L'âge moderne comme dissociation et question de la langue - contester la constitution du "littéraire".


(http://pseudoccultmedia.blogspot.com/2010/06/megans-mannequin.html )


Le présent cycle est l'âge de la dissociation en sous-fonctions, la langue, la politique, la littérature, la pensée . Cette dissociation est à la fois le résultat et la cause des aveuglements modernes - car dans la réalité humaine, l'homme parlant, l'homme animal politique, l'homme créateur est un être unique . La dissociation est la figure moderne de l'aliénation, et elle est sensible sur la question de la langue . La question de la langue est une figure d'unification , de réunification, et puissance révolutionnaire .

René Guénon fut sans doute le français d'avant garde le plus puissant du siècle passé . Dans un article intitulé « le langage des oiseaux », il fait mention des états originaires du langage, états d'aurore où le langage avait non seulement puissance de nommer, mais aussi de dévolution de l'essence propre . Car dans la Justice idéale, le nom, l'essence, et le rang hiérarchiques sont uns ; leur séparation, jusqu'à l'inversion – les premiers seront les derniers- est un processus temporel de destruction des mondes humains, mais aussi deux pôles d'articulation de la manifestation toujours déjà présents .

Car si je parle parfois au passé, ces symboles n'évoquent pas seulement le monde du temps . A savoir que les états originaires du langage, comme ses états cycliques les plus dégénérés sont toujours déjà présents . Le plus puissant poète, par l'or originaire des mots, ouvre un instant les portes du temps, et dévoile les abîmes du passé perdu . Dans les âges de fer, le plus puissants bardes sont nostalgiques, et les plus puissants poèmes, et les musiques les plus saisissantes, sont ceux de la teinture des larmes – c'est ainsi . Je suis triste jusqu'à la mort, car je regarde les étoiles sans toi, dit Roméo . Guénon aimait Dante, parce qu'il croyait qu'il n'avait jamais ri .

Je parle des œuvres pour le plus grand nombre, car rares sont ceux qui peuvent recevoir le rire et le joie, qui peuvent élever leurs larmes et leur sang jusqu'à la gaya scienza, vivre la légèreté sans pourquoi, la superficialité en abîme de la rose sans se troubler, sans aspirer à l'illusion - même, à l'égal d'Hamlet, en connaissant les crimes, en sachant qu'il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark, les pieds dans la cendre et les ossements . Ceux là, comme Jacob Böhme, sont les poètes des aurores .

Toujours, la poésie est la manifestation originaire de la langue . Cette langue est un pilier de l'essence de l'homme dans le monde .

Dans la Genèse, Adam nomme les animaux, manifestant ainsi les fonctions du langage : la reconnaissance dans tous les sens du terme, le règne – car nommer quelque chose n'est autre que déjà légiférer sur lui – et la constitution d'un Univers commun des hommes, et donc de la société humaine car le langage est une totalité, un miroir du macrocosme, et que nommer un singulier est le transformer en cas particulier, le situer dans l'ordre général du monde que Dieu-Ténèbre, également nommé Lumière de lumière, Adam avec les Animaux, et la Lumière, qui est aussi appelée Satan, puissance de séparation des ténèbres et des astres lumineux, triangulent .

Mais l'ordre originaire est perturbé, mobile dès l'origine . Le cycle de descente est un renforcement indéfini de la séparation, et une occultation indéfinie de la Ténèbre . Cette polarité reçoit un très grand nombre de symbolisations . L'ambivalence de la manifestation de la Lumière et des Ténèbres est originaire ; Christ et Antéchrist se ressemblent au point d'avoir puissance de tromper les élus . Le langage des oiseaux est un souvenir, et un miroir du langage au présent cycle – miroir qui manifeste la vacuité envahissante du langage . Cette vacuité n'est pas propre à une langue, selon les illusions patriotiques, ou locales ; cette vacuité, en tant que teinture du cycle, frappe toutes les langues . Et sont nommées avant gardes ceux qui, loin de participer à l'effondrement, conservent les fonctions originaires de la langue . Certaines sont manifestées, d'autres non, et passe pour toutes sortes d'autres humanités . Guénon note que la Kabbale, et le Tziganes, dissimulent des figures de tels gardiens de la Terre Sainte ; et je n'ai pas pu m'empêcher de penser que la destruction qui s'étaient acharnée au XXème siècle avait visé aussi la destruction de formes originaires de la Tradition .

Le langage est donc règne, c'est à dire qu'il place le pouvoir dans le monde, et que l'exercice du langage est un exercice du pouvoir ; le langage est reconnaissance, c'est à dire que nommer est amener à l'existence, identifier, et informe le traitement qu'aura l'étant à la suite de sa nomination ; et enfin le langage est constitution, celle d'un ordre de l'Univers, un ordonnancement des mondes humains . Le langage place l'homme à part des autres animaux, comme Roi, image et ressemblance de Dieu . Telle est la vision traditionnelle du langage .

Quand – je vous invite à une lecture de G. Conio pour redécouvrir la question du langage dans les avant-gardes russes au début du XXème siècle – un auteur aussi puissant que Bulatovic écrit dans Gullo Gullo :

« Macha, il y a toujours un roi, vivant ou mort, peu importe . L'important, c'est qu'il y ait un roi quelque part . Sans roi, il n'y a ni royaume ni philosophie . Ni poésie . Ni hiérarchie!
-Alors, qui est le Roi ?
-L'homme (...) dont la tristesse est immense . (…) Le roi est un être véritable, un état d'âme, le seul être, qui a notre époque, s'exprime par une métaphore . Le roi est la dialectique ! ».

Il résume de manière saisissante toute la problématique moderne de la langue, en faisant le lien entre le Règne et la poésie, et entre la Tristesse et l'ordre du Temps, et entre l'ontologie et l'idéologie moderne, qui ne reconnaît que des choses comme mesure de tout être : un être véritable, un état d'âme (…) la dialectique...(et non une chose, un corps d'homme par exemple...)

La question de la langue, dans le champ culturel, ne peut être abordée indépendamment de la question du pouvoir et de l'ordre du monde . Comme règne, reconnaissance, et constitution, le langage constitue systémiquement l'ordre du monde commun et la communauté des hommes, la Cité . Le mépris du Politique, la dégénérescence de la langue, la pauvreté et l'éclatement de la science moderne se répondent . En soi, traiter la lange ou le langage même comme une entité séparée est vrai en tant que la langue est un microcosme, comme un être vivant, métaphore souvent reprise . Mais cela est faux si la démarche s'approfondit, car ce sont les hommes qui parlent au nom de la puissance qui déterminent la morbidité du langage . Un livre comme les états multiples de l'être de Guénon, avec sa limpidité absolument complexe, prouve assez que le français du XXème siècle peut être une langue de très haute pensée . Rimbaud ou Apollinaire valent face aux temps et à l'espace .

La vérité est que langue et pensée résonnent, mais que la thèse courante qui les identifie est résolument fausse . Les aphasiques pensent . Voyez le classique la pensée d'outre-mots de D.Laplane . Les animaux ont des formes de pensées . Les mathématiques ou la logique peuvent se dire en plusieurs langues et plusieurs formes de raisonnement, mais sont unes, à savoir peuvent être représentées de l'une à l'autre forme sans pertes mathématiques, certes non sans exceptions, mais qui ne concernent pas l'essence . Il est possible de traduire des textes, des livres de science, de philosophie, de théologie, et même de poésie . Dans l'histoire, on raconte que cela s'est fait . La traduction de Gullo Gullo par Jean Descat, comme d'autres traductions de cet homme, est une œuvre en elle-même . Simplement, toute lecture sérieuse d'une œuvre authentique est déjà, en soi, une traduction, une répercussion indéfinie des signes sur les signes qui nous constituent . Méditez cela .

Reste à montrer l'essentiel des usages de la langue au présent cycle . La simplification verbale et intellectuelle massive est entraînée par un exercice totalitaire mécanique du pouvoir de parole dans le Spectacle et par l'existence d'un marché des œuvres de pensée et d'écriture, rien de plus, et rien de moins . Ce qui s'exprime en deux temps est un phénomène unique . Il s'agit d'une instrumentalisation du langage par le pouvoir d'une oligarchie . La parole martelée à la masse se doit d'être simple, facile, redondante, sans surprise ni nouveauté, car la nouveauté est un effort, et donc une perte importante pour l'émetteur . J'étudierais à part les caractéristiques de la langue du IVème Empire, le nôtre .

C'est le marché, ce Temple libéral, qui permet dans le champ culturel, ou mieux le sous champ « littéraire », le règne plein de morgue d' « auteurs » qui sont d'abord des commerciaux ou des fabricants cyniques, dont les plus sympathiques restent ceux qui sont ouvertement corrompus, comme James Hadley Chase – relisez ce que Manchette à écrit de son sadisme . Il est certainement difficilement supportable de voir festoyer dans la maison des écrivains des Bouvard et Pécuchet remplis de suffisance et de ridicule, raison pour laquelle Boulgakov laisse Marguerite la brûler dans le Maître et Marguerite . Mais brûler la maison des écrivains ne fera que permettre à celle-ci de paraître « rebelle »...Il est plus sage de travailler à produire une contre-culture pour le petit nombre qui peut la recevoir . La contre culture commence dans les catacombes et les souterrains, et elle ne peut être d'emblée dominante . L'ordre de ce monde corrompu est contestable, contestons le par des œuvres et des arguments, sans larmes . C'est cela, la guerre .

Le marché n'est pas le sous système qui peut organiser la culture . Le marché justifie l'édification d'une culture de masse, d'une production industrielle de la culture . Ce mode de production produit lui-même une réplication mécanique de formes de langages qui sont des enfermements, des incarcérations du langage et donc des hommes . Le penser signifie remettre en cause la totalité des postulats idéologiques de l'idéologie racine . Ce que commence Lasch dans le fascicule de référence, culture de masse et culture populaire, édité en France par Michéa .

Remettre en cause de manière radicale le marché comme principe d'organisation et l'idéologie racine qui le constitue comme tel, c'est un travail considérable, je dirais impérial, et révolutionnaire . Nous avons, par la gratuité de publication du net, le kairos de commencer et de structurer ce travail, mis par le marché à l'abri du marché . Que l'idéologie de la libre expression du narcissisme et la gratuité d'internet fassent exploser les œuvres vides ne pose que la question de l'organisation de réseaux communautaires de reconnaissance des avant-gardes, permettant de reconnaître et trier dans le bruit de fond où le Système cherche à nous noyer . La condamnation globale des œuvres gratuites est oublier que la quantité n'a aucune importance, que le Système la produit indéfiniment, mais qu'elle n'est que bruit, masse, boue incapable d'étouffer . Bien sûr, comme Debord en 57, nous aspirons à plus de moyens que les moyens précaires des blogs et des petites revues . Mais nous ne devons pas les chercher par la soumission au marché . Cette question matérielle est une question grave de conséquences pour l'avant garde actuelle .

Mis par le marché à l'abri du marché, par le Système à l'abri du Système . Cette parenthèse ne pourra sans doute pas durer dans un Système dont l'entéléchie est totalitaire . Plutôt que de nous déchirer entre nous, nous pouvons pousser au maximum notre avantage, adopter une solidarité puissante des avant-gardes . Par le Système à l'abri du Système, c'est notre compromission nécessaire, comme Marx fut financé par l'industriel Engels . Le puritanisme moral de gauche ou de droite, qui prêchent à grand mots verbeux le refus de la parole et le critérium de l'action, sont à la fois stupides et suicidaires . Le temps des innocents est fini depuis longtemps . La jouissance se trouve aussi dans l'art, dans la révolte, dans la guerre . Bien sûr, Sun-Tzu et Machiavel, Sade et Casanova sont de nos lectures ! Apollinaire n'a-t-il pas écrit les mémoires d'un jeune Don Juan ? Oui, l'avant garde est une jouissance, une ivresse et pas une lamentation – que nous importe que le Système qui ne reconnaît que l'intérêt personnel, dont les dirigeants oligarchiques instrumentalisent la morale sans y croire, nous parle de pureté et de désintéressement – pour ma part, comme le Behemot de Boulgakov, mon blason, il est clair que je suis totalement corrompu . Comme Kurt Bodo Nossack, l'industriel totalement dégénéré de Gullo Gullo, qui dit aussi bien :

« Hanaff, reste toujours jeune, pure et astrale dans ce monde souillé et injuste... »

« Tous les maux de la terre ne résultent pas d'une injuste répartition des biens, des produits, comme l'affirme Marx, dont vous me prêtez les idées, mais d'une injuste répartition de l'amour...La poétisation ! La restauration des des significations primitives, la réalisation des mythes interdits, la rationalisation des mondes parallèles !
-Herr Nossack, combien cela coûtera-t-il?
Tout ne se mesure pas en marks...(...) je refuse d'admettre que c'est le travail, et lui seul, qui a fait l'homme . Car alors où sont les principes? Où est la justice? »

La légitimité des avants gardes n'est autre que celle qu'elle prend . J'ai fondé ma cause sur rien, comme les autres . Oui, il est encore possible d'affirmer dans une langue claire une déclaration des devoirs envers l'être humain, selon le projet de Simone Weil dans l'enracinement . Enracinement dans la terre et la chair, dans les Cieux, selon le symbole de l'arbre inversé . Oui, l'homme essentiel a perdu des batailles, mais il n'a pas perdu la guerre . Le langage ne peut mourir . Non, la flamme de la résistance n'est pas éteinte, même si elle est voilée . La guerre ne cessera pas tant que des hommes vivront, et invoqueront les mots originaires .

La poétisation ! La restauration des des significations primitives, la réalisation des mythes interdits, la rationalisation des mondes parallèles !



Vive la mort !

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Zinaida Serebriakova