Finkienlkraut, maître de poche .

(couverture pour la ferme des animaux d'Orwell)


Billet d'humeur sur un penseur profond, très profond, ou huit jours chez M Finkienlkraut .


Ce blog n'est pas le lieu des billets d'humeur, ni même de l'humour, car on n'est pas là ni pour pleurer, car comme dit Jarry- un conseil d'humaniste à humaniste- dans Ubu Roi, acte III scène 2 : "arrête de pigner, mère Ubu" ni pour se scandaliser ni pour rire, mais pour créer un faisceau de forces, forces de la conceptualité et du désir pour déplacer une montagne, un volcan né de la force de l'homme conjointe à celles de la matière, et ne cessant d'accumuler et de déchainer sa puissance, un golem, un ange très puissant .

De ce fait aucun nom propre, aucune date, aucune actualité n'est habituellement abordée ; cela diminue l'audience, et l'aisance ; mais comme pour la tolérance, il y a des lieux pour ça . Pisser de la copie est besogne de journaliste ; mais quand la pisse s'écoule sur nos pieds, comme habituellement à la plage, une certaine réaction, sans s'imposer, reste humaine . Aussi nos lecteurs nous excuserons de ne pas respecter nos règles, à propos d'une lecture croisée, celle de l'abyssal article du Nouvel Obs n°2238 p 104 consacré au génie intellectuel de notre temps, que ma bouche hésite à nommer, et que j'appellerais donc X, et le livre de Naomi Klein, la thérapie du choc, paru chez Actes Sud, que la recommandation d'un homme aussi disert qu'un alligator m'a rendu crédible : Sans parler d'AD, fort the happy few . De proches amis suivent X avec intérêt . Alors je le relis en pensant à eux, à leur édification...je leur veux du mal .

"Rares sont ceux qui ne s'en sont pas rendu compte, X sera resté en retrait près d'une année", commence avec légèreté l'article d'Aude Lancelin pour son heureux journal . Pour ma part, non seulement je ne m'en suis pas rendu compte, mais je regrette, après lecture, que ce temps trouve, d'ailleurs provisoirement, sa fin . De toute façon, une fois arrêté, il est clair qu'il sera aussi vite oublié que les dinosaures, qui amusent les enfants et divisent les paléontologues, en général des gens qui ont une tête à avoir un chien . Un dinosaure, une grosse bulle de viande . A ceux qui diront qu'il faut avoir pitié d'un homme qui se relève du cancer, je répond en demandant quelle pitié il a de nous, X . Aucune . La guerre idéologique n'est pas le lieu de la pitié et de l'empathie . Mais il n'y a pas non plus de mort physique . Ni de volonté de tuer . C'est dit . La question est : pourquoi lui, il parle, et que dit-il ?- Il est plein d'espoirs naïfs, mais la vraie douleur est incompatible avec l'espoir .

"Son combat continue", proclame le titre sans vergogne, rappelant que la vie de X est bien plus combative que d'un guerrier afghan, même s'il ne porte pas la barbe et les tissus grossiers . "Son énergie pugiliste est intacte", continue noblement la métaphore . "La faculté d'indignation, quasi démultipliée"...l'indignation, cette noble ébullition des belles âmes pisseuses de moraline, comme la rencontre du vinaigre avec le calcaire, un évènement qui tend la pensée de l'homme vers le haut, c'est à dire l'idéologie libérale .

Il a évité la mort, un lymphome, grâce à un assaut technologique, comme des milliers d'autres l'on trouvée pendant ce temps là grâce à la technologie moderne . Missiles guidés par GPS, bombes au phosphore, uranium appauvri...Ou comme les 1600 homicides depuis le début de l'année à Ciudad Juarez . Le progrès...mais ces Orientaux aux lourdes paupières, ces femmes des maquiladoras et ces trafiquants de drogues, que savent-ils de la morale ? Hein ? Lautréamont a dit avec raison : "Alexandre Dumas ne fera jamais, au grand jamais, un discours de distribution des prix dans un Lycée . Il ne connaît pas ce qu'est la morale . Elle ne transige pas ." Que savent-ils de la morale ?... Pas assez pour vivre...tant pis pour eux ! Ils n' avaient qu'à travailler à l'école !

