Aurea Catena : la grande chaîne d'or de l'être .


Certains lecteurs seront peut être surpris de ce texte ésotérique . Qu'ils se rappellent C. G. Jung et son travail sur le symbolisme alchimique, sans doute plus puissant pour exprimer une transformation dialectique . Chacun peut pour commencer mettre sous le symbole l'étant qui lui paraît à lui le plus intelligible ; en sachant que cette perspective n'est qu'un des états multiples de l'être .


L'Ancien de la fontaine dit, près du bassin de la fontaine, dans le songe :
Que votre lien soit de la chaîne d'or de l'être !

Nous en avons parlé près du bassin des hippopotames, behemot . Voilà l'origine de la chaîne d'or :

Homère, Illiade, (traduction de Leconte de Lisle) Chant VIII :

Éôs au péplos couleur de safran éclairait toute la terre, et Zeus qui se réjouit de la foudre convoqua l'agora des Dieux sur le plus haut faîte de l'Olympos aux sommets sans nombre. Et il leur parla, et ils écoutaient respectueusement :

- Écoutez-moi tous, Dieux et Déesses, afin que je vous dise ce que j'ai résolu dans mon coeur. Et que nul Dieu, mâle ou femelle, ne résiste à mon ordre ; mais obéissez tous, afin que j'achève promptement mon oeuvre. Car si j'apprends que quelqu'un des Dieux est allé secourir soit les Troiens, soit les Danaens, celui-là reviendra dans l'Olympos honteusement châtié. Et je le saisirai, et je le jetterai au loin, dans le plus creux des gouffres de la terre, au fond du noir Tartaros qui a des portes de fer et un seuil d'airain, au-dessous de la demeure d'Aidès, autant que la terre est au-dessous de l'Ouranos. Et il saura que je suis le plus fort de tous les dieux. Debout, Dieux ! tentez-le, et vous le saurez. Suspendez une chaîne d'or du faîte de l'Ouranos, et tous, Dieux et Déesses, attachez-vous à cette chaîne. Vous n'entraînerez jamais, malgré vos efforts, de l'Ouranos sur la terre, Zeus le modérateur suprême. Et moi, certes, si je le voulais, je vous enlèverais tous, et la terre et la mer, et j'attacherais cette chaîne au faîte de l'Olympos, et tout y resterait suspendu, tant je suis au-dessus des Dieux et des hommes !

Ce texte a été commenté très tôt dans le cadre de la théurgie et des mystères . Homère recevait un commentaire ésotérique, originairement . La chaîne d'or est le lien entre l'Ouranos et la Terre, mais aussi le lien de tous les êtres entre eux garantis par l'Un . Au XVIIIème siècle, un ouvrage alchimique, Aurea calena Homeri, Ursprung der Nalur und Beschreibung von dem Dingen (dernière édition 1781) qui eut beaucoup d'importance pour Goethe, reprit cette interpétation . Voir le médiocre texte suivant pour quelques informations factuelles .


Le texte alchimique est le suivant :


Un abîme en appelle un autre,
Ils forment ensemble un duo solide :
Le volatil doit devenir entièrement fixe,
La vapeur et l’eau se changer en terre.
Le ciel lui-même doit être terrestre,
Sinon aucune vie n’est insufflée dans le royaume terrestre.
Ce qui est en haut doit être ce qui est en bas,
Ce qui est en bas doit à nouveau être ce qui est en haut.
Le fixe doit devenir complètement volatil,
Une eau et une vapeur devenir la terre,
La terre doit monter au plus haut du ciel,
Et le ciel se replier au centre de la terre.
Ainsi doivent être inversés le ciel et la terre,
Ce qui est en bas devrait devenir ce qui est en haut.
Le dragon volatil tue le dragon fixe,
Le fixe entraîne le volatil à sa mort.
Ainsi doit venir au jour, visible,
La Quintessence et ce dont elle est capable, son pouvoir.

Ainsi il faut dévêtir l'Étain, pour laisser place à l'or, dévêtir la cruauté pour laisser place au Kairos et à la grâce...Ô ma bien aimée, le loup suit les traces de sa proie dans la neige sur les collines et dans les forêts du Nord, mais la neige nous est ailes d'oiseaux près des grands chênes, et non plus soif de sang, de cruauté et de vengeance .

Le commentaire qui suit est ligne à ligne .


Un abîme en appelle un autre,
Abîme le macrocosme, abîme le microcosme . Et tout étant singulier est abîme, ainsi la Fleur, le Signe, la Lettre, abîme, signe et appel de l'abîme . Notre âme, assez hardie, est abîme – sinon nous mourrions, étouffés comme le poisson au fond d'une barque .

Ils forment ensemble un duo solide :
Le puits d'abîme seul peut annuler le puits d'abîme . Je te donne ma paix, tu me donnes ta paix de ta main posée sur le puits de mon angoisse et de ma haine obsédantes . Tu es mon bouclier, tu me protèges de moi-même . Tu dresses mes serpents par la musique de ta voix divine . Tu me remets au souffle de ta puissance entre tes seins et tes lèvres, je te remets les clefs de ma puissance indéfinie, issue de la race de Caïn, et de Jacob, issue de la lutte contre Dieu pour la Lumière des Lumières, pour le rejet insensé, fol et juste de son obscuration nécessaire...

Le volatil doit devenir entièrement fixe
Les sphères des fixes, domaines du Soleil Invaincu, sont reflétées par analogie inverse en ce monde sublunaire par le volatil, dont le mouvement naturel est l'aspiration vers le ciel, rosée céleste et feu follet des marais – ainsi le volatil doit-il est fixé dans la matière terrestre du microcosme, l'humus de sang, ou chair ; pour porter l'étoile au cœur des muscles et de la peau mortels – et cette fixation adamantine sera aussi l'analogie inverse du retour du volatile à la sphère des fixes dans les cristallisations éternelles .

La vapeur et l’eau se changer en terre.
Analogiquement, la vapeur, proche du volatil, et l'eau, à la fois modèle de l'informe par excellence qui remplit indifféremment les lieux les plus bas, lors du déluge, mais aussi puissance indéfinie de vie, doit devenir terre . C'est à dire l'eau céleste informer la terre macrocosmique, et l'humus, le monde de la chair du microcosme . Et les basses eaux participer de leur cause supérieure .

Le ciel lui-même doit être terrestre
Ainsi se poursuit l'œuvre de l'incarnation : le ciel vient sur la terre, et le ciel devient une figure des puissances de transmutation de la terre et de la chair . Le ciel ne doit pas être inaccessible, mais tout proche, toujours déjà présent ; l'abîme doit être comblé, ou en terme de morale, le péché doit connaître le repentir, ou retour vers le Suprême . Mais pour cela le ciel doit être terrestre, c'est à dire ne pas juger la terre, glorifier la terre . Ainsi cet hymne :

De toutes ces paroles, nous honorons la force .
La puissance victorieuse, la splendeur et l'énergie .
Nous honorons toutes les eaux (…)
Nous honorons toutes les plantes(...)
Nous honorons toute la terre,
Nous honorons tout le ciel,
Nous honorons toutes les étoiles, le soleil et la lune ;
Nous honorons toutes les lumières éternelles
Nous honorons tous (…) les animaux (…) sous le firmament .
Nous honorons toutes tes créations saintes et pures, ô Ahura-Mazda, merveilleux artisan,
Par lesquelles tu as constitué un monde nombreux et parfait .
Tes créatures, dignes d'hommage et de louange à cause de la pureté parfaite de leur nature .
Nous honorons toutes les montagnes qui brillent d'un pur éclat,
Nous honorons toutes les mers (…)
Nous honorons tous les feux .
Nous honorons toutes les paroles véridiques
Toutes celles que la pureté, que la sagesse accompagne ; qu'elles me servent et pour ma protection et pour ma défense et pour mon entretien et et pour ma garde (…)
Je les invoque pour moi, pour le bien de mon âme (…)
(...)J'élèverais ton âme, moi qui suis Ahura-Mazda (…) au dessus de l'Enfer, à une hauteur telle
Qu'elle est la mesure de la terre,
(…) en hauteur, largeur et profondeur .
(Zarathustra)

Sinon aucune vie n’est insufflée dans le royaume terrestre .
La vie est don d'en Haut, souffle et puissance ; la terre ne peut être vie, souffle et puissance sans l'âme du monde, qui est la forme de la terre qui a la vie en puissance . Une vie est insufflée dans le royaume terrestre comme, par la voie de la main gauche, la grâce est insufflée à la chair . Mais pour cela le ciel doit être rapproché de la terre, ou Enfer, par les disciplines du mariage du Ciel et de l'Enfer . Sans cette œuvre, le monde terrestre devient le royaume des morts .

Ce qui est en haut doit être ce qui est en bas
Ainsi le haut devient le bas et le bas, le haut ; autrement dit, il se produit une inversion de l'inversion ; transfiguré, le bas peut être modèle du haut ; c'est le pouvoir des clefs, également signifié par la naissance de Dieu en l'âme .

Ce qui est en bas doit à nouveau être ce qui est en haut.
La vie est un cercle ; on part du Suprême, et on retourne vers le Suprême ; le à nouveau indique cette circularité qui s'inscrit dans le temps et dessine une spirale . Mais aussi, il s'agit d'une figure du retour, ou repentir ; la séparation originelle n'est autre que le Bien et le Mal, ou le péché même . Le secret de la science du Bien et du Mal est dans l'unique tronc de l'arbre, qui se divise en deux forces qui s'affrontent, tant dans l'Univers que dans le cœur de l'homme, et à son image . Le repentir n'est pas trajet du Mal vers le Bien, mais retour tout uniment à leur racine commune, l'Un ; et cet Un est à la fois racine, et en bas, et le Suprême, l'Un, qui est le soleil des mondes supérieurs, en haut . Ainsi trouve-t-on la figure de l'arbre inversé . Ainsi le sage peut-il dire que le chemin vers le haut et le chemin vers le bas est le même, ou encore qu'il est une voie du Mal, ou repentir de la main gauche, qui est creusement vers l'essence du mal .

Celui qui oscille sans décision entre Bien et Mal est comme la feuille morte, et ne s'avance pas vers le trône de l'Un .

Le fixe doit devenir complètement volatil
Le trajet est formellement inversé ; les puissances stellaires doivent donner une rosée volatile, un parfum, une teinture sacrée à la vie du monde et de l'homme - c'est une descente, une incarnation à nouveau, plus puissante, non par analogie mais par exaltation de la puissance . Symétriquement, le fixe lourd, collant, terrestre, doit devenir volatil, retrouver le Ciel comme lieu naturel – c'est l'apocastase, ou transmutation des substances les plus éloignées de la puissance, retour des cendres à l'exaltation suprême du Feu .

Une eau et une vapeur devenir la terre
La terre lourde et vestigiale, c'est à dire lourde de mémoires, ayant comme l'homme plus de souvenirs que s'il avait mille ans, doit être surmontée ; la nouvelle terre est eau, sans passé ni mémoire, donc eau lustrale ou baptismale, pureté, rédemption ; et vapeur, poétique, insaisissable, emplie de figures infimes et éphémères – mais parallèlement cette vapeur doit accéder à la consistance d'une argile nouvelle, afin que naisse le nouvel Adam d'un humus nouveau .

La terre doit monter au plus haut du ciel .
Ainsi la terre peut monter au plus haut du ciel, puisque le ciel et la terre sont en noces, selon les mots de William Blake .

