Ce qui est capital IV : Métacritique des spires du Serpent.


(femme d'Oô)

L'ontologie et l'axiomatique d'un discours a-libéral

Depuis Aristote au moins, et même Platon, l'ontologie occidentale construit sur les mêmes racines. Ces racines sont-elles celles de l'ontologie implicite des langues européennes, syntaxe, sémantique et pragmatique comprises, ou celles de l'idéologie implicite de l'Occident, là n'est pas la question.

La quasi totalité des perspectives de pensée sont informées par ces structures fondamentales. Or, comme l'a montré Quine sans en tirer aucunement les conséquences, ces structures sont des positions sur l'être, ou encore des décisions de l'être humain. Ces positions informent la totalité des constructions sémantiques qui se construisent sur leurs bases. Une telle affirmation pose le problème de l'analogie au sens grec, nous y reviendrons. La connaissance objective se construit comme un cristal, par réplication à l'indéfini de structures, issues de matrices combinatoires déterminées. Et ce qui ne rentre pas dans les cases d'une ontologie est nié par celle-ci.

Il faut cesser de croire à la vérité de la description de l'être donnée par une telle matrice pour en voir le côté mécanique. A titre d'exemple, les partisans de la théorie de l'évolution qui répondent aux créationnistes en disant que "l'évolution n'est pas une opinion, mais la vérité vraie", ne sont pas moins dogmatiques que leurs adversaires, et aboutissent au dialogue d'imbéciles dogmatiques. Car une telle théorie est extrêmement élaborée, pas du tout évidente. Sinon, l'avoir élaborée n'aurait rien de glorieux, et il faudrait expliquer pour quoi tant d'observateurs avertis sont passés à côté de l'évidence, de celle que comprend un collégien.

A partir de l'unicité du système des premières positions ontologiques, on peut développer toute sorte de perspectives contradictoires à l'intérieur d'un monde logique ; et donc donner la réalité d'un pluralisme dans ce monde, mais cette pluralité intramondaine (au sens dans un monde logique) est illusoire dans la pluralité des mondes possibles, qui est une pluralité réelle.
En clair, le pluralisme intramondain respecte implicitement l'unicité des positions de base. Et plus les couches sédimentaires s'accumulent sur ces positions de base, et plus celle-ci deviennent la tache aveugle de la pensée, l'accord implicite fondant toutes les oppositions sémantiques possibles, car l'opposition ne peut naître que d'un accord préalable, d'un terrain partagé d'opposition, qui est d'autant plus hors de la perception que l'opposition est puissante, et que sa puissance aveugle sur l'identité avec l'ennemi. Voyez nos deux crétins de toute à l'heure.

Parvenu à la conscience de l'arbitraire de ces structures, l'arbitraire étant l'effet d'une puissance légitime et inévitable, nous parvenons aussi à la conscience d'une puissance nouvelle, qui est de refonder l'axiomatique des législations humaines, le langage étant la première législation de toutes. Refonder parce que nous constatons le caractère destructeur des idéologies et de l'entéléchie qui gouverne l'actuel déploiement des mondes humains. Refonder pour retrouver de la liberté humaine, tout simplement, parce que le poids du passé devient écrasant. Cette refondation permettra aux penseurs de l'avenir de penser hors des structures du monde moderne, et donc de créer du nouveau réel.

Sinon, pensant à travers les catégories anciennes, on n'aboutira qu'a renforcer le système, à nourrir sa puissance. Le travail métaphysique est le premier travail révolutionnaire. C'est le non agir préalable.

I

L'ontologie implicite des langages occidentaux est le langage de la substance.
Il est possible de penser qu'il existe une indéfinité d'ontologies axiomatiques possibles ; cependant, dans notre langage ce nombre est peut être limité.
Il est aussi très probable, certain même, que l'ontologie que je propose soit commune, sur un tronc fondamental qui me reste implicite, avec l'ontologie que je propose de remplacer.
Cela est un cas flagrant pour les querelles entre platoniciens et aristotéliciens, et pour l'ensemble de la querelle des universaux.
Toutes ces œuvres sont du domaine de l'avenir. Ma préoccupation n'est pas fondamentale ici, mais critique ; il s'agit de poser les bases suffisantes d'une critique fondamentale de l'axiomatique ontologique de l'idéologie-racine (car cette idéologie se diffuse ensuite en branches contradictoires sur des aspects insuffisamment essentiels) du Système. Je ne l'appele pas idéologie libérale parce que comme l'a déjà noté Michéa entre mille, de nombreux adversaires explicites du libéralisme sont en fait des répétiteurs de cette idéologie racine, et sont donc bien en peine de la combattre.