Son nouvel essai s'appelle "un cœur intelligent" . Oui...c'est intéressant . Il a du réfléchir..."le soleil noir", c'est pris par ce fondamentaliste psychotique, Gérard de Nerval...l'eau froide déjà inventée...allons, il faut être intelligent ( parce que complètement con, c'est pas porté dans son milieu), et il faut être gentil, avoir du cœur (parce que n'être pas gentil, c'est être méchant, et être méchant, c'est être contre le libéralisme, c'est pas bien !), alors l'intelligence melliflue...le bonbon conceptuel...le pschitt citron pitoyable...le lave glace de vos yeux endormis, rose...bref...un cœur intelligent, comme un soda, ça plaît partout...bien ! Ça pose quand même plus que "la Critique de la Raison Pure" ou le "Mariage du Ciel et de l'Enfer"... le cœur intelligent, ça dispense de réfléchir froidement, et n'importe quel con moralisateur va se sentir intelligent... Bravo, l'artiste du verbe, le ciseleur raffiné d'oxymores spirituels...le cœur intelligent ! Cela respire une saine modestie !- Enfin, l'honnête satisfaction du cœur intelligent fleurit sur un fonctionnement régulier des fonctions digestives...le cœur croit illusoirement dominer le ventre...illusion du moraliste scolaire ! Le journal d'une femme allemande à Berlin note : "Cœur, douleur, passion, pulsions . Comme tous ces mots me sont devenus étrangers, comme il viennent de loin . De toute évidence, une vie d'amour raffinée, de qualité, présuppose des repas réguliers pris en quantité suffisante..."-Tout va bien dans le monde, X mange...

C'est quoi, être un cœur intelligent ? C'est être comme un foie cirrhosé, vert ? Je sais pas, mais surtout pas rouge, surtout pas rouge sang, surtout pas vivant : "L'hypothèse communiste se déploie à nouveau sans vergogne (...) cette excitation tellement aberrante, tellement française, autour de Julien Coupat . Voici quelqu'un qui dans un style ampoulé et plein de références, en appelle à une révolte cruelle, c'est à dire sanguinaire . Je pensais que nous étions immunisé . Eh bien non, tout le monde (le même "tout le monde" qu'au début, ceux qui se sont aperçu qu'il était pas là . Très fort déjà de voir qu'il est là en l'entendant, vu comme il est creux et transparent, mais le voir alors qu'il n'est pas là...) bref, tout le monde applaudit . Immunisé...carrément ! La révolte, la cruauté, l'homme moral X s'en veut immunisé . L'homme moral, une grosse bulle de viande . L'homme moral se veut immunisé contre la mort et l'oubli, une mécanique moralisatrice, une pompe à vide . Et moi, je veux du sang, de la volupté et de la mort . Je ne suis pas le seul à vouloir le mal, la pureté l'éternité ! "Lorsque (...) tu entendras les aboiements des chiens dans la campagne (...) ne tourne pas en dérision ce qu'ils font . Ils ont une soif inextinguible de l'infini, comme toi, comme moi, comme les humains à la face pâle et longue..."

X lui, dans son essai, n'a pas un style ampoulé et plein de références, lui, vu qu'il "ne parle pas de Proust", dont il parle là en n'en parlant pas, dans l'article, par décence, mais pas là bas dans son livre, où il n'en parle pas du tout, par modestie . Il cite Grossman, Lampeduza, Haffner, et de tout un tas de type pour lesquels il a le plus profond respect . X proclame : "Ma sélection me surprend moi-même (il se surprend lui-même, trop fort comme prise de risque)...sans doute traduit -elle en effet (il fait des hypothèses sur ce qu'il pense, et nous on prétend le comprendre, prétentieux que nous sommes) une vraie inquiétude (le vrai penseur a des vraies inquiétudes, c'est pas comme Coupat qui a de fausses inquiétudes quant à sa liberté de circuler) quant au sort du XX siècle (il a du dire XXIème, parce que le XXème, là où il est, personne ne peut plus s'en préoccuper) . Les grandes leçons tombent dans l'oubli (Il a raison, et encore plus les toutes toutes toutes petites leçons . l'Ecclésiaste le disait déjà ) . Bref, si c'est pas ampoulé, abyssal et plein de références...oui mais lui, X, il a le droit, parce qu'il n'appelle pas à une révolte sanguinaire, il appelle à rien . Rien du tout ! Chez Coupat, j'attends de voir l'appel au crime en question...je ne crois pas l'avoir lu dans son texte dans le Monde...le Monde publie des appels sanguinaires...le Monde, entre Pol Pot et Goebbels...d'ailleurs, X ne fait pas de citation pour une accusation qui mérite la taule : c'est lui, qui a l'intelligence du cœur, pas toi connard !..

Et puis, les ceux qui s'excitent autour de Coupat...c'est tellement français ! Hein, s'exciter comme des petites femmes face à la star virile, là aucune vraie réflexion, aucune vraie inquiétude...c'est tout pour lui, le vrai, le profond, il faut la licence IV pour le vrai et le profond, pas pour la contrefaçon...ces français ! On les met en prison quelques mois sur des motifs un peu légers, un peu, pas très prouvés, et quelques écrits attribués, et ils s'offusquent...quelle légèreté toute française..."si je reviens un jour à la polémique (on attends avec terreur) ce sera avec l'objectif d'arracher à la radicalité le monopole de la pensée critique"...cette légèreté toute française a le monopole effectif de la pensée critique . Merci de nous reconnaître ça, mec...loin de la légèreté toute française...qu'est ce qu'un livre de X à côté d'homo sacer d'Agamben ? Un vibromasseur et un film porno à côté d'une histoire d'amour...une poisson pané à côté d'un requin ?

Quoi encore ? Rien de notable, mais que de vents...le téléphone sonne "dans le vaste salon tapissé de livres" de notre moudjahidine de l'intellect sérieux et profond, que le combat n'a heureusement pas laissé nu, en plus de biologiquement vivant . Il en faut du courage, pour recevoir cet appel : c'est un libraire ami qui lui annonce qu'un bouquin dont il a parlé dans une émission est en rupture de stock . "C'est bien que cette parenthèse littéraire intervienne au moment où nous allions nous échauffer sur Sarkozy..." c'est vrai que c'est un exercice bien difficile pour un homme, alors pour un ancien combattant...quel courage! Quel appétit ! Parenthèse littéraire ? Mais que X ait ce pouvoir par les médias de déterminer quel livre sera lu, n'est ce pas déjà un sous système fonctionnel de la "société postculturelle" ? Étant l'intellectuel de référence de l'ère du vide, il ne se sent pas un peu concerné par le vide ?

Enfin le bavardage dans un bocal tourne au bouffon et au pathétique sur l'humour . Dans le monde réel, le monde de Gaza, de l'Irak, de l'Afrique Noire, de Ciudad Juarez, la violence, la torture et la mort sont omniprésents . Dans le monde réel, on meurt, de faim, de violence et de désespoir . Dans la thérapie du choc, de Naomi Klein, il est question de la recherche sur les méthodes de torture menées par la CIA depuis les années 50 . Ugo Cerletti, psychiatre spécialiste des électrochocs, écrit en 1954 :

"Je me suis rendu dans un abattoir pour observer ce qu'on appelait l'abattage électrique . On plaçait sur les tempes des porcs de grosses pinces métalliques raccordées à un bloc d'alimentation de 125 volts . Dès que les pinces étaient en place, les animaux perdaient connaissance (...)pendant cette période d'inconscience (coma épileptique), le boucher tuait les animaux d'un coup de couteau sans difficulté "

Nous sommes ces porcs promis au sacrifice, à la grippe porcine...Dans de nombreuses prisons, ces délicates observations ont servi de guides à une méthodologie de l'interrogatoire poussé sur les hommes . Le porc est précurseur, sur les électrochocs, les maladies, les médicaments, les aliments, la politique, la torture...le porc est l'avenir de l'homme : voilà la leçon de la Ferme des animaux d'Orwell (cette fois-ci, je me plante pas...pardon d'être ampoulé et plein de références...) . Mais voilà, cette accablante description publique- je veux dire publiée- concerne des pays pour lesquels, aux côtés desquels, il est courageux, au sens de X, de prendre parti .

Il est courageux d'être du côté du plus fort quant sa cruauté et son injustice bonhommes révulsent l'âme . Il faut surmonter courageusement cette révulsion, ce dégoût, quant on voit des mains gantés ramasser des morceaux d'enfant dans une école bombardée . Quant on parle du plus fort, le cœur doit disparaître au profit de l'intelligence ; mais voilà, à la fin, il ne reste ni l'un ni l'autre, que du déni et du mensonge . Oui, les expropriations, l'usage de bombes au phosphore me font vomir, et je me moque d'être intelligent pour trouver ça légitime . Il fut un temps où la "capacité d'indignation quasi démultipliée" des intellectuels s'indignait de la torture, ou du déni de la personnalité juridique d'êtres humains, même ennemis . Oui, mais là non . Et on sait un peu pourquoi, mais il faut le taire .

Dans le même Nouvel Obs, il y a un article de Z, qui écrit avec un certain réalisme :

"Le concept d'une économie complètement autonome (...) l'idéal ultralibéral d'une "société automatique" débouchent aujourd'hui sur une catastrophe sociale et humaine de première grandeur . En renouant avec les pires pratiques du XIXème siècle, le trafic de main d'œuvre, l'insécurité systématique de l'emploi, le travail des enfants, le saccage de la planète, le capitalisme est devenu un Golem qui a échappé à ses maîtres, dévastant tout sur son passage..."

Mais cela aussi, c'est malheureusement inévitable démocratiquement, pour la "poésie" et "le vaste salon tapissé de livres" de X, et la médecine qui a sauvé sa vie, pour lui permettre de rester profond...de rester au fond du tonneau, devrais-je dire .

Le grand scandale du siècle, celui sur lequel s'appesantit l'intellectuel profond, c'est que dans ce monde ravagé des humoristes cyniques fassent rire, alors qu'ils décrivent un monde immoral, et que l'immoral est ce qui n'est pas bien . A croire que parler de l'immoral, décrire l'immoral, comme la thérapie du choc, est plus immoral que d'agir sans moralité en se proclamant politiquement correct, ou moral, bref en instrumentalisant la morale au service de la puissance tyrannique, comme fait Y, et comme X s'en rend complice...Phénomène que X semble vouloir oublier avec un désir sauvage d'ivresse et d'oubli . Cela lui permet de contempler la moralité blingbling du spectacle, et de se réclamer spectaculairement de l'indignation morale avec la naïve candeur des peuples premiers...concept purement vide, issu de l'imaginaire libéral progressiste...comme sa moraline .

Guillon a dit que quand des nourrissons étaient morts dans un accident d'avion, il fallait attendre au moins une semaine pour ne pas provoquer de réactions hostiles en commercialisant les images d'un crash aérien, mais trois jour pour des adultes . Guillon se moque de notre Système médiatique, plus exactement dit, avec la défense psychologique, la distanciation que permet le rire, ce que tous savent, et tous savent devoir taire . Le politiquement correct est la dissimulation consciente de vérités gênantes car idéologiquement non conformes . En parlant politiquement correct, je sais que je mens, et je parle à des gens qui savent que je mens, mais savent qu'ils doivent garder une contenance sérieuse comme si je disais des vérités . C'est une pollution irrémédiable du langage , de l'intelligence et du cœur . Guillon ne se moque pas des nourrissons morts, pas de la souffrance des parents, mais du Système qui transforme la douleur la plus intime en marchandise publique en invoquant le Bien et la charité, l'intelligence du cœur . Cet humour cynique est le dévoilement du fond du "cœur intelligent", une tartufferie raide et vertueuse au service de la puissance . Et voilà l'insupportable pour X, ce dévoilement sans vergogne de ce que les bonnes manières de la moraline imposent de cacher .

Guillon a dit qu' XX était un pot à tabac, et c'est intolérable . Coupat a été incarcéré avec des motivations discutables, et que Coupat s'en offusque est intolérable . La morale de X est à géométrie variable, il y en a qui sont plus égaux que d'autres . Agir dans le spectacle de la moralité, voilà la moralité du spectacle, la haute moralité de X : Tartuffe est devenu un modèle d'agir moral pour notre Kankant...bien, l'humanisme progresse... Mais le sommet reste à atteindre :

"On assiste aujourd'hui à un véritable réensauvagement du rire (c'est vrai que Coluche était beaucoup plus poli, merde!) . Qu'un type se permette de traiter une femme politique de pot à tabac (...)je trouve ça effroyable" . Effroyable, comme les bombes au phosphore contre les écoles ? Non, ça, c'est tristement inévitable pour instaurer la Grande Paix de Mille Ans . Effroyable à l'échelle mondiale : les comiques, "ce sont eux les puissants, désormais, ils sont devenus les rois plein de morgue de de la démocratie radicale". Comme comique, clown triste, X est assez professionnel .

Des ayatollahs, des terroristes, des radicaux ces humoristes ! Obama se croit puissant (en se cassant les dents sur les généraux et les banquiers) comme Morgan Stanley, ou Berlusconi ; mais le vrai roi, c'est Stéphane Guillon ! Pas ce premier ministre tchèque qui rigole la bite à l'air entre des putes au bord de la méditerranée...celui là qui paye ses favorites par des ministères, des mandants européens...non, ceux-là, c'est trop superficiel d'en rire, c'est méchant et effroyable de plaisanter leur physique, je veux dire leur membre ! Le Roi du Monde parle sur Inter à sept heures cinquante : heureusement que maintenant on le sait, et qu'on mesure la profondeur radicale de la pensée de celui qui l'énonce...on ne risque pas de se noyer dans une telle mare !

Et maintenant, un silence pour se jurer de n'en plus jamais parler, sauf par loisir, pour rire, et même pour rire, autant écouter notre roi . On a autre chose de mieux à faire, rien qu'a regarder les passantes, comme Baudelaire . Ou lire la thérapie du choc . Ou lire des écrivains et des penseurs qui ne méprisent pas la faim . Des êtres humains, à la nostalgie vécue des mondes, ou des diseurs de cruautés, de l'intense cruauté de notre monde .

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Nu

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Zinaida Serebriakova