Et le ciel se replier au centre de la terre
Comme l'enfant au centre de sa mère, ou comme l'implication – serpent qui doit se dérouler de l'œuf du monde, le ciel se replie au centre de la terre . Le ciel est le secret caché de la terre, ou le secret caché de l'humus, ou chair – tel est le dernier mot de la voie de la main Gauche . Ainsi les amants enlacés qui se vivent de leurs eaux et de leurs souffles forment-ils un cercle parfait qui contient le Ciel, la plus puissante félicité dont l'homme est capable – celle même du repentir, ou du retour au Principe après les déchirements des mondes, et les sublimes abîmes de la liberté . La plus puissante, car par la forme même de son apparition, cette félicité est la réaffirmation de la séparation originelle, ou Bien et Mal ; et non renoncement à celle-ci, renoncement à la liberté pour obtenir le retour à l'unité, et la réparation originaire de l'ordre des Anges . Aussi cette voie paradoxale est elle aussi celle des abîmes, et de ceux qui savent regarder l'abîme non sans trembler, mais sans détourner le regard – et seule la fureur de savoir d'un Adam, ou le désir infini de reconnaissance de Caïn, ou le désir infini des fils du Ciel pour les femmes des hommes, ou encore la volonté de puissance et de liberté d'un Satan, prêts à toutes les transgressions, peut produire de tels êtres . Ces êtres sont cependant, dit l'histoire d'Adam, en puissance en tout homme, et donc tentation pour tout homme . Tentation, car seule la détermination ou le désespoir peuvent permettre d'aller jusqu'à la rédemption, et que l'arrêt en chemin -au milieu du chemin de notre vie, je me trouvais dans une forêt obscure...- est la perte de la voie droite – l'Enfer .

Il est deux voies . Ainsi est justifiée la parole de l'Ange à l'apôtre : « Que n'es-tu froid ou bouillant ! Mais tu es tiède, et parce que tu es tiède, je te vomirais par ma bouche . »

Ainsi doivent être inversés le ciel et la terre
Cette voie est celle de l'inversion du ciel et de la terre, de la sympathie pour Satan, et de la négation de Dieu comme voie vers Dieu, voie sœur de la théologie négative, mais pratique, là où la théologie négative est conceptuelle .

Ce qui est en bas devrait devenir ce qui est en haut.
Ainsi la terre et la chair deviennent des puissances d'astres, des puissances d'exaltation divine – William Blake dit : devenir étoile .


Le dragon volatil tue le dragon fixe
Le volatil tue le fixe, à la fois comme rosée astrale détruisant la lourdeur des terres et le péché inhérent au charnel misérable, et comme l'émanation de la terre qui dissous la supériorité des astres, et devient le pont qui enjambe l'abîme, le rayon de lune vers le ciel .

Le fixe entraîne le volatil à sa mort
La mort du fixe inférieur détruit le volatil qui se détermine par opposition à lui, comme mouvement vers le haut ; il n'est plus ni haut, ni bas, mais réunion, et donc dissolution des déterminations .

Ainsi doit venir au jour, visible
La quintessence est le mariage du Ciel et de l'Enfer, la bénédiction des œuvres de Caïn qui lui permettent le repentir . Elle est toujours déjà présente, mais elle devient visible ; alors apparaissent un nouveau ciel et une nouvelle terre, non comme le fruit du temps, mais comme un visible toujours déjà présent . Ce qui était replié dans l'invisible devient visible par la dissolution de ce qui le couvre, comme la naissance du serpent qui sort de l'œuf du monde .

La Quintessence et ce dont elle est capable, son pouvoir.
La terre qui est quintessence est retour au début d'un grande cycle, au règne sage de Saturne ; mais le microcosme, l'homme qui est quintessence est pouvoir de réunion, et ses paroles sont gnose, unité transcendantes des paroles dispersées de Babel – étant unité, retour, son nom est Paix, et peut être Melkitsedeq, roi de Salem, auquel tous, Abraham compris, doivent la dîme de tout . Et dont Paul dit, à propos de Jésus : « tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melkitsedeq . »

Tel est le commentaire de la chaîne d'Or commencé en rêve par les mots de l'ancien de la fontaine, et poursuivi près des bêtes sauvages, et dans les bras de l'aimée, terminé le 3 janvier 2011 à minuit exactement .

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Zinaida Serebriakova