L'ontologie de la substance est résumable, et ses conséquences logiques, ses ramifications, sont en nombre quasiment indéfini. j'essaye d'en présenter certaines par la suite, pour faire apprécier l'importance d'une telle critique.
Ses principes sont les suivants :

L'Être est composé de substances séparées, ayant une identité ou essence, des limites stables et durables, et sont composées de matière et de forme. La substance a des accidents, des caractéristiques qui n'ajoutent rien à l'essence, peuvent être ajoutées ou enlevées sans la changer.

Les substances séparées individuelles sont les étants les plus sûrs, les plus concrets, les plus assurés. De ce fait leur type d'être est la mesure de toute autre être ; toute autre être est irréel, plus ou moins, entaché d'irréalité. Par exemple, on parle d'économie réelle pour l'économie des marchandises, comme si la sphère financière était virtuelle, ou carrément irréelle.

La mesure, c'est ce à quoi on mesure, non ce qui est mesuré. Ainsi, la mesure de l'être est la chose.

« Ces ontologies décrivent généralement :
Individus : les objets de base,
Classes : ensembles, collections, ou types d'objets,
Attributs : propriétés, fonctionnalités, caractéristiques ou paramètres que les objets peuvent posséder et partager,
Relations : les liens que les objets peuvent avoir entre eux,
Événements : changements subis par des attributs ou des relations. » (Wikipedia -ontologie informatique)

Les substances sont individuées, sont des individus ; de ce fait les termes généraux sont des classes, d'où la question de l'être de ces classes-la classe des chiens n'est pas un chien. En général on pose aujourd'hui que ces classes sont inférieures en être aux substances individuelles : ce sont des êtres mentaux, qui ne peuvent subsister que dans le mental, comme les rêves. C'est la position nominaliste.

Les attributs peuvent être essentiels (vivant, pour un homme) ou accidentels (être assis).

La relation est posée comme postérieure aux substances, ou objets ; il y a d'abord les objets, puis la relation qu'ils peuvent avoir. Par exemple, cette structure de pensée se réplique dans la vision libérale de la société : il y a d'abord des hommes séparés, puis une rencontre qui produit la relation, le contrat social.

Dans une première ramification ontologique, on décrit une proposition sur le monde comme contenant des signes d'objet (X ou Y en logique) et des signes de relation ; ou encore, une langue comme lexique de noms, signes d'objets, et syntaxe, ou signes de relations. Il y a analogie structurelle entre la proposition et l'état du monde. Mais définir de quoi il s'agit-l'analogie structurelle- est une aporie de l'ontologie-racine. En effet des objets et des signes sont de nature différente, et ils ne peuvent entretenir la même relation ; bien sûr, il ne s'agit que d'analogie, mais il doit y avoir du même quelque part. Pourtant ce même est contraire aux principes de base.

On l' a dit, le réel est pensé à l'image de la res, de la chose concrète pourvue d'identité, sensible. Le reste est inférieur en réalité, relativement à la mesure de la réalité choisie. De ce fait il existe une stricte séparation entre la proposition qui le dénote, et l'état du monde qui est l'étalon réel. Analogie, comparaison, supposent séparation. En conséquence, on est conduit à poser que l'être n'est pas vrai, car le vrai n'est qu'une propriété de la proposition. Mais alors il n'existe plus aucun autre critère du vrai que la consistance logique, interne à la proposition. De ce fait l'épistémologie qui s'élabore à partir de l'ontologie racine tend à dénier toute consistance au concept de vérité comme lié au réel substantiel. Deuxième aporie, car si cette thèse est l'élaboration d'une recherche, il reste possible d'argumenter pour décider si elle est vraie ou fausse. (Rorty, Feyerabend)

Le signe, posé comme triadique, signe (linguistique par exemple), dénotation, signifiant, comporte des parties, antérieures et extérieures à lui qu'il met en relation de manière idéelle, au niveau de la représentation, non réellement. La notion d'arbitraire du signe illustre ce non réellement. La manière dont on signifie un objet n'affecte pas cet objet dans son essence ; une dénomination est accidentelle par nature. L'ontologie de la substance conduit à la séparation entre le réel et le signifiant. Le déroulement logique est de poser le signifiant comme non réel, donc l'insignifiance du monde.

Les trois pôles du signe sont alors nécessaires : le signe (linguistique), arbitraire, humain, au fond étranger au réel ; le dénoté, objet du monde, substance, réel; le signifié, non arbitraire, essence ou définition de l'objet, et pour une part dépendant de l'objet, du percept qu'il produit, pour une part représentation, soit sémantique dans les catégories de la langue, soit à partir des catégories à priori de la pensée humaine. Et donc la synthèse de l'humain et du réel, ou représentation. mais de plus en plus tiré vers l'objet mental, donc dépourvu de réalité, en vertu de l'aporie de la relation entre des objets d'essence différente.

Enfin, le changement est pensé soit comme substantiel-trans-formation- soit comme accidentel, dans la relation. Car il n'est rien d'autre que des substances ou des relations de substances dans notre ontologie culturelle.

Les impasses de l'ontologie de la substance sont nombreuses. Les plus métaphysiques sont : la vérité n'est rien de réel (Rorty) ; l'être n'a en soi aucun sens (ce qui est vrai, car rien en soi ne peut signifier, puisque la signification est une relation.)

Poser le sémiotique comme non réellement réel, est au fond l'origine de la séparation entre l'être en soi et la représentation chez Kant. L'ontologie de la substance ne peut penser l'ontologie de la représentation, du signe, que négativement. La « théorie de l'information » ne pense qu'en terme de quantité d'information, et ne peut distinguer une matrice combinatoire puissante d'un simple fatras de lettres prises au hasard.

A titre de contre exemple, pour montrer les possibilités d'une autre ontologie, si par une construction culturelle se déterminent un sujet et un monde propre, dans le cadre d'une communion d'opposés consubstantiels, alors la détermination du sujet est aussi une détermination réelle du monde. Ce qui explique la puissance de réel, concrète de la poiésis. Mais si on reste dans ses propres déterminations culturelles, cette poiésis réelle reste inatteignable. Un homme isolé est dépourvu de cette puissance, car c'est dans le tissage social, producteur d'Univers à partir de communications de mondes propres que peut se confirmer cette production culturelle de réalité concrète. C'est la société humaine qui peut créer réellement, non un homme seul. La poiésis individuelle ne devient concrète que confirmée par autrui ; un artiste, une œuvre, ne sont œuvres que respectées comme telle par une communauté.

En épistémologie, l'ontologie de la substance rend inintelligible par exemple la réussite de la théorie de la relativité, et l'histoire réelle de la physique, où le travail mathématique précède la théorie physique.(Riemann avant Einstein). Si la vérité d'une théorie n'est rien de plus qu'une opinion, pourquoi certaines opinions permettent-elles de faire naître le soleil artificiel d'Hiroshima?

Par ailleurs, le véritable problème de l'interprétation de la Mécanique quantique est son évidente incompatibilité avec l'ontologie de la substance, et le principe de non contradiction qui lui est partiellement lié, en ce qu'il concerne une substance, localisée dans le temps et l'espace, contrairement à une puissance, qui n'est qu'un espace de probabilité. L'interprétation de la Mécanique quantique avec l'ontologie moderne est équivalente à la recherche du fils de Noé, ou de la tribu d'Israël ascendant des Indiens d'Amérique au XVIème Siècle : l'incompréhension du fait que c'est le cadre qui pose problème, non la réalité vécue.

Dans le domaine social, cette ontologie empêche de concevoir le rôle de l'argent comme entéléchie organique d'un système codé de communication humaine, à cause de la propension invincible de vouloir partir de « l'individualisme méthodologique » et d'une théorie simpliste de la motivation humaine individuelle. Alors qu'obéir à des règles de communication n'engage pas la totalité de la volonté humaine, ni des possibilités humaines : on peut le constater par le jeu. Par ailleurs cette ontologie empêche de comprendre réellement toute relation complémentaire, comme celle des classes ou celle des sexes, en privilégiant la relation symétrique. A titre d'exemple, penser en terme d'essence permet de penser à une dictature du prolétariat, alors que le prolétaire n'existe que comme exploité, et change donc nécessairement d'identité en exerçant la dictature. Et donc que la dictature du prolétariat est un paradoxe dont le résultat réel est la dictature réelle. Autre exemple, il ressort que la libération de la femme ne peut être que simultanément celle de l'homme.(V. Despentes)

Dans le domaine politique, la théorie du contrat social sous toute ses formes est liée à cette idéologie racine et contient les mêmes apories. Pour se rencontrer et négocier un contrat aussi complexe, des hommes doivent parler la même langue ; et pour parler la même langue, il doivent former une communauté. Plus, il doivent se faire confiance entre eux préalablement. Le contrat social n'est qu'un homonyme de contrat, puisque il est le cadre général des contrats possibles, d'un type logique différent. Les théories du contrat sont des fables idéologiques.

Dans le domaine moral, l'idéologie-racine pose les opposés comme séparés par nature, et inconciliables. Elle pose le bien et le mal comme des substances séparées et les pense dans ce cadre. En conséquence, on rencontre chez les puritains moraux l'idée d'utiliser la puissance technique pour éliminer le mal de la surface de la terre, et ces gens sont forts surpris d'aggraver le problème en déployant de si puissants moyens de destruction. Même résultat comique chez les écologistes qui immanquablement, voudront utiliser la puissance technique et politique pour diminuer l'utilisation de la puissance technique et politique.

Dans les sciences cognitives, l'ontologie de la substance s'épuise dans des complexités vaines, fonctionnellement comparables à la théorie des épicycles dans l'astronomie de la renaissance, des hypothèses ad hoc. Ainsi en cherchant à définir des qualités premières des substances, qui seraient indépendantes de l'observateur, et des qualités secondes qui seraient au fond des illusions de perspective. Pourtant les sciences cognitives travaillent au fond sur des représentations de représentations, et au delà encore, et rares sont ceux qui en comprennent le caractère abyssal de régression à l'infini dans l'ontologie moderne. Régression à l'infini que les sciences cognitives idéologiques voudraient stopper par ce qui est le plus réel, le cerveau, cette substance concrète, que l'on explore, observe, pèse. Sans percevoir que le logiciel, fait de relations indéfinies et sans cesse renouvelées produit la substance comme une forme. Voyez cette pauvre P Churchland. Varela est une exception avec le concept d'énaction, qui marque une volonté marquée de sortir de l'idéologie-racine.

Par exemple dans la Mécanique quantique le photon comme objet « simple» n'est constitué que par l'observateur, qui joue le rôle de déterminant d'une puissance, énergie et espace de probabilités. Mais l'observateur(humain ou non) n'est déterminé observateur, ou récepteur, que par le photon, sinon il ne l'est pas. Berkeley a déjà très justement posé la question : « quel bruit fait un arbre qui tombe dans la forêt quand personne ne l'entends? »


II




(Franz von Stuck, la sensualité)



Si nous voulons partir d'une ontologie différente dans ses prémisses et ses conséquences et refonder notre abord du monde, nous pouvons poser sciemment des principes différents, souterrains mais toujours présents dans le monde occidental, ainsi chez Héraclite, Eckhart, Nicolas de Cues, Hegel, Whitehead...et qui est représenté par la figure du Serpent.

L'Être est une substance unique qui se compose en elle même, composée d'abord, cette première composition étant plus conceptuelle que réelle, de matière, d'étoffe, et d'énergie, autopoiésis, capacité à produire des déterminations. Ces déterminations sont nécessairement apparitions duelles, apparitions de polarités, qui déterminent entre elles des relations d'opposition. Tous les attributs sont des aspects de communications de polarités, et c'est le flux des communications dans l'Un qui produit les essences, la somme des attributs d'une polarité. Aucune de ces polarités n'est durable, et donc l'essence est en définitive illusion dans ce monde qui s'écoule ; mais non illusion absolue, illusion partielle due à l'abstraction du temps.

L'acte est issu de la détermination d'une puissance ; il est moins que celle ci. L'acte est le vestige visible d'une puissance.Par nature la puissance n'appartient pas au domaine du perceptible, de l'individualisable, du conceptualisable. Elle est une hypothèse nécessaire, et un fait général, visible dans la transformation des choses. La volonté de puissance, est ce qui veut la volonté et son déploiement moiré, indéfini. Le temps est la dimension de l'actualisation de la puissance par polarisations indéfinies, fluides. Le sommet du réel est le sommet de la puissance qui produit les polarités. Le monde des substances finies est un monde de cendres du feu unique. La finitude des règles d' actualisation provoque l'homogénéité des formes ; et ainsi les classes sont pour une part arbitraires, puisqu'elles rassemblent des choses séparées, et réelles, puisque ces choses se forment selon des règles homogènes. Mais la classe ne véhicule que le produit, et est aveugle au processus, qui échappe, comme une boîte noire.Si idées il y a, il ne faut pas les penser comme des substances, ou des formes, mais comme des processus immanents. Ainsi les cratères, les stalagmites, les poissons et les mammifères marins, ont-ils divers supports, mais des analogies de processus et de forme.

Il s'ensuit que le visible ne vaut que comme signe de l'invisible.

Une polarité quelconque doit être pensée comme formée d'un jeu de déterminations réciproques dans un ensemble unique, l'unicité étant préalable à la division. Penser une substance individuelle séparée est contradictoire, puisque l'individuation est un aspect d'un ensemble dans une perspective. Toutes les qualités qui déterminent un individu et une identité sont des réalités relationnelles par définition.
Un ensemble de polarités dans une substance unique détermine un processus, car une polarité est un état instable et un déploiement de puissance. Formée par la puissance, la polarité est puissance, et donc va de soi vers d'autres états de polarisations. Ce processus a une finalité immanente, une nécessité interne, quand il est fini. Par exemple, si je met le feu dans une masse de paille sèche dans l'air, l'entéléchie sera le déploiement complet de la combustion. En l'absence d'une opposition, tout sera brûlé.

Ce processus et cette entéléchie sont intelligibles ; dans les faits humains, cette intelligibilité permet entre autres les expériences de pensée des sciences sociales comme l'économie, ou comme la théorie des jeux, qui permet de prévoir l'évolution d'un groupe qui s'impose certaines règles d'interaction. Ainsi l'entéléchie de la guerre industrielle totale est -elle le déploiement maximal de la puissance de destruction, avec des phénomènes comme la course aux armements, etc.
Ceci est profondément schématique, comme le montre le refus d'emploi de la guerre chimique lors de la seconde guerre mondiale. Cependant, cette notion d'entéléchie immanente permet de comprendre l'évolution de la société libérale et de ses règle particulières. Les ramifications indéfinies du système ne servent pas moins l'entéléchie globale. Ainsi, le travail des femmes pendant les guerres totales sert-il l'entéléchie de déploiement maximal de la destruction.

La mesure de l'existant, du réel est la puissance, non le caractère substantiel. La puissance est la capacité d'assimilation de l'entéléchie d'un processus. A l'échelle humaine, l'entéléchie du Système est particulièrement forte. Tous les hommes, tout le réel est appelé à y participer. Du point de vue extérieur au système, l'assimilation est appelée destruction. On peut penser au concept de trou noir.

Cette ontologie qui privilégie la relation doit permettre une nouvelle interprétation de la logique et me semble beaucoup plus compatible avec la réussite de la mathématisation du réel dans les sciences. Les mathématiques donnent des règles de relations, des symétries ; le principe de base est la réplication d'une relation, non de substances séparées non indiscernables. De ce fait une description mathématique peut être très largement identique au monde d'être qu'elle modélise, et donc avoir l'efficacité des modèles d'Einstein. Déjà la gravitation universelle avait paru à juste titre très étrange aux nominalistes, avec ses relations à distance sans support substantiel. Autant dire que la Mécanique quantique s'interprète plus aisément aussi. Cette ontologie sera plutôt une axiomatique, car le lien logique est relation, et que la substance est ce qui mène à l'élaboration d'une ontologie.

Le sémiotique qui détermine une polarité, par exemple une parole humaine qui transforme une vie humaine, transforme aussi les autres polarités dans lesquelles ce pôle est engagé. En clair, et dans une mesure infime, le monde est changé. Si ce phénomène devient global dans une civilisation, le changement est profond est global. Pan était, le grand Pan est mort. Le sémiotique, qui est mise en relation, et mise en œuvre des relations, est parfaitement réel. Il est absurde de dire que le monde n'a pas de sens, il a en puissance tous les sens que l'on peut trouver, il est la matrice de tous les sens. Le réel a plus de sens que tu n'en peut penser, homme noble. La poiésis humaine n'est pas création d'un sens arbitraire, mais co-élaboration de sens. Le sens du monde est produit autant par le monde que par la poiésis de l'homme ; séparés, il sont vides de sens. C'est l'idéologie-racine qui produit le vide, l'absurde.

L'homme se prive de monde et d'univers quand il ne comprend pas que le sémiotique vit dans une communauté, et que l'homme seul, qui se croit tout puissant, se détermine, s'emprisonne davantage à chacun de ses actes. La communauté humaine est la base des contrats possibles et des lois. Il ne peut y avoir de communauté sans accepter de co-détermination, de contrainte.

Dans le domaine moral, la co-détermination des pôles conduit à comprendre le rôle du non-agir. Parfois il ne faut pas vouloir exterminer le mal sous peine de commettre le mal. Parfois le mal sert le bien, et parfois le bien, ou plutôt l'idée spectaculaire du bien est le masque de plus grands maux. Très souvent, la santé, la solidarité, et toutes les nobles causes modernes servent à faire avancer la tyrannie floue du Système. Parfois il ne faut pas vouloir que du bien à tes proches, parce que la liberté ne se donne pas. La liberté donnée comporte une dette. Rendre libre peut être de montrer un mal à quoi l'autre peut s'opposer, une contrainte. La tyrannie qui prétend libérer ne donne que des choix illusoires, sur un horizon déjà déterminé par des décisions implicites, essentielles.

Il n'est pas possible de voir le bien et le mal comme des substances, les biens spécifiques et les maux spécifiques comme des substances qu'on peut isoler, et conserver ou détruire par une intervention technique. On ne peut pas choisir les aspects d'un système total qui nous plaisent et travailler à éradiquer ceux qui déplaisent sans paradoxes qui défient la raison.

On pourra abandonner la libération des femmes, des prolétaires, des enfants, des animaux, des minorités. "La libération des minorités" n'est pas moralement supérieure à la libération de l'Irak. Qu'on ne se méprenne pas, lecteur ; je ne dis pas qu'il faut opprimer les minorités ni que personne n'est opprimé dans une dictature sanglante. Je dis seulement que ce qui prend prétexte de cette oppression, des minorités, des peuples, pour faire avancer sa cause, n'est pas la cause des minorités ou des peuples, mais l'entéléchie du Système. Et cette entéléchie est intimement oppressive. A titre d'exemple, entendre un dirigeant d'extrême gauche demander la libre circulation des personnes ne doit pas être interprété autrement que l'adhésion idéologique à l'idéologie-racine, qui prend la communauté comme un agrégat de personnes souveraines, qui ne peuvent donc partager que les règles minimales permettant la vie commune, et la neutralité totale sur tout. Être neutre, n'avoir ni saveur ni couleur. Le mécontentement des minorités privées de reconnaissance est instrumentalisé pour briser les solidarités communautaires qui limitent le déploiement maximal de l'entéléchie. Ces solidarités sont défendues par des persona médiatiques caricaturaux et caricaturés. Aucune civilisation ne peut vivre de cet horizon.

On pourra abandonner le libéralisme en affirmant cela : l'homme libre prend sa liberté, ne la demande pas. Et la Cité libre ne défend pas la liberté de ses citoyens, elle leur laisse sans agir, et elle construit la liberté de la cité. La Cité libre est l'Art de sa propre liberté. C'est le modèle d'Athènes.

On pourra abandonner le libéralisme avant d'étouffer. L'entéléchie de cette ontologie de la substance est la maximisation de son réel, et donc de la puissance substantielle, au prix de la destruction des signes, de l'esprit, de l'art, au prix de l'esprit humain.

On a bien abandonné la monarchie absolue. Nous avons besoin de nouvelles Lumières.

On pourra abandonner le libéralisme avec luxe. Sans devenir puritains :

"Là tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté."

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Zinaida Serebriakova