Paranormal activity . All is not Sin that Satan call so .

ou de la présence des démons dans les interstices du monde moderne .

(Pascal Tarraire)

Nous aimons à avoir peur dans nos petites boîtes de logement, et le genre fantastique est un succès ancien . Ainsi Paranormal activity, le film .

Un gentil petit couple, une étudiante un peu ronde, appétissante, et un trader free-lance s'installent à San Diego, Californie, dans un pavillon cossu de la banlieue américaine . Tout le récit est un huis clos dans cette maison, avec de brèves sorties dans le jardin . Depuis ses huit ans, la jeune femme est entourée de phénomènes, dont elle n'a pas parlé à son ami .

Lui est sceptique, et achète une caméra qui filme en continu pour pouvoir objectiver les phénomènes . Raisonnement : si l'enregistrement montre un phénomène, c'est qu'il a bien eu lieu, alors que les sens humains sont trompeurs . Le film flatte le goût moderne pour la télé-réalité, l'intimité piégée .

Un spécialiste des fantômes est appelé, mais ne peut rien faire, car il identifie un démon . Il conseille un démonologue, mais celui-ci n'est pas appelé, puis est parti à l'étranger .

Le récit est construit avec un minimum de signes .

De petites choses en petites choses savamment graduées, il apparaît qu'un démon prend le contrôle de la femme, et finalement tue l'homme .

L'ensemble des faits montrés par le film s'inspire très directement des connaissances des démonologues anciens . Mais il les re-cadre pour qu'ils soient acceptables à l'idéologie rassurante et bornée des pavillons de banlieue . Il construit un effroi pour adolescentes convenables, un peu moite, mais secrètement .

Il ne sert à rien de lire des traités occultes s'il ne sont pas pratiqués . Il n'est rien de pouvoir parler littéralement de la main gauche, ou des démons ; il convient d'avoir été possédé, d'avoir vu et entendu, de connaître les affres du Haut désir, d'en parler d'expérience, comme William Blake .

Le film occulte simplement la dimension crue, sexuelle, de la démonologie . L'Incube désire la jeune femme, il désire sa chair, il désire son sexe, il désire comme désirèrent les fils du Ciel dans la genèse – il est l'archétype secret du désir masculin, de cette avidité infinie, obsédante, qui aspire sont corps et son âme, et provoque en elle fascination et angoisse, mais aussi avidité et jouissance . Elle connaît alors les angoisses et les délices suprême d'une lutte intérieure liée à son sexe et à son amour, une lutte d'essence extatique, qui la balaie comme une vague de la mer, et caresse les moindres recoins de sa peau d'une langue de serpent et de feu .

Une histoire d'Incube est une histoire de liquéfaction du corps et de l'esprit, d'ivresse sexuelle . Qui a connu cela ne peut l'oublier, ni désirer le perdre sans se faire saigner, profondément . Et ce désir au fond, n'est pas juste . C'est aussi l'illustration de la part d'ombre qu'éveille le grand désir .

Cela aussi, le film ne peut le poser, en tant que production du Système . Le désir de la jeune femme en retour de l'infini et obscur désir de l'Incube – ce désir d'être prise, dévorée, déchirée, et en même temps portée à l'embrasement et à l'absolu, au delà des mondes et du temps des horloges, par un spasme enflammant un colonne le corps, l'âme, l'esprit en un feu unique . La puissance d'entrelacs des bras et des cuisses qui la réduisent à l'impuissance de céder à son propre désir, de baisser enfin ses défenses, de se jeter dans son propre désir comme dans une mer d'écumes . Le durcissement de ses tétons pincés, ses seins saisis à pleine mains, déformés entre les doigts . Les délices des parfums de la chair, des sueurs, des liquides, des souffles, des cheveux . L'ascension de la puissance du serpent sur la tige de la Fleur, de la Rose humide de rosée qui vit, et bat comme un cœur entre les cuisses . Les grincements de dents et l'envie de hurler à peine gorge .

La jeune femme aspire à la sécurité du pavillon de banlieue et du jeune homme protecteur, mais désire aussi souterrainement le désir de détruire ces limites, le désir infini du Démon ; aussi partage-t-elle alternativement son amour protecteur mais borné et sans puissance, et l'amour forcené et déchirant, immémorial de l'Incube . Dans ce partage lentement elle en vient à haïr le jeune homme qui un obstacle à sa pleine oblation, à son plein sacrifice, à la pleine possession brûlante de sa chair .

C'est sans doute le contraste entre les horreurs explicites, les désirs et plaisirs infinis mais secrets, comme faces du même Janus qu'il pose, avec un minimum de moyens, et le cadre rassurant et fermé du pavillon de banlieue moderne qui crée une sémantique assez réussie de la déstabilisation . Cette déstabilisation, au plus intime, est jouissance secrète du spectateur .

Mais elle est aussi à portée de main . La jouissance infinie de l'Incube, du fils du Ciel est là, toujours déjà présente, et elle est partout avec nous . L'homme et la femme ne sont-ils pas alliés originaires du Serpent ? La jouissance du spectacle de l'homme moyen n'est là que parce qu'il ne peut la comprendre comme sienne, qu'il doit la placer extérieurement à lui dans le spectacle, sans pouvoir comprendre aussi que sa vie est vacuité, que les pavillons modernes sont des prisons . La jouissance moyenne de l'homme moyen lui impose la distance, lui impose de croire que tout cela n'est que des histoires, excitantes mais impossibles .

La rationalité du dernier homme est une défense, et rien de plus . La rationalité de Kant est une peur des Anges, de Swedenborg, et un puritanisme, une angoisse de la main gauche et de ses abîmes .

Seul l'homme et la femme de puissance savent avec certitude que les Hérarchies célestes, que ces histoires sont au delà du vrai et du faux de l'homme moyen, qu'elles sont archétypales, et puissances toujours déjà présentes de réalisation de la puissance et de l'homme . Savent que le désir et le souffle entraînent au delà des falaises ensoleillées les plus hautes . Savent que l'on peut chevaucher la nuit parmi les cheveux de corbeau, comme Marguerite...C'est cela être sorcier, voir les coulisses, et donc comprendre que le décor est justement, par essence, décor, donc vacuité . Et que la sécurité du décor est d'ailleurs fausse, mensongère, elle est la véritable idôlatrie .

Un homme équilibré entre et sort de la vacuité, et jouit de ce jeu ; il n'y a de prison que pour celui qui ne la comprend pas . Le dandy n'est pas victime des conventions de la société, il est un miroir qui en joue comme un chat avec une pelote de laine. L'homme équilibré équilibre l'infini de l'Incube en lui avec l'infini de la Paix . Il est entre le gouffre et le pic, et sait éveiller l'Incube, et la polarité de Succube qui sommeille comme le serpent en des femmes élues...l'Incube attire la Succube, la Succube éveille l'Incube intérieur, selon la correspondance des astres favorables, de son feu, de son regard, de son goût . Il est des reconnaissances, des alliances de l'infini et de l'éternité . Ainsi le désir manifesté, l'amour fou, brise-t-il le cercle enchanté, les petites maisons dans la prairie que le Système ne cesse d'encourager . C'est de cette impuissance de l'homme moyen dont parle Bernanos : Le démon de notre coeur s'appelle "A quoi bon". Comme Bernanos dans ces mots, comme Blake le signale pour Milton, le véritable démon n'est pas le démon désigné par les puissances de fermeture et d'emprisonnement : all is not Sin that Satan call so .

Le décor est vacuité, déréliction, et incarcération de la grandeur de l'homme . L'amour fou, la démonologie et la révolution ont partie liée . Debord, en les séparant, se trompe .

Soyons très clair . Si nous réjouissons de voir de telles histoires, c'est parce que secrètement nous savons que la sécurité du pavillon est un piège-parce que, comme le poète de William Blake, nous sommes du parti du Diable sans le savoir . Comme le poète comme séducteur, danseur des mots, invocateurs des puissances obscures du plus Haut désir .

Ou en le sachant .

Vive la mort !



(Lilith)

Debord 7-3 : passage à l'acte .

(Vermeer, la lettre .)


Debord, §23 : Ils (les critiques dépassés) se défendent de reconnaître en (des œuvres dont l'intérêt est inexplicable intrinsèquement, par la connaissance isolée de l'œuvre) le revers ridicule du changement des moyens d'expression en moyen d'action sur la vie quotidienne . Ce changement a rendu la vie de l'auteur de plus en plus importante relativement à son œuvre . Puis, la période des expressions importantes étant parvenue à sa réduction ultime, il n'est resté de possibilité d'importance que dans le personnage de l'auteur, qui justement, ne pouvait plus rien avoir de notable que son âge, un vice à la mode, un ancien métier pittoresque . § 24 : L'opposition qu'il faut maintenant unir contre la décomposition idéologique ne doit d'ailleurs pas s'attaquer à critiquer les bouffonneries qui se produisent dans les formes condamnées, comme la poésie ou le roman (...) .

Nous arrivons là sur un nœud de la réflexion du milieu situationniste . Cette réflexion est historique, cyclique et basée sur des formes complexes de marxisme . Les thèses sont les suivantes : il existe diverses fonctions sociales et vitales de l'art, dont les moyens et formes d'expression, et les moyens d'action sur la vie quotidienne . Expression et action s'opposent, au moins en première analyse . Par ailleurs, ces fonctions et ces formes ont un déroulé historique fonctionnel lié à l'histoire du capital, y compris par la négation de celui-ci ; enfin que la réalisation de l'art dans l'histoire est la négation de sa forme bourgeoise séparée pour en faire la puissance de construction du monde humain nouveau . Cette dernière thèse de réalisation ultime de l'art dans sa négation s'accompagne d'un progressisme distancié, c'est à dire que la raison, la technique, l'industrie, et l'ensemble des puissances modernes doivent accompagner la réalisation ultime de l'art – perspective qui rapproche souterrainement Debord du futurisme pourtant sévèrement jugé .

Cette perspective justifie que le roman et la poésie soient des formes condamnées, au contraire de l'architecture, plus adaptée à la transformation du monde par la réalisation-négation de l'art, analogue à la réalisation-négation du prolétariat par la révolution . Car le roman et la poésie sont des formes déterminées, closes, séparées de la vie quotidienne, ou pire, des opiums qui servent à s'en détourner de manière purement imaginaire – donc des formes neutralisées de la culture bourgeoise, donc enfin des formes condamnées au terme des cycles de la culture qui les porte comme objets d'art .

Debord pose cependant qu'une œuvre peut de droit avoir une puissance intrinsèque, puisque la nouveauté du cycle de la décomposition est l'apparition d'œuvres dépourvues de ce caractère, comme les œuvres existentialistes . Par ailleurs, il est question d'expression, de quelque chose qui pose implicitement la manifestation d'une pression interne, d'un invisible ; mais il n'est pas précisé si cette expression est personnelle, l'expression d'un état passionnel interne, ou si cette expression est celle d'une latence historique, la manifestation par exemple de la structure de l'exploitation à l'œuvre dans le cycle du capital .

L'expression peut être simultanément idiosyncrasique et soumise à des règles communes ; la définition d'un genre d'expression – d'un art, comme la peinture ou la musique- n'étant d'ailleurs guère plus qu'un ensemble de contraintes formelles de l'expression . La question de la manifestation de l'essence de l'auteur dans l'expression, le caractère original de l'œuvre d'art, est très différemment accentuée entre les époques anciennes et l'âge moderne ; les premières l'ignorent volontairement comme accidentelle, les modernes y mettent l'essentiel de la valeur de l'œuvre . Mais ces questions ne se posent ainsi que si l'objet est posé comme un en-soi qui se manifeste, selon la constitution commune de l'objet, ou ontologie, dont l'objet d'art n'est qu'une espèce .

Une autre analyse est celle qui voit l'expression, la sémiotique de l'objet d'art, comme l'expression nécessaire non d'une particule isolée qui exprime ou n'exprime pas, signifierait ou ne signifierait pas, mais d'un champ où se construit l'image de l'objet à travers l'ensemble des comportements verbaux et non-verbaux qui se centrent sur l'objet, ou du moins pivotent un instant sur ses aspects multiples . L'objet est puissance, la société et les hommes alentour sont puissance ; et l'œuvre d'art est l'acte commun des hommes et de l'objet – la beauté est ainsi en celui qui regarde et en l'objet indissolublement, elle est dans la relation et non dans ses pôles séparément . Par cela il est visible, par exemple, que l'objet d'art sacré ne l'est pas par nature intrinsèque, mais parce qu'on lui rend un culte – soumis dans un musée à un regard exclusivement profane, il n'est plus que puissance de sacré . Au delà de cet exemple, on peut en faire l'hypothèse sans risques, des formes ou des objets peuvent s'insérer très diversement dans les champs « de l'art » si les cycles historiques ont transformé leur champ d'insertion à la communauté humaine .

La position de Debord, qui place selon des cycles de vie analogues aux cycles du capital la variété des formes d'expression, me semble négliger cette adaptation indéfinie des liens entre les œuvres et les champs sémantiques où elles s'enracinent . Parlant d'une révolution dans la culture qui puisse prendre la forme d'un mouvement culturel, il convient d'insister sur les formes de construction de l'objet d'art par les champs sémantiques et sémiotiques de la civilisation .

Le champ de construction de « l'objet d'art » est par ailleurs soit explicite dans ses usages, et même très codifié, mais implicite en terme d'esthétique, soit explicite en terme d'esthétique . Et l'esthétique explicite, celle qui revendique le plus nettement l'art, est le plus fonctionnel au Système .

Implicite en général quand l'objet d'art n'est pas pensé prioritairement en termes d'esthétique, comme beauté, art, etc - notions souvent modernes, mais en terme de sémiotique d'une construction des réseaux sociaux, comme dans l'art du blason, d'une sémiotique des mondes intimes, comme l'art des parfums, qui évoquent des délices, ou des mondes intérieurs comme dans l'art sacré, la structuration intérieure d'une Église, l'art des jardins, ou encore d'un espace habité, comme dans l'architecture, et avec la musique utilisée comme élément de construction du monde humain . La tradition ne connaît pas beaucoup l'esthétique, elle parle en terme de sémiotique, de signes . Le Verbe est le premier analogué de tout ce que nous nommons aujourd'hui « art » .

Soit il est explicitement centré sur l'objet d'art, articulé par un discours esthétique . La galerie, le musée, l'exposition, le concert, le théâtre, le cinéma sont structurés analogiquement de ce point de vue, en ce qu'il exigent implicitement une attention exclusive sur l'objet, et réduisent le sujet à la passivité . L'objet est pensé comme une chose dans l'idéologie-racine, comme une marchandise : elle est isolée, déplaçable et indifférente au milieu, dotée d'une valeur par le marché, le marché de l'art . A titre de précision, elle peut être plus proche d'un service que d'une marchandise, si l'œuvre n'est pas un objet . Elle peut être prêtée, vendue, assurée, reproduite avec des droits, etc... La reproduction d'ailleurs ne prend en charge en général que l'œuvre d'art, et non le milieu dans lequel elle s'insère, sur le modèle général de la photographie d'œuvre d'art, qui s'arrête au cadre, et efface tout décor .

Le mouvement de focalisation et de fermeture vers l'objet d'art, posé comme un absolu autarcique se marque à ce genre de thèses fonctionnelles à cette fermeture : l'œuvre ne signifie rien, car le signe n'est pas autarcique ; l'œuvre mérite une critique interne ; l'œuvre développe en interne ses propres critères esthétique ; l'œuvre est un microcosme, etc . De telles thèses, une telle constitution d'objet permettent la naissance d'un corps de spécialistes de cette essence qu'est l'art, d'une science nommée esthétique, d'une histoire de l'art...et même d'une science spécifique des espèces de l'art...sur un processus d'auto-constitution de l'objet somme toute semblable à la naissance de « l'économie », qui permet à postériori l'interrogation sur l'essence de l'activité économique .

De tels processus de constitution et de spécialisation manifestent aussi des processus d'aliénation, quant il s'agit de la production même de la vie humaine, que ce soit ces pompeuses spécialités que sont la psychanalyse, l'éthique, la philosophie, ou l'esthétique . Pompeuses, parce qu'elles sont des spectacles d'expertises, et non des puissances authentiques . Ni le bien, ni la sagesse, ni la beauté, ni les profondeurs de l'âme, ne peuvent être saisies par aucun Maître, alors par ces petits maîtres, figures du dernier homme, de ses petits mondes intérieurs et ses petites vertus...Aliénation de la conscience, qui ne se comprend plus elle-même face à l'efflorescence de la construction symbolique ; et aliénation des hommes qui laissent à des spécialistes des problèmes liés à leur existence même, délégation qui par auto-renforcement ne cesse d'aggraver l'aliénation . Cette aliénation est aussi une aliénation de puissance, de pouvoir, de souveraineté . Imagine-t-on Ulysse se référer à un Diafoirus en éthique ou supporter une expertise psychiatrique pour le massacre des prétendants ? L'immaturité générale où le système moderne tend à maintenir ses sujets n'est pas étrangère à ces processus producteurs de pataphysique . L'art n'appartient pas à l'esthétique . Nul ne possède l'insaisissable .

Pour comprendre l'aliénation que représente l'obscuration des fonctions et des fins des activités d'expression, il convient de repenser ces activités en termes fonctionnels . Le champ de construction de l'objet d'art doit être pensé en termes fonctionnels, pensé par rapport à ses fins et à ses productions sociales . Je montrerais la production de la vie quotidienne dans les sociétés traditionnelles, la production de l'Univers, ou cadre commun symbolique constituant la communauté ; la fonction sophiologique de l'art ; toutes fonctions traditionnelles que la structure moderne de l'art tend inévitablement à exténuer . Les situationnistes tendent en fait à retrouver ces dimensions constructives .

« L'art »traditionnellement ne se distingue pas de la production de la vie quotidienne . Tout l'habitat, tout les objets traditionnels, arme, outil, vêtement, meuble ou cuillère, sont des « objets d'art » au sens moderne, c'est à dire sont informés de formes esthétiques et symboliques, et liés à des récits de la culture orale ou écrite . La construction technique et industrielle de la vie quotidienne plaque les principes de rationalité du Système sur l'ensemble de la vie humaine, et opère une dé-symbolisation, une dissolution des ancrages symboliques de la vie, une désorientation de la vie . L'art lié au marché et à la production d'objet devient ainsi une figure aliénée incapable de passionner la vie humaine . Une caricature de ces processus est le 1% culturel de certains bâtiments publics, qui permet de ne produire qu'une architecture d'ingénieur strictement fonctionnelle aux réquisit du Système, et oblige « en compensation » à dépenser 1% du budget dans l'achat d'une « œuvre d'art » plantée devant le bâtiment, et sans rapport compréhensible avec lui .

Le concept moderne de l'art comme objet séparé, séparé à la manière de l'individu absolu des modernes, et séparé par la valeur, exclut à priori les fonctions historiquement les plus importantes de l'art . La première est éducative au sens de la Grèce, elle est de fournir les analogués, les modèles d'imitation, de la vie humaine supérieure – dans la poésie épique, ou les récits des livres sacrés . La deuxième est politique au sens le plus large, elle consiste à tisser des liens dans une cité humaine, par production d'une analogie d'univers, à travers les Temples, et les monuments visibles de loin et communs à tous, qui confèrent une identité visible à la communauté . Cette fonction pose une relation indissoluble entre une communauté, un lieu, et une œuvre . La troisième est la plus importante, elle est de fournir les cadres symboliques de la construction des mondes humains et de la Loi, rôles dévolus aux prophètes et aux sages . C'est ce cadre qui constitue la Cité, la communauté politique .

Ce qu'il faut retenir de cette remarque, c'est que le marché de l'art est une décision globale sur la fonction de l'art dans la société, un assignation à une essence de l'art élaborée dans l'idéologie racine, et rien d'accidentel et de sans importance . Le concept moderne de l'art est simultanément un enfermement du travail artistique sur lui-même, au nom d'une reconnaissance hyperbolique mais qui pose une étrangeté foncière de l'art à la vie quotidienne, et une instrumentalisation de la production symbolique au profit du Système . Discuter de la fonction de l'art dans la vie humaine est repenser la totalité du Système . Ceci est présent chez Debord et les surréalistes, mais cette réflexion a été menée très loin par les Avant-gardes russes -plus généralement de l'Europe de l'Est- au début du XXème siècle . La réflexion situationniste se situe bel et bien dans l'arc en ciel des Avant-gardes européennes, qui passent par nécessité d'une réflexion sur l'art à une réflexion métaphysique et politique . Métaphysique, car l'art manifeste également la puissance sophiologique des symboles .

En tant que passion de l'existence, et empathie, le champ vise une communication d'états internes, de mondes intérieurs, un partage de l'humanité intérieure . Le rire, les larmes, la splendeur, la compréhension de sentiments rares...la colère, la nostalgie, l'amitié, l'amour dans l'Iliade, l'Odyssée ou la Bible...l'émotion de l'enfantement dans toutes ces vierges à l'enfant...le surgissement du sacré dans la chair, pour l'annonce faite à Marie...les œuvres sont en quelque sorte la puissance de symboliser, et de rendre commun, ce qui serait sinon presque incommunicable . Les actes émotionnels sont ainsi des reflets des actes primordiaux, et sont à la fois reconnus, et canalisés dans des formes acceptables, à la manière des larmes des pleureuses lors des enterrements . Je suis conscient d'être ici formellement proche de la psychanalyse ; mais je pose au contraire de celle-ci que les premier analogués, les archétypes se situent dans l'objectivité des symboles, et non dans « l'inconscient », ce réservoir indistinct de signes .

L'art visuel est aussi voyance, manifestation visible de l'occulté du visible . L'œuvre visuelle de Dürer par exemple livre le regard de Dürer sur le monde, regard analogue à celui de Jean Scot Eriugène, qui voit dans la Nature, largement ouvert, le livre de la Splendeur . Telle est la puissance d'émotion et la gratitude que l'on doit au poète . Cette vision n'est création que pour les modernes, dans leur idéologie bornée, idiosyncrasique ; les œuvres d'art placées dans les Temples attestent assez que dans la tradition normale, le visionnaire ne voit que les choses comme elles sont, et non comme les hommes, borgnes de la puissance native de vision des flammes, les entrevoient . L'artiste reçoit alors un rôle analogue au Virgile de Dante, ou à Béatrice ; il est le guide, le messager, le Thot qui guide dans les labyrinthes, les déserts de ce monde suspendu au dessus de l'abîme . Analogue là encore à l'Apollon d'Héraclite, il ne dit (explicitement) ni ne cèle, mais fait signe . Ainsi Boulgakov, Pasternack donnent-il implicitement une philosophie de la révolution russe .

L'œuvre est puissance de signe, et le signe naît de la rencontre de l'œuvre et d'un regard éperdu, et désirant . La rencontre d'une œuvre puissante pour soi est une érotique, une rencontre amoureuse ; et la même gradation, depuis la foudre disséminale violente, jusqu'à à la lente imprégnation presque insensible, l'infusion d'une teinture indélébile au plus profond de la chair, se rencontre . L'homme et l'écriture s'enlacent, construisent des mondes .

On peut devenir disciple d'une œuvre – non de l'œuvre, non de l'auteur, mais de la porte qu'elle nous ouvre vers l'ardent désir du haut tant désiré - comme foudroie l'amour chez Boulgakov .



« Elle me regarda avec étonnement et je compris tout d'un coup – et de la manière la plus inattendue – que depuis toujours je l'aimais, j'aimais cette femme ! Quelle histoire, hein ?(...) L'amour surgit devant nous comme surgit de terre l'assassin au coin d'une ruelle obscure et nous frappa tout deux d'un coup . Ainsi frappe la foudre, ainsi frappe le poignard ! Elle affirma par la suite que les choses ne s'étaient pas passées ainsi, que nous nous aimions évidemment depuis très longtemps, depuis toujours, sans nous connaître, sans nous être jamais vus, et qu'elle même vivait avec un autre homme (…) Donc elle me disait qu'elle était sortie ce jour là avec des fleurs jaunes pour qu'enfin je la rencontre, et que si cela ne s'était produit elle se serait empoisonnée, car son existence était vide.
Oui, l'amour nous frappa comme l'éclair . »
Boulgakov, le Maître et Marguerite .

On rencontre parfois un livre comme on rencontre un amour, une balle perdue . En juin 1990, je cherchais cet ouvrage étrange, intensité, extase et folie . Cette œuvre inconnue dont mon âme avait soif comme j'avais soif de chair, de la chair blanche d'une jeune femme brune, si éthérée alors, qui s'appelait Sonia, que j'avais aimé, follement, et que j'avais perdue .

Le livre était sous plastique, chez un bouquiniste, échappé du pilon . Gullo Gullo est le nom du glouton, être polaire, mon animal d'enfance préféré, féroce, rusé, sans peur . Le récit semblait vide : « l'animal féroce sert d'emblème à un groupe de terroristes . Leur victime d'élection, un richissime industriel autrichien, Kurt Bodo Nossak, colosse inquiétant, se laisse convertir à leur nihilisme exterminateur et revient prêcher leur doctrine dans l'univers concentrationnaire des multinationales .(…) Le diable, présent dans tous les livres de Bulatovic, devient ici le maître d'œuvre (…) ». Suivait l'avis d'un membre du jury Nobel : « Gullo Gullo est un livre très particulier, scandaleux, d'une effroyable cruauté . L'imagination de Bulatovic passe toutes les limites concevables ».

C'est le diable qui m'a décidé . J'ai acheté ce livre .

J'ai ouvert Gullo Gullo et je ne l'ai jamais oublié, portant le soleil noir de son baiser partout dans mes chemins . Je l'ai récité à Naples, dans le quartier de la Gare, fief de la Camorra ; je l'ai récité sur un navire déglingué dans l'Adriatique, en me lavant les dents avec du Whisky tiède, au lever du soleil . Je l'ai lu dans les trains turcs, sur des terrasses, en même temps que des classiques élégiaques grecs, sur les ruines de Smyrne . Je ne l'ai jamais fini . Je l'ai lu entièrement, par bribes, mais sans en comprendre l'ensemble . Jusqu'à ce jour .

Tout esthète attend dans le secret, et peut être l'inavoué, ce bouleversement de l'art, par l'art ; et c'est cette attente, ce désir qui le pousse à en rechercher indéfiniment au moins les reflets dans le miroir des innombrables œuvres qui laissent à voir, entrevoir . L'art est ainsi une activité érotique qui connait le désir, la morsure du manque, la jouissance...les voies de l'érotisme se retrouvent dans l'esthétisation de l'existence, selon la voie de la main droite et la voie de la main gauche, mais ce point ne sera pas examiné ici .

C'est la dimension sophiologique de l'art, toujours déjà vivante, et dont on trouve des témoignages évidents par exemple chez Mallarmé ou chez Rimbaud . Le champ de la sympathie et de la sophiologie, de la symbolisation et de la production symbolique d'un Univers commun, est le champ constructif de l'art, celui où justement se joue sa puissance de transformation . La volonté de puissance est le cœur vivant de l'activité symbolique . Encore une fois, il ne s'agit rien moins que la production et l'ordonnancement symbolique du monde humain, activité primordiale de la volonté de puissance qui rassemble ce qui est aujourd'hui disséqué en fragments inintelligibles, dans le Droit, l'Architecture, les Arts visuels, la poésie...il ne s'agit pas de crucifier une œuvre comme un papillon sur un mur . Produire l'ordre d'un monde, c'est cela, passionner le monde .

Dans la société moderne, cette dimension tend à s'exténuer parallèlement à l'érosion de plus en plus profonde des symbolismes collectifs, dans la dissolution ou le morcellement des hommes produit fonctionnellement pour renforcer les dispositifs de domination tant « politiques » qu' « économiques », et dans la dé-symbolisation qui l'accompagne, dé-symbolisation qui au niveau individuel renforce considérablement le caractère pulsionnel des actions, qui tendent à devenir des réactions à des stimulus maîtrisés par le Système, dont la publicité n'est qu'un exemple . En clair, la dé-symbolisation moderne produit un individu asservi par l'instrumentalisation de ses désirs, et par son impuissance à les reporter et à les rassembler vers une fin . Le Système appelle cela liberté...mon cul .

Plus profondément, la dé-symbolisation du temps de la décomposition s'accompagne d'un renforcement du rôle de l'art comme dispositif de domination . L'espace de l'art devient alors celui de la construction de la distinction entre les hommes de goût et les autres, bref celui d'une euphémisation des rapports de domination – un homme distingué étant celui qui distingue . Pierre Bourdieu en a réalisé l'étude magistrale, quoiqu'on dise . Il s'agit de l'instrumentalisation du champ de l'esthétique en vue de la fonction la plus courue du Système, la sélection légitime des hommes, la distinction par le jugement ayant quelque analogie avec par exemple la sélection par l'excellence scolaire .

Le design, ou ensemble des activités de luxe associant l'art à l'industrie, est ici un cas exemplaire de l'instrumentalisation de l'art dans la société du troisième totalitarisme . L'art, par le marché, produit de la valeur d'échange ; les produits de design sont davantage des signes hiérarchiques d'une société fondée sur la distinction et la fortune que des références implicites à un monde commun, à un Univers symbolique, comme dans le cas de l'art traditionnel . Les références cosmologiques par exemple, les symboles cosmologiques, les symboles religieux partagés, les références au sort commun de l'humanité, comme les danses macabres, montrant la mort du Roi, de l'évêque, de l'amoureux et du pauvre, tissent les réseaux d'une commune humanité : frères humains qui après nous vivrez, n'ayez les cœurs contre nous endurcis...commence la ballade des pendus de Villon . Ajoutons que la jouissance des œuvres est traditionnellement commune, et publique, à la manière des Temples ou des Églises .

Au contraire, les signes de l'industrie du luxe construisent une fragmentation indéfinie de l'Univers, une fragmentation hiérarchisée basée sur le mépris, la moquerie, la révérence pour l'argent et la haine, sans pour autant offrir l'image d'une société structurée harmonieusement autour de fonctions humainement intelligibles – l'idée d'un service commun justifiant les privilèges visibles est déniée par tous les faits . La valeur des signes, qui peuvent être limités à des logos sans référence esthétique, ou à référence de plus en plus exténuée, est au fond posée par le caractère dominant de ceux qui le portent, et sont les premiers analogués des logos, les suivant étant des gogos, et les derniers des voyous qui volent ou détournent ces logos et en font des insignes de bandes . L'ordonnancement visible de la société devient ainsi essentiellement mimétique . Dans le champ artistique, cette évolution a ce résultat que note Debord, que la consommation de l'œuvre peut tenir essentiellement à l'intérêt porté à l'auteur, en l'absence de valeur intrinsèque de celle-ci . Et comme l'intérêt pour l'œuvre est inexistant, l'auteur doit être intéressant pour des raisons externes à son œuvre – cette situation est aujourd'hui trop commune pour être commentée .

La destruction de la fonction propre du symbole, qui est de sursumer, rassembler, lier, et pallier l'absence en permettant des formes sublimées de jouissance, est parfaitement fonctionnelle au Système qui produit la déploiement maximal de la puissance matérielle . Car une volonté de puissance sans puissance de production symbolique ne peut prendre conscience d'elle même que par le déploiement d'une puissance matérielle, d'une consommation . Mais la jouissance matérielle permise par ce déploiement de puissance ne cesse de se réduire en proportion de la puissance, de demander davantage de puissance pour maintenir le brasier ; ainsi la puissance même de jouir de l'homme est-elle fortement atteinte par la dé-symbolisation et par la course au déploiement de puissance qu'auto-produit aveuglément le Système . L'homme moderne n'est pas perpétuelle jouissance, mais perpétuelle insatisfaction . Une étude de l'érotique pourrait le montrer d'une manière convaincante .

Ainsi, pour conclure sur ce passage, faut-il souligner ceci : les altermondialistes ou les écologistes qui prêchent pour une retenue morale ou parcimonieuse de la jouissance pour permettre la décroissance pensent la jouissance dans les termes mêmes du système qu'ils condamnent . La symbolique est la voie de la jouissance – passionner le monde, c'est jouir du monde .

Un barde aux pieds de la princesse, écoutant dans le secret du privilège et du cœur le chant du rossignol parmi les arbres, jouissait du monde bien au dessus d'un moderne jouissant d'une pute russe dans une Ferrari . L'aimée de l'amour courtois est le microcosme, l'implication des couleurs, des saveurs et des parfums des mondes ; elle est tout, le pays des quatre fleuves, le firmament sous le nom de Nuit, la grandeur de l'esprit, et la noblesse du cœur et du sang . Par son regard et ses baisers, elle fait du poète un Empereur sans royaume – le Maître de Boulgakov . Par son règne, elle en fait un fidèle d'amour, un chevalier qui rend hommage et se trouve anobli .

Ainsi le Barde est-il frère de la main gauche de l'ermite, de la Béguine, qui voient le monde résumé dans une fleur, et font naître Dieu en l'âme, s'élevant à la hauteur des mondes indéfinis et des siècles des siècles au milieu des jardins et des canaux parcourus par les cygnes . Comme dans la lettre de Vermeer, le monde entier des routes maritimes est donné par la lumière, une carte et une lettre . Et la vérité symbolique, c'est que la carte est plus que le territoire grâce à l'amplitude et l'exaltation de l'esprit, qui ne cessent de déborder et dépasser, de nier le monde des choses, d'y creuser les souterrains lumineux du négatif, par la volonté de puissance agissant dans l'imaginal, qui fait naître des aurores et des mondes .

C'est par la puissance symbolique, celle des autres mondes, que l'homme s'élève à la jouissance parfaite, même dans ce monde . Le sage empédocléen est justement la Sublime Porte, celui qui parle le langage primordial ou langage des oiseaux . La fermeture de l'objet d'art est l'analogue de la fermeture des mondes dans l'idéologie racine, sous le nom prétentieux et menteur de rationalisme, l'analogue de l'enfermement de l'homme ; et de ces eaux stagnantes, il ne faut attendre que du poison .

Nous percerons ces murs d'airain . Déjà, nous respirons l'air et la lumière .

Viva la muerte !

Zarathustra . Ou introduction à Que faire ? Debord, 7-2

(The blood of flowers, iranian contemporary art-http://royadiba.blogspot.com/http://www.myspace.com/royabarrette)

La question posée est celle qui s'est posée autrefois à Vladimir Illitch Oulianov, Que faire ?

Mais cette question s'est posée auparavant à Friedrich Nietzsche, alors qu'il pensait à la pensée, à l'Europe nouvelle qu'il voulait voir établie par les hommes que parfois il appelait philosophes de l'avenir, ou parfois peut être surhommes . A cette période Nietzsche fut charmé par la loi de Manou, et particulièrement par l'esthétisation de l'existence que prônait cette loi . Elle pose en effet que le nom des femmes doit être une musique, douce à prononcer, comme une rose de l'esprit...Cette remarque avait frappé le grand solitaire, le vieux célibataire...

C'est par contre un contresens commun de ne pas voir dans sa propre tradition les abysses et les fleurs de la Loi, de ne pas saisir dans la Loi de Moïse l'analogue âpre saveur que dans la loi de Manou . Il existe un aveuglement progressif du regard des hommes sur leurs propres Paroles traditionnelles, un rétrécissement des perspectrives analogue au vieillissement de la vue et de l'ouïe...

Nietzsche avait compris ce que compris plus tard, en fraternité spirituelle, Simone Weil : Une pensée n’atteint la plénitude d’existence qu’incarnée dans un milieu humain, et par milieu j’entends quelque chose d’ouvert au monde extérieur, qui baigne dans la société environnante, qui est en contact avec toute cette société, non pas simplement un groupe fermé de disciples autour d’un maître. Faute de pouvoir respirer l’atmosphère d’un tel milieu, un esprit supérieur se fait une philosophie ; mais c’est là une ressource de deuxième ordre, la pensée y atteint un degré de réalité moindre. Il y a eu vraisemblablement un milieu pythagoricien, mais nous savons presque rien à ce sujet. À l’époque de Platon il n’y avait plus rien de semblable, et l’on sent continuellement dans l’œuvre de Platon l’absence d’un tel milieu et le regret de cette absence, un regret nostalgique.
S.Weil, lettre sur le catharisme .

Même la vie philosophique d'une communauté, regroupée autour d'un ou plusieurs maîtres, est encore à la fois un puits dans le désert de ce monde suspendu au dessus de l'abîme, et le signe de l'absence du fleuve, le grand fleuve, qui pleure le grand Océan, la route de la baleine . Qu'est ce que la philosophie antique de Pierre Hadot, pourtant un grand livre, n'atteint que la philosophie, cette ressource de deuxième ordre dont parle Simone Weil . Guénon est sans doute le plus puissant évocateur de ces milieux de vie symboliques des âges enfouis sous la cendre . Et nous, à quelle horizon désertique sommes nous de ces milieux de vie !

J'ai vécu, moi qui vous parle, l'enseignement de deux maîtres d'arts martiaux, connu sous le nom de Capoeira, rattachés à un maître brésilien ; et nous étions comme une île, entre le Mont des pluies, la gare et les routes .

Ces hommes, l'un surtout, ont dû me dire moins d'une page de mots . J'ai appris la liberté du loup, la puissance de la volonté et de la liberté face à la force physique supérieure, le respect quotidien des supériorités, et la supériorité de la poésie, et de la main gauche . J'avais honte, à l'époque d'écrire des poèmes . Dans une discussion très laconique, l'un d'entre eux m'a fait comprendre que je devais avoir honte de ma honte, et rompre avec le monde qui fait honte de vouloir des chants, en prenant la défense de ma main gauche .

Tout est lié . Tout est puissance, âme, et donc soumis à la puissance de la sorcellerie, de la musique et du chant . La force physique, mentale et spirituelle sont Un . Il n'y a pas de moment d'entrainement, parce que chaque geste-manger, danser, parler- doit être pensé en vue de la maîtrise, idée que l'on retrouve chez Guénon . Toute douleur est une peur . Je peux marcher pieds nus dans les ronces une journée, en sang, et rire . Pour le maître, danser et combattre sont Un . Le maître, ne combat pas, mais la panthère en lui, et il ne peut être vaincu par un homme profane .

Je l'atteste : ses mouvements sifflaient dans l'air, comme le fouet d'un serpent . Je crois, par ce que j'ai vu, qu'aucun homme n'aurait pu vaincre l'un de ces hommes, et que même vaincu il aurait conservé sa dignité et son élégance . Ce maître ne craignait ni le loup, ni le sanglier, ni le molosse errant, que son simple regard saisissant et fixe écartait du chemin . La liberté ne se justifie pas . Elle se prend . Je ne laisse rien à celui qui veut m'écraser, même pas la peur . Il n'était pas sage d'affronter de tels hommes . De tels hommes peuvent être l'armature d'un mouvement de résistance .

Des journées, aucun statut, ni de l'élève ni du Maître, sinon implicite dans l'action, et autant d'apprentissages que toute l'université, que toute la réflexion de la vie, depuis . Très peu de mots, essentiellement des actes . Pas de « maîtrise ta peur » devant l'abîme mais un bond, un regard vers moi, un sec « passe » . Pas de « maîtrise ta douleur », mais une discussion maintenue fermement face aux chocs . C'est par l'exemple que le Maître enseigne, il montre qu'il est possible à un être humain d'être si puissant que chacun des ses gestes, de ses paroles . L'allure principale était stoïcienne .

A l'époque je lisais Zarathustra . Musiciens, danseurs et maîtres d'armes, ils accordaient peu de poids aux mots, étant d'ordinaire très laconiques . Je crois qu'ils souriaient, bienveillants mais distants, de me voir aussi assidu d'un livre .

Nietzsche était nostalgique de ce milieu de vie qu'il avait espéré voir renaître par l'œuvre de Wagner . L'œuvre totale de Wagner vue par Nietzsche a beaucoup d'analogies avec l'œuvre enveloppante, globale, cette réplication de la situation totale, dans laquelle on entre pour passionner la vie, cherchée par les situationnistes dans les années cinquante . Le constat commun est que l'œuvre objet, morte, que l'on observe extérieure à soi dans un musée, un galerie, chez soi, cette œuvre est sans légitimité sur la vie, la vie globale à laquelle aspire non pas seulement l'artiste, mais l'homme .

La philosophie est art puisqu'elle est production de monde de la vie . La philosophie du Zarathustra comprend que la recherche de la Vérité ou de la non vérité n'est qu'un moment de l'établissement de la vie philosophique, et n'est ni sa fin ni sa vérité . Toutes les philosophies qui cherchent à établir la vérité préalablement à la vie philosophique, quelles qu'elles soient, Descartes ou Quine par exemple, sont des escabeaux sous les pieds de la vie philosophique, des escabeaux qui enflent comme des cancers et deviennent des montagnes, des obstacles, des leurres, des impasses . En niant la vérité comme puissance de l'homme, Nietzsche veut obtenir la puissance pour l'homme d'établir un monde qui l'élève, le monde du surhomme . Plus exactement, le dépassement de l'homme étant l'essence de l'homme, qui permette à l'homme de rester humain à l'âge du Nihilisme . Le choix est là : soit le surhomme, pour rester fidèle à la vocation ontologique au dépassement de l'homme, soit le dernier homme, confit dans la moraline .

Car l'essence de la culture est de poser la Loi et l'Empire, non la vérité . Théurgie, et non théorie . Information du monde par le déroulement majestueux des spires accumulées du Dragon passant à travers le Barde et le Roi, et se manifestant comme des flammes dans leurs paroles – selon le symbole des flammes, ou de l'épée qui sort de la bouche . La bouche, lieu de l'extase du souffle, peut être volcan dans les baisers, puissance de transmission, et est le lieu de naissance de l'homme spirituel ou Verbe, analogie élevée du sexe féminin où s'enracine l'arbre de la connaissance .

La philosophie comme démiurgie globale du monde humain et de l'homme . Voilà l'essence de Zarathustra, de la fascination de Nietzsche pour la Loi de Manou . Un maître de Capoeira, qui veut informer puissamment chaque instant de sa vie, est plus que bien des universitaires, sans aucune dimension de vie philosophique .

La Loi, l'Empire, sont des fondations, des œuvres d'art . Il ne s'agit pas de décrire le monde, mais de le transformer . Marx est un maître authentique, et ce fait doit être reconnu . La Théurgie est la production de Dieu sur la terre, ici et maintenant . Déjà les néoplatoniciens plaçaient la Théurgie au sommet de la philosophie .

La transformation du monde par le fondateur d'Empire, d'Éon, comme Zarathustra, est un recommencement du monde, comme l'amour fou pour l'homme et la femme ; un kairos, une totalité, que ne peut penser la raison logique ou discursive, puisqu'elle est le coup de pistolet dont parle Hegel dans la préface à la Phénoménologie de l'Esprit . L'essence de la situation, comme mobilisation de la totalité face à la mobilisation totale du Système, est le drame dans le Ciel qu'évoquent les textes gnostiques, une singularité sans père, analogue à Merlin, fondateur d'ordre et homme sans père .

Le langage symbolique est une puissance pour dire le coup de pistolet . Le langage symbolique est une haute puissance dans le monde . Nous allons reconquérir une puissance révolutionnaire de la pensée, ce qui passe par une révolution dans la pensée révolutionnaire . Nous sommes las de ce monde ancien, et las de l'impuissance . Nous allons à nouveau secréter une pensée dangereuse comme la rose noire, comme le venin du cobra . La pensée à nouveau sera opératoire, et puissance de mondes . Sans déchainement des tempêtes de l'imaginaire, la fragmentation du temps et de l'espace que pose la pensée du kairos ne peut trouver l'analogue de la fragmentation des chaînes sémantiques, des mots de la tribu . La pensée du kairos, la pensée puissante est aussi une poétique, et non une logique, sinon la dialectique .

De même que le feu sépare le bois du foyer
Sec, pur, choisi avec soin,et fait sortir le jus et le brûle,
De toutes ces paroles, nous honorons la force .
La puissance victorieuse, la splendeur et l'énergie .
Nous honorons toutes les eaux (…)
Nous honorons toutes les plantes(...)
Nous honorons toute la terre,
Nous honorons tout le ciel,
Nous honorons toutes les étoiles, le soleil et la lune ;
Nous honorons toutes les lumières éternelles
Nous honorons tous (…) les animaux (…) sous le firmament .
Nous honorons toutes tes créations saintes et pures, ô Ahura-Mazda, merveilleux artisan,
Par lesquelles tu as constitué un monde nombreux et parfait .
Tes créatures, dignes d'hommage et de louange à cause de la pureté parfaite de leur nature .
Nous honorons toutes les montagnes qui brillent d'un pur éclat,
Nous honorons toutes les mers (…)
Nous honorons tous les feux .
Nous honorons toutes les paroles véridiques
Toutes celles que la pureté, que la sagesse accompagne ; qu'elles me servent et pour ma protection et pour ma défense et pour mon entretien et et pour ma garde (…)
Je les invoque pour moi, pour le bien de mon âme (…)
(...)J'élèverais ton âme, moi qui suis Ahura-Mazda (…) au dessus de l'Enfer, à une hauteur telle
Qu'elle est la mesure de la terre,
(…) en hauteur, largeur et profondeur .

Avesta, Yaçna

Ainsi étendue à la mesure du monde, l'âme s'élève à la splendeur des mondes, et les paroles se vivent de force, de puissance victorieuse, de splendeur et d'énergie – nous sommes très loin des pseudo-théories modernes de la religion, et de la généalogie de la morale faussement étendue à l'ensemble des traditions symboliques . Nietzsche est un théologien, comme Empédocle ; et s'il condamne le ressentiment, il n'adopte pas pour autant le positivisme bêtifiant du siècle dernier, encore si vivant chez les hommes morts, qui ont abandonné non seulement la vie philosophique, mais aussi la recherche même de la vérité, aux profits du spectacle de la pensée – Quine, par exemple, est tellement plus, tout en se considérant lui-même comme pas grand chose, tellement plus que les mannequins modernes qui achèvent la jeune-fillisation de la pensée de marché...

C'est bien pour cela que la pensée du kairos tisse poésie et pensée la plus abstraite et la plus puissante, tisse la splendeur des livres de la splendeur avec la dialectique, tisse la recherche de situations avec la construction symbolique du monde, pour retrouver l'alchimie de la production des mondes humains – ce que fut non l'acte, mais la puissance, la grande puissance qui fit naître les mots des Zarathustra .

Telle est, en ressouvenir de Nietzsche, la puissance que j'élève face à la puissance du Système .

Vive la mort !

Ordo Carbonari Sylvestris . Et puis, et puis après...?

(La déesse Nuit en extase tantrique)



Mais, ô dieux, détournez de ma langue la folie de ces hommes. Sanctifiez mes lèvres et faites couler d'elles un fleuve pur ! Et toi, très courtisée Muse, vierge aux bras blancs, je te supplie de me faire entendre ce qui convient aux enfants d'un jour ! Fais-moi avancer dans ma voie dès la demeure de la Sainteté et pousse mon char docile ! Des couronnes de gloire et d'honneur de la main des mortels ne te forceront pas à les soulever du sol, afin que, dans ta fierté, tu parles au-delà de ce qui est équitable et droit et que tu gagnes ainsi un siège sur les hauteurs de la sagesse. Commence maintenant, considère de toutes tes forces de quelle manière chaque chose est claire. N'accorde pas à ta vue un trop grand crédit en comparaison de ton oreille, et n'estime pas ton oreille qui résonne au-dessus des claires instructions de ta langue ; et ne refuse ta confiance à aucune des autres parties de ton corps par lesquelles il y a un accès à l'intelligence ; mais considère toute chose de la manière qu'elle est claire. Empédocle .

J'annonce en cette nuit de solstice et de pleine lune, et en présence de Thot, de St Michel et de St Georges la renaissance de l'Ordo Carbonari Sylvestris. Nous tiendrons l'obscur de l'humus,des forêts et des nuits pour le savoir, la poésie et la vie ascendante des sèves. Sol Invictus-l'unique.

Et puis, et puis après ?

Cette question est la plus mystérieuse de toute identité, fermée sur elle comme une veine de métal pur au profond de la montagne, masse de roc immobile, silencieuse et pensante d'un rêve sans mémoire . Car celui qui est tombé comme un corps mort, éperdu dans le labyrinthe de glace, et se relève, est-il...qui est-il ?

Il est une perspective de l'éternité-le cristal- et une perspective du temps-la veine, le sang .

Et puis, et puis après ?

Je est mort, vive je ! Le moi est comme la flamme d'une bougie, que l'on allume le soir, pour lire les récits des morts, que l'on éteint quand le soleil monte au zénith .

Le moi est comme un nuage ; ou encore comme le miroir qui est en quelque sorte, toutes choses, et puissance de toute image de ce qui est image...c'est pourquoi quand un homme meurt dans une maison, l'on voile les miroirs de noir ; ou qu'un miroir se brise pour annoncer un mort . L'homme est miroir, image, et histoire, récit, actes...je suis la somme de mes actes . Je n'est rien qui puisse être saisi, compté, pesé...nous ne possédons pas l'insaisissable, l'insaisissable nous possède .

Non possédant, mais possédé .

Et puis, et puis après ?

Je ne profère pas impunément des mots qui tuent, blessent, condamnent . Les mots ne sont pas innocents, ni inoffensifs ; ils sont des armes, des couteaux aux tranchants maculés de sang, des balles perdues .

Perdues, parce que les longues racines entrelacées des chemins de forêts, des longs apprentissages de mots des Sages de la forêt, ou Druides, ont été coupées...Et il y avait parmi eux un homme d'un rare savoir, versé au plus haut point en toute espèce d'œuvres sages, un homme qui avait acquis la plus grande richesse en connaissances ; car lorsqu'il tendait les forces de son esprit, il voyait facilement chacune des choses qui sont en dix, en vingt vies d'hommes . Racines perdues parce que l'homme moderne est comme un naufragé, absolument nu sur les océans de béton et de fer du siècle, sans mots...les mots sont usés, on ne peut plus les dire...ses paroles sont privées de charge ontologique, de puissance ; aussi bien pense-t-il les mots innocents, ou fantastiques .

Déprivé de mots, l'homme tend au désir du crime et se nourrit de haine . De quels honneurs, de quelle hauteur de félicité suis-je tombé pour errer ici sur terre parmi les mortels ! Je suis maintenant l'un de ceux-ci, un banni et un homme errant loin des dieux, car je mettais ma confiance dans la Haine insensée .

Aussi le voyant est-il aussi en danger, et est-il danger : il est une balle perdue .

Et puis, et puis après ?

L'enchantement des mots doit être proféré à nouveau ; a toujours déjà été présent, comme le Serpent sous la pierre ; tel fut l'objet de la résurrection d'Alamut . L'enchantement des mots pose un être, et est source et lumière d'illumination, comme la musique pour l'âme endormie dans le palais des miroirs, envahi par les ronces et les demeures de forêts .

Il ne faut pas craindre de poser un acte premier sans substance, mais il faut considérer alors qu'il est, en quelque sorte, son propre sujet . Plotin, ennéades VI, 8, 20, 9 .

Et puis, et puis après ?

La question est celle tout à la fois, de la vie poétique et de la révolution . C'est la question, la seule question qui vaille, de la construction des situations, dans le combat désespéré entre les mâchoires de fer des cycles des temps – la nécessité unique, le Trépas, père de la douleur . La mort . Dans l'âge de fer la simple vie, l'acte de respirer la saveur des mondes, se vivre de la Lumière des Lumières est résistance, combat, guerre . C'est ce que découvre le Maître, en voulant publier...

Qu'est ce qui est vie au milieu de la mort, sinon la haute colonne de la fleur unique jaillissant telle une fontaine à travers la neige, la promesse des printemps couronnés de roses ?

La charbonnerie, repliée au milieu des forêts, gardienne des feux voilés, noirs de ténèbres, dans les chemins secrets, est symbolisée par le mot RESISTANCE . Elle est feu et voile, nuit et poignard . Elle est mort et résurrection . Elle est situation et promesse de situation ; silence des bois et verbe secret .

Elle est forêt du Morrois, forêt de Tristan et d'Iseult, science et Verbe des fidèles d'amour . Car la révolte de Tristan-Tantris et d'Iseult aux cheveux de corbeau est la situation par excellence, celle où l'excès de puissance incarnée transgresse la loi non par crime, mais par manifestation solaire que la loi est elle-même le crime, dans la perspective de l'éternité qui le dévore : ton amour est un feu dévorant . De même que la haine des familles dans Roméo et Juliette :

Deux familles, égales en noblesse,
Dans la belle Vérone, où nous plaçons notre scène,
Sont entraînées par d'anciennes rancunes à des rixes nouvelles
Où le sang des citoyens souille les mains des citoyens.
Des entrailles prédestinées de ces deux ennemies
A pris naissance, sous des astres contraires, un couple d'amoureux
Dont la ruine néfaste et lamentable
Doit ensevelir dans leur tombe l'animosité de leurs parents.
Les terribles péripéties de leur fatal amour
Et les effets de la rage obstinée de ces familles,
Que peut seule apaiser la mort de leurs enfants (...)

La Loi de la ville est celle du sacrifice des enfants, obstiné, avide de sang - celle de l'Europe de 1914, celle de la nôtre, ou la Loi du monde . L'Empire est sans recours un crime . C'est pourquoi la Voie est la Voie de la main gauche, celle de la main Droite étant souillée, plus encore que celle qui porte le nom de sinister, ou mort . Il te sera beaucoup pardonné parce que tu as beaucoup aimé - et c'est à la mesure dont vous mesurez que vous serez mesurés . Sinon, que m'arrivera-t-il au jour du jugement ?

Amant libre que tu es, astre errant sur les orbes excentriques, ne te regarde-t-on pas avec méfiance? Et que reste-t-il de l'amour après consumation?- Le pont Mirabeau, Boulgakov, Jivago au plus profond de moi comme des prières d'enfance - Et, grand seigneur moderne- que reste-t-il de ta dignité, de ta puissance, des euros et du béton après ta mort ?

Et tout le refuge des amants célestes est le recours aux forêts, où sont les demeures des charbonniers . Auprès du feu, ma bien aimée, je parcourais les flammes de ta peau, le pays des quatre fleuves .

Je t’ai réveillée sous le pommier ; Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, ses ardeurs sont des ardeurs de feu, une flamme de l’Éternel. Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas ; quand un homme offrirait tous les biens de sa maison contre l’amour, il ne s’attirerait que le mépris .

Qu'est ce que j'écris de plus ?

Le commencement est néant, nuit, et en même temps ce à quoi le devenir fait retour en tant que fondement . La nuit est cette vacuité qui n'est pas rien, puisque l'être doit en advenir – l'être est toujours déjà contenu en lui . L'être humain porteur de puissance est aussi porteur de nuit, enfant de l'ordre noir, fils de l'Aube d'été que j'embrasse . Les mots puissants sont chargés des eaux et des parfums des ténèbres...La nuit est l'implication indéfinie de l'explication des mondes, les voiles immenses et constellés d'étoiles de la chevelure de la déesse .

Et puis, et puis après ?

Après est toujours déjà présent, donné . Il est cette immense puissance, cette coulée de lave rougeoyante qui éclaire et réchauffe . Elle est TA puissance pour peu que tu la fasse tienne, qu'elle serpente à travers toi et te fasse Dragon . Tel est le sens du mot de Crowley : do what thou wilt shall be the whole of the law, Fais ce que tu voudras sera le tout de la Loi . Non pas fais ce que ta volonté de sujet illusoire veut, mais ce que veut la volonté de puissance qui traverse les mondes . Sois puissant de la puissance des étoiles, et deviens ce que tu es . Telle est la Loi des fidèles d'amour .

Car l'homme est un Temple, un foyer qui doit conserver le feu . Ou qui ne peut qu'être rien, s'exténuer indéfiniment comme un bonhomme de neige au soleil, qui voudrait être par lui-même .

Si nous osions allumer le feu...

Et puis, et puis après ?

Regarde et je regarde aussi...

Vive la mort !

DEBORD 7 : De la guerre . 1 : le monde moderne et sa part d'ombre, ou la structure vide du spectacle .


(In a bar in Tijuana, Mexico, Chivo plays with a transvestite. Photo by APF Fellow Joseph Rodriguez -la part d'ombre et sa fascination.)

Introduction contemporaine .

Le tigre ne proclame pas sa trigritude . Il bondit . Le combat idéologique n'est pas universitaire, et ne s'embarrasse pas de citer Soyinka . Avant d'aborder la guerre, Debord que remarque que dans le Spectacle l'œuvre s'exténue dans l'auteur . Ce point devra être invoqué à nouveau par l'auteur . Cet aspect à une face qui se remplit de vacuité, et une face adaptée au monde de la vacuité, qui est celle de la discipline et de l'attitude mentale à forger pour voler le feu aux Titans du Système et porter les aurores . Le situationniste ne se proclame pas tel, mais cherche à pro-voquer les situations déterminantes, ou kairos . Passionner le monde, n'est ce pas exiger le monde pour la passion ?

Donnez moi un point d'appui, et je soulèverais le monde . Que l'homme isolé ait la puissance de transformer le monde, que trois ou quatre le puissent, c'est le sens du mot de Simone Weil . Car se transformer et transformer le monde est Un .

Après des mois de ténèbres intérieures j'ai eu soudain et pour toujours la certitude que n'importe quel être humain, même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre dans ce royaume de la vérité réservé au génie, si seulement il désire la vérité et fait perpétuellement un effort d'attention pour l'atteindre .

Le caractère même du Système justifie cette foi inextinguible née du cycle de fer . Le Système est un ensemble d'éléments en interaction, qui ne cesse de se reformuler, en conservant identiquement des finalités, ce que j'ai nommé entéléchie . Le Système a l'analogue d'un sous-système immunitaire et digestif, qui identifie, isole et traite les étants particularisés dans le processus, particules inassimilables sans intervention, en général pour les rendre assimilables – ou pour les détruire . Une agression puissante mais insuffisante pour le mettre à genoux renforce considérablement son immunité ; et ainsi les guerres passées n'ont pas cessé de le renforcer .

Une force infime peut cependant, c'est un principe de la théorie du chaos, l'effet papillon, avoir des conséquences incommensurables à cette force originaire . Le destin du Christianisme, des Lumières, ou du Marxisme, illustrent la puissance de cette réalité dans le monde humain . L'échec des Assassins lors des Croisades, ou celui du terrorisme moderne, de forme insurrectionnelle ou aveugle, montre lui la nullité de l'opposition frontale et basée sur la force . Certes, le pouvoir le plus central du Système est basé sur la force – mais pas seulement . Certes, une guerre perdue est la perte des plus puissants empires – mais l'Empire ne perdra pas de guerre, pas plus que l'Empire romain ne pouvait être affronté par les chrétiens . Et en un sens c'est heureux, car les véritables réussites de la guerre sont la destruction de régimes abominables, mais à un prix de sang dont peu d'hommes peuvent concevoir le caractère monstrueux .

Nous avons sans doute besoin, aussi, d'une analyse moderne et stratégique de l'œuvre d'un Gandhi .

Le Système n'est pas seulement doté de sous Systèmes à rôle assimilateur ou immunitaire ; il est doté de sous-systèmes de reproduction . Le Spectacle est un tel sous-système, infiniment plus grand et plus puissant que le sous-système éducatif . Chaque phrase, chaque geste médiatiques sont des symboles de la reconduction implicite des réquisits de la réalité telle que définie par le Système, l'analogon indéfini du couronnement à Reims . Une prise de parole du Président, comme celle en URSS du premier secrétaire du Parti, s'accompagne d'un décorum symbolique : annonce, attente entretenue, discours écrit par un autre en général très attendu– expression qui a pris le sens de très convenu – et tout dégoulinant de moraline consensuelle, puis longue exégèse publique des propos tenus par des spécialistes du vide dont le haut rang tient de celui du premier porteur du pot du Roi Soleil . Le message essentiel n'est pas dans le discours, il est dans la cérémonie du discours, qui est la ré-affirmation cyclique grandiose, comme la Cour est la réitération quotidienne, toutes réplications visibles et solennelles, de la puissance de Celui qui parle .

Mais toutes les analogies de la Cour, les petites cours locales, les coteries respectueuses, les bureaux de patrons aux poignées dorées, les moquettes épaisses des bureaux des professions libérales, les secrétaires, les multiples discours, et de départ à la retraite du travailleur méritant, de remise des prix imprégnés de moraline pompeuse, de tous les petits représentants de l'État, les cours de philosophie scolaire, les manuels pompeux et abscons, les concours de tous ordres sont au fond des réitérations cérémonielles de la réalité et du monde construit par le Système et du Système lui-même .

Tout se tient, et tous se tiennent . Il n'est aucune sémantique médiatique qui ne soit la réplication du Spectacle . Chacune de ces réplications, comme une cellule de corps humain, à en puissance la totalité de l'information du Code essentiel de l'idéologie racine . Ce noyau n'est sans doute pas un code unique, mais un ensemble de codes primordiaux et de leurs règles de traduction suffisantes . Peu importe à ce moment de la réflexion . Ce qui importe, c'est que l'ontologie, le principe de réalité dans le monde réel existant n'est pas d'abord la question de l'existence des anges, elle est celle de la consistance et de la solidité du monde construit par le Système, consistance et solidité qui sont à la fois l'origine et la cause de sa cyclicité réitérative, du monde des montres, des horloges, des emplois du temps, des assurances, des bureaux, des fonctions écrites, des responsabilités claires . Les assurances ne sont pas seulement des garanties individuelles, elles sont des garanties obligatoires qui permettent de garantir un maximum d'ordre, c'est à dire de remplacement de ce qui est détruit, perdu ou cassé par surprise, et non de manière prévisible, et qui se nomme usure normale . Ce monde est menacé en profondeur par tout ce qu'il qualifie de sa perspective de sauvage et de ténèbres .

Tout ce qui n'est pas réplication, tout ce qui surgit, tout abîme qui s'ouvre est pour lui cause de peur et d'inquiétude . Ce monde borné est obsédé par la sécurité, et en fait des thèmes principaux de ces évènements cycliques nommés campagnes électorales . Aussi ce monde cherche-t-il d'abord à gérer ce qui menace de la déborder ou de le dépasser, peut importe comment, soit par des soupapes et des « tolérances »(sports, bordels, éducation sexuelle, gadgets masturbatoires, boîtes de nuit, drogues légales, etc), soit par la répression, aussi nommée hygiène . Le désir sexuel, les pulsions violentes, la « folie » et la mort, non comme état définitif, mais comme rupture, sont les perturbations les plus dangereuses de la sécurité de la répétition ; aussi les ennemis du Système sont-ils plus ou moins sujets à de telles perturbations, ou fascinés par les déchirures que montre le voile du Système, les merveilles de Carroll ou d'Ellroy .

Ce monde rassurant de la répétition, au fond construit sur la peur, hait l'artiste, le nomade, l'ermite, la sorcière, l'homme dévoré de désirs et de folie – le fameux asocial des catégories nazies . Il hait les classes dangereuses qui n'ont rien à perdre, dont l'existence est trop stigmatisée pour qu'elles puissent souhaiter la reproduction du Système . La médiocrité moyenne des êtres humains fait qu'il s'établit de manière quasiment mécanique, comme un point d'équilibre des société humaines, laissant de côté les marginaux du haut comme ceux du bas . Guénon a lui même fait remarquer que les plus grands marginaux des hauteurs prenaient couramment l'apparence de nomades, d'errants – il s'agit sans nul doute d'un signe de marginalité .

La pensée la plus nocturne, la plus subversive, la Gnose, est maudite depuis toujours des sociétés « normales », c'est à dire normalisantes, car elle est la connaissance volontaire et lucide des coulisses ténébreuses sur lesquelles s'élève le théâtre principal de la vie humaine : soit coulisses occultées de crime et de mensonge, comme dans Festen de Lars Von Trier ou les livres d'Ellroy ; soit coulisses occultées de désir et de sexe, soit encore négation des puissances indéfinies de l'âme humaine, des états multiples de l'être . Ainsi sont irrévocablement liées les perturbations morales et physiques - un puissant désir de pureté morale, comme chez Simone Weil, la sombre cruauté de Sade, la démence d'un Artaud et le désir du voyant des mondes de Guénon ou de Rimbaud, dans la puissance de remise en cause souterraine du Système de la réplication indéfinie du même . Ainsi les souterrains sont-ils le lieu d'inquiétantes fraternités .

Il est à noter que les civilisations supérieures n'ont jamais occulté ainsi ces puissances indéfinies, mais les ont exaltées, passionnant ainsi le monde . Notre société carcérale de la répétition est allé plus loin que jamais dans la négation et l'annihilation des plus hautes puissances de l'homme . Ce monde est ainsi indéfiniment fragile, dévoré de l'intérieur par le mensonge et le vide sur lesquels il se construit, de manière analogue autrefois en URSS et dans l'ex-monde libre . Les illusions qui servaient de fondation idéologique à l'ennemi officiel étant effondrées, nos propres illusions d'ex-monde libre tiennent à finalement peu de choses, au caractère automatique des habitudes . Le caractère historique, la consistance réelle de l'œuvre d'Ellroy tient à ce dévoilement obscur .

Notre propre authenticité est le plus souvent un spectacle d'authenticité, faites de mythes et de photos issus d'activités industrielles et publicitaires, fausse authenticité d'autant plus vide qu'elle nous trompe sur son essence de vacuité, étant bien plus creusée et repliée que le plus artificieux dandysme .

Ce monde qui se veut énorme et puissant est d'autant plus fragile qu'il semble approcher de limites matérielles réelles, et que la croissance ne puisse plus prendre la figure des Trente Glorieuses, celle du rapport de 1957, période bénie de la synthèse artificielle par l'hyperproduction du capital et du travail . Qui eut pensé sérieusement en 1974, au sommet de la puissance de l'URSS et de la puissance idéologique de la gauche, que cet empire s'effondrerait si aisément ?

Notre monde est fragile, étouffant, énorme ; dévoré de vide et de contradictions ; nous pouvons investir ses systèmes reproductifs de formes nouvelles ; et loin alors de renforcer ses sous systèmes assimilateurs et immunitaires, sa propre puissance reproduira des formes incompatibles à son fonctionnement réel . Tel eurent lieu les Lumières . Alors il s'effondrera, dans une implosion lente ou brutale . Ainsi est le schéma de la situation complète de Debord, de la Révolution dans la culture .

Car l'essence de la culture est de poser la Loi et l'Empire, non la vérité . Théurgie, et non théorie .

Simone weil exprime ainsi cette diée à propos de la Gnose cathare :

Une pensée n’atteint la plénitude d’existence qu’incarnée dans un milieu humain, et par milieu j’entends quelque chose d’ouvert au monde extérieur, qui baigne dans la société environnante, qui est en contact avec toute cette société, non pas simplement un groupe fermé de disciples autour d’un maître. Faute de pouvoir respirer l’atmosphère d’un tel milieu, un esprit supérieur se fait une philosophie ; mais c’est là une ressource de deuxième ordre, la pensée y atteint un degré de réalité moindre. Il y a eu vraisemblablement un milieu pythagoricien, mais nous savons presque rien à ce sujet. À l’époque de Platon il n’y avait plus rien de semblable, et l’on sent continuellement dans l’œuvre de Platon l’absence d’un tel milieu et le regret de cette absence, un regret nostalgique.

S.Weil, lettre sur le catharisme .

Un milieu de vie . Telle est la synthèse de pensée et d'effectivité que permet le concept de situation . Ce sera la suite de ce septième et dernier point .

Vive la mort !

Autoportraits en fragments- gothic dandies .

(Dürer, autoportrait)


Et du vin furieux de la débauche ils s'étaient déjà enivrés jusqu'à la fin. Par désir de Vérité ils voulaient ignorer les vérités-lâchetés -repentirs des hommes. Par orgueil ils voulaient tirer leur rédemption de leur désir aiguisé comme une lame, prête à trancher la chair avec délices . Leur voie n'était pas celle des hommes ni celle du désert, leur voie était celle du tigre. Aucun être n'est plus solitaire que le tigre...solitaires infiniment ils étaient, et dandies moqueurs, ivres du Haut désir tant désiré, et frères du sang, de la volupté et de la mort.

Et dévorés d'angoisse, hantés par la mort, écrasés par le poids indéfini du Serpent, blessés par un mot de la tribu prononcé à tort, tristes jusqu'à la mort de la perte des anciennes prairies, ou de l'écrasement d'une fleur . Ivres du soleil invaincu, des mots de la splendeur, et des guerres du Seigneur .

Envers l'étoile, dans le secret, ils ne reconnaissaient que le délice des larmes et la tendresse, le désir infini de sa peau, l'attention portée, la rigueur vassalique la plus absolue . Ils chantaient le Cantique le coeur en larmes et en délices . Avides comme le loup, avides de leur puissances et ivresses de sexe, et jaloux par le spasme des tripes, ils savaient aussi que le pôle n'est pas la négation de la multiplicité, que l'institution n'est pas la fleur d'or de l'âme, ou amour . Le pôle est la fleur d'abîme, le négatif qui passionne l'être .

Le pôle de mon être triple est le tien, princesse . Le mal en est l'analogie en miroir . Le pôle est la restauration originelle de l'Archange révolté, acte qui ne le nie pas comme déchirement essentiel, mais le respecte comme Archange dans le vertige de son haut rang . La nuit ne nie pas la lumière,mais la rend plus visible,et la charge des formes de la splendeur.

La multiplicité est la conséquence fatale de la puissance . Elle est l'ivresse de la puissance et, en même temps, aspiration indéfinie du vide . Ils voulaient des peaux, des parfums, des ventres, des orages, des sexes détempés après l'ondée, des roses noires, des bouches entrouvertes, des langues-serpent...

« Ta tendance rouge est tout aussi redoutable, c'est le maître de Baal. Le printemps. L'érecteur. Une force souterraine capable de brandir tous les monstres de nos peurs pour pousser l'autre vers le haut, installer dans son esprit l'urgence de vivre. Tu peux faire jouir et bander n'importe qui. La difficulté avec une telle bombe d'attraction, c'est que les autres tombent comme des mouches et que tu ne sais plus au fond si ils t'aiment vraiment toi ou s'ils sont simplement drogués, fascinés par tes pouvoirs de sorcier. Tu peux en arriver, par dépit, par tristesse, à retourner les forces pour qu'elles deviennent repoussantes et générer une angoisse, voir une panique chez tes interlocuteurs espérant que ceux qui te cherchent vraiment soient assez solides pour dépasser toutes les barrières. Je connais bien le processus . »

Ils se sentaient faibles, si faibles parfois et vis à vis de la violence des déchirements, et vis à vis de l'exigence la plus haute . Brûlés, en cendres rendues à la stérilité des roches nues . Et ils brûlaient de devenir puissants de la puissance du serpent qui tordaient leurs ventres et leurs âmes . Et ils devenaient puissants, et tordaient des couteaux dans des âmes enivrées par les corolles ingénues, et carnivores, de leur désir .

Toujours morts, toujours âpres et rudes douleurs, soleils blancs atroces et grinçants, et toujours invincibles, ainsi ils étaient . L'errant des astres ne peut être écrasé par un exil ou une bataille perdue, sachant l'infinité des espaces, reflet du ciel au dessus de nous - l'infinité des états de l'être . Et de savoir que rien n'est plus solide que le lien né de la puissance absolue, étincelle du verbe et de la chair, peaux et âmes mêlés dans les algues des cheveux, que rien n'est plus solide que le poême qui s'élève au crépuscule des mondes - plus que les royaumes aux frontières mouvantes, que les arbres et les montagnes, que les vagues de la mer .

Ils aspiraient à la force et à l'intensité, aux brasiers du réel, quitte à brûler, quitte à mourir . Que les vapeurs de leur souffle dans l'air glacé soient rouges, et que les lettres de leurs mots soient de sang . Que les lettres soient des flèches, des dagues, des styles du chasseur des ténèbres . Tues moi, brûles moi, déchires moi de désirs et de folies, plutôt que de me laisser me vivre de cendres . L'être est . Le non -être n'est pas . Vive la mort !

Faits de sang, ils voulaient être chêne, pierre et fer . Et quand ils se sentaient de fer, ils leur fallait voir couler leur sang avec délices . Pour demeurer humain, pour se sentir éponge emplie de sang et de douleurs, de rages et d'ivresses, de hurlements et de larmes . Et de cela, ils savaient en rire pour le public .

Étaient-ils ainsi...Il me prouvait, d’une manière péremptoire, irréfutable, que l’ivresse de l’Art est plus apte que toute autre à voiler les terreurs du gouffre ; que le génie peut jouer la comédie au bord de la tombe avec une joie qui l’empêche de voir la tombe, perdu, comme il est, dans un paradis excluant toute idée de tombe et de destruction ...ou ainsi : L'attitude mentale juste ne peut affranchir de la sueur, du sang et du doute - mais elle comporte l'idée de ne pas être infléchi par le doute . Ignorer le doute est le fait d'un idiot, ou d'un fanatique inhumain ; fléchir est une faiblesse . Il reste l'inflexibilité déchirée...d'un déchirement essentiel.

Déchirés entre la terreur des gouffres et l'ivresse des ciels versicolores, entre la spirale du serpent et l'élévation du feu, entre la vie et la mort, le jour ultrasolaire et la nuit obscure et vide de toute main amie . Déchirés entre la sincérité la plus haute et les masques innombrables sur les blessures et le sang occultés et innommables, le destin, frère de la douleur, et les feux d'artifices de l'analogie des gestes créateurs...entre...tant et tant de vies et tant et tant de morts...entre le déchirement vital de la liberté sanglante, et les délices du retour vers l'Un et la paix...

Ils invoquaient le Dragon pour retrouver leur unité perdue, pour voir à nouveau ce qu'ils avaient vu au prix de leur hurlements sans âme, et perdu dans la banalité sordide du monde . Ils invoquaient le mâle et la femelle, première commune transgression,première semence de Dieu, et du Dragon .

Ils cherchaient l'essence de l'hiver et du sexe dans le sang du corbeau tué d'une flèche, mêlé aux forêts-Ô sorcier, apporte nous la paix par le fléau des démons hurlant dans les cimes . Comme le sang dans la neige est sa bouche, comme les ténèbres en miroir des plumes ensanglantées sont ses cheveux, comme le tronc du bouleau est sa peau .

Ô dragon, archange de la révolte, fait mon âme blanche et glacée comme la neige, noire comme les plumes du corbeau, brûlante comme le sang de l'oiseau sauvage . Charge mon âme d'une puissance comme celle d'Iseult .

Permet que la vie à nouveau s'élève comme le feu vers les splendeurs du ciel . Permet que les mots à nouveau évoquent les coeurs gorgés de sang, les puissances de l'amour, les larmes dans tes cheveux, le souffle immortel des lèvres de la déesse du Soleil .

Fait la vie grande comme elle doit l'être, par l'épée . Comme elle doit l'être, grande de ses déchirements, fille de la guerre . C'est alors que l'amour jaillit en éclair entre les pôles les plus éloignés, et dévore le regard pour le rendre plus transparent, comme l'eau des sources vers le Nord .

Fait nous voyants . Car l'âme est toutes choses qu'elle peut voir, et qu'ainsi le voyant est l'homme le plus grand . Une vie humaine sans grandeur est une mort .

Et je ne veux pas mourir .

Vive la mort!

Debord, 6-3 : le spectacle des faux problèmes et le spectacle des postures intellectuelles comme impuissance volontaire .

(Austin Osman Spare : Spiritual Study - Female Nude, kneeling with Seagull and Lion)




§ 15 Debord : Dans la zone bourgeoise, où a été tolérée dans l'ensemble une apparence de liberté intellectuelle, la connaissance du mouvement des idées ou la vision confuse des multiples transformations du milieu favorisent la prise de conscience du bouleversement en cours, dont les ressorts sont incontrôlables . La sensibilité régnante essaie de s'adapter, tout en empêchant de nouveaux changements qui lui sont, en dernière analyse, forcément nuisibles . Les solutions proposées(...) par les courants rétrogrades se ramènent obligatoirement à trois attitudes : la prolongation des modes apportées par la crise dada-surréalisme(qui n'est que l'expression culturelle élaborée d'un état d'esprit qui se manifeste spontanément partout quand s'écroulent, après les modes de vie passés, les raisons de vivre jusqu'alors admises) ; l'installation dans les ruines mentales ; enfin le retour loin en arrière .


Nous abordons deux points . Tout d'abord, la manière dont s'imposent les tâches historiques de la pensée conservatrice ; ensuite, les différentes postures prises dans le champ culturel pour masquer son abaissement et son impuissance .

1 : De la construction sociale des problèmes et des tâches historiques de la pensée humaine : ou le spectacle des faux problèmes et l'impuissance de la pensée .

Mis à par le zonage du monde issue de la guerre froide, ces lignes du rapport montrent assez que l'évolution des forces profondes du champ symbolique est séculaire, tectonique, et que les évènements des années sont d'abord une écume . Bien sûr, la prise de conscience du bouleversement en cours, dont les ressorts sont incontrôlables, vise chez Debord le développement colossal des nouvelles forces de production, puisque le rapport se situe à l'entrée d'un trend de croissance ; et vise aujourd'hui non seulement la poursuite de ce développement cyclopéen, mais aussi la manifestation de plus en plus claire de sa puissance de destruction, de sa face nocturne, manifestation qui d'ailleurs aurait dû visible à tout penseur consistant dès l'aube du siècle, au commencement du temps des catastrophes – du temps du voyage au bout de la nuit .

Mais la problématique de la prise de conscience - je dirais de la construction symbolique dans la culture comme objet fondamental de position dans le champ des objets dignes de réflexion- du déchainement, radical, inédit, des forces productives reste justement la tâche fondamentale du pensée affrontant la réalité du présent humain .

L'idée que les ressorts sont incontrôlables est également redoutablement moderne, et doit être mise en question comme elle l'est dans le rapport . Car le rapport est un document révolutionnaire ; et il se pose comme tâche de contrôler, de poser le problème de la domination rationnelle des nouvelles forces productives et de la formation d'une civilisation à l'échelle mondiale . Les ressorts sont incontrôlables doit être entendu à son niveau, comme incontrôlable dans l'état actuel décomposé de la civilisation et de la pensée – décomposition et règne sans partage de l'idéologie libérale, qui privilégie le morcellement et la quantité - et c'est bien là notre kairos, de reprendre le destin dans nos mots, de leur redonner une consistance, afin de redonner une consistance à nos vies, et à la vie humaine, avant que celle-ci ne soit totalement réduite par le totalitarisme moderne à n'être qu'une fonction d'un Système destructeur et sans sujet, avant la jeune-fillisation totale du monde, du meilleur des mondes .

Face à cet ultimatum de l'histoire du monde, il est possible de distinguer les réactions globales de fuite, ou d'aveuglement ; mais il est également possible de décrire les réactions collectives du champ culturel, qui est un champ fonctionnel de domination symbolique . Debord est plutôt dans cette position de l'analyse . Dans une société conservatrice, position morbide quand les problèmes de l'heure sont d'un ordre et d'une puissance nouvelle, les problèmes légitimes posés à la culture sont délimités et partagés, entre groupes, et entre écoles . Ces problèmes sont constitués symboliquement de deux-trois manières acceptables, et objets d'enseignement et de spécialisation .

Prenons quelque exemples . Un sujet typique de la culture bourgeoise est la condition humaine . Le grand intellectuel du temps aura donc soit écrit la condition humaine, soit écrit sur la condition humaine, étrangère et infiltrée par l'absurde mais sauvée par la beauté et la solidarité, comme Albert, soit pensé la condition humaine en termes de nausée, d'être et de néant, comme Tartre . Tout cela n'a pas grande importance, l'essentiel est d'être un humaniste – raison pour laquelle Heidegger, et son sec rejet de l'humanisme, peut nous rester assez sympathique .

Faute de perspective étrangère, beaucoup hommes croient qu'il est une sorte d'éternité structurale de leur condition, et très particulièrement les occidentaux, qui ne se situent pas comme étrangers aux autres aires culturelles, mais supérieurs dans le cadre du Récit progressiste des Lumières . Par exemple, la texture très particulière du monde galiléen, rendue par les mots « le silence éternel des espaces infinis m'effraient » de Pascal, peut être mythiquement posé comme une sorte de condition métaphysique donnée de l'homme, lequel aurait, pour combattre cet effroi, produit des univers symboliques clos, peuplés et temporalisés – ce qui inverse le procès réel de production du monde galiléen, produit à partir des univers symboliques précédents . Et oublie complètement ce fait pourtant certain : le monde galiléen des espaces infinis et du silence éternel n'est pas moins symboliquement constitué que tous ceux qui l'ont précédé, tout simplement parce que toute pensée, toute culture ne peut signifier que dans un horizon symbolique .

Illustrons ces propos avec la pensée de Heidegger . La phénoménologie porte l'illusion occidentale d'accès, par la réduction phénoménologique, à l'ontologie fondamentale, à l'Être, un être sans symboles, ni représentation, pur . Dans le développement de la pensée de Heidegger, Être et temps porte cette illusion d'accès à une condition humaine ontologique, liée à l'ontologie fondamentale – une ambition d'intellectuel humaniste européen . Mais Heidegger a compris – rare en son temps – la constitution symbolique de l'ontologie, et la nécessité indéfinie d'une archéologie descendante de la pensée de l'être . Le projet même d'Être et Temps est un échec, un échec riche de puissance pour Heidegger . Passer du temps sur Être et Temps est certes louable, mais assez stérile ; c'est pourquoi il est l'objet préféré de la culture bourgeoise au sujet de Heidegger .

Par la compréhension du caractère indéfini de la destruction phénoménologique, l'ontologie fondamentale de l'être là devenait indéfiniment inaccessible ; et par ailleurs seul le modèle de la théologie négative devenait adapté à l'ontologie fondamentale, car de l'être non symbolisé, on ne peut strictement rien dire . C'est pour cette partie de son œuvre que Heidegger a été un penseur d'une exceptionnelle descendance, entre les grands archéologues de la métaphysique, la critique déconstructrice de l'idéologie ontologique moderne, qui imprègne Foucault et Tiqqun, et toute l'école de la déconstruction .

La grande illusion de la culture occidentale est là, bien représentée par une certaine phénoménologie et ses utopiques et indéfinies percées vers un être non symbolisé, une épochè épique, et les innombrables considérations con-descendantes sur les systèmes symboliques des autres, tandis que nous, nous nous flattons de connaitre Scientifiquement l'Être même . A ce titre la dé-symbolisation fonctionnelle accomplie par le Système est participée de nos illusions symboliques proprement occidentales, les plus intimes à notre propre culture . Pourtant la réalité est tenace : la destruction systématique des liens symboliques n'est pas une libération de l'homme, n'est pas l'accès à l'être pur, à la vérité, mais une déshumanisation progressive, une perte de l'investissement verbal et des capacités de régulation pulsionnelle vers des projets à long et moyen terme – une véritable destruction de la puissance humaine individuelle .

Rivée à son concept de l'être, la culture occidentale peut ainsi se construire des problèmes symboliques éternels ad-hoc, évidemment fonctionnels tant aux règles de domination symbolique du champ culturel, qu'au Système général lui-même . Le programme de philosophie des classes terminales est bien représentatif de cette structuration « éternelle » des problèmes légitimes, avec ses grands titres pompeux, un peu ridicules, comme si la pensée était la cour d'un Roi Soleil nommé Raison, et que l'Homme, le sexe soigneusement masqué d'un drap, la Conscience, la Science, la Société, la Nature et toutes ces pitoyables conneries de notre temps venaient lui rendre poliment et harmonieusement hommage, sans jamais dépasser les bornes, en citant soigneusement des fragments de petits maîtres, ou de grands maîtres réduit à n'être que les insignifiants serviteurs de la police du Système . Cela vous a autrefois donné des émotions ? Ne vous sentez pas coupables, vous avez été manipulés . Va, et ne pèche plus...

Lautréamont a écrit de manière si délicieuse de ces sujets que je le recopie sans scrupules .

Villemain est trente-quatre fois plus intelligent qu’Eugène Sue et Frédéric Soulié. Sa préface du Dictionnaire de l’Académie verra la mort des romans de Walter Scott, de Fenimore Cooper, de tous les romans possibles et imaginables. Le roman est un genre faux, parce qu’il décrit les passions pour elles-mêmes : la conclusion morale est absente. Décrire les passions n’est rien ; il suffit de naître un peu chacal, un peu vautour, un peu panthère. Nous n’y tenons pas. Les décrire, pour les soumettre à une haute moralité, comme Corneille, est autre chose. Celui qui s’abstiendra de faire la première chose, tout en restant capable d’admirer et de comprendre ceux à qui il est donné de faire la deuxième, surpasse, de toute la supériorité des vertus sur les vices, celui qui fait la première.

Par cela seul qu’un professeur de seconde se dit : "Quand on me donnerait tous les trésors de l’univers, je ne voudrais pas avoir fait des romans pareils à ceux de Balzac et d’Alexandre Dumas," par cela seul, il est plus intelligent qu’Alexandre Dumas et Balzac. Par cela seul qu’un élève de troisième s’est pénétré qu’il ne faut pas chanter les difformités physiques et intellectuelles, par cela seul, il est plus fort, plus capable, plus intelligent que Victor Hugo, s’il n’avait fait que des romans, des drames et des lettres.
Alexandre Dumas fils ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix pour un lycée. Il ne connaît pas ce que c’est que la morale. Elle ne transige pas. S’il le faisait, il devrait auparavant biffer d’un trait de plume tout ce qu’il a écrit jusqu’ici, en commençant par ses Préfaces absurdes. Réunissez un jury d’hommes compétents : je soutiens qu’un bon élève de seconde est plus fort que lui dans n’importe quoi, même dans la sale question des courtisanes.
Les chefs-d'œuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées, et les discours académiques. En effet, l’instruction de la jeunesse est peut-être la plus belle expression pratique du devoir, et une bonne appréciation des ouvrages de Voltaire (creusez le mot appréciation) est préférable à ces ouvrages eux-mêmes.- Naturellement !



Naturellement il est possible de prendre au premier degré les Poésies . Je crois plus près de la vérité de dire qu'il s'agit du dévoilement des mécanismes de décomposition de la culture par la moraline : le jugement moral devenant prioritaire, l'art devient purement et simplement superfétatoire, et s'exténue, poussé vers le néant par la bêtise à front de taureau . Ne croyez pas que c'est une situation du passé .

2 : Des postures dans le champ intellectuel, comme spectacle .


Cette culture morte-née des écoles est défendue dans le champ médiatique par la figure de l'intellectuel humaniste, qui se manifeste essentiellement par des crises épidermiques de morale ; ce type d'intellectuel évoque aisément et sans cesse la barbarie, la méchanceté, l'aveuglement, et regrette le bon vieux temps . Sa vacuité, assortie d'une aisnce médiatique, le rend ami des journalistes culturels dont il ne se distingue que très peu, qu'il soit « de droite » comme Mauriac, ou « de gauche », comme Camus . Cette figure, très répandue aujourd'hui, peut d'ailleurs être tenue par des acteurs ou par n'importe quel people adapté à la question . On en trouverait des exemples en écologie, dans l'antiracisme, le racisme inavoué, que sais-je . Et surtout, qu'importe .

Il n'importe de comprendre qu'une seule chose : la posture morale ne construit aucun objet de réflexion, ou complexe discursif-sémantique digne d'étude collective, permettant de prendre en charge un problème réel du temps ; elle ne fait que se positionner sur des objets préconstruits par le champ médiatique . De ce fait, la posture morale est en son essence une négation et de la pensée objective, une abdication de la pensée face au Système qui veut imposer à tous sa propre vacuité – très clairement , la posture morale est parfaitement fonctionnelle, et ne peut revendiquer de manière réaliste ni le titre de révolte, ni moins encore le titre de pensée de la révolution - ni même d'ailleurs, de pensée .

Debord montre ici que les thèmes de la société du spectacle sont déjà présents : il existe un spectacle des fantômes, des problèmes construits par le champ médiatique culturel fonctionnel ; et il est un spectacle des postures des acteurs du champ intellectuel pour masquer leur impuissance face aux nécessités historiques de l'époque – impuissance nullement fatale, puisque ni les Lumières, ni les romantiques ne furent si vides de tout contenu ontologique que la culture moderne . Face à cette impuissance massive de la pensée, les solutions proposées(...) par les courants rétrogrades se ramènent obligatoirement à trois attitudes : la prolongation des modes apportées par la crise dada-surréalisme(qui n'est que l'expression culturelle élaborée d'un état d'esprit qui se manifeste spontanément partout quand s'écroulent, après les modes de vie passés, les raisons de vivre jusqu'alors admises) ; l'installation dans les ruines mentales ; enfin le retour loin en arrière . » . Je survole rapidement l'examen de ces trois attitudes encore parfaitement présentes :

§ 16 Debord : (…) une forme diluée de surréalisme se rencontre partout . Elle a tous les goûts de l'époque surréaliste, et aucune de ses idées .

Vous remarquerez que le rapport inverse exactement le rapport entre le goût et les idées que développe ironiquement Lautréamont . Jarry, dans Ubu Roi est définitif sur ce point : Tout était bon, sauf la merdre - La merdre était fort bonne - Chacun ses goûts .

§17 : Debord : L'installation dans la nullité est la solution culturelle qui s'est fait connaître avec le plus de force (…) elle laisse le choix entre deux possibilités (…) : la dissimulation du néant, au moyen d'un vocabulaire approprié ; ou son affirmation désinvolte .

§18 : La première option est célèbre depuis la littérature existentialiste (…) la peinture abstraite (...)

§19 L'affirmation joyeuse d'une parfaite nullité mentale (…) (ou) « le cynisme des jeunes romanciers de droite »

Debord situe ensuite les ruines mentales ou le retour en arrière entre l'URSS et l'art réaliste-socialiste, et les positions catholiques .

§ 22 Debord : L'aboutissement présent de la crise de la culture moderne est la décomposition idéologique . Rien de nouveau ne peut plus se batir, sur ces ruines, et le simple exercice de l'esprit critique devient impossible, tout jugement se heurtant aux autres, et chacun se référent à des débris de systèmes d'ensemble désaffectés, ou à des impératifs sentimentaux personnels .

§23 Debord : La décomposition a tout gagné . On n'en est plus à voir l'emploi massif de la publicité commerciale influencer toujours davantage les jugements sur la création culturelle, ce qui était un processus ancien . On vient de parvenir à un point d'absence idéologique où seule agit l'activité publicitaire, à l'exclusion de tout jugement critque préalable, mais non sans entraîner un reflexe conditionné de jugement critique . Le jeu complexe des techniques de vente en vient à créer, automatiquement et à la surprise générale des professionnels, de pseudo-objets de discussion culturelle .

Voilà donc caractérisée par le rapport la construction des pseudos problèmes de mobilisation du champ cultuel dont nous venons de parler .

§23 (suite) : (…) Les juges professionnes de la culture (…) sentent le résultat imprévisible de phénomènes qui leur échappent, et l'expliquent généralement par les procédés de réclame du cirque . Mais à cause de leur métier, ils se trouvent forcés de s'opposer, par des fantômes de critiques, à ces fantômes d'oeuvres (une oeuvre dont l'intérêt est inexplicable constitue d'ailleurs le plus riche sujet pour la critique confusionniste bourgeoise) . Ils restent forcément inconscients du fait que les mécanismes inconscients de la critique leur avaient échappé longtemps avant que les mécanismes extérieurs ne viennent exploiter ce vide (…)

Sun Tzu : tout l'art de la guerre est fondé sur la tromperie . Une guerre civile mondiale est en cours dans le champ symbolique, qui veut imposer le spectacle des faux problèmes, et ses enjeux vides et rituels ; et cette guerre utilise massivement la puissance de tromperie des énormes machines informationnelles fonctionnelles au Système .

Debord quitte alors progressivement la description de la décomposition pour passer aux règles stratégiques de la guerre idéologique qu'il engage . Ce sera le sujet de l'étude n°7 . Retenons que l'enjeu fondamental de la guerre idéologique est de retrouver la puissance de construire symboliquement les enjeux les pluis puissants de l'histoire, et de les imposer comme les véritables sujets de débat, en cessant le spectacle mortifère des débats vides, et des postures intellectuelles vidées de tout lest ontologique, de tout être, de toute théurgie .

Ressaisir la puissance de bâtir des modèles symboliques à la hauteur des ultimatums des temps présents ne peut être seulement une oeuvre isolée ; la pensée est collective, plus elle l'acte même du collectif, de la puissance de la communauté qui se manifeste à elle-même comme puissance de destin, et de splendeur .

Nu

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Zinaida Serebriakova