De la Tyrannie floue.





ou la Démocratie comme déjà-Ancien Régime.

La démocratie est une invention grecque. Dans le principe, la démocratie est l'extension horizontale de l'aristocratie, et la citoyenneté est une supériorité qui se paye de multiples devoirs. La Cité démocratique grecque exclu l'individualisme et la réflexion solitaire, condamne Socrate et valorise avec raison les Sophistes, qui passent par l'exercice public de la pensée plus que par l'exactitude, cette dernière étant marque d'orgueil et d'isolement. Enfin la démocratie exclut toute laïcité à l'origine ; la laïcité ne nait que de la division nationale, des guerres de religion successives qui déchirent le corps civique.

Le citoyen est celui qui est libre, indépendant par ses biens ou son travail, ce qui exclut les salariés ; qui défend physiquement la Cité à la guerre, ce qui exclut les femmes et les handicapés physiques. Et qui donne sa vie à la Cité. La démocratie grecque n'a rien d'un régime individualiste

Seuls les élargissements successifs des charges militaire et de l'impôt du sang expliquent les élargissements successifs de la citoyenneté. De même en 1945, le droit de vote des femmes vient après la défaite, la fin de la vanité masculine, et aussi après la résistance de femmes qui éclaire la lâcheté des vieux hommes blancs notables.

Nous ne savons plus penser un régime de l'intérêt collectif. Prenons le cas de l'homosexualité grecque et de la nôtre .

Les grecs acceptent l'homosexualité, la vantent et la pratiquent ouvertement. Mais il ne leur viendrait pas à l'esprit de parler d'une « communauté homosexuelle », ou d'un « mariage homosexuel. »

La seule communauté au dessus de la maison, oikos, c'est la Cité. Ce qui fait la communauté c'est l'autochtonie, la langue, le sacrifice, la guerre. La préférence sexuelle est de l'ordre de l'amitié, du penchant privé. Elle ne crée rien de public. Elle ne peut se dresser contre la cohésion de la Cité.

De même, le mariage est une institution politique, d'intérêt public ; il ne suppose et ne nécessite aucune inclination personnelle. Le seul devoir des conjoints est de prolonger et nourrir le corps social et de maintenir l'alliance des familles. Et donc l'homosexuel doit se marier et féconder sa femme. Le sexe homosexuel, comme le sexe hétérosexuel récréatif, est libre mais ne peut être favorisé institutionnellement sans oublier la finalité du mariage. Il n'y nul besoin d'encadrer par les lois l'amour, l'amitié, l'inclination, sauf s'ils mènent la cité à la ruine.

Ainsi le régime juridique de l'homosexualité peut parfaitement être libre sans considérer l'égalité juridique des couples comme légitime, car il y a dissymétrie au regard de l'intérêt public. La revendication d'égalité montre seulement l'incompréhension de l'esprit des lois, et l'arraisonnement de la Loi par des intérêts privés.

Il est utopique de croire que la Cité ne peut pas se soucier de la survie physique du peuple . Une communauté qui le croit et n'organise plus sa survie physique et plus de transmission adopte une attitude suicidaire : car c'est alors non seulement à ses Dieux qu'elle ne croit plus, c'est à ses arts, tout de parodie, et à sa langue. Il est remarquable que l'art contemporain ne croie plus à l'Art, comme l'homme de la rue ne croie plus en la morale publique.

L'évolution démographique du corps social est un problème politique et ne relève pas de la liberté individuelle. Une Nation s'appuie sur une population.

Estimer que le vieillissement massif de la population qui frappe déjà l'Europe et va s'aggraver n'est pas un problème est suicidaire.

Estimer que le problème des retraites est totalement dissocié du problème de la reproduction du corps social est suicidaire.Car si les retraités dominent une démocratie, alors toutes les mesures et les lois favoriseront la rente, qui n'existe que par la production. Asphyxier la production au nom de la rente, par exemple ne pas faire d'investissement de recherche pour baisser les impôts des propriétaires de capital, qui est une pratique de plus en plus répandue et insidieuse, est à moyen terme suicidaire.

Récupérer les dépenses de la politique démographique (allocations, remises d'impôts...) pour baisser le prix des carburant ou payer les retraites est suicidaire.

Toute ces mesures ne sont rendues possibles que par le naufrage de la notion d'intérêt national.

La Nation a un corps. La Nation a une langue. Les œuvres sont des illustrations de la Nation, des symboles de son unité et de sa force pour soi et pour les autres. Les symboles sont les facteurs d'unité. De ce fait, le corps, la langue, les artistes et les artisans ont partie liées à la politique.

L'art d'entreprise est une conséquence de la dissolution de l'intérêt public.

De nos jours on utilise le sport dans ce but ; et cela ne choque pas que des chefs d'État se rencontrent dans des stades, comme les empereurs romains décadents, comme Commode, qui combattait dans l'Arène. Mais le sport est un spectacle instrumentalisé par les politiques et par le capital. Il ne réunit que superficiellement et sans créer d'Univers symbolique, sans fonder de civilisation digne de ce nom.

La démocratie moderne repose sur la Nation depuis son origine révolutionnaire. La Nation a précédé la Démocratie. Cela n'est PAS une proclamation nationaliste, car le nationalisme biologique, ou xénophobe, est clairement une impasse. C'est l'affirmation que la Démocratie a été adaptée à un peuple ayant conquis son unité et la conscience de lui même sous le nom de Nation. Ce qui fait que les citoyens défendent raisonnablement l'intérêt général c'est que très clairement l'intêret de la Nation est très clairement le leur. Si l'intérêt de la Nation leur est étranger, ou n'est pas dans la conscience, alors les votes et les élus seront communautaires : les représentants ne représentent plus la Nation mais des communautés. De ce fait il n'y a plus de représentants de la Nation mais des représentants des communautés. Et chaque individu a intérêt à appartenir à une telle communauté qui lui permet d'accéder à la puissance sociale, comme représentant des femmes, des homos, des Arabes, des handicapés, des Bretons, des patrons...

Le mensonge ou spectacle se généralise. On est représentant des opprimés, il y en a plus pour voter, et on défend les intérêts de l'oligarchie, cela seul paye vraiment. Ainsi on voit des poly-opprimés, femmes prolétaires d'origine étrangère, se montrer aussi parées, répressives et féroces au service de l'oligarchie que des hommes bourgeois blancs. Les gouvernements sont des castings d'opprimés photogéniques. On oublie qu'une fois maître, la victime n'est plus victime mais bourreau. Voyez Ahmadou Kourouma, que Dieu le remercie pour ses oeuvres. Il n'y a pas dans la réalité de cercle carré, pas plus que de dictature des opprimés. La dictature d'un groupe est l'oppression des autres. Point. Seule la hiérarchie organique concilie l'organisation et la reconnaissance.

Si l'État se comporte comme prédateur et dépèce les richesses publiques, banques assurances, énergie, eau, transports, pour les distribuer à ses clientèles, alors l'État doit mentir et parler gravement de l'intérêt général en le piétinant. Du développement durable en s'asseyant dessus. Du respect du Droit en soutenant des tyrannies. Ce règne absolu du mensonge au sommet crée une démoralisation souterraine mais persistante .

Qui peut croire réellement à l'intérêt national quand on ne se sert de l'évocation des victimes et de la morale que pour rendre service à un pouvoir cynique et manœuvrier dans le partage des richesses et de la rente?

En vérité, on commence à se méfier quand un discours sur les myopathes, les déportés, les victimes, la pollution commence à être une fois de plus bafouillé de termes ronflants. On ne veut plus l'entendre! La cruauté de Kourouma ou de Sade apparaît comme un souffle d'air pur dans ce monde corrompu. La cruauté est devenu synonyme de liberté. Le Vampire est un héros moderne. L'âge moderne est fasciné souterrainement par le nazisme et s'en déculpabilise par des rites expiatoires multipliés.

L'immoralisme cynique et crypté du sommet, comme dans les régimes totalitaires, trouve à son service la Bêtise au front de taureau. Les hiérarchies intermédiaires sont faites de serviteurs avides de pouvoir et de reconnaissance, et qui connaissent et cachent avec soin leurs insuffisances, ou dont la suffisance se passe de cette dernière lucidité. Ceux là croient et se parent de la « déontologie », de l' « éthique », de l'idéologie en bref et croient à ce nouveau culte, quel qu'il soit. Les apparatchiks de la Démocratie auraient été apparatchiks en URSS ou ailleurs. Voyez les anciens pays communistes avec les hommes affaires issus des jeunesses communistes... S'ils sont très bêtes, ils écrivent de graves livres pontifiants sur ces sujets à principes-à compte d'auteur, en fin de carrière. Avisés, ils écrivent des livres à principes plaisants, avec des images, et en gagnent de l'argent, comme le « Grand traité des petites Vertus ». Les livres graves et moralisateurs sont tellement nombreux! Rares sont ceux qui écrivent ou même disent que tout cela, "l'éthique", la "déontologie" est foutaises, car c'est le bouclier, la légitimité de leur domination.

La morale légitime les imbéciles, cela devrait te faire réfléchir, mon lecteur. Les imbéciles sont les plus surs garants de la moralité publique. Ils la respectent souvent sans aucun effort, n'ayant aucune imagination et des désirs simples. Et la dissidence, et les refuzniks sont souvent immoraux par excès de pureté...

L'immoralisme des représentants, leur mépris ouvert des lois et des principes dans leurs actions, de la sincérité dans leurs propos, le délitement de la Nation par les communautés sont des évidences publiques.

La justification permanente de la propagande, de la manipulation, de l'irrespect des principes les plus fondamentaux du régime se fait par l'invocation grandiloquente de « bonnes causes » (voir le « tableau synoptique des bonnes causes » à suivre). Ces bonnes causes sont instrumentalisées, sont des armes d'un exercice cynique et brutal du pouvoir. Mais cet armure de bénignités victimaire rend impossible toute opposition réelle organisée. Comment être contre une bonne cause?

On vous dira :

«Vous êtes contre le secours des victimes? Si vous répondez oui, on vous dira que c'est un délit et qu'il est vain d'espérer le respect et l'écoute : on vous écrasera comme une punaise. Mépris, silence, procès. Voyez Bové, dont je ne partage pas les idées.

Si vous voulez dire : « Non, mais... » on vous coupera immédiatement la parole, comme s'il y avait là quelque chose d'inintelligible pour le bon peuple : On sourira d'un air supérieur :

« Alors, vous êtes pour lui! »dit le journaliste.

« Alors vous êtes pour moi ! » dit le politique.

On assiste à une déréalisation de la vie politique, qui devient fiction, pour les « faits », et parodie, pour le « débat » et la « consultation ».

Ce tableau est le tableau de la vie politique des « démocraties » modernes. Celles ci sont des médioligarchies libérales, avec une fonction essentielle d'ingestion et d'excrétion, au service des populations âgées et riches, sans avenir, et préoccupées de gamineries et de vieillissement. Leur égoïsme est absolu et se pare de tout ce qui est biologique, équitable, durable... Cette société ne se préoccupe d'éduquer que pour produire à son service et consommer. Il n'y a pas de projet national.

Il y a des logiques floues. L'individualisme,le communautarisme superficiel et le politiquement correct sont la pente de la tyrannie floue, déconcentrée du monde moderne. Cette tyrannie est basée en partie sur l'autonomie des comportements programmés et sur le désir.

La démocratie moderne est déjà un Ancien régime. Mais son manteau doit cacher Léviathan. Jamais il ne se découvrira de lui même, car il se pare de toutes les dépouilles des bonnes causes. Un épouvantail de Justice!

Une tyrannie floue.


De la Tyrannie Floue 1

Des Grands Interdits sous les fleurs artificielles


La Tyrannie totalitaire classique est déterminative, capricieuse, déterminative, pleine d'ordres, de réquisitions, d'obligations, de travail forcé, de terreur. C'est une tyrannie linéaire, concentrique, unanimiste.

La Tyrannie floue de cette fin d'âge de fer semble peu sérieuse à la plupart des hommes. Quel risque représente-t-elle, quel est l'enjeu de sa critique? Cette réaction nous indique pourtant le premier critère de reconnaissance de la Tyrannie floue : sa déréalisation, son aspect insaisissable qui facilite tant le négationnisme, le rire qui balaie la question.


Pourtant la Tyrannie floue est bel et bien une tyrannie, un pouvoir négateur irrésistible pour la plupart des hommes, oppresseur et contraignant, et illégitime. Ce que nie la tyrannie floue ne peut venir à l'être ; ce régime empêche la vie pleinement humaine de se déployer dans sa hauteur, largeur et profondeur ; ce régime met au service de sa réalisation la vie entière des hommes.

Enfin ce régime ne peut respecter aucune légitimité ni d'ordre juridique présentant de réelles garanties, des garanties intangibles, inaliénables et sacrées, à ses sujets dit « citoyens ». En cela il est comparable au « mouvement »totalitaire.

La tyrannie floue est ainsi nommée par analogie à la logique floue. Là où une opération logique classique donne un produit unique, une opération de logique floue donne un ensemble de résultats, un espace de probabilités déterminées, une apparence stochastique sur de faibles séries mais atteignant une forme par la répétition, qui produit des masses critiques sur des séries indéfinies. Ainsi se forment des figures par le passage des hommes sur un estran sableux, qui finissent par former des chemins principaux, majoritaires. Un attracteur étrange : le Léviathan. La tyrannie floue n'agit pas par détermination directe et uniforme du comportement, mais par limitation insidieuse de l'espace de possibilités, et plus par l'incitation et la manipulation que par l'interdiction brutale. Il suffit d'une régularité probabiliste des grandes masses de peuple pour que le système fonctionne de manière déterministe. Cela est analogue au rapport entre la théorie quantique et la mécanique classique.

Là où une tyrannie classique pose des interdits rigoureux et explicites, la tyrannie floue laisse autant que possible l'interdit dans l'ordre de l'implicite et proclame la liberté individuelle. Le respect de l'interdit est posé comme une évidence de fait, la frustration de l'interdit étant réduite au minimum et même occultée, déréalisée. Nous nous posons aussi peu d'interdits explicites que possible.

Les déterminations implicites des matrices de comportement recommandées, les négations les plus intimes de ces matrices, sont déréalisées. Il ne s'agit pas d'interdire des choses réelles mais de ne pas faire de choses qui de toutes façons n'ont aucun fondement ontologique. Ainsi j'ai le droit de croire en la sorcellerie, mais je risque un procès si je la pratique sincèrement ; non pour sorcellerie, mais pour abus de faiblesse. De même le racisme est interdit non pas parce que nous ne le voulons pas, mais parce que les races humaines n'existent pas. L'interdit est une erreur, avant d'être une faute. Là où le totalitarisme détruisait physiquement ce qu'il niait, la tyrannie floue prive ce qu'elle nie de poids ontologique. La violence est devenue invisible, déréalisante.

Si je pose comme dans les civilisations traditionnelles que la religion est le lien entre la communauté humaine et le monde des dieux, et donc le lien des hommes dans la communauté elle même par l'intermédiaire des dieux, je suis libre de le penser comme une croyance privée. On se contentera de sourire. Mais renvoyer la religion au privé est vouloir faire vivre un poisson dans les nuages. L'ordre laïc est l'interdiction de la religion vécue des Grecs, des Romains, des Juifs, de toutes les grandes civilisations. Elle est l'interdiction d'un ordre humain organique ouvert sur la dimension verticale, sacrée.

Mais la laïcité n'est nullement présentée comme une interdiction massive et grave méritant discussion ; elle est présentée comme la liberté pour tous de croire « ce qu'on veut » - le supermarché de la « religion », où chacun fabrique sa « religion », le marché libre appliqué à ce qui est commun et donc la destruction inévitable de l'Univers commun et de la transmission des symboles sur des critères contingents et sans valeur, ceux du caprice individuel. La laïcité, c'est le libre marché appliqué à la croyance. Et rien de plus.

On ne peut pas croire « ce qu'on veut », être grand beau et riche quant on est petit laid et pauvre sans sombrer dans la folie. Croire ce qu'on veut est être une victime de la machine aux illusions, la volonté de croire des choses réconfortantes, ce que les progressistes connaissent très bien par la pratique, car il est bien évident que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes comparé à l'horreur de la Grèce Antique. Mais cette laïcité de « croire ce qu'on veut » et de « respecter les autres »présente toute volonté d'établir un Univers de civilisation comme « un retour de la Barbarie ». Je ne peux donc pour respecter cela que « croire ce que je veux », croire que ma croyance est personnelle, arbitraire,fantaisiste, et être conscient que ce que je crois n'a qu'un intérêt infime, privé. Le croyant de l'âge laïque vit une religion vide, sans prise dans le monde des hommes, et sans poids ontologique. La religion de l'Âge de fer est impuissance résignée ou furieuse. L'inflation émotionnelle des cultes en masque le vide.

Sous la liberté la laïcité est une interdiction essentielle qui ne veut pas s'avouer. Je peux croire mais pas réaliser. Croire sans réaliser rend la croyance vaine. Je peux parler mais tout doit rester « des mots. », des paroles verbales. Il s'agit bien de la négation ontologique de cet Être qui gêne l'idéologie de la Tyrannie floue.

Et celle-ci n'a nul besoin de parti unique ni d'un canal officiel. Elle accepte, comme une musique, d'infinies variations qui en fond un caméléon idéologique. Mais rien d'essentiel ne varie pourtant. Entre nous, lecteurs, le premier apport de Guénon est celui d'une pensée construite, rigoureuse, et extrêmement rétive au dressage idéologique moderne, qui a su dresser les plus féroces ennemis, comme Nietzsche, ou les ignorer. Le contenu vient après le glaive qui déchire le voile.

Pour être transmise l'idéologie est présentée de différentes manières :

Comme « fait » (définition : ce qui ne se discute pas, qui échappe à la remise en cause discursive. Une autre : phrase pourvue de la force ontologique de l'Être.)

Comme espace de positions légitimes dans un débat (jamais si possible comme axiologie explicite, car dire explicitement une axiologie est aussi rendre évident son arbitraire, plus précisément le fait qu'elle repose sur le jugement d'un Souverain. Et cette évidence renvoie à la question de la légitimité, sur laquelle l'idéologie moderne ne peut que se montrer vide, ne reconnaisant que des légitimités provisoires et fragiles.C'est à dire les légitimités du contrat posant des volontés individuelles. Légitimité totalement fictive dans le monde de la Nation ; aucune entité politique n'a jamais été fondée sur un contrat. La tyrannie floue accepte la mythologie rationaliste à son service.

Par la condamnation des positions illégitimes comme délit, discriminations, etc, motivées par la bassesse ou l'ignorance, et non par des raisons rationnelles ou humaines méritant examen.

Ainsi on présente comme de grands et sots obscurantistes les marabouts africains traditionnels, ou les adversaires des Lumières; et celui qui veut aujourd'hui rejeter l'idéologie dominante est invité à porter la responsabilité de l'inquisition, des guerres de religion, de la traite des noirs, des lettres de cachet, de la corrida, du racisme, du fascisme et du nazisme, du goulag, et j'en passe. Pourtant je ne revendique aucune de ces responsabilités. Il est vain d'argumenter.

Basé sur de grands interdits implicites, inavoués, la tyrannie floue est donc essentiellement basée sur le mensonge, ou Spectacle de la liberté. Car les grands interdits travaillent le désir humain. Il faut sans cesse proclamer la liberté pour effacer la trace de l'interdit , lave bouillonnante qui menace toujours de déborder du Volcan endormi. Masquer le paradoxe mortel que livre le peintre bouffon de la toute puissance individuelle :

« Nous hommes libres, sommes libres. Hommes libres, un deux, trois, désobéissons! »

(Alfred Jarry, Ubu enchainé.)


A contrario exact au Mont Dol on voit encore l'empreinte de pied du Dragon quand il bondit pour combattre l'Archange, et les ermitages très anciens qui entouraient ce signe. Les saints gardent le signe du Dragon. C'est le signe de la Gnose.

Le plus grand désir humain est d'être comme des Dieux, connaissant le bonheur et le malheur ; l'analogue des dieux, puissance de réaliser, de séduire, de vaincre, créer, bâtir, ordonner un monde, dominer, transcender, s'élever parmi les cieux. Dans l'ordre horizontal, ce désir de puissance ne peut être avoué et se pare sans cesse du désir de servir. Le mensonge et la mise en scène font depuis partie de l'essence du politique. L'Artiste lui même doit parler de l'art avec ironie et distance, cacher sa volonté de puissance et de Théurgie. La force du penseur est la cruauté avec laquelle il se scrute comme volonté de puissance.

La volonté de puissance, l'agressivité, la violence sont fondatrices d'homme. L'homme véritable est cruel, dément de désir, fait d'ailes comme l'Aigle et le vautour. L'homme véritable, l'Adam, s'affirme consciemment par le mal depuis l'origine. Il est cette force qui va au delà des limites où le dépose son impétus. Vaisseau fantôme sur des océans fantômes, au delà des rugissement et des hurlements de la route de la Lune.

C'est cet homme authentique qui peut vouloir la Croix.

Le désir de puissance, le désir de mort, le désir gnostique sont trois grands interdits de la tyrannie floue. Ces trois sont rassemblés sous l'unité de la Nostalgie, la soif essentielle de l'homme pour le surressentiel, la conscience, qui se limite et se dépasse à partir de ces limites par des bonds successifs, comme une grenouille, ou encore par les convulsions d'une murène, ou encore comme le Tigre, image du feu qui se répand en incendie. Je le répète, les hommes sont fascinés par la puissance et la violence de manière inavouée, et se déchargent de leur culpabilité inavouable par des commémorations et des devoirs de mémoire. Pourtant le Maître lui même a affronté la Tentation, et la fuite de la tentation n'est qu'une tentation de plus, la tentation de se croire bon par soi.

Comment se présente la cage où la tyrannie floue enferme l'exilé spirituel? Elle se présente par l'ouverture unidimensionnelle, la négation et l'anesthésie. Elle se présente comme toute puissance, absolutisme horizontal de l'individu.

La dimension horizontale est largement ouverte et même matraquée par une véritable propagande. Ce matraquage occulte la fermeture de la dimension verticale. On parcourt librement un plan.

Là où la cage de la tyrannie classique est faite de terreur, de sang et de torture, la cage de la tyrannie floue est faite de vide et d'anesthésie.

La puissance d'anesthésie de la tyrannie floue, qui permet d'effacer toutes les douloureuses aspérités du réel, est pratiquement impossible à refuser. Qui refusera une anésthésie pour une opération au motif de vouloir goûter l'âpre saveur de la vie? Et le fait de savoir que l'on peut éviter la douleur change totalement le sens de la douleur, la rend inacceptable, absurde, objet de révolte et de scandale. Le destin devient choix. Pourtant la douleur était le poinçon de la production de l'homme véritable, un ingrédient des initiations.

L'homme moderne ne peut que fuir la douleur avec horreur. Il ne peut l'affronter puisqu'il peut la fuir sans efforts. Le courage nait dans l'incendie des vaisseaux, de l'obligation vitale de combattre. C'est le courage des martyrs; Le chat acculé affronte les chiens.

La vie anesthésié rend l'homme dépendant de la société moderne, qui le protège de la douleur et des affres de la mort, même en pensée. Qui aujourd'hui affronterait la torture?


Bénits soient les pas de celui qui viendra

Pour m'annoncer la mort!


L'absence d'interdit de la toute puissance individuelle n'est pas une puissance supérieure pour l'homme de la nostalgie.

Les interdits sacrés, comme le talon d'Achille, enseignent la créaturalité, sont les ouvertures vers le destin, la transformation le retour vers le monde des dieux. Car une totalité close, indestructible, que veut former le désir horizontal, ferme la voie des métamorphoses, des floraisons, des fruititions de l'âme et de l'esprit, qui partent aussi nécessairement de destructions et de pertes. Tout choix est perte de ce qui n'est pas choisi. Il est du destin de l'homme de renoncer à chacune de ses plus grandes réussites.

Les interdits sont les prises qui permettent de passer les parois, les appuis qui permettent l'impulsion du retour à la surface. La toute puissance de la créature n'est qu'impuissance rageuse. Vide. Ainsi le regard de Staline au sommet de sa puissance. Ainsi notre élu.

Il risque de se voir, l'homme de la tyrannie floue, homme châtré, privé des affrontements, des risques de mort, des choix cruciaux de la vie et de l'histoire, il risque de se réveiller à cinquante ans comme n'ayant pas vécu comme un homme, dispersé comme une brume par ses propres désirs, écrasé par ses illusions sur l'horizon toujours insaisissable de la satisfaction du plaisir, vieil enfant incapable de mûrir, incapable d'être récolte, moisson. Incapable de mourir avec joie d'une vie ayant eu une réalité. Il n'est plus qu'un corps, dans l'amertume et la crainte de la mort.

Affronter la tyrannie floue est peu possible, vu la disproportion des moyens. Mais celui qui passe sans se laisser attirer par cette sirène fascinante l'oublie par les chemins. Celui qui accepte de se laisser lier, de fermer ses sens. Car celui qui n'affronte pas l'ennemi ne crée pas l'ennemi.

C'est pourquoi le but de ce travail étant atteint, lecteur, ne t'attarde pas à ces problèmes infimes. Je parlerais bientôt des particularités de l'organisation de la Tyrannie floue.

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Zinaida Serebriakova