sève . Il n'est plus que des causes, et le ciel nu - le bleu de l'abîme vertical au dessus de l'homme .

La guerre spirituelle contre le monde postmoderne, la petite guerre, et la grande guerre spirituelle ne sont pas des lieux de débats indéfinis sur les désirs, les rêves vides, ou le narcissisme des blooms, des hommes modernes dans leur déréliction réelle et leur toute-puissance de carton . Il est vain d'argumenter comme le vent se lève . Il n'est plus le temps des débats. Il faut partir, lever les voiles, au souffle des étoiles et du Soleil noir .

La parole des Maîtres crée de l'être . Il est noble de ne pas se plier devant la puissance du Système ; il est noble de s'incliner devant un maître . Il est noble de pleurer de reconnaissance . Dans la guerre, le bavardage qui ne montre pas le plaisir de vivre est une censure de la profondeur par le bruit .

L'instant présent peut être le moment crucial . Le moment crucial peut être le moment présent . Le Kairos est la rencontre du temps et de l'éternité, le temps du silence .

A l'instant suprême, l'homme noble sait que s'il faut choisir entre se taire et parler, il est préférable de se taire .

L'ordre est le silence de la fin des cycles, des tourbillons du monde . Le silence des forêts en hiver.

Le sourire des promesses du printemps .

Du murissement obscur de l'émeraude des mondes .

(portrait d'Anna Akhmatova par Modigliani, Paris, 1910)



Tu es venue par le chemin de l'horizon
L'encens des étoiles
Le chemin de la dalle de roche sombre
Peau de dragon chauffée au soleil de soufre rouge
Par la poussière soulevée par le vent de l'Aube
Marchant sur mes yeux

Comme un cortège nuptial en chantant vont mes âmes et mes esprits
Sur le chemin de fleurs et de larmes
Sur les poussières des mondes
Sur ta peau j'ai parcouru les mers du Sud
Le vent d'Arabie a soulevé mes cheveux
Les forêts en abîme ont caressé les méandres
De mes veines et de mon sang d'océan
Nos souffles nos sangs nos sèves
Se sont mêlées en jouant sur nos lèvres

Sais-tu le monde posé devant nos yeux
Petit animal tiède
Comme un chat lové entre nos paroles
Et l'éclat du soleil qui s'enlace entre nos doigts
Comme une huile de fleur pourpre
Et les lumières angéliques au miroir des couleurs

Et aussi – derrière nous en silence devisions
La mort et le mal des cycles du temps
Aussi ancien que l'antique Serpent
L'œil jaune du Diable
Nous regardait
Sans haine
Parfois

Car le mortel est comme les saisons
La race des feuilles emportées par l'hiver
Les illusions mortes piétinées par des enfants
Au delà de ma puissance mortelle accorde moi
Ô Soleil du monde d'avoir
Une fois dans ma vie passagère
L'endurance des étoiles fixes
Celles qui se reflètent dans les yeux noirs
Où mon cœur se noya

Accorde moi l'éternité de l'homme
La loyauté
Dans le serrement de mes larmes
Le bouleversement de mon cœur
Le feu intérieur qui illumine ma parole
Donnée comme une Alliance

Le mortel est une poussière en tout ses actes
Il ne peut saisir l'insaisissable
Il ne peut être au delà de son essence
De son corps qui s'effondre
De son âme que le temps et la haine déchirent de l'amour
Il invoque l'éternité
Le haut château de l'âme
L'étincelle de la cime de son cœur
Reflet du Soleil éternel

Je sais que je ne suis rien
Mais si tu étends ta main au dessus de moi
Tout le poids des mondes ne saurait m'écraser

Ô Seigneur, aie pitié de l'homme !
Le désir de son cœur est de faire un héros
Mais il est nu, misérable, courbé vers la terre
Et ses mots l'habillent de robes couleur du Ciel
Et les mots cachent sa nudité de feuille morte
Et les tournoiement de la feuille emportée par les vents
Lentement, avec les objets perdus au pied des murs
Dans les rues des grandes villes dévorantes

Pour ne pas porter cette mort sur le mort, ô homme
Le souffle infini du désir et le feu des étoiles
Le feu dévorant de ton amour
Veille-les dans le sanctuaire du cœur
Projette-les sur l'argile rouge de la chair
Sur les vallons de la terre
Comme au premier temps des mondes

Parfois un homme donne tellement à un autre
Qui ne reçoit pas
Qui ne sait même pas ce qu'il reçoit
Ne méprise jamais la noblesse
Du donneur de feu

Et j'essaie sans cesse
Je dépose à Tes pieds l'immense douleur
La haine
La rage et la colère
du mortel
Je voudrais tant
Mais elles sont les abeilles
Du poète
qui maintiennent la veille
L'impossible repos

Les mots sont l'invocation du Verbe
Ils font advenir l'être de la puissance au regard
La terre est le ciel
Le ciel bleu est le miroir de la mer
Le Serpent lové est la puissance céleste que Dieu
A scellée dans la boue

Les mots invoquent la puissance
Et l'acte de la puissance resplendit au soleil invaincu
Dans les roses déversées
Sur ta peau apparaît le velours pourpre
De la chair de résurrection

Étends ta main au dessus de moi
Prends moi dans le cercle de tes bras
Accorde moi les splendeurs de ton souffle
Thot parle :
Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable
Ce vertige du Haut amour
Dans les amertumes mortelles des saisons

Ce qui est en haut doit être ce qui est en bas
Pour faire les miracles d'une seule chose
Le Ciel sur la terre
L'Aube d'été

Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d'Un
Le Soleil est son père
La Lune est sa mère
Le souffle l'a porté dans son ventre
Le père de toute la puissance du monde est ici sur le sol
Sa puissance est entière si elle est convertie en terre
Ô Adam d'argile rouge
L'argile est chair de résurrection

Il monte de la terre au ciel, et descend du ciel à la terre
Et reçoit la force des choses supérieures et inférieures
Tu auras par ce moyen la lumière du monde
Et pour cela toute obscurité s'enfuira de ton cœur
C'est la force forte de toutes choses


Ce que j'ai dit de l'opération du Soleil est accompli
-Thot règne hiératique
Ses yeux rêvent comme tes yeux noirs

Ô Amour, ne lâche pas les mains de ton fidèle
Sur les rives de soufre
Du fleuve de l'Enfer
Et que le désir de mort le quitte
Depuis les montagnes de l'horizon
Depuis les buissons de myrrhe
Viens à moi

Et parcourons ensemble le chemin de la lune

Je mourrais de te perdre
Mais il est plus fort que la mort
Le souffle du baiser
L'herbe verdissant dans l'air du printemps
Et les fruits passeront la promesse des fleurs
L'éternité sur ton épaule
Perchée comme un perroquet et le monde
Se détache de ses os comme les mers du Sud
Au creux de nos mains
Dans l'ombre de la lumière de la chair
Nous loverons nos échines
Comme le serpent ailé



J'étais un Trésor caché, et j'ai désiré être connu - de l'ésotérique du manifesté .

(vanité)



Qu'est ce que l'ésotérique ?

Le samouraï plonge entre les mâchoires de la mort, pour que son essence lui soit révélée .

Un livre de Pierre-André Taguieff consulté par hasard (La Foire aux illuminés. Ésotérisme, Théorie du complot, Extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005) m'amène à reposer des notions de base du champ sémantique permettant de traiter de l'ésotérique du regard, des mondes et des livres . Il est en effet évident que le traitement unidimensionnel que subi l'intérieur, le caché, chez Taguieff et chez ceux qu'il dénonce dans une perspective purement politique conduit au fatras et à la confusion caractéristique des modernes, c'est à dire participe de l'idéologie des faux mages et des charlatans et du voilement des rayons célestes . Héraclite a dit : L'étendue des connaissances n'enseigne pas à avoir l'esprit ; sans quoi elle l'aurait enseigné à Hésiode et Pythagore, et encore à Xénophane et Hécatalos .

Les rayons célestes sont la seule chose qui importe, et le miroir resplendissant est la seule chose que nous devrions désirer dans l'ensemble des visions, des saveurs et des parfums . Il importe parfois d'écarter les ombres qui s'accumulent, même si cette tâche est éloignée de la fête des lumières elle-même .

Il faut être juste, même avec la merde, a dit Céline . Et dans Beowulf : je traitais ces créatures comme il est juste : par l'épée . Que juste et tranchant soit le style de ma langue ! Le juste est le fondement du monde .

Joseph Gikatila, kabbaliste du XIIIème siècle, dit :

Sache que celui qui connaît le secret des échelons supérieurs et l'émanation des sephirot, selon le secret de l'épanchant et du recevant, selon le secret du ciel et de la terre et de la terre et du ciel, connaîtra les secrets du lien de toutes les sephirot et le secret de toutes les créations de toutes les créations de l'univers : comment les unes reçoivent des autres et se nourrissent les unes aux autres . Toutes reçoivent puissance émanative, alimentation, subsistance, et vitalité de la part du Nom, béni soit-il . Celui qui connait cette voie connaîtra comment est grande la puissance de l'homme soit qu'il accomplit les (…) commandements, réparant ainsi les canaux en tout épanchant et recevant soit qu'il endommage les canaux et interrompt les influx . (…) (Le premier est appelé) le juste, et le juste est le fondement du monde .

Que dire de juste, de fondamental sur ce mot, ésotérisme ?

Le vocabulaire qui désigne le domaine, ésotérisme, est, malgré son aspect banal au présent cycle, très douteux . Tout d'abord, au contraire de ce que note P.A Taguieff, ce mot, dans sa racine, n'est pas récent, bien qu'attesté au XIXème siècle seulement sous cette forme d'ésotérisme . C'est un défaut typique des modes encyclopédiques de production des livres et des pensées dans notre âge, défaut que l'on retrouve pratiquement partout : l'ignorance du temps, l'absence de méfiance par rapport à ce qui nous apparaît comme nouveau . Ce que désigne l'ésotérisme est attesté depuis l'origine de l'homme écrivant, et même avant, par la symbolisation la plus éloignée dans le temps . En présentant ésotérisme comme récent sans nuances, Taguieff ne permet pas de distinguer l'ésotérique de l'ésotérisme . Je cite Wikipedia, un article assez correct :

« L’adjectif grec « ésotérique » (ésôterikós) vient du grec(esôteros), qui signifie « intérieur » (dérivé de l'adverbe « en dedans ». D'autre part, le sens est lié aux écoles philosophiques grecques, surtout au pythagorisme qui distinguait entre disciples initiés (les ésotériques) et non initiés, lesquels sont soit de futurs initiés, des novices (les exotériques), soit des gens ordinaires (les profanes). On repère le mot « ésotérique », pour la première fois, chez un auteur comique, Lucien de Samosate, dans Sectes à l'encan (traduit aussi Philosophes à vendre), vers 166 : il veut faire un pendant terminologique à « exotérique » , mot déjà répandu depuis Aristote. Vers 310, le philosophe néoplatonicien Jamblique donne le nom d'« ésotériques » aux disciples les plus savants de Pythagore. Le nom esôterismos appartient au grec moderne.

L'adjectif « ésotérique » émerge, en français, en 1752, dans le Supplément du Dictionnaire de Trévoux : « Ézotérique, adj. Ce qui est obscur, caché, et peu commun. Les ouvrages ézotériques des Anciens ne pouvaient s'entendre, s'ils n'en donnoient eux-mêmes l'explication. » Le nom « ésotérisme », en français, date de 1828 : il apparaît chez l’historien Jacques Matter, dans un livre qui parle d’ésotérisme chrétien, Histoire critique du gnosticisme, p. 83. »

Le mot d'ésotérisme correspond à une racine (ésotérique, intérieur plutôt que secret) et à une distinction très anciennes . Le terme ésotérisme cependant, qui qualifie des idéologies, et remplace des mots comme philosophie occulte ou philosophia perennis, ou encore « pensée spirituelle » est effectivement récent . Ce qui est récent, ce n'est pas la distinction entre des domaines, ou des hommes ésotériques, intérieurs, et des hommes exotériques, extérieurs ; ou encore des enseignements ouverts à tous, et d'autres réservés, sacrés . Ce qui est moderne, c'est de sembler prêter un contenu spécifique de type idéologique, ou encore un mode de connaissance particulier, à ce qui relève d'une hiérarchie de maîtres et de disciples dans les mystères, ou encore de niveau d'interprétation de textes ou de phénomènes .

Je n'ignore pas que sous le nom de Guénon lui-même est publié un livre qui s'intitule l'ésotérisme de Dante, et que Guénon semble accréditer la thèse d'un savoir spécifique par son insistance sur les symboles et le symbolisme . Mais cela est superficiel : Guénon ne cesse d'insister sur le caractère relevant de l'intellect pur de la métaphysique . Les symboles sont des voies d'accès à des connaissances immuables, voies que seule notre faiblesse et les condition temporelles légitiment . Guénon n'ignore pas non plus des sciences traditionnelles, mais elles ne sont que des applications locales plus ou moins inférieures des principes de l'intellect pur . Il existe donc des contenus spécifiques accidentels des sciences traditionnelles, mais il n'est d'autre Voie que le Véridique . Les disciplines du désir ésotérique se forment sur la limite entre l'éternité et les réalités temporelles, elles sont l'expression toujours mouvantes de frontières insaisissables ; et comme dit Blake dans les proverbes de l'Enfer, tu ne saurais jamais ce qu'est assez sans savoir ce qui est plus qu'assez – dit autrement, tu ne reconnaitras de limite des mondes que quand tu l'auras passée, et à ce moment, il te seras interdit de te retourner, comme la femme de Loth ou Dante dans ses pérégrinations . Les frontières des mondes sont insaisissables – leur passage est le fait du Mort, est une mort . Les yeux du mort sont fermés, le miroir est voilé de dentelle noire .

Le samouraï plonge entre les mâchoires de la mort, pour que son essence lui soit révélée .

L'ésotérique est, le caché sous l'apparent, comme le serpent sous la pierre ; et le Sage est appelé à la remémoration et à la quête du caché . Mais il n'existe pas d'ésotérisme légitime, au sens d'un contenu ou d'une méthodologie saisissable . La quête infinie et qui n'a pas de fin ne se prête ni au savoir établi qui donne la satisfaction sotte de soi-même – elle est docte ignorance . Cette quête ne donne pas de plus sûrs fondements à l'ego et au narcissisme, elle les corrode et les ronge . Elle n'est pas la fin de l'interrogation, mais la fin de l'interrogateur . Le Hagakure dit :

Un homme qui pense qu'il est arrivé est un homme malavisé ; un homme qui se contente de ce qu'il obtient à force de sacrifices et d'efforts est déjà tombé dans un piège . Il faut continuer à se démener, jour après jour, pour tenter d'appréhender l'esprit qui prévaut à l'accomplissement de soi et faire des efforts continus pour atteindre le but final . Si nous voulons découvrir le chemin de l'accomplissement, il nous faut continuer à penser que les résultats obtenus ne sont jamais totalement satisfaisants, jamais assez bons, sans s'octroyer le moindre instant d'autosatisfaction pour le peu qui nous a été révélé, et continuer à explorer les pistes qui jalonnent notre vie . La vérité ne se situe pas dans un endroit précis, mais dans la quête même de la Vérité .

Il faut distinguer des voies, des regards, des paroles des hommes ésotériques d'un prétendu corpus constitué de l'ésotérisme, fort proche de ce que Guénon nomme pseudo-initiation, elle même parfois voile d'une contre-initiation éventuelle . La distinction est essentielle pour bien comprendre ce dont il s'agit . Les connaissances ésotériques sont celles des sages ; il ne s'agit pas de savoirs divulguables sans transformation de l'auditeur, puisque le fait de les comprendre est la même chose qu'un certain état ; comme dit Shakespeare, la beauté est dans l'œil de celui qui regarde . Marguerite Porète, qui fut sage entre les femmes, l'exprime dans le miroir des simples âmes anéanties, qui lui valut le bûcher le premier juin 1310, sur le place de l'Hôtel de Ville de Paris, ville jolie – la semaine de l'exécution des Templiers :

Je vous en prie par amour : écoutez en grande application, de cet esprit subtil qui est en vous, et en grande diligence ! Autrement, faute d'être ainsi disposé, tous ceux qui entendrons cela le comprendront mal . (…)
Raison : au nom de Dieu, qu'est ce à dire ?
Amour : A cela, Raison, je vous réponds encore une fois : aucun maître dont la sagesse vient de Nature, ni aucun Maître en Écriture, ni aucun de ceux qui en restent à l'amour de l'obéissance et aux vertus ne le comprennent ni ne comprendront là où il y a quelque chose à comprendre ; soyez en certaine, Raison, car personne ne le comprend, sinon seulement celui qui poursuit Fin Amour . Certes si on trouvait de telles âmes (les âmes « ésotériques », intérieures), elles en diraient la vérité pour peu qu'elles le veuillent ; mais ne pensez pas que nul les puisse comprendre, sinon seulement celui qui poursuit Fin Amour et Charité
.

Ce don est parfois fait en un instant : qu'il en prenne soin, celui qui le recevra, car c'est le don le plus parfait que Dieu fasse à une créature (...)

Les savoirs ne sont pas voilés par une volonté maligne, ou un désir de puissance ; Certes si on trouvait de telles âmes, elles en diraient la vérité pour peu qu'elles le veuillent . Marguerite expose par amour, même si elle avertit par amour . Il le sont pour empêcher les interprétations fausses, qui sont causes de perdition . Elles sont fausses par excès de partialité ; elles divisent ce qui doit être réuni ; de ce fait, elles mènent l'homme à un aveuglement redoublé, l'aveuglement de celui qui ne sait pas qu'il ne sait pas, et qui croit savoir . Et la puissance de vision, celle qui permet de comprendre, et de comprendre où il y a quelque chose à comprendre – c'est à dire, la puissance de dévoiler sur la surface des choses, des lettres ou des mots les abîmes de l'intérieur, de l'ésotérique qui se manifeste comme une puissante lumière et une certitude – comme Böhme le compris en regardant le soleil se refléter sur un vase de cuivre, et en voyant apparaître l'Aurore naissante – la puissance de vision est une grâce, une grâce parfois donnée en un instant, l'alliance du temps et de l'éternité .

Il n'est pas de savoir de Nature ou d'Écriture, de savoir d'un des deux livres, qui tiennent ; il n'est pas de corpus et d'enseignement, pas d'ésotérisme, qui puisse être un objet d'enseignement indifférencié . Il n'y a pas de vulgarisation possible . La parabole du jeune homme riche raconte qu'à un jeune homme riche qui lui demandait s'il pouvait être son disciple, Jésus répondit : vas, donnes tout ce que tu as et suis moi . Le jeune homme doit s'abandonner, et cesser d'être ce qu'il est, mourir en tant que jeune homme riche pour renaître comme disciple . Devenir le réceptacle d'un savoir se paie du prix du sang . C'est cette dureté qui permet à Marguerite Porète d'avoir raison seule devant l'Eglise et l'Université, les Maîtres de Nature et d'Ecriture ; il n' ya là aucune place pour ce que les modernes nomment démocratie du savoir, sans pour autant qu'il y ait le moindre narcissisme, ou élitisme terrestre .



Le Maître de l'intérieur et de la remémoration est l'écoute, la grâce, le regard, le silence . Le Maître est celui qui veille sur l'horizon des mondes, sur le cap qui est la fin de la Terre, en direction de l'Île Verte – celui qui brille au dessus des eaux, comme un phare sur la mer, gardien des navires de la nuit . Il est celui qui, calme et recueilli, attend l'aurore – attend que sortent à nouveau de la mer les grandes naissances des mondes . Il est celui qui est le frère du Soleil et de la Lune, l'ami de Dieu et le frère du Diable . Il n'est rien, étant anéanti, et il est toutes choses dans les cycles indéfinis de la manifestation . Il n'est pas d'autre oui aux mondes.

Les savoirs ésotériques ne sont pas distincts par la distinction entre les maîtres qui savent la réalité qui donne du pouvoir, et les esclaves victimes du Spectacle . Une telle conception ne peut relever que des hommes extérieurs, qui n'y entendent rien, et s'emparent de l'ésotérisme comme des brigands qui fondent des œuvres solaires faites d'or et de pierreries sans les regarder, pour en faire des pièces de monnaies et y frapper le visage de César, leur soleil . Les savoirs ésotériques ne sont distincts que par la science de celui qui porte le savoir . Le Cantique des Cantiques est un savoir ésotérique en soi ; et l'un le lit sans rien y voir, et sans même comprendre qu'il y à là quelque chose à comprendre, là où un nombre indéfini d'hommes spirituels parmi les plus grands ont bu le miel de la science des fleurs d'amour et des parfums célestes . Il serait aisé d'en dresser une liste indicative, qui compterait St Bernard, Origène, Abulafia, et tant d'autres de ces âmes qui savent écouter ; il serait également aisé, et vulgaire, de dresser une liste des jugements les plus sots sur le Cantique, de ceux, nombreux parmi les exégètes modernes, qui ne comprennent pas pourquoi le Cantique a été conservé dans les canons de l'Écriture . Le savoir n'est pas l'accident, la possession d'un ego immuable ; l'homme sujet d'une science ésotérique n'est pas le même que celui qui ne l'a pas, et l'acquisition du savoir est une grâce et une mort, une mort à l'ancien moi . Et les hommes de l'extérieur ne craignent rien de plus que la mort . Ils ne savent pas que la fontaine de vie est la même que celle qui donne la mort .

Un homme qui lit un livre, ou un savoir ésotérique sans la science ou les sciences qui leur correspondent, n'acquiert pas un savoir, mais une illusion de savoir, un poison . Dans Orient et Occident, Guénon montre ainsi avec humour que même Leibnitz – qu'il considère comme le plus savant des philosophes occidentaux - a lu avec une prétention déplacée le Yi-King, prétendant expliquer leur tradition aux orientaux, en n'en retrouvant qu'un sens considéré par les chinois comme d'ordre inférieur . Trouver et publier un livre secret n'emporte pas sa puissance cachée ; et elle est cachée d'être toujours déjà présente et manifeste, mais parfaitement insaisissable .

La qualité de la vision est le signe sûr de la qualité de celui qui voit . Et celui qui cherche dans le monde ou dans le Livre les signes, ne cherche et ne trouve que lui-même . Car tel est le fondement de la Sagesse : connais-toi toi-mêmecelui qui se connait lui-même connais son Seigneur .


***


Le couple exotérique – ésotérique traduit une opposition originaire que l'on retrouve dans la notion de Dieu caché dans la tradition d'Abraham, juive, ou chrétienne, ou musulmane . Je crois utile de répéter cette vérité : il existe un ésotérisme juif originaire - de plus, et selon les mots de Guénon parmi tant d'autres, la tradition juive est parfaitement légitime – ésotérisme vivant dès les parties les plus anciennes de la Bible . L'élément ésotérique s'enracine dans le Jardin, il est l'arbre de la Science du bien et du mal, c'est à dire l'essence de la séparation, l'essence même de l'Éden comme lieu éternellement perdu par l'homme . Cet ésotérisme toujours déjà présent est resté vivant, et se retrouve dans le Christianisme et dans l'Islam sous des formes et des esprits différenciés .

Dieu est le dieu caché . Ses bénédictions se transmettent par le souffle, le sang, la sève . Le souffle du monde, le sang et la sève, sont le souffle et le sang des baisers . Le monde est vivant, est un grand vivant ; il frémit de joie, dit l'Apocalypse, comme les mondes pleurent de désespoir . Dieu promet la vision radieuse des anges, il promet de porter l'homme au rang des anges, par le retour, le repentir des mondes . Car qui ne pourrait interpréter un tel texte que comme la garantie historique de la fonction de grand-prêtre aux descendants du sang liquide de Josué, et le Temple comme n'étant que le Temple historique de Jérusalem ignore le Temple qui est dans le cœur .

Zacharie, III, 7 : « Puis le Seigneur me fit voir Josué, le grand prêtre debout devant l'ange du Seigneur : or l'accusateur se tenait à sa droite pour parler contre lui . L'ange du Seigneur dit au Satan : que le Seigneur te réduise au silence, Satan ; oui, que le Seigneur te réduise au silence, lui qui a choisi Jérusalem . Quand à cet homme là, n'est-il pas un tison arraché au feu ? (…) alors l'ange du Seigneur fit à Josué cette déclaration :
Ainsi parle le Seigneur, le tout-puissant :
Si tu marches dans mes chemins
Si tu gardes mes observances,
Toi-même, tu gouverneras ma maison,
Tu veilleras sur mes parvis,
Et je te ferais accéder au rang de ceux qui se tiennent ici
»

Comme Dante, le grand-prêtre est une créature tournée vers la terre, un tison arraché au feu de l'Enfer – et l'accusateur se trouve comme le Fils à la droite de l'ange de Dieu . Le grand prêtre du Temple est à la gauche de Dieu, parmi les réprouvés, un homme perdu ; et Dieu va chercher ce qui est perdu, dit l'Ecclésiaste . L'ésotérique originaire est la recherche des vestiges de l'Éden, la recherche de ce qui est perdu, une figure du désir et de la nostalgie du retour .

Se retrouve là, aussi, l'idée que les réalités du monde des choses, et plus encore de l'Écriture, manifestent symboliquement les splendeurs cachées du Tout-Puissant sont, pour les Pères chrétiens, les vestiges de la Trinité . Nous voyons en énigme, dans un miroir, selon le mot célèbre de Paul .

Il est une autre signature de l'Écriture, très simple sur le principe . L'homme est l'image de Dieu . L'homme lui-même est énigme et signe, et en tant qu'image, n'existe que dans la vision de Dieu . L'histoire racontée dans un texte de l'écriture est toujours l'histoire d'une âme, l'histoire de ton âme ; et cela est vrai de toutes les écritures . C'est une des racines de l'analogie du microcosme et du macrocosme . Ainsi, l'histoire du Diable, premier des Anges déchu par sa révolte, est pour Hallaj ou Blake l'histoire de l'âme de chaque homme, l'amertume et le douleur de la séparation primordiale .

Le caractère caché, occulte de l'ésotérique ne résulte pas d'une volonté de cacher, mais est constitutif de la réalité des signes : un signe est une différence creusée entre le signe et le signifiant . La structure du signe est la structure du vestige . Sur ce caractère caché, tout signe manifeste et voile son signifiant ; ainsi le poisson, signe du Christ, ne montre pas le Christ . Les pas sur l'estran montrent le passage des hommes, mais les hommes restent voilés dans le passé, et sont même inaccessibles en tant que passants, étant passés, et qui ne reviendrons plus à ce moment et en ce lieu . L'art le plus puissant est un mémorial de l'éternité de l'instant, et la seule marche qui vaille est la marche du retour et du retournement – seule l'éternité compte . Ils sont signes de l'inaccessible et de la vérité de l'inaccessible, les pas fossiles, vieux de millions d'années, comme les pas encore frais, les pas des orphelins de la guerre...ainsi le monde est, avec l'Ecriture, la trace des pas du Seigneur, dit Scot Erigène, citant le mot de Jean le Baptiste je ne suis pas digne de lacer sa sandale, c'est à dire de connaître le monde .

Si l'homme ne voyait pas partout l'évidence des signes de l'inaccessible, il ne pourrait comprendre l'espérance et le haut désir . L'Obscur dit : S'il n'espère pas, il ne trouvera pas l'inespéré; car il est hors de quête et sans accès . La perte, la nostalgie, la mort sont présents à chaque pas du mortel, qui préfère ne pas se retourner pour les voir, et se voir s'éloigner de lui-même, définitivement . Tout ce que nous voyons éveillés est mort . La fleur infime sur une prairie de montagne est absolue dans le temps et dans l'espace, est unique et ne reviendra plus . La lettre peut être le signe de Dieu, et n'est pas l'image de Dieu . Dire qu'il n'est pas d'image de Dieu qui puisse être faite, c'est dire que l'image de Dieu est en toi, dans ta vision – tu es l'image de Dieu . Il en est de même de toute image ; de tout parfum ; de toute saveur ; de toute douceur ; de tout chant . En vérité, toute manifestation est théophanie du même – y compris le diable lui-même .

Toute sagesse est cachée, et toute sagesse est manifestée et offerte . Ce que tu ne vois pas, Dieu ne l'a pas caché par une intention maligne ; c'est que tes yeux ne sont pas ouverts, que tes oreilles n'entendent pas . Entendant sans comprendre, ils sont comme des sourds. Cette parole témoigne à leur sujet, que présents ils sont absents . Ce que tu peux voir dans le visible, tu pourrais le voir si tes yeux s'ouvraient . Le Sage, en vérité, ne voit rien dans visible de plus que le profane ; il le voit en largeur, hauteur, et profondeur, en amplitude et en exaltation . Ce que tes yeux cherchent dans le visible, ce trésor caché, c'est toi-même . Ce que tu ne vois pas, c'est toi-même comme créature .

Comme Ibn Arabi le dit lui-même, l'homme, en fonction de son élévation, ne voit nulle part de miracle, ou voit en toute manifestation un miracle . Le sage ne croit pas aux miracles : il les voit . Et pourtant il ne voit rien d'autre que le profane .

Ce qui est caché, c'est la compréhension, car tout est toujours déjà présent . Croire que le savoir est caché est une illusion et un obstacle . Savoir, c'est ignorer que le savoir est caché, c'est tout simplement et uniment voir sans séparation – Böhme dit, dans la vie au delà des sens : voir par les yeux de Dieu, en oubliant ta vision, ton ego . Plus même :

Lorsque tu te tiens dans le repos du penser et du vouloir de ton existence propre, alors l'ouïe, la vue et la parole éternelles se manifestent en toi, et Dieu entends et voit par toi .

Le sage véritable ne cherche pas à se montrer plus qu'une créature, ne cherche pas à être plus qu'une créature, et à imposer sa volonté à Dieu ; il ne cherche pas de pouvoirs, de magie, de lecture de l'avenir . L'avenir est à Dieu . Ibn Arabi dit : tout ce que je sais du Mahdi, je l'ai reçu par une grâce spéciale, sans la demander, car je craignais, en m'y intéressant, de me détourner de Dieu . Il serait aisé de trouver chez Sri Ramana Maharishi ou chez Guénon de telles condamnation de la recherche de « pouvoirs » ou de « connaissances spéciales » . Ibn Arabi pose même que les charismes manifestes d'un homme sont sans aucun lien avec sa stature spirituelle .
Je ne nie pas que de telles manifestations puissent apparaître ; mais elles ne sont pas à la merci de l'homme, c'est l'homme qui est à leur merci . L'homme ne peut s'en servir comme il peut se servir de la science moderne, en les allumant et en les éteignant à sa volonté . Le rêve qui manifeste la vérité, l'intersigne, la certitude de l'avenir, tu ne peux les saisir . Même le plus grand ne peut désirer une telle maîtrise, car le plus grand est le serviteur de Dieu .

Nous sommes certes à une époque de renversement des clartés, c'est à dire que des savoirs voilés sont manifestés ; mais la véritable occultation n'est pas dans la fermeture de l'accès aux connaissances, mais dans les voiles qui pèsent sur le regard des hommes et leur font perdre de vue des évidences du visible . Un des voiles de l'homme est de ne plus pouvoir rendre visible à ses yeux l'universel, tel qu'il se manifeste dans les paroles des sages . Ibn Arabi dit : toute croyance manifeste une vérité dans l'ordre de la profession de foi ; ou encore toutes les communautés font partie de la communauté de Dieu .

Celui qui ne cesse d'invoquer le Diable, la puissance du Diable, associe une puissance mauvaise à la puissance unique . Il oublie que « c'est Dieu qui vous a crée, vous et tout ce que vous faites » . Il est un païen, et sa voie est sur la pente du polythéisme . Le Diable est un ange, et sa nature essentielle est celle de l'Ange ; sa chute ayant commencé est temporelle, et n'engage pas l'éternité . Le jugement engage l'éternité ; c'est pour cette raison que l'homme ne doit pas juger – juger est folie pour l'homme, qui est poussière, et dont les paroles sont poussière de poussière .

***


Il n'existe pas d'initiation qui donne des pouvoirs ; il n'existe que des initiations du serviteur ou du fidèle . L'initiation est une mort ; l'essence de l'initiation est la mort .

S'il est des Supérieurs Inconnus dans des organisations en dehors du charlatanisme, il ne peut s'agir, selon Guénon lui-même, que de signes du centre, c'est à dire de l'Un . Toutes les mythologies du complot ne peuvent se réclamer sérieusement de Guénon, sauf en ce qui concerne le thème de la contre-initiation . Mais il n'existe aucune symétrie entre initiation et contre-initiation en dehors de la sémantique – la contre-initiation est venimeuse et impuissante en dehors du monde, et l'essence du monde est maya . Guénon dit : la fin d'un monde n'est jamais que la fin d'une illusion .

Il en est de même du fatras empoisonné de l'ésotérisme moderne, que Taguieff ne peut distinguer des manifestations du Caché dans l'homme . Les discours du siècle sur l'ésotérisme sont des images projetées d'hommes mauvais – d'un ressentiment impuissant de l'homme naturel - sur l'écran blanc du silence du monde à leur égard ; et il n'est pas un vice ou un crime imputé aux illuminatis ou aux juifs qui n'ont pas été reprochés aux chrétiens dans les premiers siècles . Ils mangeaient les enfants, avaient des pratiques sexuelles mystérieuses, buvaient et mangeaient de la chair et du sang humain, adoraient un âne

Pour les modernes complotistes qui haïssent le monde moderne, il existe des sociétés secrètes démoniaques qui visent à dominer le monde et cachent aux profanes de telles pratiques « ésotériques », pratiques qui ne sont que les pratiques que le Spectacle ne cesse d'étaler à loisir dans les films d'horreur et la pornographie . Autant ne pas dire ce que peut signifier une telle conception de l'ésotérisme chez ceux qui la manipulent et la diffusent . On trouverait aisément de telles croyances, présentées comme positives, modernes et libératrices, chez des hommes qui ne comprennent que charnellement une Marguerite Porète et la station du Libre Esprit . Comme si les « hédonistes » modernes, caricatures du bloom, qui débitent à la scie dans des blocs de lieux communs sédimentés en blocs pesants, les tranches de leur « sagesse » pour le marché idéologique des cadres moyens, faisaient parti des hommes que Marguerite cite parmi ceux qui ont « l'entendement subtil » ! L'incompréhension est pourtant équivalente .

Je ne rapporte tout cela que par devoir, parce que le sujet est aussi inintéressant que possible pour l'homme du Fin Amor .

La compréhension de toutes les pseudo-religions modernes est celle de la psychologie du Bloom, qu'elle soit posée en bien ou en mal . L'incompréhension profonde du monde, liée au caractère pulsionnel de sa personnalité, crée une profonde angoisse . Le narcissisme moderne fait de chaque instant une frustration personnelle, l'œuvre d'une volonté maligne . La structure paranoïaque narcissique se banalise . La paranoïa est une manière de centrer le monde sur soi-même, typique du Bloom . Il faut ajouter l'incompréhension massive des logiques sans sujet du monde moderne .

Chez les anticléricaux et les « hédonistes » qui réécrivent l'histoire dans des universités populaires, les méchants sont les hommes religieux, qui ne cessent d'opprimer les instincts des pauvres hédonistes de tout les siècles, qui ont bien le droit de jouir et qui le valent bien . Eh bien non, les méchants religieux avides de pouvoir ne cessent de torturer, de brûler et de frustrer par des menaces infernales les pauvres hédonistes totalement désintéressés, multipliant à l'envi l'affreux procès obscurantiste de Galilée . Et cela depuis le début de l'apparition des religions, et c'est d'une méchanceté à peine croyable . Ce « nietzschéisme » de poulet d'élevage est fort bien porté par des milliers de philosophes toujours prêts à vous donner des conseils, où l'ignardise le dispute à la sottise .

Parfois, tant chez des idéologues de droite ou de gauche, les méchants religieux sont patriarcaux, et oppriment surtout les femmes avec un machisme lié à leurs frustrations vraiment atroces . Personne ne se pose la question pourquoi, en dominant ainsi l'histoire depuis des centaines de milliers d'années, en exploitant et en opprimant et humiliant les autres au mépris de leur propre respect estime d'eux-même et des autres, ces horribles prêtres auraient des frustrations aussi puissantes, alors même qu'ils disposaient des richesses immenses et ne pratiquaient aucune forme particulière d'ascétisme sexuel ou alimentaire – mais poser une telle question est bien compliqué, et on ne va pas s'intéresser trop longtemps aux méchants quand on est capable d'écrire l'immortelle histoire du Bien . Chez les « théoriciens » antisémites, qui peuvent se réclamer sommairement de Freud, c'est la Bible qui contient le plus féroce contenu patriarcal de tous les temps, et les Juifs transportent indéfiniment le poison de la frustration sexuelle des hédonistes ; chez les théoriciens progressistes, l'Islam occupe très bien cette place caricaturale, en lapidant et en voilant les femmes .

Je ne veux pas en effet reprendre ou résumer le livre de Taguieff, qui a encore une fois des qualités de cabinet de curiosité dans le fatras de « l'ésotérisme », entre les néo-païens qui manifestent principalement leur incapacité à comprendre que leur sentiment du divin dans la nature est attesté dans l'Écriture de la lignée d'Abraham comme l'unicité de Dieu est attestée dans les religiosités mystériques, c'est à dire leur incapacité à ne pas confondre les symboles et le fond immuable de la métaphysique – divisant ce qui ne doit pas être divisé ; les satanistes retournés qui prêtent à Satan la puissance de Dieu, élaborant une gnose ignorante et dualiste ; les magiciens, qui cherchent la puissance du Siècle, alors même que la puissance du siècle de cesse de s'exténuer jusqu'à l'extrême ; et tout le fatras du faux pur et simple des marchands d'illusions associés du Spectacle .

Le seul point de complément que je peux apporter, c'est la très étroite analogie structurelle entre le complotisme antisémite ou anti-maçonnique et le complotisme anticlérical et moderniste ; il s'agit de relectures idéologiques de l'histoire vue comme la lutte entre des bons innocents et des méchants coupables, emplis de noires intentions cachées ( puisque les religieux disent vouloir le bien, tout comme les ordres issus des Lumières) et accomplissant une persécution sans faille ni justice des gentils . La ressemblance atteint même le style, et les complotistes de droite et de gauche partagent aussi l'incompréhension radicale de leurs sources, qui peut atteindre des niveaux ahurissants . Cette ressemblance doit sans doute se comprendre par le marché idéologique . Et aussi par une certaine analogie de puissance, ou plutôt d'impuissance de comprendre, que l'on retrouve même chez des ésotéristes très savants, qui rapportent des traditions excessivement importantes sans complètement les comprendre .

J'étais un trésor caché, et j'ai désiré être connu . Il n'est d'autre voie ésotérique que celle que fonde ces mots, mots issus de la tradition abrahamique mais parlant d'une saveur de la vie essentielle à l'homme de nostalgie, issu de toutes les montagnes embaumées, des montagnes de l'horizon, à l'Est, à l'Ouest, au Nord, au Sud .

Il est bien des voies, et donc des voies qui ne sont pas exprimées et décrites ; mais elles le sont pour éviter des incompréhensions massives . Les sages placent des cerbères de mots et d'images pour écarter la curiosité vide, mots qui sont des vérités brutales . Ainsi la Voie décrite par le De Vita Nuova de Dante . La première discipline d'un disciple est d'apprendre à se taire, d'apprendre à faire le silence pour écouter, voir, entendre .

Tout est manifesté . Rien n'est caché, sinon sa propre ignorance . Le monde autour de moi est la Splendeur même .

La mort est l'essence de la Voie .

Vive la mort !

Pour une lecture de Marx par William Blake en Enfer.

(Blake : l'Ancien des jours, ou le Diable)


Un éloge funèbre est l'invocation du nom d'un mortel . Et si je veux invoquer Marx, c'est que plus que jamais, cette invocation est nécessaire . Marx, ou l'homme démoniaque et faustien ; l'homme de la liberté invincible face aux déterminations de fer de l'âge de la marchandise . Marx l'homme par excellence du négatif au présent cycle .

Le négatif n'est pas le négatif photographique, l'image inversée d'une époque, comme un vieux film argentique imprégnée des rires et de la chair des hommes du passé sur ses taches sombres, sur ses abîmes de lumière noire ; le négatif est la puissance lovée que l'acte manifesté du positif suppose comme condition nécessaire d'existence, comme racine, et dont la manifestation inévitable transformera le manifesté en cendres, en passé, en non-manifesté mort, dépourvu de sang et de vie, que le regard cherche sur les chemins tracés par les pas des hommes .

Le négatif est l'acte de la puissance cachée qui est à venir, l'aube d'été . Il est cette force endormie, comme le dragon rouge sous le château de la dame du Lac, qui annonce les redoutables prophéties de l'avenir, les prophéties de Merlin . Le négatif est cela que nous invoquons, nous autres hommes des souterrains, qui chuchotons dans l'attente de l'embrasement du ciel . Car Babylone a brûlé, alors que tous lui rendaient hommage, comme notre folle idéologie libérale, et le ciel a rougi de la fumée de ses embrasements . Elle a brûlé, toujours déjà brûlé, et brûlera encore . Si nous ne le voyons pas, des hommes le verront .

La vie de l'homme moderne est vide – le plus grand qu'elle puisse être en général est l'attente indéfinie d'un monde où vivre soit possible, vraiment et pleinement possible – un monde où vivre ne soit pas conçu comme le labeur dur et forcé de remboursement de dettes contractées par des « représentants du peuple » qu'aucun membre du peuple n'a jamais rencontré . Un monde où l'homme soit assez libéré de la malédiction du travail pour retrouver la puissance de philosopher, comme le disait Aristote il y a plus de deux mille ans – un monde où le loisir, l'otium, au service des dieux, de la beauté, de la philosophie, de la Cité, de l'amour, de l'amitié, soit à nouveau considérée naturellement comme la vie la plus noble – et non la vie avec une montre au poignet à cinquante ans , la vie du temps de cerveau disponible . La montre est exactement l'équivalent du bracelet électronique pour l'esclave consentant : elle vous dit toujours où en est le Système, et vous demande où vous en êtes . L'imposition de l'heure est l'imposition d'un monde, mais le comprendre est déjà hors de la portée de l'immense majorité des hommes modernes .

Quand Marx travaillait à la British Library, l'heure de fermeture était l'heure où l'on ne pouvait plus lire – l'horloge était encore le soleil .

Marx est l'homme aux neuf erreurs, comme le chat a neuf vies ; mais il est aussi l'homme des grandes vérités . Et condamner les vérités d'un homme au nom de ses erreurs, c'est faire prévaloir l'erreur sur la vérité ; de même que faire prévaloir un homme aux vérités banales et vides sur un homme aux vérités profondes et rares, sous le prétexte que l'homme des vérités banales ne fait jamais que de petites erreurs, est une trahison de la pensée et de l'homme . Marx fut un homme des erreurs et un grand penseur, et cela est bien plus qu'un homme sans erreurs .

Marx parle du déterminisme de fer du matérialisme historique dans la forge de l'impérialisme moderne, dans le ventre du Léviathan de la destruction qui s'est manifesté au siècle des catastrophes ; et assurément la cruauté de ses mots, comparable à la cruauté des griffes et des crocs des fauves, n'est que le reflet de la cruauté du monde produit par le travail et par les utopies des hommes de l'ère libérale . Le déterminisme de fer a parlé au dernier siècle, et nous ne cessons d'en voir des effets, ainsi dans le masque atroce d'un dictateur lynché par des hommes couverts de sang, quand des ministres en costume se déclarent fiers d'exporter la Démocratie, la Paix et la Tolérance, à travers des bombardements et des milliers de morts, quand trois saisons auparavant ils se souriaient, se serraient la main et mangeaient ensemble . Je regardais dans les yeux de l'homme torturé, dans les yeux de l'homme de Guantanamo, et je me suis vu moi-même – j'y ai regardé notre visage, mes amis .

Et les hommes qui disent exporter la liberté enserrent la vie même des hommes de l'Europe et de l'Amérique, des nations industrielles . Ils sont les hommes dont le discours construit cette boucle de l'idéologie racine, ce spectacle vrai, qui est nommé crise de la dette . Ils ont pris des emprunts colossaux « en notre nom » sur des dizaines d'années, en étant élus pour quelques années ; puis ils se tournent vers nous, d'un air menaçant et culpabilisateur, en nous disant « vous avez vécu sans soucis, maintenant il faut nous rembourser » . Nous rembourser ? Et le montant déjà remboursé est supérieur au capital, mais les intérêts s'accumulent .

Qu'est ce qu'un prêt dans la théorie libérale ? Le commerce de l'argent est un service : on vous vend la mise à disposition d'avance d'un capital que vous allez rembourser . Cela peut être tenu si le montant remboursé est raisonnable . Mais sur de très longues périodes, le montant total remboursé devient très au delà du capital emprunté . Alors se manifeste le rôle du prêt d'argent comme construction d'une dépendance et d'une subordination . Une banque qui prête à vingt-cinq ans achète auprès des vivants le droit de prélever une rente sur leur revenus .

Individuellement, cet achat d'un droit sur la vie personnelle n'est pas complètement significatif . Mais les hommes modernes sont en réalité endettés massivement, collectivement : c'est à dire que les hommes du Capital exploitent les hommes du Travail deux fois, une fois par le travail, et une deuxième fois par la rente sur les revenus du travail . Surtout, le Capital redouble l'asservissement du travail salarié de la dépendance de l'emprunt . Deux exemples manifestes : en Amazonie, le prêt d'argent aux paysans prolétarisés est fait par leur patron-propriétaire de telle manière qu'ils ne peuvent jamais rembourser, créant les conditions effectives d'un travail forcé ; dans l'Apollonide – un bordel - il est manifeste que le prêt d'argent aux prostituées avant pour but de créer une dette rendant leur départ impossible . Dit autrement, « la Crise de la Dette » est effectivement un coup d'État (Michel Drac) – la prise du pouvoir direct, manifestée à ce jour en Europe, par des représentants de grandes banques, du pouvoir d'État, pour « mettre en place des plans de rigueur », c'est à dire des plans d'expropriation massive des peuples .

Le prêt et la dette sont l'arme du Capitalisme dans sa nouvelle vague de guerre au travail .

Et l'on constate, avec une vraie stupéfaction, que ces hommes sont ceux là même qui « nous »ont prêté de l'argent – que les « hommes politiques démocratiquement élus » sont des anciens des grandes banques de prêt, qu'ils font les taux, les règles et les lois...que même sont les « représentants » de Goldman Sachs, de l'Union Européenne, et des États...que des hommes puissants, « représentants du peuple » sont aussi des membres de réseaux de clientèle des États Unis en Europe . Que les exportateurs militaires de la Démocratie sont ceux-là même que la perspective d'un referendum en Grèce scandalise . Bref, on est forcé de constater que l'État, comme structure manifeste de la classe dirigeante capitaliste, se comprend tellement mieux que dans les salmigondis spectaculaires de la théorie de la représentation . Les élections sont des plébiscites libéraux : que l'on vote X ou Y dans le cadre, on fait un plébiscite pour le cadre – et seul le cadre compte vraiment. Et le cadre, c'est le cadre de l'argent et de la concurrence libre et non faussée – l'abandon de la langue et de la culture comme ciment des hommes, au profit de la loi d'airain du paiement au comptant .

L'exploitation du travail par le Capital, dit Marx, est le sacrifice de la vie à la chose . Quand, en découvrant l'Empire Aztèque, Cortès et ses hommes frémirent devant les sacrifices humains et l'odeur du sang répandu, ils n'imaginaient pas qu'ils sacrifieraient la vie des Indiens à l'Or et à l'argent des mines, qu'ils seraient à l'origine de la traite des noirs, et que secrètement, dans les voiles du fétichisme de la marchandise, du Spectacle, de l'idéologie et du libre contrat de travail, les successeurs de l'Empire espagnol accompliraient le sacrifice de la vie humaine à l'expansion illimitée de la puissance matérielle, a grand Léviathan – sans doute au Veau d'Or .

Nous sommes encore les victimes aztèques, noires, de l'avidité infinie des sous-systèmes psychiques que sont les hommes de l'or . Pour comprendre l'avidité indéfinie des hommes d'or, il faut penser au caractère indéfini de la jouissance . Il est indispensable de comprendre le caractère marginal de la jouissance du gain supplémentaire pour le capitaliste . Un homme riche ne jouira pas d'un gain qui réjouirait un pauvre ; plus sa fortune s'accumule, plus l'accumulation doit s'intensifier pour qu'il en retire une adrénaline de puissance – le capital accumulé est insatiable, ne peut trouver de satisfaction en lui-même, comme le libertin qui passe à la surenchère est poussé vers des formes de folie – voir en littérature Américan Psycho ou les 120 journées de Sodome, pour ne pas parler d'exemples historiques .

La recherche de l'infini du désir, bloquée par le matérialisme de l'idéologie racine à la conquête de la puissance du monde, devient hubris, démesure ; la sainteté de la nostalgie de l'infini devient la puissance de création sur terre des conditions même de l'Enfer . La puissance de la rédemption est transmutée en folie et en naufrage – et la vie même de la Splendeur, la vie du sang et du souffle se perd . Tel fut le message de William Blake, autre londonien du XIXème siècle, montrant le Dieu mesurant le monde comme figure de Satan, et le retour vers le désir infini la voie de la rédemption dans le mariage du Ciel et de l'Enfer .

Les hommes sans or ont été réduit à la force de travail, et la croissance est devenu l'objectif officiel du monde entier . Notre Système unique, pluraliste dans le Spectacle qu'il offre à lui-même et où il se mire avec un narcissisme global dont les sous-systèmes psychiques sont les reflets indéfinis, les fractales et les fragments, notre Système unique développe un processus unique déterministe dont la finalité sans sujet, l'entéléchie, est unique : la Croissance, la maximisation du déploiement de la puissance matérielle . Le pluralisme du Système n'est que l'instrument de l'unification du service de la puissance . Une grande constante de Marx est la compréhension féroce de la vanité, de la dialectique des intentions humaines, broyées par les déterminismes historiques – et cette évidence est encore à ce jour perdue de vue .

L'entéléchie unique, la maximisation du déploiement de la puissance matérielle passe par la raréfaction des richesses pour les hommes exploités, malgré les masses immenses de richesses produites, et l'excitation du désir par le Spectacle . Il faut faire hurler le désir et le besoin sans cesse pour que la loi d'airain du besoin les asservisse intimement au travail, pour développer la guerre de tous contre tous parmi les dominés, dans le cadre de la libre circulation des hommes et du libre marché du travail . La création du marché du travail suppose l'atomisation des hommes, donc la lutte contre toutes les formes de liens, contre la langue même, et la destruction des corporations de 1791 comme la lutte contre les discriminations aujourd'hui .

La maximisation suppose l'extension du domaine de la lutte . La maximisation suppose la confiscation massive de la plus-value du travail par le Capital, le règne du Capital . Car l'abondance des richesses ne favorise pas le travail . La pression du travail doit être maintenue par la peur du déclassement et par la dette, la dette du travail au Capital, construction du Spectacle matériellement fictive, puisque tout le Capital n'est que l'accumulation des efforts désespérés du travail pour sortir de sa propre malédiction, pour se libérer de l'obligation de travailler .

Le Capital libère le vieux travailleur, pour en faire un consommateur, et un pilier de l'ordre démocratique ; mais pas trop tôt, quand il lui est devenu impossible de se retourner, de se renier comme esclave – quand le Spectacle du travailleur a pris le dessus dans son âme – quand il est mort, en fait, mais non physiquement .

Le propriétaire people du Capital livre contre paiement au Travail le Spectacle de la vie de jouissance de l'homme libéré du travail, et le miracle du transfert fait que les esclaves se réjouissent des réjouissances de leurs maîtres, et modèlent leurs actes de consommateur sur des variantes bon-marchés de leurs coiffures, de leur maquillage, de leurs vêtements – en croyant être des rebelles, portant des teeshirts marquées police .

Et la parole de l'universitaire, du journaliste, de tous ceux qui présentent le Moloch du Capital comme un Dieu bon, bienveillant, qu'il faut laisser libre de s'épanouir et de distribuer des biens aux hommes comme il en a prétendument le désir infini – toutes ces paroles sont celle, unique, de la police du Système . Léviathan a un nombre indéfini de têtes, qui chantent toutes sur des airs différents le grand chant du Système . Oui, la parole du journaliste et de l'universitaire est celle de la police, ami, c'est un thème de l'idéologie allemande, le sens intime et concret de la détermination de la superstructure intellectuelle par la structure de production chez Marx . Les défenseurs du marché sont les laquais du Système – et rien de plus . Quand Debord dit : quand un universitaire dit du bien de soi, il faut se demander quelle faute on a commise, il répète Marx .

Marx croit en la pensée, puisqu'il est un penseur . Il pense la pensée vraie, « scientifique », comme négatif . C'est à dire qu'il pense le règne du Capital comme Spectacle et comme mensonge que la vérité met à nu, dans toute sa cruauté . Le monde du Capital et des usines est pour lui l'enfer de Dante, que le courage de la pensée doit affronter dans un duel à mort . Il cite à la fin de la préface de la Critique de l'économie politique l'Enfer : il convient ici de laisser tout soupçon ; toute vilenie, toute lâcheté, il convient ici qu'elle soit morte . Marx est déjà, très largement situationniste .

Dans un tel monde, quel fut le travail de Marx ?



***


Par cet aperçu du cours de mes études sur le terrain de l'économie politique, j'ai voulu prouver une seule chose : quelque jugement que l'on porte sur mes idées, et bien qu'elles ne soient guère en consonance avec les préjugés intéressés des classes dominantes, elles sont le fruit de recherches longues et consciencieuses (…) au seuil de la science comme aux portes de l'Enfer (…).

Nous ne comprenons pas la « crise de la dette » . Nous ne comprenons pas les démonstrations des économistes modernes . Nous ne savons pas ce qui est un mensonge éhonté (beaucoup) une erreur théorique, ou une triste réalité . Je le répète, l'immense majorité des hommes n'y comprend rien, adhère aux images du Système, et le message des maîtres de banque peut passer pour un appel désintéressée et humaniste de libération des jeunes générations de la dette . Bien sûr ! Autant croire que le loup n'a pas de dents .

Le discours et l'idéologie moderne constituent la société qui parle de « la crise de la dette », sont des éléments fonctionnels du Système . La recherche scientifique de la compréhension globale du Système sature de sens un Système déjà extrêmement complexe ; et le Capital de Marx est ainsi, dans ses innombrables pages, un dédale indéfini .

Les mots qui décrivent notre monde sont des fonctions de ce monde, des fonctions de l'auto-constitution du monde par le Système ; leur fonction pratique est par nature très différente de leur sens explicite qui fait de celui qui y adhère une fonction du Système, un sous-système psychique . Leur fonction est d'être les logiciels qui permettent, en production de série, de faire des personnes des créatures neutralisées, prévisibles et fonctionnelles, ce que la Théorie de la jeunefille de Tiqqun rend sensible . Cette fonction est remplie par la constitution spectaculaire d'une réalité, par la construction de la réalité sociale .

Le fétichisme de l'idéologie et du Spectacle, étudiés par Debord dans la théorie du Spectacle, est la construction d'une domination par la construction d'une réalité factice qui amène les hommes à obéir aux fins du Système par eux-même, comme librement, et pas en leur donnant des ordres ou des châtiments explicites . Plus exactement, en ne leur donnant de telles menaces ou de tels ordres que le moins qu'il est possible de faire . Il s'agit de rendre les sous-systèmes psychiques autonomes, c'est à dire spontanément – sans besoin de police externe - porteurs des conditionnements adaptés au Système .

La complexité d'une telle démarche de domination ne se comprend que si l'on admet que ce mode fétichiste de construction de la domination commencé avec le fétichisme de la marchandise, certes complexe à construire, est sinon indestructible grâce à son caractère masqué, du moins susceptible d'une intensification de l'exploitation jamais vue dans l'histoire . Le Capital, ce que Marx avait vu, ne peut s'accommoder de la faible productivité, donc de la faible exploitation du despotisme historique ; il ne peut laisser ses esclaves sans tenter de les « motiver », c'est à dire sans essayer d'obtenir de leur part un engagement total dans la tâche . Le Capital est l'essence cachée de la mobilisation totale, expérience de base et de fondation des systèmes totalitaires . Ces systèmes furent des expériences d'usage de la force et de la domination nue comme mode de maximisation de l'exploitation ; et ils furent de relatifs échecs . En réalité, le désir et l'autonomie individuelle sont les plus puissants leviers, et les moins coûteux, de la mobilisation totale, le travailler plus pour gagner plus ; et ainsi la démocratie et l'individualisme moderne peuvent-ils être les masques d'un Système d'exploitation dont l'intensité ne cesse de se renforcer .

Marx le premier démasqua des rapports sociaux sous des rapports de choses ; et c'est assurément la distinction de la valeur d'échange et de la valeur d'usage qui fut déterminante de cette lente mise en lumière . La valeur d'échange établit une classification, une mesure commune de la société par l'argent par la mesure commune des formes de travail social de production . L'échange est le creuset de la puissance du Capital, le début de la marche de la symbolisation de la puissance et de l'exploitation . Voyez l'achat de boules de caoutchouc en Afrique dans le Voyage au bout de la Nuit de Céline .

Alors que la mythologie libérale de la justice pense la justice comme un libre contrat entre des parties égales en droit, Marx sait que cette hypothèse pense comme condition nécessaire du droit l'existence préalable d'une communauté de droit qui ne peut être fondée que par l'exercice d'une puissance souveraine d'un homme sur d'autres hommes . Alors que la mythologie libérale de l'échange pense celui-ci comme la découverte de complémentarités et donc d'échanges constituant un marché de production, Marx sait que cette complémentarité et ces échanges ne peuvent émerger que d'un marché existant déjà – voir misère de la philosophie .

Le fétichisme est le nom de tous les voilements du Système, un Système fondé sur le voilement des plus laides réalités . Le fétichisme de la marchandise voile l'exploitation . Le fétichisme des images voile l'exploitation . Le fétichisme du droit libéral des liens est aussi un tel voilement . L'égalité en droit est la fiction permanente asservie à l'exploitation, le masque le plus puissant de l'exploitation . Le contrat de travail entre personnes égales, le contrat de prêt entre parties également libres, le contrat d'assistance et d'alliance entre le colonie et le pays colonisateur – tout cela est la construction, voilée dans le Spectacle, des liens asservis d'exploitation matérielle .

Marx est l'homme du premier dévoilement des mensonges de l'idéologie et de la puissance de la vérité . Dénoncer la domination, ce n'est pas hurler son indignation comme un prophète à des ignorants, c'est donner à chaque homme les instruments psychiques de libération de l'idéologie et de la mythologie du Capital – et ainsi la capacité de devenir les parties d'une totalité nouvelle, du négatif qui détruira l'ensorcellement et l'exploitation du Capital .

La lecture et l'étude de Marx, la compréhension des fins de son immense travail restent plus que jamais le sang et le souffle de la condamnation humaine de l'Enfer libéral .

Vive la mort !

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova