Paranormal activity . All is not Sin that Satan call so .

ou de la présence des démons dans les interstices du monde moderne .

(Pascal Tarraire)

Nous aimons à avoir peur dans nos petites boîtes de logement, et le genre fantastique est un succès ancien . Ainsi Paranormal activity, le film .

Un gentil petit couple, une étudiante un peu ronde, appétissante, et un trader free-lance s'installent à San Diego, Californie, dans un pavillon cossu de la banlieue américaine . Tout le récit est un huis clos dans cette maison, avec de brèves sorties dans le jardin . Depuis ses huit ans, la jeune femme est entourée de phénomènes, dont elle n'a pas parlé à son ami .

Lui est sceptique, et achète une caméra qui filme en continu pour pouvoir objectiver les phénomènes . Raisonnement : si l'enregistrement montre un phénomène, c'est qu'il a bien eu lieu, alors que les sens humains sont trompeurs . Le film flatte le goût moderne pour la télé-réalité, l'intimité piégée .

Un spécialiste des fantômes est appelé, mais ne peut rien faire, car il identifie un démon . Il conseille un démonologue, mais celui-ci n'est pas appelé, puis est parti à l'étranger .

Le récit est construit avec un minimum de signes .

De petites choses en petites choses savamment graduées, il apparaît qu'un démon prend le contrôle de la femme, et finalement tue l'homme .

L'ensemble des faits montrés par le film s'inspire très directement des connaissances des démonologues anciens . Mais il les re-cadre pour qu'ils soient acceptables à l'idéologie rassurante et bornée des pavillons de banlieue . Il construit un effroi pour adolescentes convenables, un peu moite, mais secrètement .

Il ne sert à rien de lire des traités occultes s'il ne sont pas pratiqués . Il n'est rien de pouvoir parler littéralement de la main gauche, ou des démons ; il convient d'avoir été possédé, d'avoir vu et entendu, de connaître les affres du Haut désir, d'en parler d'expérience, comme William Blake .

Le film occulte simplement la dimension crue, sexuelle, de la démonologie . L'Incube désire la jeune femme, il désire sa chair, il désire son sexe, il désire comme désirèrent les fils du Ciel dans la genèse – il est l'archétype secret du désir masculin, de cette avidité infinie, obsédante, qui aspire sont corps et son âme, et provoque en elle fascination et angoisse, mais aussi avidité et jouissance . Elle connaît alors les angoisses et les délices suprême d'une lutte intérieure liée à son sexe et à son amour, une lutte d'essence extatique, qui la balaie comme une vague de la mer, et caresse les moindres recoins de sa peau d'une langue de serpent et de feu .

Une histoire d'Incube est une histoire de liquéfaction du corps et de l'esprit, d'ivresse sexuelle . Qui a connu cela ne peut l'oublier, ni désirer le perdre sans se faire saigner, profondément . Et ce désir au fond, n'est pas juste . C'est aussi l'illustration de la part d'ombre qu'éveille le grand désir .

Cela aussi, le film ne peut le poser, en tant que production du Système . Le désir de la jeune femme en retour de l'infini et obscur désir de l'Incube – ce désir d'être prise, dévorée, déchirée, et en même temps portée à l'embrasement et à l'absolu, au delà des mondes et du temps des horloges, par un spasme enflammant un colonne le corps, l'âme, l'esprit en un feu unique . La puissance d'entrelacs des bras et des cuisses qui la réduisent à l'impuissance de céder à son propre désir, de baisser enfin ses défenses, de se jeter dans son propre désir comme dans une mer d'écumes . Le durcissement de ses tétons pincés, ses seins saisis à pleine mains, déformés entre les doigts . Les délices des parfums de la chair, des sueurs, des liquides, des souffles, des cheveux . L'ascension de la puissance du serpent sur la tige de la Fleur, de la Rose humide de rosée qui vit, et bat comme un cœur entre les cuisses . Les grincements de dents et l'envie de hurler à peine gorge .

La jeune femme aspire à la sécurité du pavillon de banlieue et du jeune homme protecteur, mais désire aussi souterrainement le désir de détruire ces limites, le désir infini du Démon ; aussi partage-t-elle alternativement son amour protecteur mais borné et sans puissance, et l'amour forcené et déchirant, immémorial de l'Incube . Dans ce partage lentement elle en vient à haïr le jeune homme qui un obstacle à sa pleine oblation, à son plein sacrifice, à la pleine possession brûlante de sa chair .

C'est sans doute le contraste entre les horreurs explicites, les désirs et plaisirs infinis mais secrets, comme faces du même Janus qu'il pose, avec un minimum de moyens, et le cadre rassurant et fermé du pavillon de banlieue moderne qui crée une sémantique assez réussie de la déstabilisation . Cette déstabilisation, au plus intime, est jouissance secrète du spectateur .

Mais elle est aussi à portée de main . La jouissance infinie de l'Incube, du fils du Ciel est là, toujours déjà présente, et elle est partout avec nous . L'homme et la femme ne sont-ils pas alliés originaires du Serpent ? La jouissance du spectacle de l'homme moyen n'est là que parce qu'il ne peut la comprendre comme sienne, qu'il doit la placer extérieurement à lui dans le spectacle, sans pouvoir comprendre aussi que sa vie est vacuité, que les pavillons modernes sont des prisons . La jouissance moyenne de l'homme moyen lui impose la distance, lui impose de croire que tout cela n'est que des histoires, excitantes mais impossibles .

La rationalité du dernier homme est une défense, et rien de plus . La rationalité de Kant est une peur des Anges, de Swedenborg, et un puritanisme, une angoisse de la main gauche et de ses abîmes .

Seul l'homme et la femme de puissance savent avec certitude que les Hérarchies célestes, que ces histoires sont au delà du vrai et du faux de l'homme moyen, qu'elles sont archétypales, et puissances toujours déjà présentes de réalisation de la puissance et de l'homme . Savent que le désir et le souffle entraînent au delà des falaises ensoleillées les plus hautes . Savent que l'on peut chevaucher la nuit parmi les cheveux de corbeau, comme Marguerite...C'est cela être sorcier, voir les coulisses, et donc comprendre que le décor est justement, par essence, décor, donc vacuité . Et que la sécurité du décor est d'ailleurs fausse, mensongère, elle est la véritable idôlatrie .

Un homme équilibré entre et sort de la vacuité, et jouit de ce jeu ; il n'y a de prison que pour celui qui ne la comprend pas . Le dandy n'est pas victime des conventions de la société, il est un miroir qui en joue comme un chat avec une pelote de laine. L'homme équilibré équilibre l'infini de l'Incube en lui avec l'infini de la Paix . Il est entre le gouffre et le pic, et sait éveiller l'Incube, et la polarité de Succube qui sommeille comme le serpent en des femmes élues...l'Incube attire la Succube, la Succube éveille l'Incube intérieur, selon la correspondance des astres favorables, de son feu, de son regard, de son goût . Il est des reconnaissances, des alliances de l'infini et de l'éternité . Ainsi le désir manifesté, l'amour fou, brise-t-il le cercle enchanté, les petites maisons dans la prairie que le Système ne cesse d'encourager . C'est de cette impuissance de l'homme moyen dont parle Bernanos : Le démon de notre coeur s'appelle "A quoi bon". Comme Bernanos dans ces mots, comme Blake le signale pour Milton, le véritable démon n'est pas le démon désigné par les puissances de fermeture et d'emprisonnement : all is not Sin that Satan call so .

Le décor est vacuité, déréliction, et incarcération de la grandeur de l'homme . L'amour fou, la démonologie et la révolution ont partie liée . Debord, en les séparant, se trompe .

Soyons très clair . Si nous réjouissons de voir de telles histoires, c'est parce que secrètement nous savons que la sécurité du pavillon est un piège-parce que, comme le poète de William Blake, nous sommes du parti du Diable sans le savoir . Comme le poète comme séducteur, danseur des mots, invocateurs des puissances obscures du plus Haut désir .

Ou en le sachant .

Vive la mort !



(Lilith)

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