Ce qui est capital IV : Métacritique des spires du Serpent.


(femme d'Oô)

L'ontologie et l'axiomatique d'un discours a-libéral

Depuis Aristote au moins, et même Platon, l'ontologie occidentale construit sur les mêmes racines. Ces racines sont-elles celles de l'ontologie implicite des langues européennes, syntaxe, sémantique et pragmatique comprises, ou celles de l'idéologie implicite de l'Occident, là n'est pas la question.

La quasi totalité des perspectives de pensée sont informées par ces structures fondamentales. Or, comme l'a montré Quine sans en tirer aucunement les conséquences, ces structures sont des positions sur l'être, ou encore des décisions de l'être humain. Ces positions informent la totalité des constructions sémantiques qui se construisent sur leurs bases. Une telle affirmation pose le problème de l'analogie au sens grec, nous y reviendrons. La connaissance objective se construit comme un cristal, par réplication à l'indéfini de structures, issues de matrices combinatoires déterminées. Et ce qui ne rentre pas dans les cases d'une ontologie est nié par celle-ci.

Il faut cesser de croire à la vérité de la description de l'être donnée par une telle matrice pour en voir le côté mécanique. A titre d'exemple, les partisans de la théorie de l'évolution qui répondent aux créationnistes en disant que "l'évolution n'est pas une opinion, mais la vérité vraie", ne sont pas moins dogmatiques que leurs adversaires, et aboutissent au dialogue d'imbéciles dogmatiques. Car une telle théorie est extrêmement élaborée, pas du tout évidente. Sinon, l'avoir élaborée n'aurait rien de glorieux, et il faudrait expliquer pour quoi tant d'observateurs avertis sont passés à côté de l'évidence, de celle que comprend un collégien.

A partir de l'unicité du système des premières positions ontologiques, on peut développer toute sorte de perspectives contradictoires à l'intérieur d'un monde logique ; et donc donner la réalité d'un pluralisme dans ce monde, mais cette pluralité intramondaine (au sens dans un monde logique) est illusoire dans la pluralité des mondes possibles, qui est une pluralité réelle.
En clair, le pluralisme intramondain respecte implicitement l'unicité des positions de base. Et plus les couches sédimentaires s'accumulent sur ces positions de base, et plus celle-ci deviennent la tache aveugle de la pensée, l'accord implicite fondant toutes les oppositions sémantiques possibles, car l'opposition ne peut naître que d'un accord préalable, d'un terrain partagé d'opposition, qui est d'autant plus hors de la perception que l'opposition est puissante, et que sa puissance aveugle sur l'identité avec l'ennemi. Voyez nos deux crétins de toute à l'heure.

Parvenu à la conscience de l'arbitraire de ces structures, l'arbitraire étant l'effet d'une puissance légitime et inévitable, nous parvenons aussi à la conscience d'une puissance nouvelle, qui est de refonder l'axiomatique des législations humaines, le langage étant la première législation de toutes. Refonder parce que nous constatons le caractère destructeur des idéologies et de l'entéléchie qui gouverne l'actuel déploiement des mondes humains. Refonder pour retrouver de la liberté humaine, tout simplement, parce que le poids du passé devient écrasant. Cette refondation permettra aux penseurs de l'avenir de penser hors des structures du monde moderne, et donc de créer du nouveau réel.

Sinon, pensant à travers les catégories anciennes, on n'aboutira qu'a renforcer le système, à nourrir sa puissance. Le travail métaphysique est le premier travail révolutionnaire. C'est le non agir préalable.

I

L'ontologie implicite des langages occidentaux est le langage de la substance.
Il est possible de penser qu'il existe une indéfinité d'ontologies axiomatiques possibles ; cependant, dans notre langage ce nombre est peut être limité.
Il est aussi très probable, certain même, que l'ontologie que je propose soit commune, sur un tronc fondamental qui me reste implicite, avec l'ontologie que je propose de remplacer.
Cela est un cas flagrant pour les querelles entre platoniciens et aristotéliciens, et pour l'ensemble de la querelle des universaux.
Toutes ces œuvres sont du domaine de l'avenir. Ma préoccupation n'est pas fondamentale ici, mais critique ; il s'agit de poser les bases suffisantes d'une critique fondamentale de l'axiomatique ontologique de l'idéologie-racine (car cette idéologie se diffuse ensuite en branches contradictoires sur des aspects insuffisamment essentiels) du Système. Je ne l'appele pas idéologie libérale parce que comme l'a déjà noté Michéa entre mille, de nombreux adversaires explicites du libéralisme sont en fait des répétiteurs de cette idéologie racine, et sont donc bien en peine de la combattre.

L'ontologie de la substance est résumable, et ses conséquences logiques, ses ramifications, sont en nombre quasiment indéfini. j'essaye d'en présenter certaines par la suite, pour faire apprécier l'importance d'une telle critique.
Ses principes sont les suivants :

L'Être est composé de substances séparées, ayant une identité ou essence, des limites stables et durables, et sont composées de matière et de forme. La substance a des accidents, des caractéristiques qui n'ajoutent rien à l'essence, peuvent être ajoutées ou enlevées sans la changer.

Les substances séparées individuelles sont les étants les plus sûrs, les plus concrets, les plus assurés. De ce fait leur type d'être est la mesure de toute autre être ; toute autre être est irréel, plus ou moins, entaché d'irréalité. Par exemple, on parle d'économie réelle pour l'économie des marchandises, comme si la sphère financière était virtuelle, ou carrément irréelle.

La mesure, c'est ce à quoi on mesure, non ce qui est mesuré. Ainsi, la mesure de l'être est la chose.

« Ces ontologies décrivent généralement :
Individus : les objets de base,
Classes : ensembles, collections, ou types d'objets,
Attributs : propriétés, fonctionnalités, caractéristiques ou paramètres que les objets peuvent posséder et partager,
Relations : les liens que les objets peuvent avoir entre eux,
Événements : changements subis par des attributs ou des relations. » (Wikipedia -ontologie informatique)

Les substances sont individuées, sont des individus ; de ce fait les termes généraux sont des classes, d'où la question de l'être de ces classes-la classe des chiens n'est pas un chien. En général on pose aujourd'hui que ces classes sont inférieures en être aux substances individuelles : ce sont des êtres mentaux, qui ne peuvent subsister que dans le mental, comme les rêves. C'est la position nominaliste.

Les attributs peuvent être essentiels (vivant, pour un homme) ou accidentels (être assis).

La relation est posée comme postérieure aux substances, ou objets ; il y a d'abord les objets, puis la relation qu'ils peuvent avoir. Par exemple, cette structure de pensée se réplique dans la vision libérale de la société : il y a d'abord des hommes séparés, puis une rencontre qui produit la relation, le contrat social.

Dans une première ramification ontologique, on décrit une proposition sur le monde comme contenant des signes d'objet (X ou Y en logique) et des signes de relation ; ou encore, une langue comme lexique de noms, signes d'objets, et syntaxe, ou signes de relations. Il y a analogie structurelle entre la proposition et l'état du monde. Mais définir de quoi il s'agit-l'analogie structurelle- est une aporie de l'ontologie-racine. En effet des objets et des signes sont de nature différente, et ils ne peuvent entretenir la même relation ; bien sûr, il ne s'agit que d'analogie, mais il doit y avoir du même quelque part. Pourtant ce même est contraire aux principes de base.

On l' a dit, le réel est pensé à l'image de la res, de la chose concrète pourvue d'identité, sensible. Le reste est inférieur en réalité, relativement à la mesure de la réalité choisie. De ce fait il existe une stricte séparation entre la proposition qui le dénote, et l'état du monde qui est l'étalon réel. Analogie, comparaison, supposent séparation. En conséquence, on est conduit à poser que l'être n'est pas vrai, car le vrai n'est qu'une propriété de la proposition. Mais alors il n'existe plus aucun autre critère du vrai que la consistance logique, interne à la proposition. De ce fait l'épistémologie qui s'élabore à partir de l'ontologie racine tend à dénier toute consistance au concept de vérité comme lié au réel substantiel. Deuxième aporie, car si cette thèse est l'élaboration d'une recherche, il reste possible d'argumenter pour décider si elle est vraie ou fausse. (Rorty, Feyerabend)

Le signe, posé comme triadique, signe (linguistique par exemple), dénotation, signifiant, comporte des parties, antérieures et extérieures à lui qu'il met en relation de manière idéelle, au niveau de la représentation, non réellement. La notion d'arbitraire du signe illustre ce non réellement. La manière dont on signifie un objet n'affecte pas cet objet dans son essence ; une dénomination est accidentelle par nature. L'ontologie de la substance conduit à la séparation entre le réel et le signifiant. Le déroulement logique est de poser le signifiant comme non réel, donc l'insignifiance du monde.

Les trois pôles du signe sont alors nécessaires : le signe (linguistique), arbitraire, humain, au fond étranger au réel ; le dénoté, objet du monde, substance, réel; le signifié, non arbitraire, essence ou définition de l'objet, et pour une part dépendant de l'objet, du percept qu'il produit, pour une part représentation, soit sémantique dans les catégories de la langue, soit à partir des catégories à priori de la pensée humaine. Et donc la synthèse de l'humain et du réel, ou représentation. mais de plus en plus tiré vers l'objet mental, donc dépourvu de réalité, en vertu de l'aporie de la relation entre des objets d'essence différente.

Enfin, le changement est pensé soit comme substantiel-trans-formation- soit comme accidentel, dans la relation. Car il n'est rien d'autre que des substances ou des relations de substances dans notre ontologie culturelle.

Les impasses de l'ontologie de la substance sont nombreuses. Les plus métaphysiques sont : la vérité n'est rien de réel (Rorty) ; l'être n'a en soi aucun sens (ce qui est vrai, car rien en soi ne peut signifier, puisque la signification est une relation.)

Poser le sémiotique comme non réellement réel, est au fond l'origine de la séparation entre l'être en soi et la représentation chez Kant. L'ontologie de la substance ne peut penser l'ontologie de la représentation, du signe, que négativement. La « théorie de l'information » ne pense qu'en terme de quantité d'information, et ne peut distinguer une matrice combinatoire puissante d'un simple fatras de lettres prises au hasard.

A titre de contre exemple, pour montrer les possibilités d'une autre ontologie, si par une construction culturelle se déterminent un sujet et un monde propre, dans le cadre d'une communion d'opposés consubstantiels, alors la détermination du sujet est aussi une détermination réelle du monde. Ce qui explique la puissance de réel, concrète de la poiésis. Mais si on reste dans ses propres déterminations culturelles, cette poiésis réelle reste inatteignable. Un homme isolé est dépourvu de cette puissance, car c'est dans le tissage social, producteur d'Univers à partir de communications de mondes propres que peut se confirmer cette production culturelle de réalité concrète. C'est la société humaine qui peut créer réellement, non un homme seul. La poiésis individuelle ne devient concrète que confirmée par autrui ; un artiste, une œuvre, ne sont œuvres que respectées comme telle par une communauté.

En épistémologie, l'ontologie de la substance rend inintelligible par exemple la réussite de la théorie de la relativité, et l'histoire réelle de la physique, où le travail mathématique précède la théorie physique.(Riemann avant Einstein). Si la vérité d'une théorie n'est rien de plus qu'une opinion, pourquoi certaines opinions permettent-elles de faire naître le soleil artificiel d'Hiroshima?

Par ailleurs, le véritable problème de l'interprétation de la Mécanique quantique est son évidente incompatibilité avec l'ontologie de la substance, et le principe de non contradiction qui lui est partiellement lié, en ce qu'il concerne une substance, localisée dans le temps et l'espace, contrairement à une puissance, qui n'est qu'un espace de probabilité. L'interprétation de la Mécanique quantique avec l'ontologie moderne est équivalente à la recherche du fils de Noé, ou de la tribu d'Israël ascendant des Indiens d'Amérique au XVIème Siècle : l'incompréhension du fait que c'est le cadre qui pose problème, non la réalité vécue.

Dans le domaine social, cette ontologie empêche de concevoir le rôle de l'argent comme entéléchie organique d'un système codé de communication humaine, à cause de la propension invincible de vouloir partir de « l'individualisme méthodologique » et d'une théorie simpliste de la motivation humaine individuelle. Alors qu'obéir à des règles de communication n'engage pas la totalité de la volonté humaine, ni des possibilités humaines : on peut le constater par le jeu. Par ailleurs cette ontologie empêche de comprendre réellement toute relation complémentaire, comme celle des classes ou celle des sexes, en privilégiant la relation symétrique. A titre d'exemple, penser en terme d'essence permet de penser à une dictature du prolétariat, alors que le prolétaire n'existe que comme exploité, et change donc nécessairement d'identité en exerçant la dictature. Et donc que la dictature du prolétariat est un paradoxe dont le résultat réel est la dictature réelle. Autre exemple, il ressort que la libération de la femme ne peut être que simultanément celle de l'homme.(V. Despentes)

Dans le domaine politique, la théorie du contrat social sous toute ses formes est liée à cette idéologie racine et contient les mêmes apories. Pour se rencontrer et négocier un contrat aussi complexe, des hommes doivent parler la même langue ; et pour parler la même langue, il doivent former une communauté. Plus, il doivent se faire confiance entre eux préalablement. Le contrat social n'est qu'un homonyme de contrat, puisque il est le cadre général des contrats possibles, d'un type logique différent. Les théories du contrat sont des fables idéologiques.

Dans le domaine moral, l'idéologie-racine pose les opposés comme séparés par nature, et inconciliables. Elle pose le bien et le mal comme des substances séparées et les pense dans ce cadre. En conséquence, on rencontre chez les puritains moraux l'idée d'utiliser la puissance technique pour éliminer le mal de la surface de la terre, et ces gens sont forts surpris d'aggraver le problème en déployant de si puissants moyens de destruction. Même résultat comique chez les écologistes qui immanquablement, voudront utiliser la puissance technique et politique pour diminuer l'utilisation de la puissance technique et politique.

Dans les sciences cognitives, l'ontologie de la substance s'épuise dans des complexités vaines, fonctionnellement comparables à la théorie des épicycles dans l'astronomie de la renaissance, des hypothèses ad hoc. Ainsi en cherchant à définir des qualités premières des substances, qui seraient indépendantes de l'observateur, et des qualités secondes qui seraient au fond des illusions de perspective. Pourtant les sciences cognitives travaillent au fond sur des représentations de représentations, et au delà encore, et rares sont ceux qui en comprennent le caractère abyssal de régression à l'infini dans l'ontologie moderne. Régression à l'infini que les sciences cognitives idéologiques voudraient stopper par ce qui est le plus réel, le cerveau, cette substance concrète, que l'on explore, observe, pèse. Sans percevoir que le logiciel, fait de relations indéfinies et sans cesse renouvelées produit la substance comme une forme. Voyez cette pauvre P Churchland. Varela est une exception avec le concept d'énaction, qui marque une volonté marquée de sortir de l'idéologie-racine.

Par exemple dans la Mécanique quantique le photon comme objet « simple» n'est constitué que par l'observateur, qui joue le rôle de déterminant d'une puissance, énergie et espace de probabilités. Mais l'observateur(humain ou non) n'est déterminé observateur, ou récepteur, que par le photon, sinon il ne l'est pas. Berkeley a déjà très justement posé la question : « quel bruit fait un arbre qui tombe dans la forêt quand personne ne l'entends? »


II




(Franz von Stuck, la sensualité)



Si nous voulons partir d'une ontologie différente dans ses prémisses et ses conséquences et refonder notre abord du monde, nous pouvons poser sciemment des principes différents, souterrains mais toujours présents dans le monde occidental, ainsi chez Héraclite, Eckhart, Nicolas de Cues, Hegel, Whitehead...et qui est représenté par la figure du Serpent.

L'Être est une substance unique qui se compose en elle même, composée d'abord, cette première composition étant plus conceptuelle que réelle, de matière, d'étoffe, et d'énergie, autopoiésis, capacité à produire des déterminations. Ces déterminations sont nécessairement apparitions duelles, apparitions de polarités, qui déterminent entre elles des relations d'opposition. Tous les attributs sont des aspects de communications de polarités, et c'est le flux des communications dans l'Un qui produit les essences, la somme des attributs d'une polarité. Aucune de ces polarités n'est durable, et donc l'essence est en définitive illusion dans ce monde qui s'écoule ; mais non illusion absolue, illusion partielle due à l'abstraction du temps.

L'acte est issu de la détermination d'une puissance ; il est moins que celle ci. L'acte est le vestige visible d'une puissance.Par nature la puissance n'appartient pas au domaine du perceptible, de l'individualisable, du conceptualisable. Elle est une hypothèse nécessaire, et un fait général, visible dans la transformation des choses. La volonté de puissance, est ce qui veut la volonté et son déploiement moiré, indéfini. Le temps est la dimension de l'actualisation de la puissance par polarisations indéfinies, fluides. Le sommet du réel est le sommet de la puissance qui produit les polarités. Le monde des substances finies est un monde de cendres du feu unique. La finitude des règles d' actualisation provoque l'homogénéité des formes ; et ainsi les classes sont pour une part arbitraires, puisqu'elles rassemblent des choses séparées, et réelles, puisque ces choses se forment selon des règles homogènes. Mais la classe ne véhicule que le produit, et est aveugle au processus, qui échappe, comme une boîte noire.Si idées il y a, il ne faut pas les penser comme des substances, ou des formes, mais comme des processus immanents. Ainsi les cratères, les stalagmites, les poissons et les mammifères marins, ont-ils divers supports, mais des analogies de processus et de forme.

Il s'ensuit que le visible ne vaut que comme signe de l'invisible.

Une polarité quelconque doit être pensée comme formée d'un jeu de déterminations réciproques dans un ensemble unique, l'unicité étant préalable à la division. Penser une substance individuelle séparée est contradictoire, puisque l'individuation est un aspect d'un ensemble dans une perspective. Toutes les qualités qui déterminent un individu et une identité sont des réalités relationnelles par définition.
Un ensemble de polarités dans une substance unique détermine un processus, car une polarité est un état instable et un déploiement de puissance. Formée par la puissance, la polarité est puissance, et donc va de soi vers d'autres états de polarisations. Ce processus a une finalité immanente, une nécessité interne, quand il est fini. Par exemple, si je met le feu dans une masse de paille sèche dans l'air, l'entéléchie sera le déploiement complet de la combustion. En l'absence d'une opposition, tout sera brûlé.

Ce processus et cette entéléchie sont intelligibles ; dans les faits humains, cette intelligibilité permet entre autres les expériences de pensée des sciences sociales comme l'économie, ou comme la théorie des jeux, qui permet de prévoir l'évolution d'un groupe qui s'impose certaines règles d'interaction. Ainsi l'entéléchie de la guerre industrielle totale est -elle le déploiement maximal de la puissance de destruction, avec des phénomènes comme la course aux armements, etc.
Ceci est profondément schématique, comme le montre le refus d'emploi de la guerre chimique lors de la seconde guerre mondiale. Cependant, cette notion d'entéléchie immanente permet de comprendre l'évolution de la société libérale et de ses règle particulières. Les ramifications indéfinies du système ne servent pas moins l'entéléchie globale. Ainsi, le travail des femmes pendant les guerres totales sert-il l'entéléchie de déploiement maximal de la destruction.

La mesure de l'existant, du réel est la puissance, non le caractère substantiel. La puissance est la capacité d'assimilation de l'entéléchie d'un processus. A l'échelle humaine, l'entéléchie du Système est particulièrement forte. Tous les hommes, tout le réel est appelé à y participer. Du point de vue extérieur au système, l'assimilation est appelée destruction. On peut penser au concept de trou noir.

Cette ontologie qui privilégie la relation doit permettre une nouvelle interprétation de la logique et me semble beaucoup plus compatible avec la réussite de la mathématisation du réel dans les sciences. Les mathématiques donnent des règles de relations, des symétries ; le principe de base est la réplication d'une relation, non de substances séparées non indiscernables. De ce fait une description mathématique peut être très largement identique au monde d'être qu'elle modélise, et donc avoir l'efficacité des modèles d'Einstein. Déjà la gravitation universelle avait paru à juste titre très étrange aux nominalistes, avec ses relations à distance sans support substantiel. Autant dire que la Mécanique quantique s'interprète plus aisément aussi. Cette ontologie sera plutôt une axiomatique, car le lien logique est relation, et que la substance est ce qui mène à l'élaboration d'une ontologie.

Le sémiotique qui détermine une polarité, par exemple une parole humaine qui transforme une vie humaine, transforme aussi les autres polarités dans lesquelles ce pôle est engagé. En clair, et dans une mesure infime, le monde est changé. Si ce phénomène devient global dans une civilisation, le changement est profond est global. Pan était, le grand Pan est mort. Le sémiotique, qui est mise en relation, et mise en œuvre des relations, est parfaitement réel. Il est absurde de dire que le monde n'a pas de sens, il a en puissance tous les sens que l'on peut trouver, il est la matrice de tous les sens. Le réel a plus de sens que tu n'en peut penser, homme noble. La poiésis humaine n'est pas création d'un sens arbitraire, mais co-élaboration de sens. Le sens du monde est produit autant par le monde que par la poiésis de l'homme ; séparés, il sont vides de sens. C'est l'idéologie-racine qui produit le vide, l'absurde.

L'homme se prive de monde et d'univers quand il ne comprend pas que le sémiotique vit dans une communauté, et que l'homme seul, qui se croit tout puissant, se détermine, s'emprisonne davantage à chacun de ses actes. La communauté humaine est la base des contrats possibles et des lois. Il ne peut y avoir de communauté sans accepter de co-détermination, de contrainte.

Dans le domaine moral, la co-détermination des pôles conduit à comprendre le rôle du non-agir. Parfois il ne faut pas vouloir exterminer le mal sous peine de commettre le mal. Parfois le mal sert le bien, et parfois le bien, ou plutôt l'idée spectaculaire du bien est le masque de plus grands maux. Très souvent, la santé, la solidarité, et toutes les nobles causes modernes servent à faire avancer la tyrannie floue du Système. Parfois il ne faut pas vouloir que du bien à tes proches, parce que la liberté ne se donne pas. La liberté donnée comporte une dette. Rendre libre peut être de montrer un mal à quoi l'autre peut s'opposer, une contrainte. La tyrannie qui prétend libérer ne donne que des choix illusoires, sur un horizon déjà déterminé par des décisions implicites, essentielles.

Il n'est pas possible de voir le bien et le mal comme des substances, les biens spécifiques et les maux spécifiques comme des substances qu'on peut isoler, et conserver ou détruire par une intervention technique. On ne peut pas choisir les aspects d'un système total qui nous plaisent et travailler à éradiquer ceux qui déplaisent sans paradoxes qui défient la raison.

On pourra abandonner la libération des femmes, des prolétaires, des enfants, des animaux, des minorités. "La libération des minorités" n'est pas moralement supérieure à la libération de l'Irak. Qu'on ne se méprenne pas, lecteur ; je ne dis pas qu'il faut opprimer les minorités ni que personne n'est opprimé dans une dictature sanglante. Je dis seulement que ce qui prend prétexte de cette oppression, des minorités, des peuples, pour faire avancer sa cause, n'est pas la cause des minorités ou des peuples, mais l'entéléchie du Système. Et cette entéléchie est intimement oppressive. A titre d'exemple, entendre un dirigeant d'extrême gauche demander la libre circulation des personnes ne doit pas être interprété autrement que l'adhésion idéologique à l'idéologie-racine, qui prend la communauté comme un agrégat de personnes souveraines, qui ne peuvent donc partager que les règles minimales permettant la vie commune, et la neutralité totale sur tout. Être neutre, n'avoir ni saveur ni couleur. Le mécontentement des minorités privées de reconnaissance est instrumentalisé pour briser les solidarités communautaires qui limitent le déploiement maximal de l'entéléchie. Ces solidarités sont défendues par des persona médiatiques caricaturaux et caricaturés. Aucune civilisation ne peut vivre de cet horizon.

On pourra abandonner le libéralisme en affirmant cela : l'homme libre prend sa liberté, ne la demande pas. Et la Cité libre ne défend pas la liberté de ses citoyens, elle leur laisse sans agir, et elle construit la liberté de la cité. La Cité libre est l'Art de sa propre liberté. C'est le modèle d'Athènes.

On pourra abandonner le libéralisme avant d'étouffer. L'entéléchie de cette ontologie de la substance est la maximisation de son réel, et donc de la puissance substantielle, au prix de la destruction des signes, de l'esprit, de l'art, au prix de l'esprit humain.

On a bien abandonné la monarchie absolue. Nous avons besoin de nouvelles Lumières.

On pourra abandonner le libéralisme avec luxe. Sans devenir puritains :

"Là tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté."

Le rire de glace.




Il est des choses qui ne peuvent être écrites, et des choses qui ne peuvent même être dites.

Plus une parole est vraie, plus elle est dangeureuse, et pour celui qui la reconnait telle en son coeur, et pour celui qui la profère, et pour celui qui l'écoute. Le plus grand scandale naît de l'énonciation de la vérité.

La vérité la plus dure : qu'une apparence de vie réussie puisse être bâtie autour de buts faux, creux et menteurs. La fausseté de ces buts doit alors rester cachée jusqu'au dénouement. Si à la fin leur fausseté se dévoile, alors la vie n'est plus réussie dans la perspective même du mort. Elle peut l'être encore d'un point de vue extérieur ; mais cela est vain. C'était l'opinion de Nietzsche, consolateur des hommes.
Celui qui construit sa vie sur des mensonges n'est pas entièrement dupe. Quand il pourrait les dévoiler, il a d'autant plus de pudeur qu'il est plus vieux et a plus construit. Il est complice de ses propres illusions, s'est habitué à leur ornement pour sa persona. Il peut tuer pour les préserver.

Le séducteur de la vérité veut et le voilement et le dévoilement. Le Saint ne veut que le dévoilement et est amer au goût ; l'homme ordinaire ne veut que le voilement, l'illusion qui lui donne un être également illusoire, mais pas absolument.

Car l'être du masque est. Pourtant il est largement vide d'être, à l'image de la vie ordinaire, qui est un abîme ontologique, une exténuation maximale. Ainsi les hommes ordinaires sont-ils pris de vertige et volontiers complices de leur exploitation et de leur humiliation. il s'accrochent à ses formes, à leur dignité factice, de manière vitale, car les horreurs tuent, si on les regarde en face. L'homme ordinaire baisse la tête face à la vérité.

C'est les pieds dans l'abîme qu'on se remémore la plénitude, nostalgie essentielle. Dans la vie ordinaire le savoir est un croc d'acier plongé dans les tripes. Il est souffrance, abîmes de la mort, et solitude.

Ce monde gris, dur et forcé est issu de l'hiver essentiel, il est l'essence analogue de l'hiver dans les cycles des mondes, fait de froid, de brumes, de recherche d'abri et de foyer dans les tempêtes.

Etant image analogue il se présente comme réchauffement, aridité. Il est la chaleur dont l'essence de glace reste cachée. Il est l'Empire solaire qui extermine les hommes dans la nuit et le brouillard.

Ainsi est Disneyworld : lieu d'exploitation du travail humain et lieu d'exploitation du désir ordinaire, si ordinaire de bonheur. Ce lieu de glace veut se présenter comme un paradis unidimensionnel, refusant toute profondeur et tout questionnement douloureux.

Le monde moderne est un Disneyworld du dégoût qui veut faire rire et faire connaître le bonheur. Comme un politicien, plus il sourit, plus il menace de vous dévorer, plus il est mort.

Le porteur de feu montre les déserts de glace. Il doit être impitoyable avec lui même en tant qu'homme ordinaire. Ceci n'est pas une condamnation de l'héroïsme mais de l'illusion. Don Quichotte n'est comique et triste que parce que l'héroïsme n'a pas toujours été une illusion, comme les romans le sont.

Le séducteur de la pensée emmène dans les voiles pourpres des crépuscules qui se mélancolisent voir les sommets de glace. Une séduction atroce est le déchirant désir du mal. Par tout ce qui le fonde, l'homme est ambivalence. La vérité qui scandalise est celle même qui dévoile le goût du mal, celle qui montre l'essence commune de soi et de l'adversaire, qui assume la part des ténèbres. Ce déchirant désir du mal dévoile la vérité.

La facade morale de l'homme dévoile sa cruauté et sa lâcheté anscestrales, elle fait sentir le souffle du Dragon. Dans les replis du regard moral des pères et des mères, des bons citoyens(nes), se trouve le regard du serpent et du vampire, le goût du sang et du meurtre, et de la trahison.

La vérité la plus dure est celle de l'identité de soi et de l'ennemi. Ce critère de lucidite est lié à ce fait que l'affrontement est symétrique, et donc construction d'une image. L'ennemi que j'affronte triomphe quand commence le combat, car c'est sur son terrain qu'il m'a amené. Mon ego se construit comme le positif d'un négatif, et triomphe de vanité. Moi, moi, moi! Je suis bon! J'ai le droit d'écraser et d'humilier! C'est la structure intime de toutes les idéologies.

Je porte l'ennemi en moi.

La psychanalyse permet de se leurrer tout en le disant, en le proclamant inconscient. Car comment pourrait-on affirmer ce qu'on prétend en même temps ignorer?

"Je meurs de soif auprès de la fontaine"

Le combat moderne est là : où l'être, ou rien. Pas d'ennemi pour toi, homme noble. Et viva la muerte!

Ce qui est capital. III L'argent.



Le rôle de l'argent et de la monnaie dans l'Âge de fer est évidemment primordial. Pourtant ce rôle est mystérieux. Je n'ai lu aucune étude décisive sur la nature de l'argent. En tant que signe et mesure universelle des marchandises, des choses échangeables, l'argent semble faire échouer toute tentative de détermination essentielle, étrange analogie inverse du tissage divin, vu par Héraclite.

90 "Le feu est la monnaie de toutes choses et toutes choses sont la monnaie du feu, comme l'or pour les marchandises et les marchandises pour l'or.
67 "Dieu est jour et nuit, hiver et été, rassasiement et famine.
Il change comme [le feu] qui, quand il est mêlé aux parfums, reçoit un nom selon le plaisir de chacun."

Il m'appartient donc de commencer par des fragments phénoménologiques de l'argent, afin de progresser vers la détermination de son essence dans l'Âge de fer.

Tout d'abord l'argent est un moyen de puissance. La puissance est ce que le verbe humain échoue à nier. Positif de l'être et négatif de la parole. Selon Galbraith, il existe trois moyens de puissance :

Le premier est la force, ou puissance militaire ; le deuxième l'argent ; le troisième, la conviction ou propagande. De manière non anecdotique, j'ajouterais la puissance sexuelle .

On peut parler d'une puissance unique parce que tout moyen de puissance peut être passé en un autre.. Ils sont convertibles par nature. Ainsi la force donne accès au travail forcé, à l'argent, et permet de se payer des penseurs, des poètes, des artistes à son service ; l'argent permet de payer des gros bras, d'acheter des armes ; et la grande réussite sur le champ intellectuel et artistique donne accès à l'argent aussi. Les trois donnent accès à la puissance sexuelle, qui est d'avoir accès aux partenaires socialement les plus désirables, jeunes quand on est vieux, beaux, agréables. La puissance sexuelle, un pouvoir de séduction exceptionnel peut, joint à l'ambition , apporter la puissance.
Tout cela ne doit pas être dans la bouche d'un penseur ; et pourtant non seulement cela est vrai, mais toutes les négations en sont ridicules.

L'argent est étroitement lié à la puissance. La puissance, c'est de faire que les autres fassent ce que nous voulons qu'ils fassent. Reste à savoir si l'argent véhicule une entéléchie, et que pour avoir l'argent et la puissance, les hommes même riches ne servent pas cette entéléchie.

L'argent est un cadre de référence ontologique, une paire de lunettes sur le monde. Un objet du monde vu sous l'angle de sa valeur monétaire est vu comme désirable en fonction de cette valeur, tout en étant saisissable en raison inverse de cette valeur. La règle est donc que dans le monde de l'argent je désire d'autant plus X que je ne peux accéder à sa possession, et d'autant moins que je le possède facilement. De ce fait, il est important que les produits désirables soient aussi très chers ; un ami m'a confirmé que lorsqu'il ne pouvait pas vendre certains objets d'art, il en augmentait violemment le prix, et les vendait mieux. De ce fait, je dois arbitrer sans cesse entre le réel de mes moyens et mon désir, et je suis porté à tricher, en étalant de fausses marques de puissance d'argent. Le pauvre étale une fausse richesse qui l'humilie. En arbitrant, j'assimile à chaque fois mon rang social, et ainsi éprouve, ou pas, un sentiment de puissance. Entrer dans un magasin de luxe, une concession Jaguar, avec la capacité d'acheter cash favorise mon estime de soi. Passer devant une boulangerie le ventre vide m'humilie. Ainsi dit Villon : "Et pain ne voient qu'aux fenêtres".

Un objet vu par l'argent est un objet échangeable, une marchandise, sur laquelle l'homme qui la possède, son propriétaire, exerce un pouvoir absolu, selon la structure archéologique du pouvoir absolu. De ce fait, un être réduit à la marchandise, comme un vivant, ou un homme, est réduit à son corps. Cela est l'esclavage. Le marquage au fer rouge du nom du propriétaire en est l'illustration. Mais l'esclavage qui nous choque quand il s'agit d'hommes, n'est que le révélateur du contenu de l'objet réduit en marchandise. Cet objet ne reçoit aucune défense, et peut être librement transformé par son propriétaire. Un animal, une forêt, une montagne, un calice qui deviennent des marchandises sont dépouillés de toute leur nature de vestiges de la divinité, de signes qui nourrissent le monde et l'univers de l'homme. Ils sont transformés en moyens de l'arraisonnement entéléchique du Système ; l'animal en matière première, la forêt en réserve de bois, la montagne en carrière ou en terrain de jeu, le calice en objet de jouissance privée et emblème de rang social. Le simple fait de rentrer dans l'échange, d'être mesuré par un prix, est l'assimilation entéléchique et la destruction des signes.

L'argent est un agent de destruction des obstacles au déploiement maximal de la puissance.

L'argent est un moyen de communication particulier ; mais il est aussi un cadre de référence des relations humaines et de la compréhension de soi. Cela est exprimé par Virginie Despentes dans King Kong Théory.

L'argent est justification, sécurisation, déculpabilisation des comportements conformes aux attendus entéléchiques. Dans le cadre du spectacle, les comportements les plus étrangers aux normes sociales de la dignité humaine sont rendus dignes par l'argent. Manger publiquement de la merde pour de l'argent est honorable. Être humilié sexuellement de manière publique est correct. Vendre son corps en pièces détachées. Si de tels actes étaient accomplis par la force, on parlerait d'agression ignobles ; accomplis par l'argent, ils n'humilient pas leurs victimes, car il permet leur consentement légitime.
Virginie Despentes raconte que prostituée, elle a accepté beaucoup de pratiques sexuelles pour l'argent, avec une liberté d'esprit impossible à trouver dans une partouze.Et donc y a trouvé davantage de plaisir. C'était son métier, non son plaisir. Se poser la question de son plaisir est le moyen de perdre toute la spontanéité qui permet de l'atteindre. La question aujourd'hui dans les relations humaines est qu'elles sont cadrées par l'argent ; et donc qu'il faut veiller sans cesse à ne pas trahir ses propres intérêts par une gratuité excessive, qui serait une exploitation humiliante. Cela est particulièrement vrai pour les relations entre les sexes. Il faut veiller à ne pas s'avancer, à ne pas se faire enculer., ce qui est pensé sur le mode de l'escroquerie.
Tout se passe comme si les femmes, en excitant le désir, avaient une marchandise en propriété, et devaient veiller à la faire payer, à ne pas la dévaluer. Cela est vrai de la Haute couture à la pornographie ; la pornographie est la sexualité cadrée par l'argent au plus haut degré.
Ainsi s'efface le besoin réciproque, le désir réciproque : toute le système du plaisir est paralysé. Les libertins se donnent au plaisir, et n'attendent pas de gains à compter. C'est une forme d'ivresse sacrée, de saturnales. Le bal masqué est aussi une figure de la sexualité étrangère à l'argent et à la puissance, pour des gens lassés de ce cadrage étouffant du désir.
Cette paralysie se fait au profit de relations cadrées par le système. Le succès de Catherine M se situe dans la gratuité du don infini de son corps, et donc dans un système du plaisir étranger au cadrage par l'argent.

L'argent, en justifiant pour soi-même la dégradation, rend la dégradation douce. Les exploiteurs du travail serviles des salariés ne sont pas violents et cruels comme des maîtres d'esclaves. La violence vient d'ailleurs, dans la rupture des relations humaines fortes, rupture indispensable au libéralisme, pour qu'un enfant ou un homme qui ne travaille pas soit isolé, abandonné de tous, et soit forcé de se donner au labeur. L'usage de la violence est diffus, disséminé entre tous ; tous portent la responsabilité et nul ne peut être montré du doigt, sinon le pauvre, qui refuse de travailler. Il y a la publicité, le désir, et la police et la prison. Et l'espoir, la dignité, le sens de la famille, l'horreur du vide. Ainsi tous sont appelés à servir le système.

Et ils ont le droit de le contester de parole, mais non de le comprendre. Nous vivons dans un système très déterminé de manière aveugle. Là encore s'inverse et s'analogue le propos d'Héraclite.

"72. Ce logos qui gouverne l'ensemble de toutes choses (tout l'univers), avec lequel ils ont continuellement le plus étroit commerce, ils en sont séparés, et les choses qu'ils rencontrent chaque jour leur paraissent étrangères."

Ce qui est CAPITAL. I La peine capitale.




Je voudrais exprimer des regrets et des faits.

Dans la réalité, le terme capital désigne la tête, ou encore, selon l'Ordre, ce qui est le plus important. Reste à poser la mesure de l'importance. La mesure est la réflexion la plus importante de la vie humaine ; tout le reste en découle. Ce qui est ici appelé mesure, Nietzsche l'appelle valeurs.

Une mesure de l'humanité de la vie est la mesure du poids symbolique que l'on porte. Ce poids, cette responsabilité, dépend de notre liberté ; et là où abonde la liberté, doit abonder le châtiment. A la toute puissance de l'Un répond son supplice.

Je regrette de ne pas pouvoir mourir debout. Celui qui est privé du droit de défendre sa liberté avec son sang, au grand péril de Mort, est déjà esclave.

Je regrette de craindre par impuissance pour ma vie, et pour celle de mes proches. Celui qui ne peut défendre son sang avec son sang subit une disgrâce.

Dans l'Âge de fer, de tels droits de l'homme sont niés par le Droit, et c'est à tort. Si quelqu'un tuait ma femme, ou l'un de mes enfants, je regrette qu'il ne puisse être tué, mis à mort. Je ne pourrais revivre avec vous, les hommes, respecter la Loi en mon cœur, croire en la justice, qu'après avoir vu celui là mort.

Je le dis sans hésiter, après y avoir beaucoup pensé, et je suis un homme cultivé. Autant que toi lecteur égaré, qui n'a pas écouté mes conseils et n'a pas tourné tes pas en arrière avant de me lire. Pour toi, je connais ton point de vue, les Lumières ont éloigné la cruauté des châtiments des âges sombres. Grâce à la science, le châtiment donne lieu à la fantaisie préalable des "experts de l'âme" qui savent peser le degré de responsabilité du coupable, d'après ses "mouvements intérieurs". Mais la mort de l'homme est bien réelle, sans aucun degré, sans mouvement intérieur. Le fait est incontestable et définitif, et le châtiment juste doit l'être autant.

La sauvagerie, lecteur éclairé, c'est de laisser en vie des dizaines d'années dans des cubes de béton ; la sauvagerie, c'est de laisser l'homme impuissant face au meurtre de ses proches.
Car c'est alors sa liberté intime qu'on lui retire. C'est le serpent de la haine qu'on lui demande d'avaler avec le sourire. L'esclave pardonne par impuissance. Que vaut ton pardon, s'il t'est imposé? La vérité, c'est qu'on te retire la puissance de pardonner, car la liberté, c'est aussi de pouvoir tuer ce qui te tue et te dévore.

Je le dit sans hésiter, et je suis un homme cultivé. Pour tout homme qui a subi cette mort qui te laisse vivant sur les rives du Léthé, je reconnais le droit à la vengeance de mort. Je crois qu'une Cité doit reconnaître ce droit pour préserver la liberté des hommes. A celui qui t'a arraché l'œil, tu arracheras l'œil. Et le guerrier vaincu accepte la mort.

Mais en ces siècles corrompus, il n'existe aucun pouvoir légitime pour exercer ce grand, obscur et atroce pouvoir de condamner à mort le meurtrier de son frère.

Tout procès de mort tourne à l'horreur de la comédie humaine, trop humaine. Toute mise à mort est sordide, boucherie, équarrissage, ou technologie ignoble. Aussi la mise à mort doit être cachée. Aussi je le dis sans hésiter, la vengeance de mort doit être interdite à l'Âge de fer, pour ne pas la profaner.

Mais la honte n'est pas la mise à mort, c'est la nullité des pouvoirs qui l'a prononcé. Qui échoue à la porter. Qui trop souvent condamne à tort.

Ce qui est principiellement juste n'est pas juste à exercer sans pouvoir juste d'exercice. Même la fin principiellement juste ne justifie pas les moyens pour l'atteindre.

La peine de mort est trop noble pour l'Âge de fer. Voilà pourquoi elle est interdite, et pourquoi elle doit être interdite.

Fatal ART OF CHAOS


(Maan by Robbert Beck. http://www.flickr.com/photos/29843268@N02/2850790582/in/pool-photographersofthedamned)

Toutes les citations sont de l'Obscur.

« Si tu n’attends pas l’inattendu, tu ne le trouveras pas, car il est pénible et difficile à trouver. » Héraclite.

En période de crise, la prévisibilité du monde décroit considérablement. A postériori, on croit savoir qu'aujourd'hui on saurait si les conditions se représentaient, mais c'est une illusion. Les conditions de pensée dans un moment du cycle, les prémisses, sont tellement différentes, que le passage par une singularité est imprévisible dans un état du monde, et que soudain, la singularité passée, le monde passé devient très lointain, comme séparé par un mur invisible.

Une fonction simple donne une courbe simple, calculable et prévisible. Une fonction qui se comprend elle-même dans sa formule devient imprévisible, ouvrant dans l'indéfinité des directions. Ajoutons à cela que lorsque nous pensons courbe, nous la visualisons sur un plan ; ici il est permis de penser un espace à n dimensions, avec une courbe chaotique dans cet espace, représentant le développement du monde vers la singularité. C'est aussi le maximum de création. Création et destruction sont les faces d'un même processus de flammes. S'il me broie, il est destruction pour moi, et s'il me pousse, je l'appelle création. «Car c’est la mort pour l'âme que de devenir eau, et mort pour l’eau que de devenir terre. Mais l’eau vient de la terre, de l’eau, l’âme. »

« Ce monde qui est le même pour tous, aucun des dieux ou des hommes ne l’a fait ; mais il a toujours été, il est et sera toujours un feu éternellement vivant, qui s’allume avec mesure et s’éteint avec mesure. »-  « La Sagesse est une, seulement. Il ne veut pas et veut être appelé du nom de Zeus »

Les juifs allemands prospères de 1933 étaient très loin du désespoir impensable de 1939, et la lecture de Mein Kampf ou l'expérience passée des persécutions ne pouvaient les éclairer. L'évidence qu'apporte la lecture des textes antisémites est aveuglement ; les mots alors n'étaient pas réalisés, ni même réalisables. Nous ignorons ce qui sera réalisable dans ce nouveau cycle qui semble s'ouvrir dans l'abîme du kraken, que nous avons tellement de mal à voir de si près, comme un calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur.

Toute la texture du monde ancien est encore là et pourtant, ce monde est perdu à jamais. Ainsi celui qui quitte la rive plein d'espoir sur un grand navire, respirant à grand trait la brume marine, et ignore qu'il part pour l'abime et la souffrance, loin de trouver le passage du Nord-Ouest. Ce navire lui fait croire qu'il pourrait repartir vers la terre, mais toutes les décisions, tous les actes, tout le poids du passé empêche ce retour. Le retour est illusoire. Pour celui qui s'est longuement préparé à une action, renoncer est proche de l'insurmontable ; et quant une société d'homme a longuement posé une action, la nécessité les enferme aussi solidement que des murs. Les prisons de l'homme sont dans ses actes et ses projets libres.« L’arc (βιός) est appelé vie (βίος), mais son œuvre est mort.»

La terre d'enfance, les chaleurs de l'été, les épaules nues des femmes, comme le feu d'hiver et son odeur au retour d'une marche au dehors, tout cela est perdu définitivement. Nous tous venons de perdre définitivement les Trente Glorieuses, et l'Ere de la sécurité. Non dans une guerre, mais par la perte de l'espoir. Nous savons que le progrès est une illusion consolante, que les choses ne s'amélioreront pas sans effort inhumain. Ce qui nous était ami va devenir ennemi. Les traditions des peuples connaissaient déjà les singularités :

« Matthieu 10, 34-39. « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l'homme aura pour ennemis les gens de sa maison. »

Le monde est à reconstruire autant et plus qu'au lendemain des plus grandes guerres, et s'attend à des catastrophes que l'on suppute dans des livres, et qui ne peuvent être pensées. Pourtant l'âge est favorable aux grandes pensées et aux grands horizons, car « Guerre est le père de toutes choses, roi de toutes choses ».

Je ne suis pas prophète de malheur ; le monde est sur une trajectoire rapide et puissante que personne ne peut freiner. Nous avons lancé sans savoir comment arrêter. Au nom de la liberté, l'Empire s'est laissé supplanter par le chaos. L'humanité a perdu le contrôle d'elle même dans une inflation de puissance ; et c'est ça, la fin de l'histoire humaine. Nous sommes spectateurs de notre effondrement. On pourra encore raconter une histoire inhumaine.

Lors de la guerre en Yougoslavie, lors du génocide Rwandais des amis d'école, des voisins, se sont révélés être des tortionnaires, des violeurs et des tueurs de leurs proches. Tout ce feu sombre de la haine et du désir qui en paix sont refoulés aux marges secrètes du monde devient réel. En ce sens ces enfers éclos dans le réel sont des révélateurs du souterrain du bas, de la lave qui porte la plaque continentale, plaque stable et solide d'apparence, jusqu'au séisme et à l'éruption qui recouvre le monde de cendres alors qu'a lieu le repas de noce.

L'ordre humain du monde protège tout homme de lui même et des autres. L'homme doit être protégé de lui même, autant que des autres. Une liberté de toute puissance l'amène à la déréliction. L'ordre est un pilier pour l'homme. Comme l'harmonie de la musique, il est l'expression humaine de l'unité de l'humanité. A ce titre, la variété ordonnée des mondes est image noble de l'Un. Le désordre du monde moderne est un mal métaphysique, une dysharmonie volontaire, effet de la puissance humaine s'effectuant sans principe.
« Le dérèglement doit être éteint, plus encore qu’une maison en feu. »

Comme une courbe lisse, une rupture de courbe ouvre l'imprévisible, puisque la rupture survenue n'empêche pas une nouvelle rupture soudaine. Ce monde est fortement anxiogène, et dans l'univers libéral, les atomes d'actions basées sur le calcul égoïste ne peuvent aboutir qu'au maximum de méfiances et de précautions, et donc aux abîmes du Krach.

Pourtant cette accentuation indéfinie du désordre, de la guerre de tous contre tous même dans les pays en paix, est créatrice. Ce n'est que face à l'impossible que la pensée s'élèvera au dessus du monde moderne et trouvera la force de nouvelles Lumières, d'une Encyclopédie nouvelle, position et négation de l'ancienne.

« Ceux qui veillent ont un monde commun, mais ceux qui dorment se détournent chacun dans son monde particulier »

Fragments d'un traité de guerre idéologique I. De la communication


(http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/PAINT/huc-eugene/femme-nue-devant-un-miroir,5553769.aspx)


La guerre idéologique passe par la communication.


Tout passage d'information d'une personne à une autre est communication ; mais en même temps la communication est création d'espaces communs et de rapports. De ce fait, la force, la violence et la domination font partie du monde de la communication. Même et surtout si cela est nié ou voilé. De ce fait, la science qui étudie l'efficacité de la communication se doit de poser des problèmes très différents. Le premier problème est celui de la réception et de la compréhension du message ; le deuxième de l'interprétation, tant du message que de l'acte de communication. Le troisième est celui de l'efficacité. Cette question se pose dans toute communication finalisée, c'est à dire poursuivant un objectif qui n'est pas à priori celui du récepteur des messages, mais de l'émetteur.

Le problème de la réception est d'ordre technique, et celui de la compréhension relève du décodage.
Mais l'interprétation part déjà beaucoup plus de la mondéité propre à la personne qui le reçoit. En effet, l'interprétation est aussi une prise en charge globale du message mais aussi des conditions de son émission. Par exemple, demander du feu peut être une façon d'aborder quelqu'un. De même, une approche peut être vécue comme hostile ou méprisante quand il s'agit de conseils.

La communication finalisée est l'émission de messages pour obtenir certains effets visés. Cela peut être l'acquisition de compétences, la réalisation d'actions, etc.

La manière la plus simple de réaliser cette communication est l'ordre. Quand je donne un ordre, et qu'il est exécuté, la situation ressemble fortement à la situation physique de la causalité : je sais que pour ouvrir une porte fermée à clé, je dois utiliser telle clé ; ou que pour déplacer tel objet, je dois déployer une certaine force, etc. Un être animé tué à la chasse devient ainsi un objet physique au service de mon entéléchie. La puissance que j'exerce alors est absolue ; d'un être animé, j'ai fait une chose. Chez un être pervers, la jouissance de cette puissance est la racine du sadisme et du meurtre gratuit.
Mais en tuant je perds les services que peut rendre un être animé. C'est pour cela que la contrainte violente, le dressage et l'esclavage visent à faire d'un être animé un outil animé. L'outil est ce que je peux mettre au service de mon entéléchie pour démultiplier ma capacité à l'atteindre, à la réaliser. Dans un cadre disciplinaire, le dressage humain vise à faire d'hommes de bonnes machines de guerre.

Dans la communication qui se refuse la propagande comme piège de l'Age de fer il est question de former des êtres autonomes ou de respecter l'autonomie des autres. La communication finalisée avec un tel objectif ne peut pas être un dressage qui serait contraire à l'objectif visé. Par ailleurs, cette communication est pensée en l'absence de véritable rapport de force, pour être véritablement telle qu'elle doit être pensée pour la bien comprendre. En l'absence donc de rapport de force, il faut fournir à autrui des motifs d'agir comme on le souhaite voir agir. C'est pour cette raison que la question de la motivation des élèves dans le système éducatif monte comme une marée alors que par le système l'enseignant est toujours plus désarmé. De la même manière, dans une civilisation patriarcale, il est très peu utile de savoir séduire, motiver à une relation une partenaire pour un homme ; cela devient une question cruciale avec le retrait de la force des rapports hommes-femmes.

L'école de Palo Alto insiste sur les paradoxes qui naissent de la communication de ce type. Ainsi, l'ordre « sois spontané! »! Ou plus classique, « sois autonome! ». Par compte, « démerdes toi »n'est pas paradoxal. Dans notre civilisation, la valeur proclamée est le respect de la liberté. De ce fait, les paradoxes abondent, car la liberté réelle de choix n'est pas plus élevée que dans les autres civilisations. Mais comme on ne peux pas utiliser ouvertement la force, on joue énormément sur la motivation humaine.

Qu'est ce qui motive l'homme à agir? Peut être n'y a-t-il pas de règle générale, malgré des tentatives comme la pyramide des besoins de Maslow. Ce qui est certain ,c'est que les aspirations humaines sont ambivalentes et dialectiques. Nous désirons l'aventure, et dans l'aventure aspirons à la sécurité. Dans la sécurité, nous nous ennuyons rapidement. Nous voulons aimer, mais l'amour est douleur et déchirement ; aussi l'évitons nous autant que nous le cherchons. Nous voulons l'ivresse, mais ivres et malades voulons la lucidité ; nous voulons posséder mais la culpabilité nous freine ; nous voulons être entouré, mais parfois nos amis nous emmerdent. Nous voulons être aimé et admiré, mais trop nous gêne, nous étouffe ; enfin nous voulons aboutir, mais l'aboutissement est une déception et le début de l'ennui, ou du sommeil dans le cas du sexe. Arrivé dans la ville que nous désirions tant visiter le premier chauffeur de taxi cherche à nous escroquer(Watzlawick) ; l'odeur de cette personne tant désirée nous désoriente, etc. Il y a une homéostasie du désir ; vide, il court vers le plein, mais très vite il freine. Ainsi les premières étapes peuvent-elle être très rapides, mais c'est une erreur énorme de ne pas pousser son avantage dans le feu de la passion : très vite, la situation peut changer.

C'est pourquoi la pyramide de Maslow, ou toute autre construction hiérarchisée non dialectique ne peut -elle que très partiellement, et pour les petits êtres, rendre compte des grands désirs. Par exemple, le danger est très désirable pour les âmes nobles, et la sécurité ne peut être une motivation pour eux.

Pour motiver à agir, il faut aller dans le sens de l'entéléchie de la personne à qui on s'adresse. En tant qu'espèce, les hommes ont une entéléchie spécifique, et il est donc possible de motiver de grandes masses, par l'attrait sexuel, par le goût de l'argent, par la puissance, le désir de domination, qui sont les principaux arguments des publicitaires.
Les jeunes ont une entéléchie qui les pousse naturellement à devenir adultes, et autonomes. De ce fait la communication doit être excessivement prudente, faite d 'écoute active, pour motiver sans heurter.

Il est ensuite des espaces indéfinissables, qui échappent à la conscience claire et qui sont des motivations puissantes. On raconte que pour terroriser quelqu'un il faut connaître ses peurs les plus secrètes ; l'un a peur du vide, des bêtes féroces, de mourir noyé, ou dans les flammes ; l'autre ne craint aucune douleur, mais craint pour un proche ; il en est de même pour la motivation. A ce moment apparaît le problème des états multiples de l'être.

Un être humain est une unité physique, mais est parcouru de forces contradictoires ; ce qu'il appelle son identité est issu de son monde propre, et il peut très bien ignorer qu'en puissance il peut habiter toute sortes d'autres mondes, aussi éloignés de son monde soient-ils.

Je m'explique. L'identité intramondaine est une cascade de déterminations qui sont plus extrinsèques qu'intrinsèques. Si le monde vécu s'effondre, comme dans le cas d'une guerre, d'une crise personnelle, d'un licenciement, alors l'identité ne peut subsister. Que reste-il de Louis XIV en Robinson, seul sur une île déserte? Le Roi fait la cour, mais la cour fait aussi le Roi. L'identité plus secrète peut être à l'abri des pires secousses de la vie humaine, et permettre ces survies stupéfiantes d'hommes face aux terreurs du siècle. Mais avoir cette identité secrète n'est pas le fait, semble-t-il, de la majorité des hommes.
Lors d'une crise, l'identité mondaine peut totalement s'effondrer, apparaître comme une coquille vide. Ce sont les bouffées délirantes. D'autres identités apparaissent alors, véritablement d'autres visages de l'être ; le syndrome des personnalités multiples en est un cas limite. Mais également, celui qui porte une identité mondaine forte peut avoir à montrer d'autre aspects ailleurs, ce qui est aussi très net dans les pratiques orgiastiques.
L'homme moyen n'a pas une conscience claire des possibilités multiples qui se mêlent en lui ; obscurément, il s'étonne de ses réactions en certaines circonstances. La psychanalyse a voulu fournir un modèle de cette multiplicité en hauteur, largeur et profondeur dans un plan, et donc par déformations et ombres, selon l'approche « positiviste » ; il y là vérités et faussetés.

La communication est la polarisation d'identités sur un horizon d'Univers commun.

L'identité fonctionne comme une matrice d'identification et d'assimilation du « monde extérieur », et comme matrice de réaction aux percepts. Elle est le résultat d'une polarisation entre moi et non moi ou monde. L'intentionnalité de la conscience, toute conscience est conscience de quelque chose, montre assez que le monde, comme horizon d'identification des choses, est l'ombre de mon essence comme « moi ». Derrière l'unité de la persona et du monde comme polarités, il y a le vide, l'indéterminé de la volonté de puissance. La structuration de l'identité est largement linguistique, plus encore sémiotique. L'unité du monde est aussi l'unité de la substance de moi et du monde ; et le découpage du continuum en unités sémantiques est classification, et stéréotypie. Ce découpage est une série de déterminations d'une puissance ; et il n'y a pas moins de déterminations dans l'action que dans la réaction ou la passion. C'est la base de la notion de karma : les déterminations ne passent pas, elles s'empilent comme des couches sédimentaires qui forment de nouveaux sols pour la pensée de la vie quotidienne, et sont autant d'aveuglement, de poids et d'opacité pour la vue métaphysique.

Agir me détermine comme identité. De ce fait, l'action, ou le travail simultanément me libèrent et m'enferment dans la construction que je produis. Il est essentiel de laisser du flou, de la puissance, de conserver la violence des contradictions, pour rester vivant. Le gnostique ne peut être systématique. L'ambiguïté, l'ambivalence, sont des constituants de l'homme, et de la pensée. La pensée elle même n'est pas la résolution des oppositions dans un plan, mais union des polarités, ce qui suppose émanation, polarisation différentielle, et retour à l'unité comme un processus vivant, indéfini comme la mer.

La persona constituée, qui répond à un nom ou même à un surnom usuel, est une figure de la sécurité. Savoir comment est le monde, savoir comment y agir, aussi limité et illusoire cela soit-il, est construire le contraire d'un monde angoissant. Le concept d'angoisse est étroitement lié au concept d'identité.
L'angoisse en effet nait de ce qui est inassimilable par le pôle identité, la persona. L'inassimilable pointe les failles, les limites, la finitude de la polarisation, qui ne s'appuie que sur des fragments de l'Être, lui même moins que la puissance. L'inassimilable en l'état est ce qui peut être rendu assimilable par un effort quelconque, par l'effort, la lutte, le travail, qui est le remède à l'angoisse humaine. Ainsi le travail est-il source de joie et de sérénité, mais tient sa racine de l'amertume de l'angoisse et de la mort. Face à la volonté de destruction de mon corps et de mon âme que porte le monde, par l'animal, les maladies, les poisons, les éléments, le temps inexorable...face à la terreur naturelle pour qui regarde cela avec lucidité, il ne reste que l'extase du combat pour triompher de l'angoisse. La mort, en effet, est l'inassimilable le plus fort de la vie ordinaire, étant impensable à partir de moi, et triomphante dans le monde.

En soi rien n'est inassimilable de manière absolue ; mais la persona ne peut survivre qu'a un certain degré, variable, de ce qu'elle ne peut assimiler. Ainsi la mort de Nietzsche. L'angoisse destructrice monte de ce qui est étranger à l'identité, et se ferme au travail d'assimilation, ou me permet une assimilation qui transforme mon identité en creusant mon étrangeté à mon monde propre, et fait de moi un exilé dans mon propre monde. Ainsi l'approfondissement du mystère n'est-il pas la négation du mystère, mais l'abîme toujours plus vertigineux des ténèbres, l'obscur désolé de la nuit hiératique.

L'angoisse peut naître du monde, dans les convulsions du siècle qui nie la destination de l'homme. Défense de l'identité dans une contraction, elle peut naître au cœur des processus de la personne, énorme, écrasante ou simplement infime, comme le bourdon mélancolique d'une vielle. Née de la personne, elle peut être projetée dans le monde, dans le cas de la phobie. Quand la personnalité ne peut être construite, on rencontre dépression, décompensation, morcellement, angoisse énorme, et délire, c'est à dire construction d'un monde permettant à une identité pathologique de vivre, pour pallier à l'angoisse de la destruction, et à la puissance destructrice du réel. A plus petite échelle, le deni si fréquent de réalités pourtant incontestables, les mensonges sincères, fréquents chez les personnes laides, ou gravement malades, est aussi un anxiogène.

La question qui se pose alors face à l'angoisse est celle de la racine de la motivation à changer, à affronter l'angoisse indispensable à la déconstruction avant le changement.
Tout d'abord l'angoisse peut être contrôlée par l'étalement dans le temps des transformations, car leur caractère systémique ne l'interdit pas. La vie ordinaire ne change pas immédiatement d'un changement profond d'entéléchie. La question n'en demeure pas moins.

Dans les faits, il est clair que les limites sécurisantes de la persona ne peuvent satisfaire la volonté de puissance, tissu de la monade du moi et du monde. L'angoisse est aussi l'expression obscure d'un désir qui ne peut se transformer en manifestation de puissance. La transformation de l'angoisse sans entéléchie, en volonté de puissance orientée vers une entéléchie, est la co-transformation des pôles identité et monde de la monade individuelle, elle même détermination de la volonté de puissance. Cette co-transformation est une jouissance. La jouissance est l'expression de la volonté de puissance qui dépasse l'angoisse. La jouissance est l'intensité maximale de l'existence, du réel ; elle est l'extrême de la vie ; et c'est pourquoi une persona rigide et puritaine est une forme morbide, tournée vers la mort et la cendre.

La jouissance est dépassement, débordement ; moment d'expansion de la puissance, elle remet en cause la persona. Elle est le fruit de l'arbre amer de l'angoisse. La jouissance sexuelle est une analogie légitime de l'expérience de la puissance divine. Analogie n'est nullement identité. L'expansion maximale, rappelons-le, est aussi la contraction maximale, car le cercle infini a son centre partout et sa circonférence nulle part.

La jouissance surmonte l'angoisse. L'euphorie surmonte les bouleversements du feu. L'euphorie rejoint le désespoir, dans les ondes brutales qui bouleversent les amants. La communication est ce miroir de voyant qui montre une identité plus large, plus haute et plus profonde, à l'œil de celui qui sait voir.

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova