Yi king, n°54, l'épousée. Des types de liens.




COMMENTAIRE :


Le Yi King est un livre d'exception. Chaque parole représente l'or de la tradition. Ici, il est montré que le couple doit être fondé de manière définitive tout en étant soumis au temps et au changement inéluctable. L'homme noble rejoint l'un et l'autre. Il s'engage fermement et connait la destruction.

La règle éthique pour les relations libres entre humains n'est pas la règle sociale ferme et définitive qui s'impose aux époux. "La voie rationnelle (au sens céleste) des époux est que leur union doit être perma­nente, définitive et finale". Cet engagement se fait chez l'homme noble en conscience de la finitude de ce monde qui implique manque de droiture par essence, non par volonté. Ce problème doit être traité au sens extra-moral. La recherche du mouvement tendu vers un but apporte du plaisir mais aggrave le manque de droiture. Le réalisme pose la question de l'ordonnancement du désordre que la finitude des mondes fait sans cesse s'écouler dans l'Ordre des mondes, image de l'Ordre divin.
Par ailleurs, un désordre vient d'en bas et un désordre vient d'en Haut, car le monde divin bouleverse le monde terrestre quand il intervient ; c'est là le sens authentique des miracles. La même manifestation peut avoir des sens complètement différents.

"Tandis que des rapports régulièrement ordonnés traduisent une union du devoir et du droit, les relations humaines fondées sur l'inclination reposent entièrement, si elles doivent durer, sur une réserve pleine de tact."

La confusion des types de relation est chose inconnue dans les civilisations traditionnelles. "Le pseudo-Démosthène (Contre Nééra, 122) proclame au IVème siècle avant JC, devant les citoyens assemblés en tribunal : « nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu'elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur. »
L'amour courtois distingue très précisément le mariage et le service de l'Aimée.
Il ne faut surtout pas croire que cela soit uniquement en vue de l'intérêt des hommes.

Chaque personne engage en s'engageant de multiple relations où elle se place. Cela ne peut être entièrement libre. Il s'ensuit que le mariage est un évènement public, et qui se fait devant témoins; on en porte une marque visible.
Pour que les étoiles puissent se croiser dans les cieux intermédiaires, sans menacer l'ordre social, il faut des espaces et des temps où la règle ne s'applique pas. Cette notion est entièrement contraire au juridisme romain qui est basé sur l'universalisme spatial et temporel de la loi qui s'applique légalement à tous les sujets. Pourtant aucun juriste, aucun administrateur n'aurait besoin de talent si l'application de la règle était mécanique. La loi ne doit pas s'appliquer lors de fêtes dionysiaques; et la loi ne doit pas s'appliquer quand la libre inclination montre sa puissance sacrée. Il faut appliquer la Loi avec crainte : c'est le signe de la Femme adultère dans l'évangile selon St Jean.
La loi ne doit s'appliquer qu'aux cas d'ordre inférieur ou égal à sa puissance légitime. La Loi humaine est inepte face au défi spirituel ; j'invoque ici le procès du Seigneur, dont Boulgakov montre qu'il se perpétue jusqu'à la fin des temps. Analogiquement, la science humaine est grotesque face au mystères et légitime en son ordre.
Marc ne peut châtier Tristan et Iseult, et Arthur abandonne son épée entre les amants. Il aurait pu tout aussi bien justement tuer des adultères du bas. Mais l'amour des ces hommes et de ces femmes, issu de la nostalgie divine, est revêtu d'un caractère sacré accessible à l'intuition d'un Roi.
Tout est là : la puissance sacrée du désir ne doit pas être niée; la puissance sacré de l'Ordre, image de l'ordre du Ciel, ne doit pas être niée. La Destruction est une face divine comme l'établissement de l'Ordre sur l'harmonie. L'homme ne peut concevoir et vivre ces aspects que séparément en tant qu'espèce, ou les unifier en tant que Saint.
Pour autant cette distinction ne peut être publique et la libre inclination ne saurait engager les lignages de chacun. Les enfants doivent êtres protégés inconditionnellement.
Ainsi le crime de Tristan n'est pas son amour pour Iseult ni sa réalisation charnelle ; le crime de Tristan est la fuite au fond de la forêt qui rend public ce qui doit être caché. Le crime est l'hubris, la démesure. Cette démesure les entraine à rejeter le monde des hommes, ce que symbolise la forêt. Or l'ordre du monde des hommes est sacré, en tant que perpétuation "éternelle" de la vie.

A ce titre, l'ordre du monde, représenté par le Roi, ne doit pas être défié. C'est ce qu'implique "la réserve pleine de tact". Et c'est l'Ermite, représentant du pouvoir spirituel, qui les réintroduit dans le monde humain au prix de leur renonciation publique l'un à l'autre ; car, image du Christ, l'Ermite est le garant de l'équilibre du sacré et donc de l'Ordre du monde, quoique vivant à part de cet ordre et non lié par cet ordre au delà de son corps.

Lancelot et Guenièvre sont surpris par Arthur au fond d'une forêt alors qu'il dorment; le crime est porté par Arthur comme par les amants, car ils dorment et se laissent soupçonner, et il n'aurait pas du les chercher. La situation est analogue au rapports entre l'orthodoxie et la Gnose; il y a là deux ordres différents qui doivent être séparés par les hommes nobles, pour éviter le scandale tout en maintenant les droits de la Voie secrète.

Au siècle de fer, être capable de tenir ces distinctions relève de la femme noble ou de l'homme noble.
Le fait qu'il soit porté ou non à la connaissance du Roi l'amour du poète dépend du lieu et du temps; ainsi en Chine l'épouse pouvait-elle l'accepter.
Mais en général l'aveu résulte d'une confusion des ordres et d'une absence de tact; aussi le secret n'est-il pas ici mensonge mais protection de la séparation des opposés et maintien de l'équilibre du monde.


YI KING

Tr. Wilhelm (en, fr). Sur le site de l'AFPC

L'ÉPOUSÉE. Des entreprises apportent l'infortune. Rien qui soit avantageux.
Une jeune fille reçue dans une famille sans être la première épouse doit se conduire avec beaucoup de circonspection et de réserve. Elle ne doit pas décider de supplanter la maîtresse de maison, car cela signifierait le désordre et la situation deviendrait intenable. Cela s'applique à toutes les relations libres entre les humains. Tandis que des rapports régulièrement ordonnés traduisent une union du devoir et du droit, les relations humaines fondées sur l'inclination reposent entièrement, si elles doivent durer, sur une réserve pleine de tact. Cette inclination comme principe des relations est d'une extrême importance dans toutes les conditions de l'univers, car l'existence de la nature tout entière repose sur l'union du ciel et de la terre, et chez les hommes également la libre inclination comme principe d'union constitue l'alpha et l'oméga.


Trad Philastre, lien sur le site de l'AFPC. Merci à Pierre Palpan qui l'a mis en ligne.


"Le commentaire de la formule symbolique dit : Au‑dessus du marais il y a la foudre ; mariage de la jeune fille ; l’homme doué reconnaît la destruction dans sa fin éternelle.

TSHENG TSE. — La foudre ébranle en haut, le marais reçoit l’impulsion et est agité ; la positivité agite en haut, la négativité en éprouve de la satisfaction et suit l’impulsion. C’est l’image symbolique de la jeune fille suivant le jeune homme, et c’est pour cela que le koua est appelé kouei mei. L’homme doué regarde [1] l’image symbolique du jeune homme et de la jeune fille s’unissant en couple et perpétuant la génération et par « la fin se renou­velant éternellement » [2], il reconnaît qu’il y a destruction. « Fin éternelle » exprime la suc­cession indéfinie et la transmission éternelle du souffle et de la respiration (de la vie ani­male), de l’extinction et du renouvellement. « Connaître la destruction » veut dire recon­naître que les êtres sont soumis à une voie d’extinction et de destruction, de succession et de renouvellement. La fille se marie, il y aura des naissances, de sorte qu’il y a le sens de « fin éternelle ». De plus, la voie rationnelle des époux est que leur union doit être perma­nente, définitive et finale, de sorte qu’on doit nécessairement en déduire la raison d’être qui implique la destruction et en faire le sujet d’un avertissement préalable. « Destruc­tion » signifie : « séparation et éloignement » ; le koua kouei mei exprime la satisfaction cau­sée par le mouvement ; c’est essentiellement différent de l’humilité dans le mouvement dont il s’agit dans le koua heng [3] et de l’arrêt, avec humilité, du koua tsien [4]. Le plaisir de la jeune fille consiste dans l’émotion des sentiments ; par l’émotion ou mouvement, elle perd la droiture ; ce n’est pas une voie rationnelle de persistance de la femme dans la droiture. À la longue, il doit y avoir destruction et ruine ; sachant qu’il doit y avoir des­truction et ruine, il convient donc de songer éternellement à la fin inévitable. Toute ani­mosité en ce monde provient toujours de l’incapacité de comprendre la « fin éternelle ». Cela n’est pas seulement vrai dans le cas de la raison d’être des époux, dans toutes les affaires de ce monde, aucune n’est sans fin et sans destruction, aucune n’est exempte d’une voie comportant la succession et la perpétuité. En regardant le koua kouei mei, il convient de penser à l’avertissement de la « fin éternelle ».
TSHOU HI. — La foudre agite, le marais subit l’impulsion : c’est l’image symbolique du mariage de la jeune fille. L’homme doué contemple le manque de droiture dans l’union et il sait y reconnaître la nécessité finale de destruction qu’elle comporte. Cela s’étend aux choses et aux êtres, et il n’est rien qui ne soit soumis à la même loi."


[1] On pourrait lire : « présente aux yeux ».
[2] C’est une autre lecture des mots traduits dans la formule par fin éternelle, le sens est très vague.
[3] Voir koua n° 32.
[4] Voir koua n° 53.

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Zinaida Serebriakova