Stratégies


Autrefois dans l'hiver nous louions une maison perdue dans la brume ; nous nous mettions au coin du feu alors que la nuit tombait ; et bientôt nous voyions des lueurs aux doigts de rose, la lumière des bougies rêveuses se découper sur les murs, la rotation de la Sphère céleste, la montée du ciel, des combats et des musiques. Une fois parti seul dans la nuit j'ai vu un grand pentacle à la lumière de la lune. Alors des regards et des danses, et parfois des entrelacs.
J'ai vu aussi des soleils se lever sur des roches pleines d'énergie sacrée, le Ki, là où tous étaient au travail et enfermés dans un monde vide ; j'ai parcouru des sources, des cheveux de corbeaux sur la neige. Il est d'après Pascal deux grandes passions, l'amour et l'ambition. Il est des vies intenses et des vies vides. La vie intense ne peut se passer du jeu authentique, risqué, de la douleur et de la mort. Le temps n'est rien pour la vie. Le Samsara, le cercle des morts et des renaissances, n'est pas un cycle éternel, il est la Vie même du Vivant ; tous les jours il faut mourir ; car s'il faut être né deux fois c'est qu'il faut être mort, et s'il y a résurrection c'est qu'il y a vraie mort et amertume et douleur. La Crucifixion n'est pas un moment, elle est pour l'éternité.

Je désire la Voie et cela, simple, est extrême. Le désir doit être grand pour affronter l'Abîme. La condamnation du vide moderne doit être totale, implacable. Il faut aller trop loin pour être dans la Voie.
Et pourtant la Voie de la main gauche n'est pas seulement pour la personne, qui n'est en un sens que reflet de reflet. La Voie de la main gauche est pour le combat tout entier qui s'engage. Comme Ulysse, je dois dire que je suis Personne comme personne, et comme lui face à Polyphème, le Cyclope aveuglé qui figure parfaitement le monde moderne, je dois chevaucher un bouc à l'envers pour paraître son ami et lui échapper. C'est à dire que toute la stratégie du Souterrain est la Mine secrète qui fera tomber l'arrogante forteresse. "Elle est tombée, Babylone, la grande Ville!" J'exalte le désir et j' avance ici comme un ambitieux, mondain et séducteur. Comme Kierkegaard, je prétends tenir le journal du séducteur. Plus, je le tiens.
Cet engagement dans la spirale de l'apparence et du désir, au contraire visible de l'ascèse, cette arrogance voyante, ce mépris discret ou non des autres, cette revendication de l'absence de pitié, (qui n'est pas l'absence de pitié mais l'absence de parole mensongère au nom des faibles, plus précisément ce vice moderne caractéristique : la domination des forts au nom illusoire des souffrances humaines que ces forts provoquent : le triomphe de la pitié politique) sont nécessaires. Tout cela est pour moi autant que la Voie une nécessité de la stratégie. Car le temps qui s'avance désire aveuglément le mal, la superficialité, le luxe, la domination brutale, le sexe pour le sexe. Le temps qui s'avance désirera le cheval de Troie issu des souterrains. Et c'est sous cette apparence que le combattant de la Bête peut aller plus loin et provoquer la foudre.
Il ne reste qu'une seule question authentique : puis-je alors avoir l'héroïsme de Hans et Sophie Scholl, de la Rose Blanche ? Puis-je simplement dire la Vérité au risque de mourir, après m'être tellement rapproché de l'ennemi? Puis je crier à la folie des hommes qui acceptent la fin de la vie véritablement humaine, fait parfaitement évident à ceux qui ont encore en mémoire "l'âpre saveur de la vie, le goût mêlé du sang et des roses" en notant l'évolution des prix? Puis-je cela, après avoir, comme Salomon, trainé mon corps dans le vin de la condition de la main gauche?
Se tenir dans la Vérité . Je veux sentir sur les lèvres le gout mêlé du sang et des roses. je veux des nuits noires et des jours lumineux, des froids intenses et la folie du grand Midi. Je veux le Sacré des forêts mystiques, la Sainteté, et la mer immense du péché issu des désirs et des illusions des hommes.
La voie que je choisi rendra difficile d'accepter le sacrifice de la vie pour ce qui lui est supérieur et la dépasse comme l'Abîme.
Et c'est la seule question vraiment importante qui se pose à moi.
Je prie d'être un jour capable d'affronter le Dragon. Car ce jour est inévitable : le combat finit par l'affrontement ultime. Tout vrai combat est combat à mort.
Et vive la mort!

Cernunnos, Thot et la croix étincelante





De quel droit penser et écrire? Les conditions de l'âge de fer l'expliquent.

Je suis une musique qui retentit sur l'eau étale, sans provoquer la moindre ride ; ou le regard du reptile, qui reflète le mystère des temps anciens.
Le regard du Reptile qui s'enroule autour des ponts de la rivière dans la forêt, qui coule sur un lit de mousse.
Je suis celui qui te forcera comme le cerf par la meute, au plus profond des futaies sombres, avec ton assentiment et ta joie, et ma méditation grave.
Celui dont les dents se brisent sur les hurlements égarés portés par la tempête, comme sur un citron amer ;
Je veux te boire comme une ambroisie et te laisser plus qu'indemne, comme une orchidée fécondée par l'insecte ; Faune, je veux te prendre parmi les fleurs et les lianes et promener mon visage sur ton corps ; requin lointain, je te regarde avec froideur comme une proie à déchirer comme mon âme déchirée, envahie d'entrelacs et de flammes ; feu, je te regarde avec l'amour de l'Aigle pour le soleil. Danseur de la nuit, je veux jongler avec tes flammes. Enfin magicien, je veux comme le tantrika prendre la boue et en faire des fleurs d'or.
Car le plaisir ne brûle pas la mort. Car le plaisir n'est pas recherché sans signe. Car le plaisir n'est pas rejeté.
Je suis la flèche, l'arc et la chair qui saigne dans la poussière. Vivant, je désire la mort et mort je m'enivre de la vie. Je veux tournoyer et je veux vaincre. Je ne suis pas désinteressé. Je veux éprouver l'épée qui est dans ma bouche. Je veux la puissance et la gloire de ce monde. Je veux aussi savoir abandonner ce monde le moment venu. Ce qui me fait vivre, je le souhaite m'ôtera la vie. Car l'épée du Dieu fait mourir et renaître, une et même. Ainsi l'arbre et le roc, ainsi la fleur et l'oeil en qui se signe sa splendeur.


Ce que je porte comme le foyer dans les souterrains de mon corps, ce à quoi je veille comme Héphaistos, est le mystère au delà des noms et des choses, que je quête depuis toujours. J'ai appris à lire le deuxième livre avant le premier. J'ai rencontré bien des regards d'Abîme, et rien a en dire, pas de mots. L'Antique serpent, et la souffrance enfouie, tel celui qui fut pendu sous l'Arbre et perdit un oeil, celui qui ne sert. L'émeraude sertie sur le front par le fer rouge. Ce que je nomme nostalgie, la douleur du retour vers l'Un, qui passe par le cercle des morts.
Une nuit, je passais une jetée battue par les vagues de la mer pour arriver dans un jardin entouré de batiments, d'où sortaient des voix musicales. Sous le ciel flamboyant et le soleil immobile je m'asseyais sur un banc. Une femme apparue à côté de moi, une jeune fille, séduisante. Elle me dit : "Connaissez vous le dieu Thot?". Je fus boulversé de cette question et je m'éveillais.
Je compris Todt, la mort, avant de chercher Thot. Connaissez vous le dieu Thot? Où et comment le retrouver?

Pascal a raison : "tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé". Ce que l'on cherche est déjà connu. Ce qui est perdu a déjà été trouvé. Raison en un ordre est erreur pour le fidèle d'Amour. Rien n'est trouvé, tout reste à trouver. Savoir ce qui manque est le seul savoir.

Cette marque de folie est ma seule autorité. Erasme en fit l'éloge. Il n'y a aucune autorité personnelle. Et sachez-le : Lucifer n'était pas encore Satan. Lucifer est au service de la Déité, quoique ses pas s'égarèrent.

Ni Maitre, hors les mots ; ni sage, hors fou pour un monde qui se meurt. Pas de conseil, hors les anciens conseils, et pas d'image hors le dieu à ramures de cerf, et dans cet arbre mystique une croix d'argent, un jour d'hiver : grâce et disgrâce.

Mort d'un Roi.

Yi king, n°54, l'épousée. Des types de liens.




COMMENTAIRE :


Le Yi King est un livre d'exception. Chaque parole représente l'or de la tradition. Ici, il est montré que le couple doit être fondé de manière définitive tout en étant soumis au temps et au changement inéluctable. L'homme noble rejoint l'un et l'autre. Il s'engage fermement et connait la destruction.

La règle éthique pour les relations libres entre humains n'est pas la règle sociale ferme et définitive qui s'impose aux époux. "La voie rationnelle (au sens céleste) des époux est que leur union doit être perma­nente, définitive et finale". Cet engagement se fait chez l'homme noble en conscience de la finitude de ce monde qui implique manque de droiture par essence, non par volonté. Ce problème doit être traité au sens extra-moral. La recherche du mouvement tendu vers un but apporte du plaisir mais aggrave le manque de droiture. Le réalisme pose la question de l'ordonnancement du désordre que la finitude des mondes fait sans cesse s'écouler dans l'Ordre des mondes, image de l'Ordre divin.
Par ailleurs, un désordre vient d'en bas et un désordre vient d'en Haut, car le monde divin bouleverse le monde terrestre quand il intervient ; c'est là le sens authentique des miracles. La même manifestation peut avoir des sens complètement différents.

"Tandis que des rapports régulièrement ordonnés traduisent une union du devoir et du droit, les relations humaines fondées sur l'inclination reposent entièrement, si elles doivent durer, sur une réserve pleine de tact."

La confusion des types de relation est chose inconnue dans les civilisations traditionnelles. "Le pseudo-Démosthène (Contre Nééra, 122) proclame au IVème siècle avant JC, devant les citoyens assemblés en tribunal : « nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur. »
L'amour courtois distingue très précisément le mariage et le service de l'Aimée.
Il ne faut surtout pas croire que cela soit uniquement en vue de l'intérêt des hommes.

Chaque personne engage en s'engageant de multiple relations où elle se place. Cela ne peut être entièrement libre. Il s'ensuit que le mariage est un évènement public, et qui se fait devant témoins; on en porte une marque visible.
Pour que les étoiles puissent se croiser dans les cieux intermédiaires, sans menacer l'ordre social, il faut des espaces et des temps où la règle ne s'applique pas. Cette notion est entièrement contraire au juridisme romain qui est basé sur l'universalisme spatial et temporel de la loi qui s'applique légalement à tous les sujets. Pourtant aucun juriste, aucun administrateur n'aurait besoin de talent si l'application de la règle était mécanique. La loi ne doit pas s'appliquer lors de fêtes dionysiaques; et la loi ne doit pas s'appliquer quand la libre inclination montre sa puissance sacrée. Il faut appliquer la Loi avec crainte : c'est le signe de la Femme adultère dans l'évangile selon St Jean.
La loi ne doit s'appliquer qu'aux cas d'ordre inférieur ou égal à sa puissance légitime. La Loi humaine est inepte face au défi spirituel ; j'invoque ici le procès du Seigneur, dont Boulgakov montre qu'il se perpétue jusqu'à la fin des temps. Analogiquement, la science humaine est grotesque face au mystères et légitime en son ordre.
Marc ne peut châtier Tristan et Iseult, et Arthur abandonne son épée entre les amants. Il aurait pu tout aussi bien justement tuer des adultères du bas. Mais l'amour des ces hommes et de ces femmes, issu de la nostalgie divine, est revêtu d'un caractère sacré accessible à l'intuition d'un Roi.
Tout est là : la puissance sacrée du désir ne doit pas être niée; la puissance sacré de l'Ordre, image de l'ordre du Ciel, ne doit pas être niée. La Destruction est une face divine comme l'établissement de l'Ordre sur l'harmonie. L'homme ne peut concevoir et vivre ces aspects que séparément en tant qu'espèce, ou les unifier en tant que Saint.
Pour autant cette distinction ne peut être publique et la libre inclination ne saurait engager les lignages de chacun. Les enfants doivent êtres protégés inconditionnellement.
Ainsi le crime de Tristan n'est pas son amour pour Iseult ni sa réalisation charnelle ; le crime de Tristan est la fuite au fond de la forêt qui rend public ce qui doit être caché. Le crime est l'hubris, la démesure. Cette démesure les entraine à rejeter le monde des hommes, ce que symbolise la forêt. Or l'ordre du monde des hommes est sacré, en tant que perpétuation "éternelle" de la vie.

A ce titre, l'ordre du monde, représenté par le Roi, ne doit pas être défié. C'est ce qu'implique "la réserve pleine de tact". Et c'est l'Ermite, représentant du pouvoir spirituel, qui les réintroduit dans le monde humain au prix de leur renonciation publique l'un à l'autre ; car, image du Christ, l'Ermite est le garant de l'équilibre du sacré et donc de l'Ordre du monde, quoique vivant à part de cet ordre et non lié par cet ordre au delà de son corps.

Lancelot et Guenièvre sont surpris par Arthur au fond d'une forêt alors qu'il dorment; le crime est porté par Arthur comme par les amants, car ils dorment et se laissent soupçonner, et il n'aurait pas du les chercher. La situation est analogue au rapports entre l'orthodoxie et la Gnose; il y a là deux ordres différents qui doivent être séparés par les hommes nobles, pour éviter le scandale tout en maintenant les droits de la Voie secrète.

Au siècle de fer, être capable de tenir ces distinctions relève de la femme noble ou de l'homme noble.
Le fait qu'il soit porté ou non à la connaissance du Roi l'amour du poète dépend du lieu et du temps; ainsi en Chine l'épouse pouvait-elle l'accepter.
Mais en général l'aveu résulte d'une confusion des ordres et d'une absence de tact; aussi le secret n'est-il pas ici mensonge mais protection de la séparation des opposés et maintien de l'équilibre du monde.


YI KING

Tr. Wilhelm (en, fr). Sur le site de l'AFPC

L'ÉPOUSÉE. Des entreprises apportent l'infortune. Rien qui soit avantageux.
Une jeune fille reçue dans une famille sans être la première épouse doit se conduire avec beaucoup de circonspection et de réserve. Elle ne doit pas décider de supplanter la maîtresse de maison, car cela signifierait le désordre et la situation deviendrait intenable. Cela s'applique à toutes les relations libres entre les humains. Tandis que des rapports régulièrement ordonnés traduisent une union du devoir et du droit, les relations humaines fondées sur l'inclination reposent entièrement, si elles doivent durer, sur une réserve pleine de tact. Cette inclination comme principe des relations est d'une extrême importance dans toutes les conditions de l'univers, car l'existence de la nature tout entière repose sur l'union du ciel et de la terre, et chez les hommes également la libre inclination comme principe d'union constitue l'alpha et l'oméga.


Trad Philastre, lien sur le site de l'AFPC. Merci à Pierre Palpan qui l'a mis en ligne.


"Le commentaire de la formule symbolique dit : Au‑dessus du marais il y a la foudre ; mariage de la jeune fille ; l’homme doué reconnaît la destruction dans sa fin éternelle.

TSHENG TSE. — La foudre ébranle en haut, le marais reçoit l’impulsion et est agité ; la positivité agite en haut, la négativité en éprouve de la satisfaction et suit l’impulsion. C’est l’image symbolique de la jeune fille suivant le jeune homme, et c’est pour cela que le koua est appelé kouei mei. L’homme doué regarde [1] l’image symbolique du jeune homme et de la jeune fille s’unissant en couple et perpétuant la génération et par « la fin se renou­velant éternellement » [2], il reconnaît qu’il y a destruction. « Fin éternelle » exprime la suc­cession indéfinie et la transmission éternelle du souffle et de la respiration (de la vie ani­male), de l’extinction et du renouvellement. « Connaître la destruction » veut dire recon­naître que les êtres sont soumis à une voie d’extinction et de destruction, de succession et de renouvellement. La fille se marie, il y aura des naissances, de sorte qu’il y a le sens de « fin éternelle ». De plus, la voie rationnelle des époux est que leur union doit être perma­nente, définitive et finale, de sorte qu’on doit nécessairement en déduire la raison d’être qui implique la destruction et en faire le sujet d’un avertissement préalable. « Destruc­tion » signifie : « séparation et éloignement » ; le koua kouei mei exprime la satisfaction cau­sée par le mouvement ; c’est essentiellement différent de l’humilité dans le mouvement dont il s’agit dans le koua heng [3] et de l’arrêt, avec humilité, du koua tsien [4]. Le plaisir de la jeune fille consiste dans l’émotion des sentiments ; par l’émotion ou mouvement, elle perd la droiture ; ce n’est pas une voie rationnelle de persistance de la femme dans la droiture. À la longue, il doit y avoir destruction et ruine ; sachant qu’il doit y avoir des­truction et ruine, il convient donc de songer éternellement à la fin inévitable. Toute ani­mosité en ce monde provient toujours de l’incapacité de comprendre la « fin éternelle ». Cela n’est pas seulement vrai dans le cas de la raison d’être des époux, dans toutes les affaires de ce monde, aucune n’est sans fin et sans destruction, aucune n’est exempte d’une voie comportant la succession et la perpétuité. En regardant le koua kouei mei, il convient de penser à l’avertissement de la « fin éternelle ».
TSHOU HI. — La foudre agite, le marais subit l’impulsion : c’est l’image symbolique du mariage de la jeune fille. L’homme doué contemple le manque de droiture dans l’union et il sait y reconnaître la nécessité finale de destruction qu’elle comporte. Cela s’étend aux choses et aux êtres, et il n’est rien qui ne soit soumis à la même loi."


[1] On pourrait lire : « présente aux yeux ».
[2] C’est une autre lecture des mots traduits dans la formule par fin éternelle, le sens est très vague.
[3] Voir koua n° 32.
[4] Voir koua n° 53.

Nostalgie 1 : L'enfant métaphysique et la grève gelée dans la brume


Evola dit que le désir d'éternité, la nostalgie, ne peut être satisfait par l' enfantement, qui est retour après l'extase dans le cercle du temps. Cela est vrai et faux; le lignage est l'accès à l'image de la durée inhumaine des mondes, qui est image de l'éternité. Le lignage est plus que la personne.

La grève gelée dans la brume est immense et ses contours indéfinis se perdent, ainsi que l'horizon. Le gel la rend comme immobile et rallonge les distances comme l'altitude, qui rend âpre tout déplacement. La grève est aussi une image des temps, puisque battue par le flux et le reflux qui sont comme la respiration de la mer.

La grève cristallisée dans la glace pousse à la mélancolie comme la plage moderne pousse au sexe. Les pas s'effacent comme les vies humaines et leurs désirs. Ainsi un facteur changeant dans la manifestation change-t-il totalement mon monde vécu.

Le monde est eau, et onde; la mer est image du monde. Ainsi les anciens ermites irlandais méditaient-ils sur les îles et les vaisseaux poussés à la grâce de Dieu. Méditer sur la mer n'est pas méditer sur le roc, sur le feu ou sur la brume épaisse et froide qui rend l'air présent à tous les sens. L'air et l'eau montrent le côté destructeur des mondes comme un flux passif , l'écoulement comme un jeu. Le jeu sexuel est lié à l'eau.

Le désir se projette et se reflète sur les éléments. Autant les désirs sont -ils fumée, autant la Nostalgie reste-t-elle éternellement inscrite dans la créature, en tant que marque visible et ineffable de l'absence.

La nostalgie est ce qui nous rend humain et nous fait désirer l'inhumain. Il est du destin du héros de boire l'amertume dans les forêts obscures de ses quêtes. Les broderies des fleurs en tapis sur la mousse lui font signe et l'égarent. Les sources et les puits sont empierrés. Son épée est impuissante à établir la Justice, et les hommes profanes accomplissent les dernières profanations. Il n'est aucun lieu pour abriter le Calice avec sureté.

Il n'est aucun temple où s'abriter en Dieu. Le chant des oiseaux a changé de sens.

Il n'est aucun ermite connu du peuple pour indiquer la Voie ; aucune étoile pour abriter le pôle.

Nous vivons dans un monde où la vie est enserrée dans le roc- c'est le mythe de Merlin- et où la folie fait tourner à vive allure la roue des mondes. Dans la dernière guerre la folie a touché le monde matériel convoqué pour la destruction ; notre guerre est pire, car c'est le monde spirituel qui est convoqué pour la destruction. Et la résistance spirituelle risque toujours de servir la destruction. Peut-être est-ce souhaitable.

Il faudra alors invoquer le feu et l'éternel Printemps.

A William Blake : paradis et enfer s'entrelacent

Il est plus facile d'invoquer que d'être.
L'apparition du Mal provoque l'inquiétude.
Attendre dans l'Antre des Nymphes.
Quand l'enjeu paraît trop lourd, le courage tend à s'évanouir. Celui qui se sent lourd des promesses d'une œuvre craint le sacrifice. Celui qui a des obligations envers autrui ne peut les abandonner.
Le Kama Sûtra dit avec raison : celui qui a une vieille mère, des enfants en bas âge ou d'autres personnes à charge, est délié des règles de la morale commune pour les nourrir.
Le martyr ou le héros ont plus à perdre en reculant qu'en refusant de reculer. En l'âge de fer cette situation est rare.
Est-ce du courage que de risquer de mourir face à des imbéciles drogués? le Hagakure le nie. Est-ce du courage que de risquer l'amour et la vie des siens pour des gains douteux? Assurément le problème se pose ; et le discernement est la plus grande vertu dans la voie.
Invoquer le Dragon n'est pas l'affronter impunément. La Voie de la main gauche n'est pas une voie sûre, et l'Enfer est proche de l'antre des muses. Comment retourner les forces obscures en poussée sur la Voie?
Une vague peut pousser plus loin ou écraser sur des récifs. On ne peut se livrer à elle sans armes, ni l'ignorer.
Le Paradis s'entrelace avec l'Enfer. Le secret et l'occultation sont les armes les plus puissantes du pèlerin. Le silence et l'obscurité pareils à la mort : voici la Voie. Ainsi se cachaient les anciens alchimistes. Le secret est le bouclier de la mort.
"Et je tombais comme tombe un corps mort"(Dante, Enfer)

Yi king, le Vent :

" Pénétration répétée. Humiliation.

La réflexion pénétrante ne doit pas être poussée trop loin, sinon elle gêne la capacité de décision. Quand une affaire a été examinée à fond, il importe de se décider et d'agir. Une réflexion répétée mène toujours au doute et, par suite à l'humiliation, car on s'avère incapable d'agir."


Qui vit, vit par douleur et par jeu


Villon peut se plaindre et Frida pleurer, leur vie vaut celle de l'homme moderne. Frida pleure et peint. Elle serait une "femme moderne", elle ne serait rien.

Tout jeu doit avoir ses enjeux. Sans enjeu, le jeu ne vaut rien. La valeur de l'enjeu montre la valeur que les joueurs attachent à la victoire. La vie doit avoir des engagements; mais on ne peut jouer légitimement que ce qui est à soi. Je n'ai qu'une âme et je dois la sauver : si le diable est assez fort, l'enjeu pour les anciens bretons était la couleur de la vie.

La vie humaine a une âpre saveur ; la nuit doit être noire, obscure et le jour brumeux, glacial ou éclatant d'azurs rêvés. L'étoile scintille dans l'air polaire et indique la voie.

Le sang et la mort sont la mesure de la vie. La mort est l'essence du bushidô. Non le temps. Le temps n'est mesure de la vie que si nous voulons une vie uniquement rythmée par le temps, sans autre enjeu que notre digestion, notre teint, notre âge, notre part de temps-alors que la mort peut frapper à tout instant.
La mort et la vie sont un : le printemps a besoin de la mort de l'hiver, mais plus encore le triomphe de la vie n'apparait que sur l'horizon d'une nostalgie toujours déjà présente pour l'être pour la mort. Les fruits passeront la promesse des fleurs, et les roses vivent l'espace d'un matin.

Garder intensément cette pensée c'est faire l'effort violent à chaque instant de chercher le feu, la fumée qui s'élève sur les monts, l'ivresse divine.

La rose en un instant est plus que le reste du monde et n'est plus ; c'est la violence de l'instant. L' illumination est l'alliance de l'instant et de l'éternité. L'éternité est là en chaque instant. C'est cela veiller. Les portes s'ouvrent et se ferment. les disciples dorment.

Le monde est une danse de roses et de crânes. Boccace a écrit le Décameron lors de la grande Peste. La guerre est le plus noble des jeux, toutes les civilisations le savent. Quelle civilisation s'est construite sans la guerre?

Le jeu est toujours déjà présent.

Soi même et l'Autre.

"Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison" Lautréamont.


Chacun a la puissance de devenir un autre. Selon Platon, l'âme qui aime s'aliène en l'autre en aimant. La personnalité, persona, est au sens propre un masque qui ne tient pas que par une cohésion intérieure, mais aussi par l'ensemble des liens qui la maintiennent de l'extérieur. La personnalité fonctionne par dissolution et assimilation de ce qui ressemble, et élimination et condamnation de ce qui ne se laisse pas comprendre et échappe, l'irréductible qui pointe l' Abîme. La morale commune (qui assimile et condamne par une mécanique binaire) est l'alliée de la personnalité; le pashù aime et vénère le joug. Elle peut certes s'effondrer en un abîme, imploser; et certes le transexualisme montre que des facteurs internes jouent dans l'identité. Mais je peux dénouer le joug et porter des masques. J'avance masqué.

Le masque est un symbole de liberté, et celle ci repose sur l'opacité. L'obscurité est l'alliée du jeu des flammes. Les liens sont les haubans de la personne, et la personne est Maya. Se chercher soi même est chercher le vide, et s'enfoncer dans l'illusion. Car qui cherche? Et qui est cherché?
L'univers, en tant que principe d'identité d'espèce des visions, et la personnalité ou identité, en tant que principe d'unité des flux intérieurs, sont des répercussions réciproques. La substance du moi individuel est la substance du monde. Si je me transforme le monde se transforme, et si le monde se transforme je me transforme. Ainsi, si je vois un monde livré à la guerre et à la mort, je suis un organisme livré à la guerre et à la mort. Si le langage des oiseaux devient audible, alors l'évidence du Caché se manifeste dans l'abîme.
La philosophie moderne veut faire des systèmes consistants; elle a voulu prouver ou déprouver Dieu par des grimoires logiques. Mais la nécessité logique est postérieure et consécutive à la nécessité de l'être qu'elle prétend prouver. Elle veut donner des réponses là où le silence est la réponse. Elle veut clore l'être et le phénomène, ou le dicible, alors qu'il faut pointer l'abîme.

Le paradoxe de cette pensée est inévitable. Parole du silence et tableau du mouvant éternel se mêlent. L'étoile d'or exalte la Ténèbre mais ne peut l'éclairer.
La nostalgie est une puissance du plus haut désir, et une puissance ne se dit, ni ne se défini, ni ne se lie. Elle parait folie et elle est sagesse en l'âge de fer. Elle paraît souillure mais est Grâce en l'âge de Kali, car elle oblige à échapper au piège de l'homme bon et de la recherche de soi même.

Invocation du Dragon


le dragon est aussi une source...

Extraits remarquables du Hagakure, le livre des samouraïs : rentrer dormir!

Ce que risque votre serviteur

  • Il y avait un homme en Chine, qui aimait les images représentant des dragons. Tous ses vêtements et ses meubles étaient décorés de ce motif.
    Le dieu des dragons s'avisa de cet amour profond, aussi un jour, un vrai dragon se présenta-t-il à sa fenêtre. On dit que l'homme en mourut de frayeur...
    C'était assurément un beau parleur qui se révélait tout autre, le moment de l'action venu.

  • Maître Ittei disait encore : « Pour bien faire, il faut en un mot : endurer la souffrance ».
    Ne pas accepter de souffrir est mauvais. C'est un principe qui ne souffre aucune exception.

  • Il existe un dicton qui dit « lorsque l'eau monte, le bateau fait de même ».
    En d'autres termes, face aux difficultés, les facultés s'aiguisent. II est vrai que les hommes courageux cultivent sérieusement leurs talents quand les difficultés auxquelles ils sont confrontés sont importantes.

  • La vie humaine ne dure qu'un instant, il faut avoir la force de la vivre en faisant ce qui nous plait le plus.
    Dans ce monde fugace comme un rêve, vivre dans la souffrance en ne faisant que des choses déplaisantes est pure folie. Ce principe, mal interprété, peut toutefois être nuisible, aussi ai-je décidé de ne pas l'enseigner aux jeunes gens...
    J'adore le sommeil. En réponse à la situation actuelle du monde, je pense ce que j’ai de mieux à faire est de rentrer dormir chez moi.

  • Quand on a entendu parler des hauts faits d'un maître, penser que quoiqu'on fasse on ne pourra jamais l'égaler est signe de petite âme. On doit, au contraire, s'efforcer de penser que « le Maître est tout comme moi un homme, pourquoi donc lui serais-je inférieur ? » Dès qu'un Samouraï se décide à relever ce défi contre soi-même, il est déjà sur la voie de l'amélioration. Ittei Ishida a dit: «Un homme reconnu comme sage par les autres n'acquiert cette réputation que parce qu'il a commencé à approfondir ses connaissances dès son plus jeune âge. Ce n'est jamais le résultat rapide d'un apprentissage tardif, même si ce dernier est difficile ». En d'autres termes, dès qu'un être prend la résolution de parvenir à la perfection, il peut espérer faire un jour l'expérience de l'illumination.

Image du paradis dans le miroir


Hieronymus porte le nom de Jérusalem. Toutes les directions sont celles de la Jérusalem céleste."Aimant aimer, je cherchais quelque chose à aimer". St Augustin.
Pascal, dans son "discours sur les passions de l'amour", dévoile l'origine commune de l'amour et de l'ambition ; et aussi de la soif divine qui marque le reste de son oeuvre. Non pas en le disant mais par sa vie.
Le négatif doit être transmuté en positif.
La même manifestation peut avoir des sens absolument différents.

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova