Finkienlkraut, maître de poche .

(couverture pour la ferme des animaux d'Orwell)


Billet d'humeur sur un penseur profond, très profond, ou huit jours chez M Finkienlkraut .


Ce blog n'est pas le lieu des billets d'humeur, ni même de l'humour, car on n'est pas là ni pour pleurer, car comme dit Jarry- un conseil d'humaniste à humaniste- dans Ubu Roi, acte III scène 2 : "arrête de pigner, mère Ubu" ni pour se scandaliser ni pour rire, mais pour créer un faisceau de forces, forces de la conceptualité et du désir pour déplacer une montagne, un volcan né de la force de l'homme conjointe à celles de la matière, et ne cessant d'accumuler et de déchainer sa puissance, un golem, un ange très puissant .

De ce fait aucun nom propre, aucune date, aucune actualité n'est habituellement abordée ; cela diminue l'audience, et l'aisance ; mais comme pour la tolérance, il y a des lieux pour ça . Pisser de la copie est besogne de journaliste ; mais quand la pisse s'écoule sur nos pieds, comme habituellement à la plage, une certaine réaction, sans s'imposer, reste humaine . Aussi nos lecteurs nous excuserons de ne pas respecter nos règles, à propos d'une lecture croisée, celle de l'abyssal article du Nouvel Obs n°2238 p 104 consacré au génie intellectuel de notre temps, que ma bouche hésite à nommer, et que j'appellerais donc X, et le livre de Naomi Klein, la thérapie du choc, paru chez Actes Sud, que la recommandation d'un homme aussi disert qu'un alligator m'a rendu crédible : Sans parler d'AD, fort the happy few . De proches amis suivent X avec intérêt . Alors je le relis en pensant à eux, à leur édification...je leur veux du mal .

"Rares sont ceux qui ne s'en sont pas rendu compte, X sera resté en retrait près d'une année", commence avec légèreté l'article d'Aude Lancelin pour son heureux journal . Pour ma part, non seulement je ne m'en suis pas rendu compte, mais je regrette, après lecture, que ce temps trouve, d'ailleurs provisoirement, sa fin . De toute façon, une fois arrêté, il est clair qu'il sera aussi vite oublié que les dinosaures, qui amusent les enfants et divisent les paléontologues, en général des gens qui ont une tête à avoir un chien . Un dinosaure, une grosse bulle de viande . A ceux qui diront qu'il faut avoir pitié d'un homme qui se relève du cancer, je répond en demandant quelle pitié il a de nous, X . Aucune . La guerre idéologique n'est pas le lieu de la pitié et de l'empathie . Mais il n'y a pas non plus de mort physique . Ni de volonté de tuer . C'est dit . La question est : pourquoi lui, il parle, et que dit-il ?- Il est plein d'espoirs naïfs, mais la vraie douleur est incompatible avec l'espoir .

"Son combat continue", proclame le titre sans vergogne, rappelant que la vie de X est bien plus combative que d'un guerrier afghan, même s'il ne porte pas la barbe et les tissus grossiers . "Son énergie pugiliste est intacte", continue noblement la métaphore . "La faculté d'indignation, quasi démultipliée"...l'indignation, cette noble ébullition des belles âmes pisseuses de moraline, comme la rencontre du vinaigre avec le calcaire, un évènement qui tend la pensée de l'homme vers le haut, c'est à dire l'idéologie libérale .

Il a évité la mort, un lymphome, grâce à un assaut technologique, comme des milliers d'autres l'on trouvée pendant ce temps là grâce à la technologie moderne . Missiles guidés par GPS, bombes au phosphore, uranium appauvri...Ou comme les 1600 homicides depuis le début de l'année à Ciudad Juarez . Le progrès...mais ces Orientaux aux lourdes paupières, ces femmes des maquiladoras et ces trafiquants de drogues, que savent-ils de la morale ? Hein ? Lautréamont a dit avec raison : "Alexandre Dumas ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix dans un Lycée . Il ne connaît pas ce qu'est la morale . Elle ne transige pas ." Que savent-ils de la morale ?... Pas assez pour vivre...tant pis pour eux ! Ils n' avaient qu'à travailler à l'école !

Son nouvel essai s'appelle "un cœur intelligent" . Oui...c'est intéressant . Il a du réfléchir..."le soleil noir", c'est pris par ce fondamentaliste psychotique, Gérard de Nerval...l'eau froide déjà inventée...allons, il faut être intelligent ( parce que complètement con, c'est pas porté dans son milieu), et il faut être gentil, avoir du cœur (parce que n'être pas gentil, c'est être méchant, et être méchant, c'est être contre le libéralisme, c'est pas bien !), alors l'intelligence melliflue...le bonbon conceptuel...le pschitt citron pitoyable...le lave glace de vos yeux endormis, rose...bref...un cœur intelligent, comme un soda, ça plaît partout...bien ! Ça pose quand même plus que "la Critique de la Raison Pure" ou le "Mariage du Ciel et de l'Enfer"... le cœur intelligent, ça dispense de réfléchir froidement, et n'importe quel con moralisateur va se sentir intelligent... Bravo, l'artiste du verbe, le ciseleur raffiné d'oxymores spirituels...le cœur intelligent ! Cela respire une saine modestie !- Enfin, l'honnête satisfaction du cœur intelligent fleurit sur un fonctionnement régulier des fonctions digestives...le cœur croit illusoirement dominer le ventre...illusion du moraliste scolaire ! Le journal d'une femme allemande à Berlin note : "Cœur, douleur, passion, pulsions . Comme tous ces mots me sont devenus étrangers, comme il viennent de loin . De toute évidence, une vie d'amour raffinée, de qualité, présuppose des repas réguliers pris en quantité suffisante..."-Tout va bien dans le monde, X mange...

C'est quoi, être un cœur intelligent ? C'est être comme un foie cirrhosé, vert ? Je sais pas, mais surtout pas rouge, surtout pas rouge sang, surtout pas vivant : "L'hypothèse communiste se déploie à nouveau sans vergogne (...) cette excitation tellement aberrante, tellement française, autour de Julien Coupat . Voici quelqu'un qui dans un style ampoulé et plein de références, en appelle à une révolte cruelle, c'est à dire sanguinaire . Je pensais que nous étions immunisé . Eh bien non, tout le monde (le même "tout le monde" qu'au début, ceux qui se sont aperçu qu'il était pas là . Très fort déjà de voir qu'il est là en l'entendant, vu comme il est creux et transparent, mais le voir alors qu'il n'est pas là...) bref, tout le monde applaudit . Immunisé...carrément ! La révolte, la cruauté, l'homme moral X s'en veut immunisé . L'homme moral, une grosse bulle de viande . L'homme moral se veut immunisé contre la mort et l'oubli, une mécanique moralisatrice, une pompe à vide . Et moi, je veux du sang, de la volupté et de la mort . Je ne suis pas le seul à vouloir le mal, la pureté l'éternité ! "Lorsque (...) tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne (...) ne tourne pas en dérision ce qu'ils font . Ils ont une soif inextinguible de l'infini, comme toi, comme moi, comme les humains à la face pâle et longue..."

X lui, dans son essai, n'a pas un style ampoulé et plein de références, lui, vu qu'il "ne parle pas de Proust", dont il parle là en n'en parlant pas, dans l'article, par décence, mais pas là bas dans son livre, où il n'en parle pas du tout, par modestie . Il cite Grossman, Lampeduza, Haffner, et de tout un tas de type pour lesquels il a le plus profond respect . X proclame : "Ma sélection me surprend moi-même (il se surprend lui-même, trop fort comme prise de risque)...sans doute traduit -elle en effet (il fait des hypothèses sur ce qu'il pense, et nous on prétend le comprendre, prétentieux que nous sommes) une vraie inquiétude (le vrai penseur a des vraies inquiétudes, c'est pas comme Coupat qui a de fausses inquiétudes quant à sa liberté de circuler) quant au sort du XX siècle (il a du dire XXIème, parce que le XXème, là où il est, personne ne peut plus s'en préoccuper) . Les grandes leçons tombent dans l'oubli (Il a raison, et encore plus les toutes toutes toutes petites leçons . l'Ecclésiaste le disait déjà ) . Bref, si c'est pas ampoulé, abyssal et plein de références...oui mais lui, X, il a le droit, parce qu'il n'appelle pas à une révolte sanguinaire, il appelle à rien . Rien du tout ! Chez Coupat, j'attends de voir l'appel au crime en question...je ne crois pas l'avoir lu dans son texte dans le Monde...le Monde publie des appels sanguinaires...le Monde, entre Pol Pot et Goebbels...d'ailleurs, X ne fait pas de citation pour une accusation qui mérite la taule : c'est lui, qui a l'intelligence du cœur, pas toi connard !..

Et puis, les ceux qui s'excitent autour de Coupat...c'est tellement français ! Hein, s'exciter comme des petites femmes face à la star virile, là aucune vraie réflexion, aucune vraie inquiétude...c'est tout pour lui, le vrai, le profond, il faut la licence IV pour le vrai et le profond, pas pour la contrefaçon...ces français ! On les met en prison quelques mois sur des motifs un peu légers, un peu, pas très prouvés, et quelques écrits attribués, et ils s'offusquent...quelle légèreté toute française..."si je reviens un jour à la polémique (on attends avec terreur) ce sera avec l'objectif d'arracher à la radicalité le monopole de la pensée critique"...cette légèreté toute française a le monopole effectif de la pensée critique . Merci de nous reconnaître ça, mec...loin de la légèreté toute française...qu'est ce qu'un livre de X à côté d'homo sacer d'Agamben ? Un vibromasseur et un film porno à côté d'une histoire d'amour...une poisson pané à côté d'un requin ?

Quoi encore ? Rien de notable, mais que de vents...le téléphone sonne "dans le vaste salon tapissé de livres" de notre moudjahidine de l'intellect sérieux et profond, que le combat n'a heureusement pas laissé nu, en plus de biologiquement vivant . Il en faut du courage, pour recevoir cet appel : c'est un libraire ami qui lui annonce qu'un bouquin dont il a parlé dans une émission est en rupture de stock . "C'est bien que cette parenthèse littéraire intervienne au moment où nous allions nous échauffer sur Sarkozy..." c'est vrai que c'est un exercice bien difficile pour un homme, alors pour un ancien combattant...quel courage! Quel appétit ! Parenthèse littéraire ? Mais que X ait ce pouvoir par les médias de déterminer quel livre sera lu, n'est ce pas déjà un sous système fonctionnel de la "société postculturelle" ? Étant l'intellectuel de référence de l'ère du vide, il ne se sent pas un peu concerné par le vide ?

Enfin le bavardage dans un bocal tourne au bouffon et au pathétique sur l'humour . Dans le monde réel, le monde de Gaza, de l'Irak, de l'Afrique Noire, de Ciudad Juarez, la violence, la torture et la mort sont omniprésents . Dans le monde réel, on meurt, de faim, de violence et de désespoir . Dans la thérapie du choc, de Naomi Klein, il est question de la recherche sur les méthodes de torture menées par la CIA depuis les années 50 . Ugo Cerletti, psychiatre spécialiste des électrochocs, écrit en 1954 :

"Je me suis rendu dans un abattoir pour observer ce qu'on appelait l'abattage électrique . On plaçait sur les tempes des porcs de grosses pinces métalliques raccordées à un bloc d'alimentation de 125 volts . Dès que les pinces étaient en place, les animaux perdaient connaissance (...)pendant cette période d'inconscience (coma épileptique), le boucher tuait les animaux d'un coup de couteau sans difficulté "

Nous sommes ces porcs promis au sacrifice, à la grippe porcine...Dans de nombreuses prisons, ces délicates observations ont servi de guides à une méthodologie de l'interrogatoire poussé sur les hommes . Le porc est précurseur, sur les électrochocs, les maladies, les médicaments, les aliments, la politique, la torture...le porc est l'avenir de l'homme : voilà la leçon de la Ferme des animaux d'Orwell (cette fois-ci, je me plante pas...pardon d'être ampoulé et plein de références...) . Mais voilà, cette accablante description publique- je veux dire publiée- concerne des pays pour lesquels, aux côtés desquels, il est courageux, au sens de X, de prendre parti .

Il est courageux d'être du côté du plus fort quant sa cruauté et son injustice bonhommes révulsent l'âme . Il faut surmonter courageusement cette révulsion, ce dégoût, quant on voit des mains gantés ramasser des morceaux d'enfant dans une école bombardée . Quant on parle du plus fort, le cœur doit disparaître au profit de l'intelligence ; mais voilà, à la fin, il ne reste ni l'un ni l'autre, que du déni et du mensonge . Oui, les expropriations, l'usage de bombes au phosphore me font vomir, et je me moque d'être intelligent pour trouver ça légitime . Il fut un temps où la "capacité d'indignation quasi démultipliée" des intellectuels s'indignait de la torture, ou du déni de la personnalité juridique d'êtres humains, même ennemis . Oui, mais là non . Et on sait un peu pourquoi, mais il faut le taire .

Dans le même Nouvel Obs, il y a un article de Z, qui écrit avec un certain réalisme :

"Le concept d'une économie complètement autonome (...) l'idéal ultralibéral d'une "société automatique" débouchent aujourd'hui sur une catastrophe sociale et humaine de première grandeur . En renouant avec les pires pratiques du XIXème siècle, le trafic de main d'œuvre, l'insécurité systématique de l'emploi, le travail des enfants, le saccage de la planète, le capitalisme est devenu un Golem qui a échappé à ses maîtres, dévastant tout sur son passage..."

Mais cela aussi, c'est malheureusement inévitable démocratiquement, pour la "poésie" et "le vaste salon tapissé de livres" de X, et la médecine qui a sauvé sa vie, pour lui permettre de rester profond...de rester au fond du tonneau, devrais-je dire .

Le grand scandale du siècle, celui sur lequel s'appesantit l'intellectuel profond, c'est que dans ce monde ravagé des humoristes cyniques fassent rire, alors qu'ils décrivent un monde immoral, et que l'immoral est ce qui n'est pas bien . A croire que parler de l'immoral, décrire l'immoral, comme la thérapie du choc, est plus immoral que d'agir sans moralité en se proclamant politiquement correct, ou moral, bref en instrumentalisant la morale au service de la puissance tyrannique, comme fait Y, et comme X s'en rend complice...Phénomène que X semble vouloir oublier avec un désir sauvage d'ivresse et d'oubli . Cela lui permet de contempler la moralité blingbling du spectacle, et de se réclamer spectaculairement de l'indignation morale avec la naïve candeur des peuples premiers...concept purement vide, issu de l'imaginaire libéral progressiste...comme sa moraline .

Guillon a dit que quand des nourrissons étaient morts dans un accident d'avion, il fallait attendre au moins une semaine pour ne pas provoquer de réactions hostiles en commercialisant les images d'un crash aérien, mais trois jour pour des adultes . Guillon se moque de notre Système médiatique, plus exactement dit, avec la défense psychologique, la distanciation que permet le rire, ce que tous savent, et tous savent devoir taire . Le politiquement correct est la dissimulation consciente de vérités gênantes car idéologiquement non conformes . En parlant politiquement correct, je sais que je mens, et je parle à des gens qui savent que je mens, mais savent qu'ils doivent garder une contenance sérieuse comme si je disais des vérités . C'est une pollution irrémédiable du langage , de l'intelligence et du cœur . Guillon ne se moque pas des nourrissons morts, pas de la souffrance des parents, mais du Système qui transforme la douleur la plus intime en marchandise publique en invoquant le Bien et la charité, l'intelligence du cœur . Cet humour cynique est le dévoilement du fond du "cœur intelligent", une tartufferie raide et vertueuse au service de la puissance . Et voilà l'insupportable pour X, ce dévoilement sans vergogne de ce que les bonnes manières de la moraline imposent de cacher .

Guillon a dit qu' XX était un pot à tabac, et c'est intolérable . Coupat a été incarcéré avec des motivations discutables, et que Coupat s'en offusque est intolérable . La morale de X est à géométrie variable, il y en a qui sont plus égaux que d'autres . Agir dans le spectacle de la moralité, voilà la moralité du spectacle, la haute moralité de X : Tartuffe est devenu un modèle d'agir moral pour notre Kankant...bien, l'humanisme progresse... Mais le sommet reste à atteindre :

"On assiste aujourd'hui à un véritable réensauvagement du rire (c'est vrai que Coluche était beaucoup plus poli, merde!) . Qu'un type se permette de traiter une femme politique de pot à tabac (...)je trouve ça effroyable" . Effroyable, comme les bombes au phosphore contre les écoles ? Non, ça, c'est tristement inévitable pour instaurer la Grande Paix de Mille Ans . Effroyable à l'échelle mondiale : les comiques, "ce sont eux les puissants, désormais, ils sont devenus les rois plein de morgue de de la démocratie radicale". Comme comique, clown triste, X est assez professionnel .

Des ayatollahs, des terroristes, des radicaux ces humoristes ! Obama se croit puissant (en se cassant les dents sur les généraux et les banquiers) comme Morgan Stanley, ou Berlusconi ; mais le vrai roi, c'est Stéphane Guillon ! Pas ce premier ministre tchèque qui rigole la bite à l'air entre des putes au bord de la méditerranée...celui là qui paye ses favorites par des ministères, des mandants européens...non, ceux-là, c'est trop superficiel d'en rire, c'est méchant et effroyable de plaisanter leur physique, je veux dire leur membre ! Le Roi du Monde parle sur Inter à sept heures cinquante : heureusement que maintenant on le sait, et qu'on mesure la profondeur radicale de la pensée de celui qui l'énonce...on ne risque pas de se noyer dans une telle mare !

Et maintenant, un silence pour se jurer de n'en plus jamais parler, sauf par loisir, pour rire, et même pour rire, autant écouter notre roi . On a autre chose de mieux à faire, rien qu'a regarder les passantes, comme Baudelaire . Ou lire la thérapie du choc . Ou lire des écrivains et des penseurs qui ne méprisent pas la faim . Des êtres humains, à la nostalgie vécue des mondes, ou des diseurs de cruautés, de l'intense cruauté de notre monde .

Lettre ouverte sur l'art contemporain V. Perspectives sur le rôle de l'art dans l'insurrection qui vient . Conclusion sur le rôle des mécènes...


(Adel Abdessemed)

Tout conflit de reconnaissance nourrit donc la puissance du Système, car il reconnaît sa souveraineté, et la légitimité qu'il a à juger . Les normes peuvent être analysées, on n'en laisse pas moins dans l'obscurité le fait originel qu'elles sont posées non par la raison ou par la justice, mais par la puissance d'une volonté qui réclame pour elle la souveraineté . En tant que tel ce geste, poser des normes, implicitement ou explicitement, est un défi symbolique ; et si personne ne le relève, les normes s'appliquent et la puissance règne, tout simplement .C'est pourquoi la souveraineté ne se manifeste comme telle que par intermittence . Plus habituellement dans une société policée est sa manifestation comme jugement de goût .

Foucault a bien vu, dans surveiller et punir, que le spectacle du châtiment a longtemps été une manifestation de la souveraineté dans sa réalité nue, le monopole de la violence légitime ; et en période de guerre, c'est à dire quand la souveraineté est remise en jeu au travers de l'usage nu de la violence, le spectacle du châtiment, l'exécution publique, réapparait .

L'ambivalence de la violence, l'horreur et la fascination, s'unissent dans son essence souveraine . Celui qui use à son gré de la violence défie l'ordre régnant et se place du côté du mal ; mais en même temps, il fait preuve de souveraineté, et fascine, et les dominés en exprimant leur désir de révolte et de meurtre, et les dominants qui y veulent voir leur image inversé, sauvage, et se regorgent de leur triomphe, car le révolté violent finit mort ou emprisonné . Mort, il devient inoffensif, donc encore meilleur, un héros populaire tout comme . Quant à l'exercice de la violence légitime, ressenti comme bon, il est toujours un spectacle et une jouissance recherchés, tant comme réalité dans les nouvelles, que comme fiction, au cinéma .

En dehors de la pratique de la violence souveraine, l'art est par essence acte de poser des normes esthétiques, donc manifestation de volonté de souveraineté . L'art se rapproche de la violence, est une violence symbolique . La reconnaissance d'une œuvre d'art est reconnaissance d'une souveraineté .

La force de la souveraineté ne devient violence, répression, que si le défi est relevé : non, je avec mon corps ne reconnaîtrai pas tes normes – alors il faudra affronter à mort la puissance qui les a posées . Ainsi par exemple les normes de la jeunefillisation (valorisation publique obligatoire statistiquement du corps comme liberté) et les normes des immigrés musulmans (prise de possession du corps comme propriété protégée de son auteur, une sorte d'hadopi du corps féminin ...) . Le fait de cacher entièrement le corps des femmes est un défi à la souveraineté du Système insupportable pour les professeurs de tolérance libérale ; ce problème pour eux manifeste l'essence spectaculaire, vide, de leur tolérance .

Le jugement de goût a ceci de subtil qu'il ne se transforme pas, contesté, en répression spectaculaire . Il est une forme occulte de la souveraineté, typique dans son développement intensif de la tyrannie floue, tyrannie qui se nie et s'occulte comme tyrannie et se donne comme liberté, étant spectacle de la liberté, commencé par le slogan de la porte d'Auschwitz . Dream a Dream land, c'est l'usine, elle même archétype du camp de concentration, qui cherche à se présenter comme jardin des délices, lieu d'épanouissement de soi, d'un soi immature conforme au Système . H.G Wells en donne une image parfaite à la fin de la machine à remonter le temps .

La question d'avoir du goût, de manifester son goût dans son apparence, devient cruciale quand la société d'ordre se dissous insidieusement, et que l'apparence n'est plus ritualisée . Chacun alors imite les dominants, joue au bourgeois gentilhomme ; et le goût est ce qui permet de distinguer le vrai dominant du faux . On peut être riche et de mauvais goût, et le pauvre de bon goût est le pauvre digne, qui reconnaît sa pauvreté dans son apparence «modeste et honnête ». La recomposition permanente du bon goût, la mode, est nécessaire pour toujours réaffirmer la domination face à la propension à l'imitation des inférieurs, qui se retrouvent toujours décalés, démodés . Jeu de pouvoir, la mode n'a rien d'une démocratisation, elle est une occultation progressive des ordres, occultation qui les maintient tout en les niant sous une fausse uniformité où on se retrouve très bien .

La violence spectaculaire de la répression est l'expression de la peur du pôle du pouvoir ; menacé, il sera impitoyable et cruel comme en guerre civile . Aujourd'hui triomphant et sûr de sa force, grâce à l'énormité de la supériorité technologique de l'appareil de domination, il pourra sans cesse augmenter sa tolérance par « mansuétude », et même reprendre des arguments de son adversaire à son compte, le reconnaître, le comprendre, l'entourer de lui, l'enserrer – et si nécessaire l'étrangler . Les systèmes de répression les plus violents sont ceux qui se pensent les plus fragiles ; et c'est cette fragilité intime qui maximise la violence de la répression stalinienne, ou celle des pays les plus pauvres, à qui les puissants du monde font après la morale en se pinçant le nez, tout en étant leurs soutiens objectifs et leurs marchands d'armes . A contrario, les systèmes de répressions lacunaires et souples peuvent être le fait d'un aveuglement, d'un excès d'assurance : que l'on pense à la monarchie française d'avant 1789 . La rareté de la manifestation spectaculaire de la violence souveraine, dans les États dotés d'une supériorité technologique qui rend de fait impuissants leurs citoyens, va même conduire des professeurs de philosophie à professer l'exténuation réelle de la violence par le progrès technologique, et autres contes à dormir debout ; que le pouvoir se sente menacé, et la violence renaîtra inévitablement . Ces États usent largement de la violence hors de leur territoire, et se préparent à le faire à l'intérieur .

Reste que les conflits de normes, le combat typique du champ artistique, se situe hors de la supériorité technologique et de l'usage illimité de la répression qui s'affirme dans le monde politique . Ce conflit de normes, je l'ai dit, est essentiellement un conflit de reconnaissance, et confirme donc la souveraineté comme la concurrence confirme le marché .

Mais le conflit peut atteindre un niveau d'intensité suffisant pour que le pôle du pouvoir soit mis à mal, et son pouvoir remis réellement en cause . Un conflit de reconnaissance, commencé pour la reconnaissance du père de la horde peut s'achever en destruction pure et simple de celui-ci . C'est même la fin prévisible de tout conflit de ce type, celle que montre Macbeth, même si le triomphe du bien dans le spectacle exige la défaite et la mort des fils félons . Les fils du roi s'entretuent et cherchent à éliminer le vieux roi, pour au fond devenir comme lui, seul souverain . C'est une admiration meurtrière que l'envie . Tout homme qui règne est, par son exemple même, une incitation intime au meurtre, comme tout homme qui règne a eu le désir de tuer, et a tué ses rivaux, que cette mise à mort soit réelle, ou aujourd'hui symbolique . Dans le champ artistique le conflit de reconnaissance aboutit à un désir occulte de tuer les rivaux, mais aussi le mécène . Qu'un artiste utilise le crâne de son mécène comme œuvre d'art n'est pas un hasard .

Le mécène est d'autant plus noble qu'il est plus proche du requin et admet cet ambivalence .

C'est là, dans ce saut qualitatif, que réside le potentiel révolutionnaire des mouvements artistiques modernes .

Les mouvements artistiques d'Avant-garde sont toujours liés aux mouvements révolutionnaires puisqu'ils refusent la soumission aux normes dominantes, qui n'est que le voile de la soumission aux dominants tout court . Il existe, dans le Système, une alliance naturelle entre l'Avant garde et la révolution . Faire peur, est être révolutionnaire, donc d'Avant garde . Ainsi la collection Pinault revendique-t-elle implicitement un caractère révolutionnaire .

La destruction du corps du dominant n'est pas la révolution, voyez 1793 . Le conflit de reconnaissance par le chef peut aboutir à sa destruction par un individu ou un groupe plus puissant ; mais c'est alors la reconnaissance de la horde qui est gagnée . Et la horde elle même qui se perpétue, selon la formule du « Guépard », tout change pour que tout reste pareil . Cette situation ne peut être évitée que par un profond travail idéologique . La question que je veux poser est celle ci : la revendication révolutionnaire de la collection Pinault peut-elle être légitime? Celui qui a écrit l'article « des classes dominantes comme classes révolutionnaires » ne peut être accusé de vouloir répondre à priori non à cette question .

Les dominants modernes, à plusieurs reprises, ont amené leurs peuples aux désastres, dans la grande boucherie de 14-18, dans la crise économique, le chômage et la misère après la promesse de lendemains qui chantent, dans la deuxième guerre mondiale, dans les vaines guerres de décolonisation, et maintenant . Car maintenant, lecteur, nous courons à la catastrophe . Notre siècle est le siècle des menaces, s'annonce comme un siècle de désastres . La question qui nous reste est l'organisation de la sortie du Système . Soit cette sortie est pensée, organisée par un puissant mouvement révolutionnaire, soit notre sort sera celui du Titanic .

Déjà nous filons vers l'iceberg, et il n'est pas sûr que nous puissions l'éviter . Le pire n'est pas la catastrophe matérielle, mais la déshumanisation totale de la civilisation qui s'annonce, qui renvoie le III Reich et le communisme soviétique à l'amateurisme . Pour penser, nous n'avons comme appui que l'expérience du passé et l'imaginaire, la puissance de l'imaginaire . L'art est la plus évidente et puissante expression de la puissance de l'imaginaire . Pour agir, nous n'avons pas la pression du besoin matériel ni l'évidence de l'esclavage, qui est soigneusement effacé . Là encore, nous n'avons essentiellement ce que Sorel appelait le mythe politique, la puissance de l'utopie, de l'eschaton . Nos précédents sont la christianisation de l'Empire Romain et la réussite incontestable des Lumières, à changer les formes de pensée bien plus profondément que la forme de la société, jusqu'à son effondrement, réussite balayée par la révolution industrielle . Or les Lumières comme la christianisation se sont avant tout appuyées sur le travail idéologique, travail qui entre en résonance avec l'expression artistique .

L'art contemporain est donc une expression, un signe, de l'évolution des normes, donc de l'évolution des modes de domination dans le Système . Son étude, que nous apprend-t-elle ? Une progression de la compréhension ne peut se faire que par comparaison de la place de l'art dans des Systèmes différents du nôtre . Le travail de la fondation Pinault est un mécénat . Les mécénats précédents, tous, autant que je le sache, dans toutes les civilisations antérieures, avaient pour finalité d'exalter les appréciations vitales et les traditions du mécène, ou du groupe social mécène .

Cela n'allait pas sans une certaine difficulté souterraine . Par essence, l'imaginaire est la négation du réel présent, est une puissance de transformation . Sinon, on ne parlerait pas d'imagination, mais de perception . L'art est puissance de transformation, beaucoup plus large que ce qu'aujourd'hui on appelle l'art, plutôt analogue à la notion de travail chez Marx, remis sur ses pieds . De même que la régulation de la puissance chaotique de la sexualité passe dans la société moderne par le couple monogame, de même la régulation de la puissance chaotique de l'art passait par la définition de règles strictes d'exécution et par la commande préalable d'une société, cité, prince, guilde, prêtres . Notons que le rejet conceptuel de la notion d'auteur, et plus encore de génie créateur, n'est pas liée à la régulation de la puissance chaotique de l'art, mais à la connaissance que la puissance de l'imaginaire n'est pas l'enfermement dans un monde purement individuel, mais l'accès à des dimensions supra personnelles de l'être, comme les êtres mathématiques le sont ; et que l'expression artistique de ces mondes n'est pas la seule gloire, et encore moins la propriété de l'artiste, puisque ce propre prétendu est commun à tous les hommes de rang, ce qui est le seul fondement de la communauté de l'expression, comme de la jouissance artistique .

La gloire du Dieu de Moïse, la gloire d'Athènes, la gloire des dieu de la cité, de l'Empereur, de Dieu et de l'Église, la gloire du donateur, la gloire et la grandeur du Prince ou du Roi : telle était la de tout effort artistique de grande ampleur, et du mécénat depuis Mécène . Il y avait symbiose entre la métaphysique du mécène et celle, constituante, de l'œuvre d'art . Cela est encore vrai des tableaux de David comme de l'art des régimes totalitaires .

Or toutes les expositions de la fondation Pinault se réclament d'une vision critique du monde que porte toute fortune marchande, de Pinault-Printemps-Redoute, Fnac, etc . Plus même, le monde de la fortune de Pinault est un cercle de l'enfer... A Dinard, le maire préside l'exposition, la femme du maire en est responsable, et l'exposition présente des tableaux « conscients », du style no logo, « je consomme donc je suis », des proclamations sur la vanité du monde « vous mourrez tous ! », des visions concentrationnaires du monde fondé par des hommes comme Pinault, un monde qui s'effondre, implose, un monde de serpents, de tarentules, de crapauds, de pitt-bulls et de coqs qui se déchirent sur des dalles de béton nues, dans une vidéo infernale et cruelle d'Adel Abdessemed, et peinture réelle filmée, circulaire, de notre monde . A vrai dire, cette situation inhabituelle a quelque chose de vertigineux .

Deux hypothèses sont possibles : soit nous assistons alors à la capacité indéfinie d'absorption du Système, qui transforme le rejet de la marchandise en marchandise, le rejet du monde libéral individualiste en thématique de distinction individuelle conforme à l'économie de la distinction individuelle dans le Système, etc . Soit les esthètes salariés de la fondation Pinault jouent avec ce jeu abyssal, mais risquent de s'y laisser prendre, car l'idéologie qu'ils diffusent condamne à terme les principes de leur survie, à la manière des aristocrates des Lumières qui diffusèrent Voltaire et Rousseau contre la monarchie jusqu'à la Révolution . La fondation Pinault a aussi financé musée haut, musée bas, film qui ridiculise les discours critiques, les directeurs de musées, les visiteurs de musés, et même annonce sous le voile comique le Déluge destructeur de l'art contemporain et de ses temples . Une hypothèse complémentaire est que les mécanismes de la marchandise, de la distinction individuelle, et de l'Avant garde en viennent à dévorer le Système lui même : c'est l'hypothèse que je privilégie à ce jour, contre mes amis proches . Mais quel peut être alors le rôle du mécène ?

Je l'ai déjà dit : tout système social est une totalité, en ce sens relatif que tout élément de ce système porte l'empreinte de ce système tout entier, y compris les sorties, crimes, marginalité, etc . D'une certaine manière, une partie fonctionnelle d'une totalité se révèle porteuse en puissance d'une information permettant de restituer la totalité de la totalité déterminée où elle s'insère . Notre Système intègre explicitement la déviance à sa puissance, en valorisant le « rebelle », ce qui fait de tout arriviste un « rebelle », rendant la percée infiniment plus complexe, discutable, comme une cascade de miroirs, que dans une dictature univoque . Tyrannie floue, n'offrant que du vide, ou des récompenses aux prises de ses adversaires, le Système est une forme d'aboutissement des techniques de dominations développée dans des siècles d'histoire et de pensée occidentale . Comme le réseau internet, il n'a pas de centre, et se veut à l'abri des catastrophes . Il a été verrouillé . Mais de ce fait sa transformation devient quasiment impossible .

La perfection politique du Système devient ainsi son écueil le plus dangereux . Car le Système est bel et bien engagé sur une voie de grand danger, ce que montre encore la fondation Pinault avec Home . Je n'ai pas vu ce film et je m'en garderais bien pour pouvoir le condamner librement, c'est à dire de mon pouvoir individuel absolu, absurde ; je recommande bien plutôt l'île aux fleurs, court métrage dont le lien se trouve sur votre droite, le meilleur du web . Mais ce qui est certain, c'est que l'homme a perdu toute capacité de gouvernance globale du Système, que personne ne peut dominer l'histoire et légiférer le monde, comme firent en leur temps Auguste et Napoléon . Le monde est construit par l'humain plus qu'il ne l'a jamais été, et lui échappe plus que jamais .

Nul ne peut remédier aux innombrables absurdités du Système ; même pas les États Unis . Pendant des décennies, les puissances occidentales ont regardé grossir la Chine, y ont délocalisé la quasi totalité de produits indispensables, sans vouloir voir cette évidence qu'ils nourrissaient un futur grand carnassier, ce qui est absurde d'après ce pauvre La Fontaine lui même . Un Blamont peut écrire l'excellente introduction aux siècles des menaces, nul ne peut modérer les risques qu'il calcule avec des chances raisonnables de réussite . En cas d'épidémie de grippe létale à plusieurs dizaines de pour-cent, qui partirait de Chine, personne ne serait en mesure de décider d'arrêter les liaisons avec ce pays, quand la monarchie française de 1720 a su arrêter autour de Marseille la dernière Peste . Ce n'est d'ailleurs pas prévu . Ce qui est prévu, c'est le maintien de l'ordre par la force . Le cas du dernier virus est très net : l'Union européenne, personne, n'a pu prendre la décision simple et sûre de l'arrêt des vols et de la quarantaine, alors que la létalité n'était pas évaluée, parce que ce n'est pas possible dans le Système .

De même l'accident de Tchernobyl n'a pas empêché la poursuite de l'exploitation d'une centrale dont on ne pouvait se passer . Quand viendra le temps des grandes catastrophes, la radicale impuissance des soit-disant décideurs, visible lors des krachs récents, qui ne sont plus que des profiteurs, deviendra je crois injustifiable . Cette impuissance est voilée par le spectacle de l'action que crée les médias, agitation vide qui donne l'impression d'agir, qui est ce qui reste 'action possible . Dans un riche pays de l'UE, un tremblement de terre laisse une plaie béante dont tous se moquent, et on vient y faire le G8 pour montrer à quel point on maîtrise, pour donner le spectacle oligarchique de la maîtrise . La surprise de l'intervention d'une dame pour donner en spectacle le vide effectif du spectacle de la maîtrise l'a fait agonir d'insultes-excellent moyen de détourner l'attention du spectacle, qui ne regarde que le dernier qui a parlé parmi ses maîtres .

Rendre à nouveau l'action possible est pensée sa possibilité . Pensée politique, pensée du bonheur, pensée du monde, s'il est encore temps . Cette nouvelle révolution copernicienne, ce saut dans l'inconnu est une nécessité vitale qui exige l'énergie des marges, mais aussi les moyens que seul possède le mécène . Marx lui même a eu Engels .







Sortir du politiquement correct n'est pas revenir à la chasse aux étrangers, aux femmes et aux homosexuels, mais formuler les règles de respect des êtres humains classés par le Système sous les catégories « étrangers », « femmes », « homosexuels » qui ne soient pas des parties fonctionnelles du Système . Tout penseur queer conscient devrait pouvoir le comprendre . La répudiation du féminisme libéral n'est pas l'assomption du machisme tel que défini par ce même féminisme . Tous les authentiques penseurs et artistes radicaux doivent pouvoir y œuvrer . Le mécène prétend se valoriser par l'art radical, mais peut-il se valoriser par le financement de la pensée radicale, peut-il s'inscrire dans l'histoire en rendant humain le futur ? Qui a peur des artistes, sinon le mécène que les artistes voudraient sacrifier ?

Voilà quel est le véritable défi du mécénat en ce début du siècle des menaces, dans des peuples vieillissants, sans avenir et disloqués que sont les européens . Plus le mécène aura eu dans sa vie de haine et de revanche, plus il aura été un homme mauvais, plus il sera une figure de l'Empereur .
Issue des marges, et pourtant d'avant-garde, les pensées radicales sont encore, comme au temps de Nietzsche, de Montparnasse, les laboratoires de l'avenir . Et l'avenir n'appartient pas aux biens pensants, il ne leur a jamais appartenu . Était-il pertinent d'arrêter et d'emprisonner Julien Coupat ?
A « Qui a peur des artistes », je réponds : Qui a peur du travail de la pensée radicale ? Poser une pareille question alors qu'il devient à la mode de reparler de Marx m'oblige à reparler de Marx comme frère, comme mon Abel, que je vais sacrifier...

Lettre ouverte à François Pinault sur l'art contemporain IV : le scandale du scandale de l'art .


(Mishima Yukio)

Récapitulons la situation .
L'artiste est celui qui est faible par les armes, comme une femme, et est donc dominé dans le champ global de la guerre, et qui est dévoré par un besoin de reconnaissance, et de jouissance des mondes, semblable en cela à l'intellectuel . La faiblesse des armes ne caractérise pas seulement l'être physiquement faible, mais avant tout la position périphérique, marginale, dans le Système .

L'artiste porte en lui des mondes, il est une énorme puissance, une balle perdue, mais une puissance condamnée au silence, puisqu'elle doit se faire entendre, demander et obtenir une écoute, sans pouvoir produire une explosion ou un coup de fusil, sinon par la puissance de sa rage et de sa colère qui passe dans le texte, la musique et les mouvements du corps . Certains par isolement, médiocrité ou désespoir passent à l'action violente, sans doute avec une proximité réelle avec les artistes ; mais cette voie ne sera pas examinée, et est condamnée d'avance à l'échec, sauf pour celui qui désire l'échec et une mort honorable, comme Mishima .

Que Mishima ait été un artiste homosexuel fasciné par la violence illustre la dialectique du féminin et du masculin dans l'affirmation moderne de l'artiste .

Dans le conflit de reconnaissance dans le domaine artistique, l'enjeu symbolique ne passe donc pas par l'usage de la force, du moins pas nécessairement ; il passe aussi et avant tout par la séduction du maître par son art, que ce soit dans la Rome d'Auguste et de Mécène, la Florence des Médicis ou à la cour du Roi Soleil . Cela est encore vrai quand « le grand public » est le maître à séduire . Le conflit artistique ne peut se passer d'un cadre politique, sans devenir combat pur et simple . Les surréalistes, comme les romantiques, ne rechignèrent pas à la violence, mais elle ne peut devenir la règle sans sortir du cadre .

L'art construit la jouissance de la vie humaine, son ouverture vers les mondes, et dans sa quête de souffle et de plaisir, tout puissant un peu raffiné se tourne vers les artistes, lesquels ont besoin de pain et de toit, mais aussi de reconnaissance symbolique . Rare sont ceux qui peuvent croire en eux alors que personne ne croit en eux ; et de toute façon cela est pour eux une souffrance dont ils tâchent de sortir . Aussi l'artiste, dans un système social qui ne lui reconnaît plus d'ordre à priori mais exige qu'il gagne sa place, est-il d'emblée placé en inférieur, en quémandeur, quémandeur du peuple pour l'art naïf, dont il fait les portraits par les rues, où qu'il amuse par des jongleries et des airs ; quémandeur des puissants, riches ou institutions pour les autres, qui le paient à mesure qu'il les glorifie . Il existe une différence structurelle entre le spectacle pour le peuple et la glorification de l'oligarchie .

L'art de l'âge moderne est ainsi placé en position essentiellement féminine, de séduction et de charme tant sur le trottoir, qu'auprès des puissants ; on ne lui en voudra pas, comme une femme, de maquiller, de tromper, de développer sa ruse, ce que l'on nomme doctement marketing . Ce trait est la signature la plus caractéristique de l'art contemporain .

Koons est avant tout un homme de marketing, plus proche d'un publiciste que de Léonard de Vinci . Les artistes contemporains aiment les riches, les entreprises, les traders, et développent très officiellement de grandes doctrines d'amour des sources de financement, comme la jeune fille ses organes idéologiques . Ils utilisent des radios osseuses, des crânes de puissants pour assurer leur reconnaissance, comme autrefois il en faisaient le portrait . Horreur à gauche : cacheraient-ils la réalité des rapports de domination ? Ou pire, en permettraient-ils une expression symbolique hautement euphémisée, plus tolérable, plus puissante dans le Système culturel ? Oui, bien sûr, et alors ? Et surtout, et après?

Bien de gens de gauche pensent l'art dans le cadre de l'idéologie racine, comme un facteur de progrès et de lumière, d'affranchissement et de libération des hommes ; mais cette vison mythique ne repose sur rien d'autre que l'idéologie même du Système, Système qui dans les faits produit Koons ou le crâne moqueur constellé de diamants de Damien Hirst, et pas l'art moral attendu, attendu comme d'autres ont attendu Godot : en vain...



Nombre d'hommes de ce temps sont indignés par l'art contemporain, indignés par la valeur atteinte sur le marché par des œuvres qu'ils jugent insignifiantes ; mais cette indignation a pour ressort secret le ressentiment : ce n'est pas eux qui jugent car ce n'est pas eux qui paient, et donc ce n'est pas eux que l'artiste cherche à séduire . La souveraineté de notre âge, dans l'art comme partout, est l'argent . Ceux qui regardent le spectacle de la séduction, exclus, spectateurs châtrés, développent haine, ressentiment, et donc morale, qui n'est rien d'autre que la production impuissante et venimeuse de normes puritaines par nécessité, une chasteté du Diable : « chez ces messieurs la morale devient rigide quand le reste ne l'est plus » .

La morale est la pire sottise moderne, mais a une fonction idéologique cruciale : les pauvres y croient pour vivre, les riches la révèrent publiquement avec des airs de tartuffes, font des discours qu'ils n'écrivent pas pour glorifier les enfants fusillés, et jouissent . Il ne faut jamais oublier que les dominés ont autant besoin, et plus, que les dominants, de discours mensongers fournis par l'idéologie; car leur réalité est bien plus difficile à regarder lucidement . Aussi les dominés consomment très volontiers, et produisent des discours qui justifient la domination, autant et plus que les dominants .

Car la lucidité emporte soit l'humiliation totale reconnue, soit la nécessité vitale de la guerre ; et dans un régime où les dominés ont accès à une vie matérielle acceptable pour leur corps, ils préfèrent le plus souvent se la raconter champion du monde, ou fan du Che, ou toute autre connerie de rôle du spectacle comme figure d'identification, et voter à droite, ou à gauche, ou pas du tout, dans un monde de pure fiction, éventuellement soutenu par une addiction alcoolique bien virile , que s'engager dans une guerre qui les dépasse . La morale, le sport, la télé sont l'opium du peuple bien plus que la religion . Et le peuple aime, et le peuple veut cet opium .

On s'indigne contre l'art contemporain comme on s'indigne contre les orgies des riches, en les enviant, en les reluquant . Quand le gagnant du loto ou un sportif ignare est plus payé qu'un chercheur d'exception, qu'un artiste ou un penseur de grande envergure, quant un doctrinaire scientologue est qualifié d'artiste, de star et accueilli par les autorités d'états puissants avec plus d'égard que l'homme nu clandestin, exilé . Quand ces simples sont payés au point de faire créer, de poser dans la réalité d'un monde qui connaît plus que jamais la faim, la douleur et la mort un Yacht rose et or digne de l'imaginaire de Barbie, yacht dont les hélices tournent dans la merde et le sang . Quand les mêmes personnes peuvent posséder des avions privés et être consultants médiatiques sur l'écologie, tonner contre l'art contemporain, je le dis froidement, est un péché pire que le mensonge . Comment l'artiste ne rechercherait-il pas le scandale, quand il lui faut vivre et que la société constitue un crime?

L'art contemporain n'est qu'un aspect fonctionnel du Système général, et souvent tonnent contre lui ceux qui ne se regardent pas en face, lucidement . La lucidité est une belle, tranchante et glaciale arme révolutionnaire . Au travail donc ! Que ça saigne ! « Qui a peur des artistes ?», demande l'exposition de la collection Pinault à Dinard .

Pourquoi l'art contemporain suppose-t-il faire peur, pourquoi a-t-il besoin de se raconter cela ?

Lettre ouverte à François Pinault III : Art, cruauté et terreur dans l'Âge de fer.

(Nobuyochi Araki : bondages . Galerie Daniel Templon, Beaubourg , lien : http://www.danieltemplon.com/ )


La domination étant impersonnelle, et même largement occultée – voir le titre « de quoi Sarkozy est-il le nom » de Badiou - elle doit être dévoilée . Le biais de la lutte idéologique et de l'analytique de la domination ne peuvent être évités dans une perspective de bouleversement du Système . Mais cela écarte déjà une part essentielle des risques d'union des personnes qui rejettent de fait le Système : la masse des citoyens n'a aucun moyen d'accéder à l'analyse réelle de la domination, le Système ne lui en proposant aucun, et le sous système du Spectacle fonctionnant assez efficacement dans la finalité de la domination . L'art pourrait être le lieu de la percée .

L'ordre juridique global produit par le Système ne joue pas d'autre rôle que celui du chef de horde dans l'interdiction violente de l'accès à la jouissance, jeunefille ou drogue, comme le mécène dans l'accès de l'artiste à la reconnaissance . La dispensation de la jouissance est un moyen de domination symbolique . L'accès à la jouissance légitime est réservé à ceux qui sont conformes aux attentes du Système, ce qui produit le double jeu du Système, sa double contrainte morale : les dominants prescripteurs se droguent ouvertement, les dominants financiers sont imprégnés de cocaïne, mais le discours à l'égard des masses est de plus en culpabilisateur et moralisateur . La culpabilité, et la dépression qu'elle produit, sont des signatures du Système . De même, une répression de l'accès aux jeunes nubiles n'empêche pas des chefs d'État de jouïr de mineurs . Ce qui compte, c'est que le spectacle de la jouissance du chef, et le désir d'imitation de celui-ci qu'il provoque, est un levier essentiel de la domination . Des éléments dominants ont un travail social pertinent en incarnant cette utilité, comme Paris Hilton .

Ce fait explique la fascination moderne pour le crime et les criminels, les prescripteurs étant montrés comme sans limites à leur jouissance, comme les criminels ; et l'acte criminel devient à la fois l'expression publique d'un désir des masses, prendre l'argent et les femmes, humilier les puissants, et un acte de subversion de la domination . Dans le même temps, la coercition sociale maximale est passée des jeunes filles vers les jeunes hommes, rationnés au plus prêt dans l'accès à la jouissance, et même vers les hommes dominés en général, fut-ce-t-ils prix Nobel de littérature, comme le Coetzee du journal d'une année noire, mais surtout petits, bêtes, faibles, moches et/ou pauvres, comme Coluche l'a bien exprimé, globalement très majoritaires . A ceux là on laisse les femmes, trop grosses ou trop maigres, moches, les femmes ratées, vieillies .

Les hommes qui sortent de ce cadre par force sont durement châtiés, les prisons sont pleine d'une majorité de délinquants sexuels, fait et concept sans précédents historiques, ce qui révèle à quel point les rapports entre les sexes sont infiltrés par les rapports de coercition . Le reste des prisonniers est composé de trafiquants de drogue et de voleurs : la boucle est bouclée . Regardez dans la rue, pour voir .

La prise de possession de la jouissance par le Système a souvent été présentée non comme une prise de possession, mais comme une libération, une libéralisation des objets de jouissance concernés : par exemple la libéralisation du marché de la jeune fille est la perte de contrôle du stock de femmes nubiles par les réseaux familiaux, l'abaissement du pouvoir des clans et des familles, le renforcement de la technocratie . Il est exact que les liens de la technocratie sont plus lâches que ceux de quantités de familles, mais la situation générale est difficile à évaluer ; et la laxité, l'égalité et l'impersonnalité de ces liens qui les rendent moins visibles, faute de différence significative, n'est dû qu'a l'indolence de la bureaucratie, et à rien d'autre : la porte est ouverte à une aggravation indéfinie du contrôle social . Et celui ci ne peut que s'approfondir.

L'exutoire des jeunes hommes ne peut plus être la prostitution, interdite ; il est la pornographie, qui très justement, pour répondre à la frustration et à la haine de son public met en scène la domination et l'humiliation des femmes, en image inversée de la vie réelle . Le pauvre affirmé physiquement dans son milieu occupe cependant une place dominante suffisante pour séduire, et c'est pourquoi les hommes du peuple affirment la valeur de la virilité et de la baston, et sont friands de spectacles de l'affirmation violente, comme les films d'action, la boxe ou le catch . Parce que c'est le dernier moyen de reconnaissance de l'homme privé de tout, la violence structurante des rapports humains dans les quartiers montre une soif de dignité et une extrême aliénation, une privation de toutes les autres formes de valorisation, un enfermement tendanciel .

Car ce qui fait l'homme et la civilisation, ce n'est pas le combat physique seul, c'est sa transformation en exercice de la puissance symbolique, le passage du guerrier au législateur, parfaitement net chez des hommes comme Gengis Khan, Alexandre ou César . Le guerrier vainqueur doit informer un monde, établir un horizon neuf des hommes . Sinon, il n'est qu'une bestialité destructrice . Le guerrier, pour atteindre son essence la plus haute dans le monde, a besoin du sage, du poète et de l'artiste . Dans l'histoire leurs noms sont liés . Citons Virgile et Auguste, De Gaulle et Malraux . La lutte, ou œuvre, que mènent les hommes pour que l'imaginaire rende réelle la réalité . Pourquoi cette aliénation de la création, cette incapacité à légiférer en son monde propre, parler, peindre, chanter son monde qui frappe tant de dominés, sinon parce que analogiquement au contrôle par la fonction impersonnelle du chef de la horde de l'accès, et de la règle du jeu de cet accès, au stock de femmes nubiles, le Système prétend, par la possession des normes et des codes de l'expression esthétique légitime, réserver la création aux classes dominantes ?

Analogiquement à la libéralisation de la femme qui est prise de possession par la technocratie, la puissance du mécène inepte est affaiblissement de la communauté des artistes dans leur quête de la beauté, au profit du marketing, ou de la puissance politique dans le Système, qui passe par la moralisation . Cela, si le mécène est étranger à l'art, c'est à dire à l'âpre saveur de la vie, et orienté dans la logique du Système . Mais l'art a toujours été au service de communautés humaines, et donc a toujours reçu un soutien matériel . L'analytique de l'art dans les jeux de domination du Système passe par des comparaisons historiques avec des printemps de l'homme .

La confiscation de l'art se réalise d'abord en humiliant l'art naïf, l'art primitif, comme les nazis humilièrent l'art dégénéré . Aussi l'art « naïf » disparait-il pratiquement comme style régional autonome, même s'il conserve une valeur chez les antiquaires . Dans le Système l'art naïf comme art populaire, art non dominé des dominés, visible dans le mobilier ou le costume traditionnel, est remplacé par la copie industrielle de faible valeur de modèles dominants : le prêt à porter et sa cascade d'imitations décroissantes à partir des sommets de la haute couture, le design, et aussi l'objet d'art avec la copie encadrée dans le salon, signe ineffable de soumission à l'ordre social . A tel point que les communautés humaines capables de produire ces oeuvres étant éteintes et idéalisées par leur exotisme, il devient très supérieur de promouvoir les arts « premiers », quand l'enseignement du mépris diffusé par le Système s'est tellement répandu dans le peuple qu'il commence à « faire peuple » de le professer...

Pour faire image, le karaoké est l'image la plus analogue de l'art « populaire » moderne : cet art singe les modèles dominants, comme la reprise singe la « star ». Mais comme Lasch l'a bien souligné, cet "art populaire" n'illustre que la dépossession du peuple par le Système, dans sa production industrielle de biens "culturels", symboliques .

Dans le Système, un art excessivement reconnu, en symbiose avec lui, ne peut être de grande valeur esthétique, puisque le Système ne comprend l'esthétique que comme annexe de la morale . Les valeurs du Système sont étrangères à l'expression artistique, car le modèle libéral -voyez Michéa- rejette tout destin collectif, toute œuvre collective pour rejeter l'œuvre du conquérant, et donc l'œuvre de la violence : l'Empire . Le Système est fondamentalement informé par le puritanisme, la condamnation par principe du pulsionnel et de l'aventureux au profit de la sécurité et du calculable . Le caractère dionysiaque de l'art ne peut y éclore qu'en s'y opposant .

De l'art pompier au réalisme socialiste, l'art du Système n'apparait pas comme art, mais bien comme ce qu'il est, divertissement de sous-préfecture à base de nudités antiques ou orientales, travestissement du pulsionnel toujours déjà présent pour le rendre socialement acceptable dans des scènes de genre, ou propagande pure et simple . L'art ne peut que se distancier du Système, même pour y être reconnu : c'est une de ces règles de ces temps étranges et difficiles, dominés par la contradiction et l'inversion . Alors que l'art des époques antérieures exaltait les décisions les plus intimes de toute la civilisation des hommes qui le produisait, notre art ne peut éviter d'être subversif pour être art . C'est pourquoi être issu des dominés et vouloir être poète est en soi une révolte, mais pourtant peut permettre le succès .

L'expression artistique contemporaine dans ses formes essentielles, vitales, est la reconquête du droit symbolique, de la souveraineté, confisqués par l'ordre ploutocratique . C'est pourquoi d'ailleurs tant de textes et d'œuvres sont si violents, si crus, si violemment sexistes et en général contraires à la bienséance du politiquement correct, pour renier, briser cet ordre d'étouffement . Toute la valeur brute du rap, du slam et du tag, comme des performances contemporaines violentes, saignantes et excrémentielles, celle autrefois du jazz, sont dans l'expression poignante de ce besoin, qui brise l'enfermement du Système, tout en le répliquant trop souvent . Dans le contexte de la guerre civile mondiale, l'art est une appropriation symbolique de la violence, et une appropriation violente du pouvoir symbolique, aussi se manifeste -t-il de manière iconoclaste et provocatrice jusqu'à la rupture .

Appropriation symbolique recyclée en énergie positive pour le Système certainement, mais dans quelle mesure ce recyclage est-il tenable pour le Système ? L'art est, dans notre cycle, subversif, ou n'est pas . Cette nécessité est reconnue tant par les artistes, dont tant de médiocres miment la pose du rebelle, que par les mécènes, comme François Pinault qui posent la question : « qui a peur des artistes ?». Qu'est ce qui fait peur, si ce n'est la violence ? Mais je le répète, cette violence, ce n'est pas la seule violence physique, c'est la violence fondatrice, la revendication de la reconnaissance passée en aspiration à la souveraineté, en participation à celle-ci plus exactement . La question est parfaitement juste, mais François Pinault peut-il être celui qui la pose ? . Cela ne dépend-t-il que de lui, en tant que mécène ?

Le Système peut, et aspire à recycler cette violence et cette réappropriation de la puissance symbolique, comme il aspire à recycler ses excréments . Statistiquement, à la fin, la jeune fille, comme les artistes, comme certains rappeurs emblématiques de manière caricaturale, bling bling, choisissent les hommes riches et puissants, sont favorables à l'oligarchie, au Système . Le petit gros à lunettes devenus chirurgien l'emporte sur le gros bras devenu ouvrier pour cinquante ans, promis à l'humiliation et à l'usure des jours . L'artiste enflammé s'installe dans une opulence qui finit par le rendre politiquement correct, et même moralisateur . Le membre de l'Organisation Communiste Internationaliste finit en costume anthracite . Je ne donne pas de tels faits par provocation, mais parce que toute étude de l'art doit passer par la vérité . Le problème véritable d'une perspective révolutionnaire de l'art est de savoir si le recyclage excrémentiel peut finir par dépasser les capacités du Système, et par l'empoisonner suffisamment . Comme Sade aux citoyens français, le questionnement devient celui d'une phénoménologie de l'art subversif, ou l'alchimie du venin symbolique, le poison rare et nocturne qui parviendra au cœur idéologique du Léviathan, pour en briser le rythme en spasmes énormes, puis enfin cet événement séculaire : sa mort, enfin !

L'artiste contemporain est condamné à cette malédiction : être un alchimiste malveillant, ou n'être rien, une bulle...Quel est le rôle du mécène dans un tel moment historique ?

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova