Fatal ART OF CHAOS


(Maan by Robbert Beck. http://www.flickr.com/photos/29843268@N02/2850790582/in/pool-photographersofthedamned)

Toutes les citations sont de l'Obscur.

« Si tu n’attends pas l’inattendu, tu ne le trouveras pas, car il est pénible et difficile à trouver. » Héraclite.

En période de crise, la prévisibilité du monde décroit considérablement. A postériori, on croit savoir qu'aujourd'hui on saurait si les conditions se représentaient, mais c'est une illusion. Les conditions de pensée dans un moment du cycle, les prémisses, sont tellement différentes, que le passage par une singularité est imprévisible dans un état du monde, et que soudain, la singularité passée, le monde passé devient très lointain, comme séparé par un mur invisible.

Une fonction simple donne une courbe simple, calculable et prévisible. Une fonction qui se comprend elle-même dans sa formule devient imprévisible, ouvrant dans l'indéfinité des directions. Ajoutons à cela que lorsque nous pensons courbe, nous la visualisons sur un plan ; ici il est permis de penser un espace à n dimensions, avec une courbe chaotique dans cet espace, représentant le développement du monde vers la singularité. C'est aussi le maximum de création. Création et destruction sont les faces d'un même processus de flammes. S'il me broie, il est destruction pour moi, et s'il me pousse, je l'appelle création. «Car c’est la mort pour l'âme que de devenir eau, et mort pour l’eau que de devenir terre. Mais l’eau vient de la terre, de l’eau, l’âme. »

« Ce monde qui est le même pour tous, aucun des dieux ou des hommes ne l’a fait ; mais il a toujours été, il est et sera toujours un feu éternellement vivant, qui s’allume avec mesure et s’éteint avec mesure. »-  « La Sagesse est une, seulement. Il ne veut pas et veut être appelé du nom de Zeus »

Les juifs allemands prospères de 1933 étaient très loin du désespoir impensable de 1939, et la lecture de Mein Kampf ou l'expérience passée des persécutions ne pouvaient les éclairer. L'évidence qu'apporte la lecture des textes antisémites est aveuglement ; les mots alors n'étaient pas réalisés, ni même réalisables. Nous ignorons ce qui sera réalisable dans ce nouveau cycle qui semble s'ouvrir dans l'abîme du kraken, que nous avons tellement de mal à voir de si près, comme un calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur.

Toute la texture du monde ancien est encore là et pourtant, ce monde est perdu à jamais. Ainsi celui qui quitte la rive plein d'espoir sur un grand navire, respirant à grand trait la brume marine, et ignore qu'il part pour l'abime et la souffrance, loin de trouver le passage du Nord-Ouest. Ce navire lui fait croire qu'il pourrait repartir vers la terre, mais toutes les décisions, tous les actes, tout le poids du passé empêche ce retour. Le retour est illusoire. Pour celui qui s'est longuement préparé à une action, renoncer est proche de l'insurmontable ; et quant une société d'homme a longuement posé une action, la nécessité les enferme aussi solidement que des murs. Les prisons de l'homme sont dans ses actes et ses projets libres.« L’arc (βιός) est appelé vie (βίος), mais son œuvre est mort.»

La terre d'enfance, les chaleurs de l'été, les épaules nues des femmes, comme le feu d'hiver et son odeur au retour d'une marche au dehors, tout cela est perdu définitivement. Nous tous venons de perdre définitivement les Trente Glorieuses, et l'Ere de la sécurité. Non dans une guerre, mais par la perte de l'espoir. Nous savons que le progrès est une illusion consolante, que les choses ne s'amélioreront pas sans effort inhumain. Ce qui nous était ami va devenir ennemi. Les traditions des peuples connaissaient déjà les singularités :

« Matthieu 10, 34-39. « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère; et l'homme aura pour ennemis les gens de sa maison. »

Le monde est à reconstruire autant et plus qu'au lendemain des plus grandes guerres, et s'attend à des catastrophes que l'on suppute dans des livres, et qui ne peuvent être pensées. Pourtant l'âge est favorable aux grandes pensées et aux grands horizons, car « Guerre est le père de toutes choses, roi de toutes choses ».

Je ne suis pas prophète de malheur ; le monde est sur une trajectoire rapide et puissante que personne ne peut freiner. Nous avons lancé sans savoir comment arrêter. Au nom de la liberté, l'Empire s'est laissé supplanter par le chaos. L'humanité a perdu le contrôle d'elle même dans une inflation de puissance ; et c'est ça, la fin de l'histoire humaine. Nous sommes spectateurs de notre effondrement. On pourra encore raconter une histoire inhumaine.

Lors de la guerre en Yougoslavie, lors du génocide Rwandais des amis d'école, des voisins, se sont révélés être des tortionnaires, des violeurs et des tueurs de leurs proches. Tout ce feu sombre de la haine et du désir qui en paix sont refoulés aux marges secrètes du monde devient réel. En ce sens ces enfers éclos dans le réel sont des révélateurs du souterrain du bas, de la lave qui porte la plaque continentale, plaque stable et solide d'apparence, jusqu'au séisme et à l'éruption qui recouvre le monde de cendres alors qu'a lieu le repas de noce.

L'ordre humain du monde protège tout homme de lui même et des autres. L'homme doit être protégé de lui même, autant que des autres. Une liberté de toute puissance l'amène à la déréliction. L'ordre est un pilier pour l'homme. Comme l'harmonie de la musique, il est l'expression humaine de l'unité de l'humanité. A ce titre, la variété ordonnée des mondes est image noble de l'Un. Le désordre du monde moderne est un mal métaphysique, une dysharmonie volontaire, effet de la puissance humaine s'effectuant sans principe.
« Le dérèglement doit être éteint, plus encore qu’une maison en feu. »

Comme une courbe lisse, une rupture de courbe ouvre l'imprévisible, puisque la rupture survenue n'empêche pas une nouvelle rupture soudaine. Ce monde est fortement anxiogène, et dans l'univers libéral, les atomes d'actions basées sur le calcul égoïste ne peuvent aboutir qu'au maximum de méfiances et de précautions, et donc aux abîmes du Krach.

Pourtant cette accentuation indéfinie du désordre, de la guerre de tous contre tous même dans les pays en paix, est créatrice. Ce n'est que face à l'impossible que la pensée s'élèvera au dessus du monde moderne et trouvera la force de nouvelles Lumières, d'une Encyclopédie nouvelle, position et négation de l'ancienne.

« Ceux qui veillent ont un monde commun, mais ceux qui dorment se détournent chacun dans son monde particulier »

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Zinaida Serebriakova