L'instant crucial .



Bienheureuse ardeur.


Ne le dites qu’aux sages, parce que le vulgaire est disposé à la moquerie : je veux chanter le vivant qui cherche la mort dans la flamme.
Dans la fraîcheur des nuits d’amour, où tu reçus la vie, où tu la donnas, une étrange impression te saisit, à la clarté du flambeau tranquille.
Tu ne restes plus enfermé dans l’ombre, et un nouveau désir t’entraîne vers un plus haut hyménée.
Nulle distance ne t’arrête, tu viens, tu voles, enchanté ; enfin, amoureux de la lumière, papillon, tu es consumé.
Et tant que tu n’as pas obtenu de mourir pour renaître, tu n’es qu’un hôte obscur de la terre ténébreuse .

Livre de lecture..


Le livre des livres le plus étrange, c’est le livre de l’amour. Je l’ai lu attentivement : quelques feuillets de plaisirs, de longs chapitres de souffrances ; la séparation forme une section à part ; le revoir, un petit chapitre, un fragment ; des volumes de chagrin, allongés d’éclaircissements sans fin, sans mesure. Ô Nisami !… tu as enfin trouvé la bonne voie. L’insoluble, qui le résout ? Des amants qui se retrouvent.

Goethe, divan occidental-oriental.

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L'instant présent pourrait être l'instant crucial . L'instant crucial pourrait être l'instant présent .

La pensée moderne est une pensée de neutralisation des différences, parce que le Système est globalement organisé pour neutraliser les différences, pour que tout change pour que tout reste pareil . Faire du « surgissement de la différence »une règle, c'est nier la réalité, qui est la rareté, l'extrême rareté de surgissement d'une différence significative, la rareté magique de l'apparition de ce qui va changer l'ensemble de ce monde . Changer l'ordre du monde est une épreuve de force, un déchirement, une souffrance de délices .

Une souffrance, parce que ce qui en général détermine un changement de grande amplitude chez un être humain, ce n'est pas simplement le désir ou la joie de changer, mais l'impossibilité où il se trouve de ne pas changer – le fait d'atteindre comme un fond impalpable du désespoir . Les situations extrêmes sont très révélatrices des tréfonds de l'homme . Sans nul doute, le danger, la peur, la terreur organique qui font craindre la mort, sont des passions positives . Face à de telles situations, certains hommes s'effondrent jusqu'à la psychose, au déni de la réalité ; mais d'autres combattent comme le chat qui, acculé par le chien, se défend et le déchire de ses griffes .

Il ne s'agit nullement pour autant de valoriser la tristesse : pour Boccace, l'épreuve de la Peste est un éclaircissement de la vie essentielle – et elle n'est nullement une ascèse . Et c'est un fait que les grandes présences de la mort – même si certains sont « machines partout » - conduisent d'aucuns à l'ascèse, mais d'autres à la puissance d'abandon des routines pour les passions de l'amour . Si la proximité de la mort développe la puissance de jouir, la peste serait une bénédiction dans notre monde.

Il est définitivement absurde de détruire indéfiniment son présent dans le travail dur et forcé, pour construire un avenir radieux, le progrès de l'Homme, dont le caractère mythique apparaît de plus en plus en pleine lumière . Il est absurde pour le vivant de vivre pour l'avenir, puisque l'avenir du vivant est le plus assuré dans la mort . Il est absurde de courir après un avenir qui ne cesse de fuir devant les hommes . C'est plutôt le souvenir de ta mort qui doit te donner la force de réaliser ce qui doit être, la réalisation du haut et du bas . Et tant que tu n’as pas obtenu de mourir pour renaître, tu n’es qu’un hôte obscur de la terre ténébreuse .

Dire que « le surgissement de la différence » est une règle, c'est dire que toute croissance et toute corruption est production de différence, ce qui est à la fois vrai au sens le plus simple de la différence, et faux dans un perspective systémique, où la différence n'existe que significative, comme puissance de transformation . Pour prendre un exemple dans le langage, la substitution d'un synonyme à un nom dans une proposition est une différence, mais cette différence peut n'être pas significative, si le contexte de la communication n'est pas modifié . Dans un système, divers sous-systèmes peuvent remplir des fonctions analogues, sans provoquer de transformations globales . De telles différences sont des spectacles de différences significatives, non des différences significatives .

La floraison d'un cerisier au printemps est une différence par rapport à l'hiver, une Splendeur, mais n'est pas une différence éternelle . Et seule l'éternité compte . L'apparition d'une pensée, d'un art complètement nouveaux – l'apparition d'un Éon, du commencement d'un nouveau cycle du monde, tel l'Empire Romain que chante Virgile, ne relève pas de l'ordre de la différence entre un hétérosexuel et un homosexuel dans le Système, une différence indifférente à toute transformation effective – et l'exaltation indifférenciée de toutes les différences est identique à l'étouffement de tous les germes du monde par le laisser aller de toutes les ronces possibles . La différence significative est l'oursin, l'oeuf de serpent, le germe d'un monde .

Nous savons dans l'orage intérieur ce qu'est un vent qui transporte, et qui emporte comme une lame dans les eaux des peaux emmêlées . Il n'est d'autre feu de joie que le feu qui consume . Il n'est d'autre science que l'abandon . Et tant que tu n’as pas obtenu de mourir pour renaître, tu n’es qu’un hôte obscur de la terre ténébreuse .

L'instant présent pourrait être l'instant crucial . L'instant crucial pourrait être l'instant présent . L’insoluble, qui le résout ? Des amants qui se retrouvent. Telle est l'aube de tous les étés impliquée dans les roues indéfinies des destins .

Et il vit que cela était bon . Voilà, c'était très bon .

(Khourrem Rosa Solymanni Buxor)


C’est bon.

Au clair de lune, dans le paradis, Jéhova, ayant trouvé Adam plongé dans un profond sommeil, plaça doucement à son côté une petite Ève, qui s’endormit à son tour. Ainsi reposaient, enveloppées d’une forme terrestre, les deux plus aimables pensées de Dieu. « Bon ! » s’écria-t-il, pour se payer de sa peine, et il ne s’éloigna pas sans regret.

Ce n’est pas merveille que nous soyons surpris quand un œil vif s’arrête sur le nôtre, comme si nous nous étions élevés jusqu’à Celui qui nous a conçus. Et, s’il nous appelle, eh bien, ainsi soit-il ! Je demande seulement qu’il nous appelle tous les deux. Mes bras te retiennent captive, ô la plus aimable des pensées de Dieu
!

Goethe, Divan occidental-oriental .


Ô sublime fidèle d'amour qui fit ce chant . Le regard de l'aimée est ce miroir qui ouvre la voie du retour et du repentir, le regard des larmes des délices et des désirs très hauts qui sont les vestiges de la Voie .

Nous sommes des pensées de Dieu, et il est félicité de retrouver l'énigme et de jouir du Tout-Puissant dans les bras et la chair de l'Aimée, par la sève, le sang, le souffle et par le corps offerts.

C'est dans le cercle de tes bras que je compris le secret, et c'est le cercle de tes bras qui captive mon âme de son ivresse sacrée.

Aussi, tant que je ne suis pas mort, tant que mon coeur et mon sang mettent en mouvement ce corps et cette âme de race rebelle, je suis à toi et je mourrais de te perdre, non de la mort sans peur, mais de la mort de l'âme, de l'abîme .

Tu m'as donné de nouveaux cieux et une nouvelle terre, la liberté des colombes et la liberté des louves, et le vent parfumé sur les montagnes de l'horizon .

Tu es la force et la félicité, la splendeur et le nid .

Que Dieu te bénisse et te protège, toi et les tiens .

Le loup est frère du loup - ou la communauté humaine .

(Austin Osman Spare - Strange Attractor)


Les « débats de société » empoisonnent la pensée bien plutôt qu'ils ne l'occupent . Les « débats de société », sous le masque de l'irruption de la Liberté et de la Tolérance venus dans les Ténèbres des sociétés paternalistes et intolérantes du passé, ne sont pas essentiellement différents des débats sur les « nécessaires réformes de structure » qui ne cessent d'écraser les salariés face au Capital dans le Grand retour en arrière, initié par le renouveau de l'idéologie libérale, et permis par la chute du mur de Berlin – événement ambigu qui marque la fin des peurs du Rouge dans la bourgeoisie .

La novlangue de ces « débats de société » est issue directement du champ de l'idéologie racine cultivé dans les pays dit « développés » de culture anglo-saxonne, où l'Université est dominée de manière écrasante par des tenants de l'idéologie racine, qui y prend figure d'idéologie officielle . La liberté intellectuelle dans les Universités des États - Unis est toute relative, pour ne pas parler de la liberté des mœurs . J'invite à lire Disgrâce, de Coetzee, pour comparer cette atmosphère universitaire avec le Procès de Kafka . L'ensemble des positions les plus communes produites par le champ de la pensée « universitaire » des anglo-saxons modernes domine le champ français et européen, en particulier le champ de l'éthique, de la justice politique, des Genres, de la diversité, et j'en passe .

Ces modèles théoriques sont liés à la forme de domination libérale que les États - Unis imposent au monde . Le modèle marxiste qui pose, de manière schématique, une détermination (je dirais une souveraineté) de la structure matérielle (l'exploitation capitaliste, qui passe par l'appropriation du Capital – je ne vous fais pas de dessin sur l'actualité de l'histoire de la « dette publique ») sur la superstructure intellectuelle (l'idéologie racine qui sert de matrice combinatoire à la mise en œuvre des « problèmes de société »), ce modèle marxiste est d'une vérité frappante pour décrire la domination actuelle des productions idéologiques américaines, ou des satellites des États Unis . Sans aller plus loin, la bibliographie est abondante, je dirais simplement que le financement des producteurs et diffuseurs idéologiques en question n'est assuré que par les puissances matérielles du Capital américain . Il est peu probable que ces puissances ne financent de la production idéologique subversive - Engels, industiel finançant Marx a été un écart de l'histoire . Sans oublier que la subversion du Système ne peut pas devenir un produit industriel sur le marché idéologique sans être neutralisée dans son principe même de subversion, selon le modèle visible à tous de l'art contemporain .

Parenthèse : Je précise que je suis lecteur de penseurs et d'écrivains anglo-saxons de tout premier plan ; je ne fais pas de mise en cause globale, et je ne pose sûrement pas un « génie de la langue », qui condamnerait toute les cultures de langue anglaise . L'anglais est aussi une langue essentielle de la dissidence et de la subversion du Système . La lecture marxiste exclut par essence la perspective communautariste sur la culture . Ces deux modes d'analyse sont en fait valables dans des temps différenciés – les vérités historiques sont des vérités cycliques . La forme de la langue elle-même, cependant, peut refléter des formes de domination, puisque le langage est le lieu de la construction idéologique des dominations . La construction symbolique de la domination, tel est la fonction des « débats de société » dans le Système .

Les « débats de société » sont à placer dans la perspective de la dynamique du Capitalisme . Pour maintenir sa capacité à extraire du profit du travail des hommes, celui-ci doit sans cesse élargir sa sphère de domination, c'est à dire ordonnancer les mondes humains toujours plus loin de ses foyers d'origine – c'est l'impérialisme, qui n' a rien de nouveau – ce que je nomme l'extensification ; et également ordonnancer toujours plus en profondeur la vie humaine – ce que je nomme l'intensification . Le Système fait des entreprises qui recherchent sans cesse de « nouveaux marchés » ; et ces nouveaux marchés peuvent se trouver dans les « pays émergents » comme dans les « pays développés », le premier temps étant l'extensification de l'exploitation, le deuxième temps étant l'intensification, la recherche de nouveau moyens de profit dans une société capitaliste .

Ainsi sont investis par le Capital tous les besoins des hommes dans un pays développé : l'eau, la lumière, l'air, l'abri, l'alimentation, et l'enfance, l'âge adulte, la vieillesse – mais aussi la vie intime et les liens sociaux . Et bien sûr, l'art, la musique, la pensée, et la spiritualité . De ce fait, la puissance du Capital crée les formes d'expression de l'art moderne, à tel point que ce qui est nommé art contemporain est de plus un plus un produit du marché de l'art, et non d'une démarche de création autonome, ou d'une esthétique . Et de même, la relation entre les sexes est également investie – c'est l'extension du domaine de la lutte . Ceci posé, de manière schématique mais pas moins globalement exacte, il est aisé de comprendre que le Système investit tellement en profondeur la vie humaine – vie que la théorie économique banale voit comme la base biologique que la production de richesses sert à préserver et à améliorer, alors que de plus en plus c'est la forme de l'économie qui met la vie humaine à son service - qu'il est inévitable, et c'est déjà le cas, qu'une forme de dérive totalitaire apparaisse . Vaclav Havel notait, dans la force des faibles, que la tyrannie à laquelle s'opposaient alors les dissidents de l'Est n'était plus la tyrannie stalinienne, mais une forme de la société de consommation .

Cette dérive totalitaire est celle d'un nouveau totalitarisme, beaucoup plus difficile à caractériser de manière incontestable que les modèles schématiques de l'histoire officielle, le Nazisme et le Stalinisme . En effet, il n'y existe pas de lois aussi violentes explicitement, ni de pratiques aussi violentes dans le Spectacle ; dans la forme actuelle du Système, comme dans le Capitalisme anglais étudié par Marx, une part considérable du travail de police est dissoute dans toutes les fibres de la société, par la surveillance de tous par tous et la peur de la désocialisation, du « chômage », de l'exclusion . Le Système n'a pas besoin de conformer par la violence la totalité des comportements : il lui suffit de s'assurer d'une domination statistique, par les masses . Il lui suffit de conserver le monopole de la violence légitime, y compris symbolique – voyez, à la suite de Marcella Iacub, la violence de la désignation juridique et médiatique de DSK par les apôtres de la tolérance, ou encore la qualification de « terrorisme » appliquée à toute forme de résistance armée, même dans un pays militairement occupé – le monopole des formes d'organisation humaine, le monopole de la satisfaction des besoins primaires ( voyez l'interdiction incroyable de vendre des semences, ou de vendre des légumes sur le marché issu de semences non référencées )et par le remplacement en cours des modes de communications non-contrôlables ( la parole humaine) par des modes contrôlables (réseaux sociaux et téléphone), remplacement qui élimine les formes non-contrôlables par sa puissance de diffusion spatiale bien supérieure . Ajoutons que le Système s'assure aussi le monopole de la légitimation et de la diffusion de masse de l'idéologie, le Spectacle .

Au sujet des réseaux sociaux, qui sont une forme d'intensification appliquée au marché des liens, il est certain qu'assurer le respect du droit individuel par les États et les Entreprises géantes du secteur est un champ de problématique qui n'est pas encore abordé de manière courante . Bien au contraire, la puissance des réseaux leur permet de faire peser un champ de menaces vague sur la liberté de tous, par la possibilité de surveiller et garder indéfiniment en mémoire .

Résumons : les « débats de société » sont le lieu de la production idéologique de la domination et de l'intensification de la mise en forme de l'humain par le Système . Les « gens de gauche » du Spectacle sont aussi fonctionnels que « les gens de droite » ; les catholiques intégristes par exemple jouent le rôle d'idiots utiles depuis des décennies, en présentant un repoussoir caricatural des thèses des « bons » . Les intégristes en général sont les Dark Vador du Spectacle . Plus ils crient, plus ils sont féroces, plus le Spectacle les aime . Regardez comme un intellectuel musulman rigoureux, policé et organisé comme Tariq Ramadan est facilement désigné comme illégitime . Si Ben Laden n'avait pas existé, les États Unis et le Spectacle auraient pu l'inventer . Sans parler de ceux à qui on ne donne jamais la parole .

Toute mon enfance et mon adolescence, j'ai regardé à la télévision et entendu à la radio des « débats de société » ; je n'ai jamais entendu sur les sujets comme l'avortement ou la peine de mort, comme opposants à la doxa médiatique, que des gros menaçants, en sueur, avec une bandeau sur l'œil, ou des maigres, glacials, à lunettes . Je n'ai pas soupçonné, en près de vingt ans, que la démarcation entre les bons et les méchants était si douteuse . Je n'ai pas appris par exemple que sur la modernité, il existait des positions variées, comme par exemple celle de Guénon . Je n'ai pas appris la diversité, mais j'ai adhéré à la mise en scène du bien progressiste luttant contre le mal archaïque, et j'ai aussi assisté au glissement, à l'usage de plus en plus répandu de cette mise en scène par la droite pour délégitimer les syndicats « archaïques » et présenter comme un progrès tous les tours de vis du Système .

Le terrorisme et la terreur d'État sont les deux faces d'une même mâchoire, écrit Manchette dans Nada, au nom d'un terroriste que le désespoir rend lucide . Les pôles des débats de société dans le Spectacle sont les deux pôles d'une même mâchoire . Si les gens qui aspirent à transformer cette société comprenaient cela : les « débats de société » ont besoin d'être regardés non avec bienveillance, mais avec la même méfiance critique que les débats sur les « nécessaires réformes de structure » qui doivent adapter la France, l'Europe, le Monde, à une économie moderne, c'est à dire à la domination sans partage et décomplexée du Système sur les civilisations humaines . Les « débats de société » œuvrent à la mise au pas des droits familiaux ou de la sexualité humaine à la société de marché, là où la destruction du droit du travail, ou la dissolution des Droits de l'Homme, ou encore la destruction des systèmes collectifs de sante ou de retraite des salariés œuvrent à la mise au pas de la vie publique au Système .

Les « débats de société » sont produits par les mêmes groupes sociaux qui pensent la gestion des ressources humaines du Capital . Ils visent à créer le marché du travail libre des individus atomisés, mobiles, sans liens, caractérisés uniquement par leur employabilité qui est l'utopie interne du Système dans son application sociale .

La société des individus et de la diversité est la société capitaliste, et il revient à la dissidence de produire une contre-culture, et de faire des propositions concrètes en dehors des cadres étroits de l'idéologie officielle .


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L'enjeu de ces « débats de société » n'est pas d'arriver à une position juste commune, mais de s'approprier la place des bons dans le Spectacle, de posséder la position juste . C'est à dire, de dominer . Pour les universitaires, d'avoir des postes et des crédits . Regardez comme se construisent comme victimes dans le Spectacle les groupes qui revendiquent l'universel, et aspirent à la domination . Marcela Iacub note que les "féministes punitives" veulent permettre de considérer comme un viol tout rapport sexuel selon l'avis de la femme qui y a participé . Ainsi victimes par nature, ces féministes dominent de leur hauteur morale tous les êtres humains . Se construire comme victime dans le Spectacle est un signe d'aspiration à la domination : car les positions dans le Spectacle sont exactement inverses de celles de la réalité matérielle . La présidente du MEDEF peut se poser en membre d'une classe sociale sexuelle opprimée grâce aux Gender Studies, et opprimée par exemple par les ploucs ruraux chasseurs qui survivent en vendant leur force de travail à vil prix . Je n'ai pas pitié d'eux, mais ils ne sont pas les dominants de la société réelle, ni en France, ni aux États Unis .

Bourdieu a lui-même insisté sur le fait que la formulation d'un universel aboutissait à créer un groupe particulier propriétaire de l'universel, et qui pouvait humilier ou dominer symboliquement les autres . Ainsi les instituteurs républicains francophones vis à vis des paysans bretons celtophones . Devenu des provinciaux, les bretons se définissaient désormais par leur position marginale et inférieure par rapport à une capitale .

Bourdieu oubliait une chose : ce phénomène est intrinsèque non à l'universel en général, comme par exemple l'universel des anciens Empires, fondé sur la reconnaissance de l'absence de norme supérieure valable pour tous les peuples – sinon la puissance impériale commune à reconnaître . Ce phénomène de domination d'un groupe particulier par la revendication d'un monopole de l'universel, cette double contrainte formant les tenailles d'une mâchoire unique détruisant les cultures symboliques traditionnelles, c'est la signature de l'idéologie moderne . L'idéologie moderne est cette culture qui prétend à des valeurs sur-culturelles légitimes pour toutes les cultures, et qu'elle prétend imposer par la force matérielle .

Elle produit de ce fait la délégitimation de toutes les cultures symboliques : elle condamne le voile des femmes dans certaines sociétés, la corrida dans d'autres, les rites ou les sacrifices, les formes d'appariement sexuel, et absolument tout ce qu'elle ne comprend pas . Les hommes produits en série par cette culture de la supériorité morale ne peuvent pas s'empêcher de juger sommairement, sur une image, un texte, une courte vidéo, sur de la désinformation la plupart du temps, des usages extrêmement anciens et liés systémiquement à l'ensemble de la culture et de l'écosystème des groupes humains : le meurtre horrible des phoques par les esquimaux, des chiens par les coréens, des singes par les indonésiens, la coutume indécente de prêter les femmes, les sacrifices d'animaux, les parures de plumes, les paroles immorales de la Marseillaise, la sexualité débridée d'un tel...Cette émotivité à la moraline, absolument coloniale dans son principe, n'est pour ainsi dire jamais condamné dans son arbitraire grotesque . Combien de morts en Europe, de morts d'homme par le fait de guerres occidentales, d'armes occidentales ? Je ne pourrais jamais comprendre que des êtres humains militent contre la corrida, et restent passifs devant des guerres d'appropriation, ou devant la misère des hommes humiliés sous leur yeux .

Ce que veulent tous ces hommes de la supériorité morale, ce sont des lois, ou des campagnes d'éducation – bref, davantage de contrôle et de répression . Marcela Iacub dit exactement cela sur le cas DSK : Il a été instrumentalisé par un féminisme d'État, un féminisme punitif qui voudrait élargir les définitions du viol en y incluant des actes consentis et affaiblir les garanties de l'accusé . Un féminisme pour qui le seul remède à la domination masculine est la prison . C'est à dire un "féminisme" aspirant à la domination violente de la société par son idéologie et ses prêtres . Face à cette surenchère morale, certains hommes demandent que l'on se contente d'un minimum de normes . Mais cette manière de poser le problème est simplement la confirmation de la société libérale morcelée à la puissance maximale de l'atomisation, en prenant l'individu comme repère . Et je le dis et le répète : cette position, l'individualisme méthodologique explicite ou implicite, est absurde, est la négation de la réalité fonctionnelle du monde social, où la communauté n'est pas un tas d'individus sans autres liens que des liens stochastiques, et surtout du fait que l'individu est le reflet et le produit du groupe où il est né et où il a grandi . Car l'homme n'est pas une bête, mais un être qui grandit dans une culture comme dans un milieu nourricier, une langue, des histoires, des mondes, des chants, des modes de relations aux autres .

L'unité de la différence humaine n'est pas l'individu, mais la communauté . Poser l'individu comme unité de base de cette différence, c'est nier tous les processus anthropologiques de différenciation culturelle – c'est poser la société du Système comme norme unique des sociétés pensables et possibles en termes éthiques . C'est à dire, c'est confirmer la fonction de monopole des normes par l'idéologie racine .

Il est des normes dans une communauté ; mais entre les communautés, les normes « communes » ne marquent que la domination d'une communauté sur une autre . Le Grévisse, le bon usage du Français, est un outil de domination de ceux qui ont l'accent, ou les formes de langage « incorrectes » . Je ne veux pas un minimum de normes entre les communautés, sinon en ce qui concerne les normes de relations entre communautés, basées sur le respect et le laisser être, la suspension du jugement ; je ne veux poser aucune autre norme . L'idée d'un minimum est une idée rationaliste, un piège . Le jugement n'en sera que plus assuré, de s'être réduit à un minimum illusoire . Et la base de la diversité des normes n'est pas dans la variété des activités commerciales d'une culture, comme les normes de la prostitution opposées aux normes des prêtres – ou encore dans la division des genres, mais dans la diversité combien plus profonde des cultures humaines .

Pour donner un exemple marquant, j'ai lu dans le journal de Sud-Éducation (gauche militante) un article au sujet de l'Afghanistan déplorant, comme une marque regrettable d'obscurantisme machiste, que les écoles mixtes des missionnaires protestants libéraux américains dans les villages afghans soient victimes d'attentats . Mais comment, dans un contexte d'occupation militaire, voir ces écoles autrement que comme des facteurs de colonisation ? L'armée française n'en a t-elle pas fait autant pour le même but en Algérie ? Je ne me réjouis jamais d'attentats, mais que diraient des militants de gauche sur des évangélistes américains créaient des écoles dans les villages de France, pour nous apprendre l'anglais ? Ou plus clairement encore, des talibans créaient des madrasas non mixtes dans ces mêmes villages, avec l'appui d'armées musulmanes d'occupation ?

Il est très rare, chez les gens qui se veulent tolérants, d'accepter de telles expériences de pensée . Normal, ils considèrent leur position comme essentiellement supérieure . Alors que la seule supériorité incontestable en acte de la civilisation européenne est la supériorité de puissance matérielle, et plus encore celle acquise par la violence et l'oppression .


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La tolérance authentique est l'abstention du jugement, et l'abstention de l'interférence .

Dans le monde moderne, le fameux monde du pluralisme des pseudo-sociologues, une simple différence de vêtements ou de mœurs peut suffire, dans un petit groupe humain, à faire enfler l'hostilité et les commentaires . Je mange de la viande crue : c'est insupportable . Je préfère lire seul que de manger avec les autres : c'est bizarre . Je prends un goûter, toujours le même, qui ne leur paraît pas bien – il ne peuvent s'empêcher, même après des années, de s'offusquer . Je suis favorable à l'autorisation de la corrida, je dois accepter de me faire reprendre moralement par des idiots, voire insulter . Alors quelqu'un qui a une vie comme ci ou comme ça, je ne vous dis pas . Quelqu'un qui construit une maison différente des autres, ou qui pratique une agriculture sans engrais chimique . Il se trouve des cas, en Europe, à ce jour, de véritable harcèlement, de mise à mort symbolique .

Il est un mouvement culturel de la contre-culture qui est parti en dehors de ces mentalités modernes sans regrets, mentalités aussi ancrées chez les gauchistes, les libéraux que chez les gens de la droite « traditionnelle », qui est traditionnelle comme une maison en parpaings est une maison « traditionnelle » : c'est le mouvement hippie . Il est devenu courant, à l'amorce des années 70, de se moquer du mouvement hippie, de sa naïveté et de sa crasse . Pourtant, à distance, c'est le seul mouvement contre-culturel qui a atteint une masse critique . Le seul qui a développé des pratiques de vie non matérialistes . Des beatniks jusqu'aux communautés rurales, on y a écrit des livres valables, tenu des journaux, inventé des esthétiques et des musiques . On y a soutenu la cause des noirs, ou lutté contre la guerre du Vietnam . On y a usé de drogues pour regarder Dieu en face, on y a découvert d'autres pays, appris des langues, voyagé . Cat Stevens est devenu musulman, et c'est tout aussi logique que d'autres qui sont devenus hindouistes, ou bouddhistes . Les rares témoins sincères de cette époque sont convaincus de la valeur et de la sincérité de toutes ces quêtes anarchiques, qui ont été tellement moquées, récupérées, déformées .

Chez les hommes issus du mouvement hippie, il était de règle de ne se formaliser d'aucune façon de vivre qui ne vous créait de gêne . Voir un homme fumer, ou se préparer un fix ne supposait aucune question, approbation ou désapprobation . Le principe était de poser la confiance, l'absence de peur, comme mode du premier contact . C'était une attitude non pas tendre, mais dure, concentrée . On parlait à un homme nu couvert de tatouages comme à un cadre en costume . On pouvait lire Marx sur un canapé au milieu d'une partouze . Nietzsche devant une cheminée où d'autres dansaient en extase, ou au lever du soleil sur la montagne, aux côtés d'un maître en arts martiaux faisant siffler ses gestes, ou encore aux côtés d'un homme en méditation . On pouvait parler de poésie comme la chose la plus importante du monde . On pouvait ne respecter les gens qu'à la mesure de la folie dont ils étaient capables . On pouvait mépriser le froid, la faim, la douleur physique ou la menace de la violence . On pouvait sculpter des pierres en forme de cœur en écoutant Bonnie and Clyde de Gainsbourg ou Magma . On pouvait aller chercher quelqu'un à la gare pour l'empêcher de partir, pas pour le laisser partir . On pouvait réveiller un inconnu avec un pétard, et se lover contre lui . C'était cool . Ce n'était pas de l'indifférence, mais du respect du principe de refus du jugement d'autrui . C'est une attitude morale, et comme toutes les attitudes morales, elle suppose parfois un effort . C'est une attitude d'accueil du voyageur, d'hospitalité . Ce n'était pas sans problème, mais aussi sans récompense .

Je retrouve cette attitude parfois, encore vivante, dans les communautés libertines, par l'accueil fait à toute manifestation déviante de la sexualité comme une chose intéressante, curieuse, excitante, et non pas effrayante ou condamnable . Voir arriver une maîtresse tenant un homme en laisse, encagoulé, et tenant une cravache de velours noir à une soirée, en marchant ainsi dans la rue, peut être une expérience de ses limites . Accepter de voir partout des êtres humains aux physiques difficiles, harnachés de vêtements étranges, de scarifications et de piercings est au fond dire oui à tout ce que l'humanité a de souffrant, de désirant, de fol, comme inséparable de ses beautés et de ses mystères .

On y a aussi expérimenté l'amour et l'éducation communautaires . Cette expérience a été dure, parfois amère . L'amour communautaire crée des souffrances et des conflits en même temps qu'il en apaise d'autres . Mais ces expériences se sont faites dans de petites communautés marginales stigmatisées, sans aucune reconnaissance légale . Voyez Easy Rider . Échouer à vivre à l'écart du Système, c'est être humain, ne pas résister à son ressac permanent .

Si vous allez vivre dans un lieu désert, par définition aux terres pauvres et au climat rigoureux, que les paysans ont quitté, il est normal de souffrir à produire sa nourriture . Si vous voulez vivre en dehors des circuits économiques, il est prévisible que les artisans locaux ne vous aideront pas automatiquement à réparer votre toit après une tempête hivernale . Si vous semblez indifférent aux pouvoirs locaux, les populations restées sur place parfois vous soutiendront avec humanité, mais parfois s'amuseront de vos échecs .

Il convient de considérer tout ces facteurs quand on parle de l'échec global du mouvement hippie . Il y entre une part de la médiocrité des mouvements de masse, mais aussi une part de la répression masquée des autres mondes qui peuvent naître, dans un Système monolithique, et alors prospère, donc attrayant . Accepter un salaire, pour l'homme d'une communauté, paraît sans conséquences . Mais c'est accepter peut être un jour un meilleur emploi à la ville, accepter d'acheter une maison, se normaliser . Cela ne peut être condamné par ceux qui restent .

Toute la contre-culture ne fut pas au service de la CIA . Je me souviens du livre d'un californien hippie qui qualifiait Nixon et Hoover de Créatures de la Nuit . Et les hommes lucides ne manquèrent pas . La mémoire des expériences et des réussites de la contre-culture ne doivent pas être perdues .

J'illustre ces propos par un exemple typique, qui est celle de la forme des liens familiaux .


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Un grand nombre de « problèmes de société » formalisés par le Spectacle ou les « comités d'éthique » ne prennent sens que dans le cadre global où ils sont posés . Ils se présentent comme des questions fermées que les gens affligés d'une mentalité de gauche hyper-socialisé au sens de Kaczinski fixent le long d'un axe séparant rigoureusement le bien du mal . Par exemple : «êtes vous pour ou contre le mariage et la filiation homosexuelle, l'homoparentalité ? » « êtes vous pour ou contre l'euthanasie ? » « êtes vous pour ou contre l'avortement ? » « pour ou contre la peine de mort ? » . Ces questions distinguent les hommes modernes en deux États . Si vous répondez « pour » en général, vous êtes « de gauche », et « contre » en général, « de droite » . Bien sûr, à Sciences Po, on rajoute des critères pour qualifier votre gauche ou votre droite en espèces, droite légitimiste, orléaniste, gauche X ou Y . Facile . Pas de reste, pas de tiers État . Eh bien, le Tiers État veut une fois de plus être quelque chose . Les classificateurs sont, dans l'ordre idéologique, l'analogue des agences de notation financière comme voix officielle du système .

Soulignons à quel point ces questions sont étrangères aux modes véritables de domination dans le monde où ces questions classificatoires sont posées, modes véritables basés sur l'argent et l'idéologie . J'ai choqué avec joie un questionneur hyper-socialisé en refusant de répondre à la question de l'homoparentalité, ce terme démagogique du politiquement correct : la question ne se pose pas au sens biologique, car il n'existe pas d'homoparentalité biologique chez l'homme . Pourquoi poser des questions sur des choix qui n'existent en rien, sinon pour flatter la tendance idéologique à la toute puissance de l'anthropologie idéologique moderne ? Est ce que je suis pour ou contre le vol des oiseaux ?

Je prends un exemple du caractère artificiel de ces « problèmes de société » . Il est posé que l'homosexualité est une sexualité « comme une autre » ; et que de ce fait, les « homosexuels » doivent avoir une sexualité « comme une autre », et donc pouvoir se marier . En l'absence de mariage homosexuel, il est posé que l'on commettrait une horrible discrimination . Je ne crois pas que cette manière de construire le problème soit une puissance de liberté pour l'homme .

D'un point de vue historique, l'homosexualité est connue dans de très nombreuses cultures, japonaise, indienne d'Amérique, culture de l'antiquité classique, et s'avère parfaitement acceptée, voire posée en modèle, ainsi chez Platon . Il convient de souligner que c'est le Code Théodosien (IVème siècle) qui pose en Europe la pénalisation des relations sexuelles homosexuelles . L'homosexualité moderne se définit encore par réaction a cette interdiction pénale antique . Ce n'est peut être pas nécessaire .

Il n'en est pas moins que les règles concernant l'homosexualité ne comprenaient pas la filiation, par la force des choses . Cette différence était également parfaitement nette entre la sexualité des hétaïres ou des Geishas, et celle des femmes mariées, celles des hommes adultes entre eux, des femmes adultes entre eux, des guerriers et des adolescents, j'en passe . Le Hagakure pose par exemple des règles concernant l'homosexualité . Pour résumer, chaque forme de sexualité légitime, et ces formes pouvaient être très nombreuses, avaient leur règles spécifiques .

Il n'existe aucune raison légitime de poser que ces sexualités étaient discriminées, puisque les sujets de ces sexualités pouvaient être identiques : il est normal de s'insérer dans plusieurs réseaux sociaux exprimant une forme symbolique de sexualité . Les différences par ailleurs n'étaient pas univoques . Les hétaïres grecques, par exemple, ne donnaient pas plus de filiation que les homosexuels en droit, mais avaient une liberté, une culture et un statut globalement supérieur à celui des femmes mariées . Il est faux de poser que chaque individu porte une orientation sexuelle unique et définitive . La complexité symbolique de la construction d'une diversité réelle de plusieurs sexualités dans une culture n'est pas une structure de domination en soi - et ne l'exclut pas non plus, bien sûr, mais pas plus que l'imposition forcée d'un modèle unique vendue sur le marché idéologique comme un progrès remarquable .

Je trouve pour ma part absurde que des êtres humains se reconnaissant homosexuels considèrent comme un privilège le fait de faire rentrer la sexualité homosexuelle dans les cases de la sexualité hétérosexuelle dans la société bourgeoise – cases issues du modèle de l'Église antique, et ayant une fonction essentiellement répressive pour les catégories dominées, c'est à dire normative et limitative au service de la domination sociale réelle . Il s'agit que la puissance du désir ne remette pas en cause l'ordre de l'exploitation et du travail . Les dominants ne respectent bien sur pas ces normes, à aucune époque .

Seule la souffrance du sentiment d'exclusion peut expliquer une telle représentation, alors même que la « communauté hétérosexuelle » (ironie, bien sûr) ne cesse depuis des siècles de chercher des voies de transformation de ce modèle, et que les forces dominantes de la société ne cessent de les réactualiser avec toute leur valeur répressive . A titre d'exemple, il faut citer la matière celtique du conte de Tristan et d'Iseult, le fin'amor des troubadours face à l'ordre seigneurial, complices de la liberté des femmes, le vitalisme de la Renaissance, le libertinage, et les vagues de répression liées au réaffirmation de la puissance ecclésiastique, au XIIIème siècle, au XVIIème siècle, puis sous la forme du pouvoir hygiéniste-médical victorien, et aujourd'hui des Genders Studies, le fameux féminisme punitif – c'est à dire répressif, complice de la domination oligarchique .

Le communautarisme homosexuel moderne a ceci de particulier qu'il peut enrôler la puissance subversive autrefois de l'homosexualité dans une société la condamnant ( voyez l'exemple d'Oscar Wilde ou de Jean Genet ) au service des forces de répression de la vie du désir . Le marché de dupes est « l'exclusion égale » en échange de l'adhésion aux forces les plus proches du Système : les théoriciens républicains du Genre aux États Unis ou l' »association des gays de l'UMP » aujourd'hui l'illustrent . Dans le même numéro du Nouvels Obs qui parle de Marcela Iacub, il est présenté une école américaine qui accueille dès 11 ans des LGTB (sic), Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres . En soi, une telle école est plus une figure du développement séparé type Apartheid que de la tolérance, mais passe encore . A la fin de l'article, il est précisé que l'école « vient d'obtenir un prix accordé à l'unanimité par toutes les églises de Milwaukee, toutes religions confondues ( parler d'Église pour les non-chrétiens, là encore...) au nom de la tolérance . Tina Owen, (la directrice), rayonne : rien ne pouvait me faire plus plaisir . » N'est-ce pas délicieusement victorien, cette unanimité des prêtres ?

Il est hors de doute que nous voyons se dessiner devant nos yeux émerveillés un néo-victorianisme puritain incluant cette fois l'homosexualité, mais dans les mêmes cases étroites que le puritanisme victorien, avec la bénédiction des LGTB . Ce n'est plus l'homosexualité qui va valoir la prison, mais l'abus de sexe hors mariage, cette honte si semblable au viol .

Pour le moment je veux juste montrer ceci : la manière moderne de poser le problème : SOIT le mariage homosexuel et l'homoparentalité SOIT l'hostilité et l'intolérance à « l'homosexualité » pose qu'il n'existe qu'UN modèle de sexualité valable, le modèle hétérosexuel moderne bi-parental : c'est à dire que c'est une manière bornée de poser le problème, qui fournit des réponses stupides .

Car ce qui est à transformer, c'est le modèle lui-même, qui amène à poser ce genre de questions . Le modèle qui pose la famille comme formée de DEUX personnes de SEXE OPPOSÉ et de leurs enfants est en effet en crise grave, quand 30 à 50% des mariages finissent par un divorce problématique . Cette crise pose très lourdement le problème de la garde et de l'éducation des enfants – les centres départementaux d'actions sociale (CDAS) sont la première ligne budgétaire des départements, et le profil psychologique des jeunes générations est massivement dégradé (il existe une abondante bibliographie scientifique à ce sujet ) .

Le modèle qui pose la famille comme formée de DEUX personnes de SEXE OPPOSÉ ayant des SENTIMENTS et des RELATIONS SEXUELLES régulières (norme légale, une fois par semaine) et de leurs enfants pose en effet deux critères : le nombre de partenaires, et le sexe . Les genres ne cessent d'interroger le SEXE OPPOSE – mais pourquoi entend-t-on si peu interroger le DEUX, les SENTIMENTS ou les RELATION SEXUELLES ? L'histoire, et simplement l'histoire de l'Europe, montre pourtant que ces critères n'ont aucun caractère normatifs en soi .


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Plutôt que de commencer en prenant le modèle dominant comme repère, il me semble préférable de commencer par les exigences collectives que doit respecter un modèle familial destiné à être institué par la loi dans une société libre . Il me paraît pertinent de rappeler le principe qu'il n'est bon de légiférer que négativement, c'est à dire que tout ce qui n'est pas interdit par la loi pour des raisons évidentes doit être autorisé . La loi ne doit pas imposer des modèles sociaux, mais permettre l'existence d'une pluralité de modèles qui respectent des exigences premières explicites .

La loi doit seulement protéger l'intérêt de la communauté qu'elle régit, et pas l'intérêt individuel de chacun . Chaque homme est en charge de lui-même . La loi peut protéger les couples hétérosexuels avec enfants, parce qu'il est l'intérêt de la communauté que sa reproduction biologique soit assurée . De même, il est de l'intérêt de la communauté, et parfaitement légitime, de réduire au minimum les nécessités de l'avortement, en permettant aux femmes concernées de ne pas l'accomplir sans cependant perdre tout contact avec leurs enfants .

Pour ce qui est des unions, quelles qu'elles soient, qui n'engagent pas la communauté, il n'y a pas lieu de légiférer . Dit autrement, les liens familiaux n'ont le plus souvent besoin d'être codifiés qu'en ce qui concerne les enfants . Les cérémonies peuvent être la tâche des hommes de Dieu, sans que l'État ne cherche à les singer . Le mariage républicain est une usurpation du pouvoir spirituel, comme le baptême républicain . La loi de l'État doit être minimale, et il appartient à chacun de respecter en plus des règles communautaires selon son origine .

Le libre consentement est une exigence première en matière de liens et de sexe . Mais il est aussi une exigence première, qui est de garantir aux enfants les conditions d'une enfance sécurisante et régulière, comprenant des figures d'identification adultes stables . Cette garantie implique que l'enfant vive dans un cadre où des règles soient posées de manière continue, et continuelle . Un enfant éduqué sans encadrement adulte et sans règles ne peut se construire de manière sûre la personnalité structurée qui lui permet d'être libre . L'absence de punition pour un enfant qui commet des actes mauvais est une une maltraitance . Un enfant a besoin, sans cesse, de limites et de cadres .

Une autre exigence première est qu'un enfant ait accès à une langue et à une culture symbolique . Une autre est que l'enfant ne doit pas être considéré comme une propriété ; que la vérité et la sincérité ne lui soient pas cachés par la volonté de la loi . Cette condition interdit l'accouchement sous X, et l'idée d'une filiation homosexuelle qui soit présentée comme une fiction . Il faut distinguer la filiation par le sang de la filiation symbolique par la langue . Il faut distinguer la parentalité biologique de la parentalité légale .

Les exigences fondamentales posées par la loi sont des obligations collectives de la communauté, pas des obligations purement individuelles . La responsabilité des enfants ne peut reposer uniquement sur les parents, ni en termes éducatifs, ni en termes financiers . Il n'est pas nécessaire que ce partage de la responsabilité ait lieu par l'État ou par les collectivités territoriales . Pour un enfant, il est important d'avoir des figures d'identification, et pas un référent fonctionnaire anonyme et changé régulièrement, et pas une famille d'accueil d'abord motivée par le gain . L'ethnologie comme les faits montrent que la plupart des enfants ont reçu une éducation communautaire, et qu'une telle éducation ne crée pas de déséquilibre .

Le sens du refus de légiférer positivement, et de la prime du consentement individuel dans la formation des liens correspond à ceci : il ne doit pas exister de forme du lien imposée légalement . Il ne peut exister que des formes de constat du consentement individuel . En clair, chaque lien doit pouvoir définir sa forme par ses propres clauses, soit dans une tradition culturelle, soit par lui-même . Premier exemple : un tribunal d'État ne peut prononcer une séparation pour faute, que si la notion de faute a été préalablement définie dans le contrat d'union . Deuxième exemple : il n'existe aucune raison pour interdire polygamie ou polyandrie entre adultes consentants et informés . Troisième exemple : un lien respectant les obligations d'éducation peut exister entre un homme homosexuel et une femme homosexuelle pour la conception et l'éducation d'enfants, sans logement commun ni vie sexuelle prévue . Il est scandaleux, au contraire, de pointer du doigt publiquement un cas de polygamie entre adultes pour porter au mépris les masses . Le cas de l'esclavage sadomasochiste consenti ne peut manquer d'être présenté en exemple . De ce fait d'absence de forme des liens, il n'est aucun besoin de définir un mariage homosexuel, puisqu'il n'existe qu'une forme vide d'union que chacun peut ensuite habiter à sa guise .

La question complexe des biens et des héritages devra bien sûr être traitée, mais dans l'objectif d'une négociation ouverte des partenaires s'il doit y avoir contrat, et de règles de respect de la libre volonté en son absence . Cette forme est loin d'être la forme la moins forte de lien .

Pour ce qui est des enfants, la séparation de la filiation par le sang et de la filiation civile mérite d'être prononcée . Tous les garants d'un enfant peuvent recevoir le statut collectif d'ancêtre . De manière générale, les deux statuts seraient conjoints, mais pourraient être disjoints sans difficulté . Seraient responsables de l'enfant au premier degré les ancêtres au premier degré, et les ancêtres au second degré seraient responsables de participer à son éducation et à son entretien . Cette obligation doit être légale : l'ensemble du groupe familial élargi aurait une obligation partagée entre ses membres au prorata de ses moyens et de la part de son revenu à redistribuer, limitée par un plafond . Le statut universel d'ancêtre, y compris adoptif serait le modèle du lien . Je dirais même que les enfants pourraient avoir une triple filiation : un totem collectif annuel, par exemple ; la filiation par la sang valable pour tous et justifiant d'un droit de lien dans tous les cas . La filiation par le sang serait clairement reconnue, et jamais niée ou occultée ; mais elle serait séparée du poids unique de la charge éducative, et serait modulable par le niveau d'engagement effectif du parent par le sang ; et la filiation civile définissant les responsables effectifs répondant de l'enfant . Ces derniers seraient décisionnaires des orientations éducatives, mais devrait les présenter devant un conseil de famille élargi qui serait réuni lors des grands passages de la vie enfantine, et qui aurait pouvoir de réserves, d'orientation et de conseil .

Cette définition large de la filiation supprime toute difficulté sur la filiation homosexuelle, et même rend inutile d'en faire une problématique particulière . Pas de droit parental des homosexuels en soi, ou de filiation homosexuelle, mais un droit d'ancêtre partagé de manière égale, donc de manière identique et parfaitement légitime, par les couples éducateurs quels qu'ils soient, sans accepter de créer de différence . Pas de droit à l'enfant, pas d'appropriation de l'enfant .

Le lien de filiation doit établir une obligation communautaire et une responsabilité collective ; un ancêtre doit être responsable pour une part de ses petits-enfants . En particulier, elle serait une obligation des retraités . Le choix de sa descendance pour autant ne doit pas être reconnu : avoir des descendants, quand c'est le cas, doit entraîner une obligation légale . Mais la loi n'interviendrait qu'en dernier recours, après constat de l'échec d'un accord collectif . Au lieu de ne verser des impôts pour les services sociaux ou les allocations familiales, les humains actifs verseraient à des personnes connues, et dont ils seraient aussi chargés d'âme . La garde des enfants serait en effet prise en charge par les ancêtres par rotation amiable, ou arbitrée en cas de désaccord . Au lieu d'être remboursés anonymement, les communautés cotiseraient pour les soins médicaux et seraient des forces de discussion avec les métiers de santé ou d'éducation . Il serait sans aucun doute souhaitable de partager les modes de répartition . Mais la solidarité ne doit pas passer par un État anonyme, elle doit créer des liens effectifs de solidarité .

Il y a lieu de prévoir une progression du libre choix de l'enfant dans ses liens privilégiés, sans autoriser d'exclusive, source de chantage par les adultes ou l'enfant .

Une éducation communautaire claire, hiérarchique, basée sur des règles écrites simples, avec des instances de régulation et un conseil de famille basé sur le suffrage en cas de blocage, et des droits modulés selon le niveau d'implication et d'ancestralité des personnes . La responsabilité envers l'enfant doit être équitable avec les obligations réellement assumées . Les instances de régulation des liens de famille, les juges civils, seraient variables et culturellement déterminées, choisies avant tout problème par le conseil de famille, afin que le laïcisme apparaisse pour ce qu'il est, une pitoyable secte moderne .

L'enfant ne seraient plus un enjeu ou une médiation entre des parents en conflit, puisque la séparation d'un couple ne déterminerait pas complètement la position de l'enfant . Les ancêtres naturels ou par alliance auraient l'obligation de partager la garde et l'entretien . Cette garde serait entièrement déductible des impôts . L'effet serait de diluer dans la communauté humaine réelle la charge des enfants, afin que cette charge soit légère à tous, et non écrasante et inaccessible à un cadre sécurisant, comme dans les familles monoparentales abandonnées . Il n'est pas admissible que la société laisse des mères humiliées par leur pauvreté et par leurs enfants .

Les instances de régulation seraient responsable du respect hiérarchique des enfants, par refus de l'abandon éducatif . Un ancêtre tuteur serait nommé en cas de carence, et rétribué par un prélèvement sur tous les revenus de la communauté . Les ancêtres tuteurs cadrants pourraient être tuteurs de plusieurs enfants dans une sorte de crèche communautaire étendue . Leur respect collectif serait très clairement affirmé et assumé par les lois .

Les droits seraient gradués en fonction des devoirs assumés . Le séparation des parents serait rendue indépendante de la vie des enfants, dans la mesure du possible . Les familles avec enfants seraient aidées dans le logement par la fourniture de logements adaptés, suffisamment vastes et divisés en parties autonomes, et les ancêtres garderaient un droit d'hébergement dans les biens . Le droit de propriété doit lui-même être divisé entre possession, jouissance, et droit, afin de limiter les changements de domicile suite aux séparations, souvent traumatisantes . La stabilité des enfants serait assurée . Les enfants auraient plusieurs figures d'identification, parmi les sages et les solides des communautés .

Ils grandiraient libres et un peu sauvages, mais en connaissant la valeur de liens tenus par la réciprocité et le don, plus que l'habitude de recevoir sans contrepartie .

Ils grandiraient en partie, sur des périodes, dans des instances collectives aussi autonomes que possibles, tout d'abord à l'école, réformée avec un maximum de responsabilisation collective, y compris au plan économique . Des périodes de vie commune de groupes s'y ajouteraient, apprenant la vie en communauté, une certaine austérité gaie, l'art des jardins, de l'agriculture et de l'élevage, apprenant la mer et les forêts, apprenant l'obéissance et l'autorité . Ces républiques temporaires d'enfants seraient visées avec une distance bienveillante par les instances de régulation ; et ces républiques devraient, à l'adolescence, être pluri-culturelles, et créer des liens d'homme à homme solides entre les communautés culturelles .

La liberté des couples serait assurée par l'assurance de la liberté et la sécurité des enfants, et la dilution des charges financières . Plutôt qu'une société égoïste, le droit construirait toutes les occasions d'entraide, de soutien, une société fraternelle et solidaire . Et les instances de régulation veilleraient à l'adoption aimante en cas d'abandon, ou de situation d'orphelin . L'obligation au prorata des revenus serait prélevée à la source en cas de fuite des responsabilités . Des parents pourraient ainsi choisir le nomadisme, ou devenir ermites sans abandonner leurs enfants . Un adolescent lui-même pourrait expérimenter le nomadisme . Une telle société peut respecter l'ascète comme la femme aux larges bras .

Il est clair que les liens communautaires sexuels seraient régulés par l'accord des parties et leurs tradition, laissant le libre choix de modèles polygames ou polyandres, et la détermination de la nature, de la souplesse ou de la rigidité des obligations réciproques . La possibilité de changer de communauté serait assurée par des échanges réciproques, équilibrés par des ressources partagées . De ce fait, il est probable que les communautés les plus agréables à vivre verraient leur population croître .

Laissez vivre une telle société, et vous verrez que le modèle anglo-saxon libéral obsédé par le travail et la croissance, ou le nôtre, peut différent, seraient considéré comme une grande folie, et réservé à quelque névrosés considérés avec mépris . En effet, des groupes humains ont déjà vécu largement selon des règles similaires, mais ont été détruits par la puissance technique . Or la puissance technique commence à s'essouffler .

Je m'inspire par exemple de George Devereux, ethnopsychiatrie des Indiens Mohaves . Le but du présent texte sera atteint s'il fait comprendre que n'avoir aucune opinion sur les « débats de société » doit être le but des hommes éclairés . Transformez vous ! Transformez le monde ! Ne vous laissez pas enfermer dans les cases du Système !

Redevenir loup. C'est la puissance de l'État qui fait la liberté du marché, comme celle atomique de l'individu. Hors de l'État, la liberté est puissance de la communauté - liberté des Athéniens et du loup - et non droit octroyé des hommes domestiqués, proférant "l'homme est un loup pour l'homme". L'homme est un loup, et le loup est un frère du loup .

Vive la mort !

Philosophie et dissidence, II . Le vampire couronné de Gui .

(Murnau, Nosferatu)



Le Gui est représenté par Pline comme un végétal sacré des Druides, et est un symbole d'immortalité, car il persiste vert sur les peupliers dénudés, en hiver, et sur les chênes réduits à des silhouettes d'encre . Ce qui demeure, c'est que le Gui est cet élément étranger - ce que nous sommes - qui survit dans les hauteurs des arbres, qui survit à l'hiver . Il est le symbole de la parole sacrée qui survit au Minuit des mondes, dans la pluie, le vent, et la mort de la saison de glace . Il est la vie dans la destruction, comme une fleur sur le trottoir de Fukushima .

Pouvons nous être gui ? Pouvons nous encore cette plante aux fruits blancs et gluants, à la consistance et l'aspect d'un sperme gluant, à l'odeur étrange, germinale ? Je crois de plus en plus que nous n'avons pas le choix . Il n'existe pas d'interstice où faire naître une vie nouvelle qui se vivrait de sève volée au Système . Au cœur d'un hiver comme le nôtre, même la sève des arbres devient rare, et venimeuse au gui qui se meurt à son tour, à moins de couronner un vampire .

A l'âge des cités grecques, la recherche de la sagesse se faisait par la recherche d'un maître qui prétendait montrer sa pensée par sa vie même ; ou encore, il existait des communautés, dans les déserts, des traditions jalousement gardées, des mystères . A l'époque médiévale elle même, il n'était pas rare de courir les routes de la Chrétienté, de l'Écosse à l'Italie, et de Paris à Cologne, pour trouver la sagesse – à la renaissance encore .

Dans l'Union Européenne, tout cela serait à la fois ridicule et extrêmement complexe . Les papiers, les numéros, les codes bureaucratiques ont étouffé toute spontanéité des quêtes . Notre espace est sillonné de déplacements rapides, mais recouvert de surveillances et d'enregistrements . Le déplacement lent mais libre du passé s'est vu éliminé par le déplacement rapide mais asservi du monde moderne ; l'homme qui transporte des marchandises traverse non un pays dont il peut parler des merveilles, mais l'espace abstrait parcouru par l'avion, le rail ou la route, et il ne s'arrête que dans des sas grillagés, gardés, entre la route ou l'aéroport et l'espace autour .

Sur une autoroute française, libre, la séparation entre les employés d'une aire d'autoroute, dont le parking est derrière le grillage, et les voyageurs est aussi stricte que dans une prison . Les employés sont fonctionnellement placés dans des lieux interdits au public . Les seules communications fonctionnelles sont médiatisées par l'argent, et à la rigueur l'information du voyageur . L'espace est visible, à portée de main, mais presque inaccessible . Ce carré d'herbe ombragé aperçu en TGV, qui appelle à une sieste à l'antique, je devrais pour le retrouver m'arrêter à la prochaine gare, revenir en voiture, le rechercher en vain, sans repère . En vérité, le paysage qui est à un mètre de moi dans un transport collectif est visible, mais il m'est fermé, aussi fermé que les royaumes de la Chine à un homme du Moyen Âge .

La plupart des transports sont asservis à un cadrage fonctionnel étroit . L'homme qui transporte des marchandises voit son parcours suivi et son temps compté à la minute . Si je vais à une réunion, je file dans un sens, puis dans l'autre pour être revenu à temps – il est impossible de flâner, ou en tout cas la possibilité en est réduite au maximum – et la communication professionnelle ne cesse de culpabiliser l'errance, la flânerie . Les déplacements sont cadrés, soit par une place réservée, soit par les caméras et les radars qui ne cessent d'enserrer la circulation automobile, sans diminuer d'un iota la gravité des accidents – le but de sécurité étant d'abord la sécurité de l'oligarchie, l'aggravation du contrôle et de la domestication des hommes .

Il est les idiots utiles des ligues contre la violence routière, qui appellent à toujours plus de répression, à un niveau délirant, au nom de leurs enfants morts, comme si les victimes de guerre devaient appeler à toujours plus de guerre pour se venger ; il est les idiots utiles qui manifestent contre la corrida ou les prothèses mammaires quand l'oligarchie provoque des guerres coloniales à répétition et aggrave sans cesse l'exploitation de l'homme . Il est toutes les diversions du Spectacle, les narcissiques vertueux qui se scandalisent de tout et de rien pour exister, les hululements à la moraline qui se coordonnent aux hululements des sirènes de la police, et ne s'en rendent même pas compte .

Le cadrage des déplacements au nom de la sécurité, l'identité biométrique, les grillages des autoroutes, le pistage, la vidéo-surveillance, les radars, l'infinité des moyens de suivi GPS – cadrage qui fait du monde entier une prison, puisque tous les hommes deviennent tendanciellement porteurs d'un bracelet électronique – se fait avec l'assentiment public et matraqué des idiots utiles à la moraline, en général des blooms de structure puritaine répressive, donc la seule jouissance est de réprimer chez les autres ce qu'eux même ne s'accorderont jamais, ne serait-ce que l'insouciance . Tous les morts sur les routes ne vaudront jamais un resserrement permanent du cadrage policier sur les hommes, ou les guerres de libération n'ont jamais eu aucun sens . En 1970 par exemple, la situation automobile était elle assez grave pour justifier cela, ou pouvons nous y voir la logique interne du Système au resserrement du contrôle individuel – resserrement annoncé par des auteurs aussi extrémistes que J.K Galbraith ?

Dans cette optique d'auto-constitution du Système en puissance toujours renouvelée de contrôle individuel, l'étouffement tendanciel de la spontanéité dans la circulation « toujours plus libre » est une métaphore de l'évolution générale de la société – et de celle de la pensée . Nous pouvons nous déplacer dans un espace entièrement déterminé, réduire sans cesse la part d'imprévisible – et transformer le voyage, lieu de murissement de soi, en déplacement d'un point A à un point B dans un espace figé par les glaces . Il existe peut être encore des voyages en ce monde, mais il est surtout des déplacements .

Nous pourrions nous déplacer pour trouver un Maître . Mais à l'évidence ce n'est pas l'espace qui nous sépare des maîtres . La pensée tend à se fermer dans les cercles étroits d'une idéologie polymorphe qui, comme tout le Spectacle, fait plus d'effort pour voiler ses effets fonctionnels que pour se comprendre ou comprendre le monde .

Car bien entendu toutes ces volutes idéologiques se nient comme telles et se présentent selon les champs comme médecine, comme bon sens, comme évidence, comme Science, comme pensée subtile ou technique . Cette variété d'apparences est analogue à la variété des justifications hygiéniques, sécuritaires, écologiques, de développement durable, de lutte contre les discriminations, fiscales, morales, et j'en passe, qui justifient les restrictions multiples et à chaque fois de peu de conséquence apparente de la liberté individuelle . Ces restrictions semblent d'abord concerner les autres, les étrangers, les délinquants, les nomades, les pédophiles mais ne cessent de s'accumuler et dessinent la figure globale d'un totalitarisme flou - de plus de en plus net . Les fichiers biométriques ont commencé avec les crimes sexuels, mais concernent maintenant les syndicalistes condamnés lors de grèves, par exemple . Puis le fichage génétique sera généralisé, avec l'aval de comités d'éthiques et leurs garanties dérisoires . Nous sommes tous des étrangers en puissance dans le Système qui déracine tous les hommes et tous les mondes .

Cette glaciation générale se vérifie dans l'ensemble des sous-systèmes . Si l'on prend l'exemple de la philosophie, on admettra par exemple que la vie est l'oeuvre la plus sûre du philosophe, mais la vie, la vie de Casanova par exemple, comme celles d'Alexandre ou de gyrovagues, celle de Dante, ne peut être enseignée par un professeur de philosophie . Je ne dis pas que leur vie ne peut pas être racontée .

Elle ne peut être enseignée comme un modèle, comme un possible effectif parce qu'une vie errante et aventureuse est profondément inverse de celle prévisible et ordonnée d'un professeur de philosophie doté d'un programme et d'un emploi du temps, doté d'une « définition » de sa « discipline », et pratiquant avant tout, en pleine conscience ou en se la racontant, une activité fonctionnelle afin de gagner sa vie . Et exerçant cette activité dans un établissement chargé avant tout de fournir le marché des études et du travail, le bassin régional de formation et d'emploi . Et dont les finalités ne peuvent être de promouvoir plus de liberté que le choix de se placer dans des boîtes préexistantes, comme de voter avec les bulletins préexistants lors des élections, des cases mouvantes mais de toutes façons échappant à tout contrôle de la liberté individuelle – d'où le besoin de se former, de se recycler, de parfaire son employabilité présenté comme voie de liberté et d'épanouissement .

Dans ce cadre fonctionnel, un type aussi vide d'arguments que Bergson triomphe absolument . Des Bergson par centaines, dont une grande partie de l'argumentation, si on peut user ce mot, ne repose que sur la connivence des auditeurs, ce que l'on nomme « le bon sens subtil » . Les facteurs de sélection de la bonne philosophie scolaire se situent dans le cadre de l'enseignement du Système - le cadre formel devient tendanciellement la forme de la pensée . Et bien sûr, les textes qui se distinguent de ce lot sont présentés dans un cadre qui permet de les assimiler au cadre formel – l'exclusion méprisante de la « mythologie », de la « littérature », des errances de la « métaphysique », mais aussi la glorification esthétique du poète .

Le poète scolaire est celui qui fait de la poésie, qui ânonne des chants rimés, ou pas, s'il est « moderne » . En général, ce poète parle de lui, de ses « sentiments, il « s'exprime » . C'est bien, de s'« exprimer » - voilà une croyance de base du Système . Il est la négation de ce qui fait retour aux sources du poème, l'oracle, c'est à dire la non-séparation entre le chant, le mythe, le verbe et la fondation de l'homme, l'énonciation de la loi, et la recherche de la Science . Le poète est ainsi complètement neutralisé .

Cette tendance à revenir vers l'essence de la parole est de l'ordre de la nostalgie primitive vers la matrice maternelle, vers l'indifférenciation, énonce le philosophe scolaire . C'est la noblesse des peuples premiers, peut dire le « pluralisme » moderne . Pourtant cette unification tendancielle est évidente chez Nietzsche, par exemple . C'est dire que l'unité n'exclut pas la rigueur et la dureté . Babel n'est pas seulement la séparation des langues, mais aussi la séparation, le déchirement de l'homme en lui-même . Surtout, l'unité de l'art et de la vie est la seule puissance réelle de création partagée de mondes que possède l'homme . Les hommes peuvent décider de l'existence de mondes, par la fondation, la loi, la parole . C'est par cette voie que les hommes peuvent renvoyer le Système au passé, renvoyer au néant le nihilisme .

Toute division est bonne dans l'idéologie racine . La division de l'art, c'est à dire de l'action communautaire organique humaine pour vivre plus puissamment, et de la pensée dite « rationnelle » donc légitime, comme la division atomique des individus qui expriment leur eux-même vide pour annuler le nous puissant est une alchimie de la décomposition, ou encore l'oeuvre moderne . La voix du professeur est celle de la police du Système .

Il est hors de doute que la majorité des professeurs de philosophie seront fous de joie quand un gouvernement libéral leur imposera par la loi d'enseigner les Genders Studies, et tout particulièrement ceux de gauche, qui se sentent et de définissent comme « anticapitalistes » dans une vie de petit bourgeois aigris d'obédience(e) libéral(e)-libertaire(e), c'est à dire libérale avec de vagues références à Louise Michel . Ceux là enseignent déjà les Gender Studies plutôt que les principes de la propriété privée des moyens de production, c'est à dire la moraline du Système plutôt que la réalité matérielle de l'exploitation des masses . De ce type de gens « hyper ouverts », et complètement dépassés en discutant avec un musulman . De ce type de gens qui enseignent « comment peut-on être Persan » de Montesquieu en roulant de grands regards d'amour tolérants, et qui se demandent sincèrement comment peut-on être iranien, aujourd'hui quelle atroce aliénation, et pas « moderne », comme eux . Au fond, leur seule légitimité n'est pas le contenu de leur « enseignement », mais la force de l'État qui les positionne dans une institution .

Quant aux professeurs de philosophie pour le Spectacle, il ne faut pas chercher d'arguments là non plus dans le texte . Ils font aimer Camus parce qu'il jouait au ballon sur une plage méditerranéenne avec des filles .

(le Point)


De ce fait, tous les heureux consommateurs de découvrent philosophes, œuvrant pour l'art de jouir au Club – et les bronzés devient un film d'avant garde plus accessible que l'oeuvre de ce triste Pasolini . La métaphysique des Bronzés, telle est cette philosophie . La seule légitimité des apôtres de la Raison dans le Spectacle est la forme du Système - le véritable argument est la force globale des forces de l'ordre . Ils sont les banquiers de la culture, les banquiers et les rentiers du capital culturel .

Encore au début du XIXème siècle un Hegel pouvait devenir quasiment un philosophie officiel et nourrir de puissants courant de transformation . La dégradation a été profonde et rapide . Tout cela sera bien sûr nié par les tenants de la pensée officielle, pensée qui aime à se présenter au pluriel, comme les « pensées contemporaines », par exemple . Les pensées contemporaines nient leur fermeture, comme cette observation sur le refus de thèse arrivé à René Guénon, ou encore l'absence de discussion réelle sur l'héritage de Tiqqun ou de Simone Weil . Les derniers maîtres universitaires, comme Quine, ou les scolastiques comme Muralt ou Courtine, tiennent de petits prés carrés qui se concentrent sur des compétences techniques, ou sur des enjeux décisifs rendus silencieux au plus grand nombre par leur technicité, sans puissance d'influencer l'histoire – ils sont tolérés neutralisés, ou comme Quine, ont intégré au plus profond d'eux même leur neutralisation .

Et la philosophie scolaire devient ainsi idéologie fonctionnelle intégrée au Spectacle - avec parfois des manifestations voyantes pour la galerie, comme le chien qui tire sa laisse ou mord la main de son maître pour se croire loup . Quand la forme de la domination détermine la forme de la transmission, et que la forme de la transmission détermine la forme de la pensée, il ne nous reste que la dissidence globale, car par les canaux culturels officiels du Système plus rien de notre souffle, sang, vie et verbe ne peut passer, circuler et être compris . Nous ne pouvons pas être gui, pas aisément au moins . Peut être pouvons nous encore être virus de l'idéologie moderne . Mais je crois que nous ne pouvons guère qu'être vampires du monde moderne, êtres nocturnes et déchus, mais aussi gardiens du mémorial de Dieu, du Dieu qui sauve les serpents et les scorpions et donne la lumière de Lucifer, l'étoile du matin – et voit que cela est bon .

Le vampire est cet astre mort qui se vit de la vie et du sang des vivants – et en même temps, il est la figure de la vie souterraine des désirs de l'esprit qui survit en se nourrissant de ce monde de mort, notre monde de mort . C'est pourquoi le vampire doit être couronné de gui .

A vrai dire, les « philosophies modernes » choisissent pour nous, le plurivers impose sa loi monolithique . Le pluralisme idéologique condamne au silence de glace le pluralisme effectif . Je en crois plus possible de choisir d'autres voies qu'une dissidence assumée . Mes grands parents étaient païens, mes parents hérétiques, et je reste dans la voie du sang, ce souffle rouge . Nous assumons le désir et le projet d'une pensée dissidente dans la glaciation moderne du sens . Elle ne peut être nommée comme philosophie par l'école qui lui est contemporaine, et prend les formes nées des conditions de l'exercice effectif de la pensée dissidente, avec les défauts afférents . Car la dissidence est fragile et sans cadre puissant .

Nous devons alors examiner les formes d'une pensée née dans le fumier de la dissidence, dans les tombes et les égouts . Il nous faut aller jusqu'au bout, être lucide envers nous-même – cultiver notre cruauté sur notre corps et notre âme . Face aux énormes institutions du Système, la lucidité est la seule arme qui ne pèse rien, et qui pèse assez .

Peut être alors pourrons nous être gui, et fleurir en hiver .

Plutôt mourir .

(Von Stuck)


La philosophie est à la fois l'objet d'une guerre de domination, pour en définir le contenu, et donc le marché – le marché de toutes les envies de mener une vie en largeur, hauteur et profondeur – et le lieu d'un bavardage, le lieu de l'oubli d'une essence . Car l'objet de la philosophie, originairement, est sophia, la sagesse, le logos héraclitéen, la gnose pythagoricienne . Le désir de gnose est la philosophie, dit Platon .

Ce qui m'importe, ici, est de poser la distinction de deux axes de développement du projet de l'amour de la sagesse . Le premier est de l'ordre du Manuel d'Epictète : il s'agit d'un manuel pratique de vie humaine, dont le modèle le plus puissant est le Hagakure . Le deuxième est de l'ordre du développement d'un savoir systématique, comme chez Aristote . Il est est vrai que ces deux axes sont organiquement liés . Car c'est selon la nature du monde qu'il faut vivre . Mais une philosophie sans vie est mort . La sagesse doit mordre sur l'existence concrète – car ton amour est un feu dévorant . Je dis doit, c'est à dire qu'elle doit non seulement être, mais exister dans le monde . La sagesse doit être puissance pour n'être pas fantasmagorie ; feu pour n'être pas fumée .

La science est puissance et jouissance – tel est de devenir comme un dieu, connaissant l'arbre de la science du bien et du mal . Puissance de fonder, et jouissance du savoir qui s'exprime pleinement dans l'érotique, dans le regard posé sur les splendeurs de la chair, sur les secrets du sexe . Le séducteur qui regarde une femme follement désirée nue à ses côtés, abandonnée, endormie, sait ce qu'est la puissance et la jouissance . Mais cette jouissance et cette puissance, et cette jouissance de la puissance, ne sont pas celles d'un oiseau de proie . Le tueur qui détruit ne trouve pas la félicité, mais une soif éternelle de destruction et d'humiliation qui sont la haine de sa propre destruction et de sa propre humiliation . L'homme cruel est un homme détruit, ou même minable . La jouissance du sage est l'image de Dieu, de l'être conscience félicité, image indéfinie du dieu inséré dans les cercles du temps .

Il est possible que Casanova soit un plus puissant philosophe du savoir et de la liberté que Kant, en proclamant l’homme ne peut jouir de ce qu’il sait qu’autant qu’il peut le communiquer à quelqu’un . Le savoir qui vaut est jouissance commune du savoir . Et Saint Simon un philosophe politique bien plus exact que Rousseau . A quel point la vérité de la torsion des sentiments occultes des politiques, leur désir si intense de la mort de leurs adversaires et le froideur et l’impassibilité du désir qui ne peut s'avouer – car l'aveu du désir politique est une faiblesse - est supérieure aux contes puérils du Contrat Social . Imagine-t-on Kant s'évader de prison par les toits vertigineux de Venise, comme Casanova s'évadant de la prison des Plombs de Venise ? Et quel plus grande preuve du haut désir de liberté, que de l'affronter à la mort ?

La sagesse qui n'éprouve pas la rage du désir, comment peut-elle s'assurer de sa puissance et de sa profondeur? Celui qui confronte sa terreur organique à son désir éprouve la violence viscérale de son désir . Celui qui offre son corps dans le combat, celle qui offre son corps à un homme aimé qui est aussi un fauve brûlant de consommer sa chair et son désir, mesure en lui-même la réalité de son désir, et par cette réalité produit l'intensité de sa vie, à la mesure de la peur et des défenses surmontées par le déchainement de la puissance . La puissance est par nature ambivalence, destruction et terreur, création et intensification ascendante comme le panache du nuage d'orage .

Sans exposer son corps – le serment féodal le disait, qui parlait d'exposer son corps pour son Seigneur – il n'est pas possible de s'assurer de ses liens . Je sais que j'ai confiance dans mes mains en escaladant sans m'encorder, je sais que je devrais sortir mes tripes pour passer là où je ne passerais pas encordé, parce que je m’aiderais . Je sais que j'ai confiance en ma vue, en mes réflexes, que je m'oblige à une concentration extrême et à un souffle court, quand je roule à la limite de la glissade, la nuit, sur une route de montagne battue par la pluie . Et que j'entends, comme en rêve prémonitoire, une sirène lancinante . Non, je ne mourrais pas aujourd’hui . Ou encore quand je porte au maximum la charge de fonte sur un geste dont l'échec serait l'explosion des articulations, des os de mon corps . La volonté, la rage se concentrent en un point unique, en une explosion secrète . La différence entre l'homme noble et le fol est que le premier sait frôler les limites, frôler la mort, sans toute fois se briser . Car il s'agit de chercher aux frontières de la mort le souffle d'une vie plus puissante .

La puissance de liberté, cet invisible qui rend les hommes indomptables par la terreur la plus extrême – ne peut s'expliquer que par une pensée intime, formulée ou informulée, qui est : plutôt mourir . Et la certitude de se tenir dans cette décision est le fondement de l'héroïsme humain . Il ne suffit pas de faire des théories éthiques, mais de se tenir dans la vérité . Il ne s'agit pas de connaître la loi, mais de savoir si je me pencherais vers l'étranger blessé, si je pourrais fermer le cercle de mes bras sur mon ennemi au jour de sa mort .

Il ne s'agit pas d'une pensée ou d'une volonté au sens classique . Si je tombe dans une rivière en crue qui me balaye comme un corps mort, je combattrais jusqu'à l'extrême de mes forces pour respirer et regagner la rive, par une puissance qui me traverse et dépasse la volonté, comme celui qui court jusqu'à l'agonie devant un fauve, ou un homme qui veut le tuer . Oui, j'ai couru jusqu'à m'en écorcher la gorge, et à l'épuisement je me suis retourné pour me battre par la force du désespoir, au delà de toute réflexion, avec l'intense volonté de tuer et de déchirer, moi le pacifique . Plutôt mourir, c'est ce qui traverse l'homme qui sait qu'il perdrait toute dignité humaine en refusant un affrontement à des forces qui menacent sa vie, et cela dépend profondément de sa culture, de sa philosophie inscrite en lui comme la saveur de son sang ou le soleil de son désir, qui l'entraine bien au delà de la raison et de son ego .

Tristan dit plutôt mourir que de perdre Iseult ; le Spartiate plutôt mourir que de reculer ; le vassal ou le résistant soumis à la torture jusqu'à la mort plutôt mourir que de trahir . Sentir une telle puissance en soi, je crois que c'est une des plus hautes dignités de l'homme . L'homme a cette puissance redoutable de brûler ses vaisseaux . Et toute grandeur de la pensée est la recherche de la dureté d'affirmer jusqu'au bout la grandeur infime de la dignité . Je le retrouve dans la mort de Socrate, la mort du Christ ou l'austérité du Manuel, dans l’âpreté du Hagakure . La mort est l'essence du Bushido , l'essence de la Voie.

La puissance de la liberté est la puissance même de la dissidence . Plutôt mourir ! Tout le poids de ce monde réuni sur un point ne peut l'écraser, ni même l'atteindre .

Viva la muerte !

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova