Dialogue aux enfers entre Kant et William Blake .


(Angelo Bronzino, Lucrezia Panciatichi, vers 1550-1560. Florence, Galerie des offices. )



To Marguerite .

Kant, nous l'avons laissé en Enfer...Boulgakov :
"(...)
Votre Kant, avec ses preuves, je l'enverrais bien pour trois ans aux îles Solovki, moi ! Lança soudain Ivan Nikolaïevitch, tout à fait hors de propos .
Mais l'idée d'envoyer Kant aux îles Solovski, loin de choquer l'étranger, le plongea au contraire dans le ravissement .
Parfait, parfait!(...) c'est exactement ce qui lui faudrait ! Du reste, je lui ait dit un jour, en déjeunant avec lui : « voyez vous professeur-excusez moi-mais vos idées sont un peu incohérentes . Très intelligentes, sans doute, mais terriblement incompréhensibles . On rira de vous »
Berlioz ouvrit des yeux ronds : « en déjeunant...avec Kant ? Qu'est ce qu'il me chante là ? Pensa-t-il.
Malheureusement, continua le visiteur étranger en se tournant, nullement déconcerté par l'étonnement de Berlioz, vers le poète, il est impossible d'expédier Kant à Solovki, pour la simple raison que depuis cent et quelque années, il séjourne dans un lieu sensiblement plus éloigné que Solovki, et dont on ne peut le tirer en aucune manière, je vous l'affirme .
Je le regrette ! Répliqua le bouillant poète .
Je le regrette aussi, croyez moi ! Approuva l'inconnu et son oeil étincela. »


Là où est Kant, nul homme ne peut le sortir-nous l'avons vu, amis . Mais Kant se promène et parle en ces lieux .

Kant se promène, il fait éternellement la boucle qu'il faisait à Königsberg, et ressasse éternellement ses héroïques paroles de penseur . Il les ressasse, car le penseur mort n'est qu'une machine . La pensée est la vie, où rien - l'école des cadavres .

Blake, lui est vivant, tout comme Marguerite ; vivants, car ils sont nus, vêtus de l'onguent des sorcières . Il aspecte Kant, et souhaite l'assommer de ses mots, par gangstérisme intellectuel, pour lui voler sa bourse bien remplie depuis sa mort par les innombrables lecteurs, et qui lui sert à cantiner royalement, et même à trafiquer à l'entrée de l'Enfer . Kant est un notable de l'Enfer .

Marguerite relève ses cheveux de corbeau et montre d'un sourire ses petites canines, aiguës . Elle porte pour vêtement un ruban de velours noir sur son cou sublime, où palpite le sang des vampires . Elle dit, avec sincérité, en levant le doigt d'un air magistral, arrondissant ses lèvres et ses grand yeux mystérieux :
"Mais Kant, William, est une institution ! Une institution ne peut être attaquée librement, comme on veut ! "

William Blake, puis Marguerite partent d'un grand rire démoniaque . Puis William Blake commence, décidé :

"Je pense au Kant des préfaces de la Critique de la Raison Pure, cet homme enflammé, dans sa petite ville de la Baltique, d'être à la fois le porteur de la Révolution, la fin de la Révolution, et le juge de l'histoire de la pensée . Voilà la métaphysique sur la voie sûre d'une science, sur une voie d'une portée infinie, et cette révolution résulte de la pensée d'un seul homme . Bien sûr, Kant utilise ces mots en parlant du découvreur des mathématiques ; mais il n'en n'est pas moins clair qu'il trace une analogie entre la découverte des mathématiques et la Critique de la Raison Pure . Kant parle, au sujet de son œuvre métaphysique, de complète révolution .

Dans la Critique de la Raison Pure, l'entendement n'a rigoureusement affaire qu'a lui-même : voilà la pureté dont parle la Critique : la pureté d'être enfermé en soi-même . Quand bien même l'on accorde-et je n'accorde pas, pas plus que Fichte-que l'on puisse poser purement la limite de soi même hors de la pensée de l'Autre, pour ainsi déterminer un entendement qui n'ait affaire qu'à lui même, tout homme frère du rêve sait à quel point l'eau stagnante entraîne de pestilence . La pureté dont parle Kant est tout à fait mythique pour un être comme moi, qui se nourrit, en lui-même, des puissances -parfaites comme pur vouloir- du monde imaginal, de cette puissance de produire images et pensées qui m'entraînent comme une spirale de sorcières . La pureté de Kant est celle d'un entendement sans désir, d'une métaphysique sans Bien ni Mal, sans mâle ni femelle, sans fleurs, sans arbres, sans ciel, sans le goût divin de la rosée de ton sexe .

Et la conscience, qu'il faut distinguer de l'entendement, d'accord, peut-elle être pensée en elle même, alors même que toute conscience est conscience de quelque chose, selon le concept d'intentionnalité de la conscience ? L'entendement peut-il n'être entendement que de lui-même ? Et comment déterminer avec certitude que l'objet de l'entendement, distinct de lui par définition en tant qu'objet d'un sujet, est pourtant de la même essence, et permet de rester pur dans l'entendement pur ?

Et que m'importe, que le Diable m'emporte si je désire une telle pureté-autant désirer la mort !

Le Nyasa Sutra de Gautâma Akshapada commence l'examen des voies de connaissance droite par la motivation et l'aspiration au bonheur indépassable . Il importe en effet de poser préalablement la question de comprendre pourquoi nous désirons si violemment connaître, et voir . Nous désirons en effet connaître, comme nous désirons le désir ; et nous désirons connaître par signes, en énigme, dans le miroir, et plus encore face à face, par la vue . Nous désirons voir la nudité de l'aimé ; et par ce désir nous connaissons sa peau, son corps, et par le désir de son âme, à la mesure de ce désir, nous connaissons son âme . Il en est de même pour la nature, Natura ; nous la connaissons à la mesure de la puissance de notre désir . Le désir et le savoir, sapere, l'âpre saveur du monde, sont Un. .

L'ascète désire tellement Dieu en sa nudité qu'il se met nu lui-même, et dénude Dieu des vêtements de la Nature ; et ainsi se dévêt lui-même de l'homme . L'ascète ne renonce pas au désir, il réoriente son désir vers l'objet suprême du désir . Mais il n'est pas supérieur à celui qui cherche Dieu dans les vêtements de la Nature, dans les plantes, les fleurs, les simples, qui se récapitulent dans le microcosme, dans le corps, l'âme et l'esprit de l'aimée .

Le désir n'est pas le désir de soi même, il est éternelle puissance de dépassement, et donc de transgression, de transformation ; et aussi désir de paix et puissance d'ordre, un et même en essence, et séparés comme les moments d'un cycle . Oui, parfois l'homme vivant désire l'ordre et la paix, désire le port, le feu de la chambre d'auberge, dans les ténèbres de l'ouragan qui martèle de lames d'eau l'univers entier ; mais la vie, comme la mer, n'est pas le lieu des répits, ou bien plutôt est le lieu des répits, mais non du repos éternel . Car tu ne saurais pas ce qu'est assez, si tu ne sais pas ce qu'est plus qu'assez . Aussi la plupart des hommes sont agités de désirs insurmontables, car leur âme, hélas, n'est pas assez hardie . Et le petit nombre sait ce qu'est plus qu'assez ; ceux là ne désirent plus revenir...il sont partis sur la voie de la main gauche, et ne peuvent revenir qu'avec leur départ selon le cercle des mondes, ô Infini .

Kant, par son concept de pureté, accomplit trois ruptures, trois révolutions . C'est toi, sœur, dit William à Marguerite, qui jugera si de telles révolutions sont des retours, ou des avancées pour l'ordre du plus Haut Désir .

La première rupture est celle de l'analogie de la pensée humaine et de la Nature . La pensée pure de l'entendement est la forme qui informe de Temps et d'Espace la matière, obscure comme toute matière, de l'intuitionné . Le monde phénoménal n'est autre qu'un obscur en soi inconnaissable qui nous effleure, et est informé par les catégories à priori de l'entendement . En soi, il n'est ni temps, ni espace, ni cause, ni effet, ni signe, ni sens, ni beauté, ni rien de nommable . Nous projetons sur un écran obscur un être peu consistant . Les analogies entre l'ordre mathématique et l'ordre physique s'expliquent par le fait que ce sont les même catégories à priori de l'entendement qui ordonnent le monde phénoménal de la physique et l'ordre pur des mathématiques . Seul problème, cette thèse n'explique que difficilement que le calcul puisse poser des possibilités matérielles, comme l'explosion tout à fait concrète d'une bombe nucléaire . Sans parler des redoutables charmes des sorcières .

(...)
L'Éternel des Armées à tracé (le monde )
sous trois formes :
par l'écrit, le nombre et le Verbe .

Une position basée sur l'analogie permet de comprendre, au contraire, que les structures des mathématiques informent le monde des choses, et donc de comprendre que l'imagination mathématique, comme la pensée logique d'espaces à plus de trois dimensions, a permis de mieux comprendre et manipuler l'univers réel . Ce fait, cet ordre chronologique des faits, à savoir l'apparition des ordres mathématiques avant leur application physique théorique, et avant toute "expérimentation" est la chose la plus têtue du monde .

Kant rompt le lien, plus exactement brise l'unité de la pensée et de la nature qui rend la magie normale, dès l'Écriture . Dieu dit : que la Lumière soit ! Et la Lumière fut . Pour celui qui sait lire, le passage de Genèse, 6 contient aussi ce sens:

Les fils de Dieu virent que les filles d'hommes étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix.

Les fils de Dieu sont aussi les Lettres, les puissances divines, et ces lettres se lient aux filles d'hommes, aux oeuvres et aux désirs des hommes . La magie n'est rien d'autre que ce lien, cette invocation des puissances qui sont l'essence du pouvoir spirituel tant du Prophète, du Poète et du Mage, qui ne sont que trois aspects fonctionnels de l'analogie du Tout Puissant qu'est le Maître des mots . Tel est le dit du sage :

Premièrement l'esprit du Dieu vivant
Béni et loué soit le nom de la vie des mondes.
Voix, souffle et Verbe
C'est lui l'Esprit Saint .
Sefer Yetsirah, 1&9 .

Ma pensée est emplie de lumière et d'ombres, comme une forêt sous l'azur du Soleil Invaincu ; constellées de fleurs, parsemée de chemins de forêts, de labyrinthes tortueux comme le corps des serpents ; ma pensée est rosée, pluie, vent du ciel, odeurs puissantes des herbes sauvages . Ma pensée est comme le crépuscule qui enflamme le souvenir de ta peau nue, parfumée, sur ma couche . La pensée invoque la vie, et la pensée comprend les abîmes .

Ils correspondent aux dix infinis :
Profondeur du commencement
et profondeur de la fin,
Profondeur du bien
et profondeur du mal,
Profondeur du haut
et profondeur du bas,
Profondeur de l'orient
et profondeur de l'occident,
Profondeur du Nord
et profondeur du Sud
Et un Maître unique (...)
Sefer Yetsirah, 5 .



Une pensée qui n'invoque pas le Soleil et la Lune, qu'invoque-t-elle, sinon la mort ? La vie des mondes n'est-elle pas absente de ses mots ?

Les mots que j'invoque, sous le souvenir de Merlin et de Taliésin, sont la sève du monde . Ainsi les paroles du Druide invoquant son excellence :

"Une question, ô jeune homme d'instruction, d'où est-tu venu ?
(...) du talon d'un sage,
Du brillant du soleil levant,
Des noisetiers,
De l'art poétique,
Des circuits de splendeur
Par lesquels on mesure le vrai (...)
Par lesquels on apprend la vérité
(...)par lesquels on voit les couleurs
Par lesquels les poèmes sont renouvelés
(...)"
Dialogue des deux sages,
Payot, traduction C.J Guyonvarc'h .

La splendeur du soleil, de la forêt, de la sagesse, des couleurs, de la vérité : voilà l'ordre de la splendeur qui se déploie, et non la pureté inatteignable et morte de l'entendement . Voilà la première coupure de Kant, la blessure fausse et mensongère qui coupe la pensée de la nature . Toute pensée opère par signe, par absence, par invocation ; toute pensée naît du désir, de la splendeur du monde ; toute pensée est vie et habitation des mondes .

Il n'est rien à trouver dans la pureté de soi-même, sinon le mythe de cette puritaine pureté ; car l'homme n'est pas une essence, mais l'âme est en quelque sorte, toutes choses (Aristote, de l'âme) . Une règle de la sagesse de l'Inde est tat vam asmi, je suis aussi cela, Ange, pierre, démon cruel ; l'homme n'est rien d'autre que la spirale des états multiples de l'être, et ainsi récapitulation indéfinie des mondes involuée en elle-même .

"Voici le barde qui n'a pas encore chanté
Mais il chantera bientôt
Et à la fin de son chant
Il connaîtra la science des étoiles
(...)
J'ai revêtu une multitude d'aspects
avant d'acquérir ma forme définitive (...)
J'ai été une lance étroite et dorée,
(...)
J'ai été une goutte de pluie dans les airs,
J'ai été la plus profonde des étoiles
J'ai été mot parmi les lettres,
J'ai été lumière de la lampe (...)

Ma science s'est exprimée
En Hébreu (...) "

Extraits de Taliésin, barde du VIème siècle .

Kant n'aurait pas accompli de si grande rupture s'il s'était contenté de définir la nature en terme d'entendement, comme étant la matière de l'intuition ordonnée dans les formes à priori de l'entendement . Il a aussi fermé la porte de la Gnose .

Le désir de savoir provoque dépassement et transformation . Le savoir, forme la plus haute de la sensualité, est l'acte commun du sentant et du senti (Aristote, de l'âme) . L'âme, l'esprit, et les puissances divines sont des puissances qui enflamment des actes, des étoiles . Tel est le feu du savoir, la gnose . La gnose est par ailleurs, l'objet d'une expérience, mais cette expérience ne relève pas du critère du monde des choses, l'intersubjectivité égale . Kant accomplit pour cela une lourde construction conceptuelle, lourde comme une porte de prison, et qui fait encore autorité :

"Nous nommons les principes dont l'application se tient entièrement dans les limites de l'expérience possible immanents, mais ceux qui sortent de cette limite, nous les appelons transcendants . Aussi le transcendantal- nous ne connaissons à priori des choses que ce que nous y mettons nous -même-et le transcendant ne sont pas la même chose . Les principes de l'entendement pur(...)ne doivent avoir qu'un usage empirique(...). Mais un principe qui repousse ces limites et nous enjoint même de les franchir est un principe transcendant ."

CRP A295 296, B352 353

Le transcendantal est la science de notre mode de connaissance des objets en tant qu'il est possible à priori . Il est donc possible par cette science de déterminer les abus du transcendant, les dépassement, de dire à priori si telle ou telle expérience est possible ou impossible . Or nous ne pouvons connaître, dit le transcendantal, que des objets informés par les catégories a priori de l'entendement et naissant d'une intuition empirique, ou le transcendantal, qui ne nous renseigne que sur nous même . De ce fait, si je vois un Ange, soit je vois un objet empirique et je dis que c'est un ange, soit je vois une image produite par mon imagination . Je vois donc une illusion ou une hallucination .

A priori donc aucune gnose, aucune vision ne sont possibles . L'intersubjectivité permet de trancher, identique dans les faits à la notion de reproductibilité de l'expérience ; ce qu'un est seul à voir est une illusion . En conséquence, toute vision est à la portée du premier venu, et le premier venu est la mesure de toute vision . Sous l'apparence de l'objectivité, Kant accomplit une inversion rigoureuse de toute théorie que puisse défendre un visionnaire . A cette aune, Pétain a raison contre De Gaulle, qui décrit le déroulement de la guerre dans ses grandes lignes en 1940 . La preuve, c'est que la majorité le soutient .

De même, aucune pensée valable ne peut naître d'un objet non empirique ; de ce fait la seule théologie encore acceptable est l'interprétation objective, selon la règle précédente de l'intersubjectivité, de l'écriture sainte . Autant dire que cette théologie acceptable n'est elle guère plus que les plumes de l'albatros, proposée comme nourriture consistante . Roborative, même . Nous en arrivons à un niveau vraiment répugnant, de théologie dépourvue de vision, de symbolisme et de savoir . Et aussi, à une théologie qui se pose comme savoir objectif, sur le modèle du savoir des objets empiriques, devenu mesure de tout savoir, et non science salvifique, transformante, illuminative : gnose . Ainsi le Verbe est-il pensé non comme le rideau du temple, comme les plis divins de ta jupe quand je la relève sur tes hanches, mais comme un objet-comme si la description objective, les étiquettes, de ta jupe et de ta fine culotte était plus que le mouvement de tes hanches et de tes pas, que l'odeur de mes mains passée sur le frêle tissu humecté d'humeurs, plus même que l'oubli des vêtements !

Marguerite rougit légèrement, pour deux raisons .

En fermant l'harmonie naturelle de l'entendement et de la Nature, du Soleil et de la Lune, du mâle et de la femelle présents tout deux tant en l'homme qu'en la femme, tu as interdit la magie des mondes, tu as voulu nous interdire d'être - en fermant la gnose, tu as entraîné des hommes à la damnation, à la haine, comme Isidore Ducasse ; mais tu as fait pire, tu as fermé le souffle de la poésie .

"La contemplation du monde a commencé par le spectacle le plus splendide que les sens de l’homme puissent offrir et que l’entendement, s’il veut en saisir la vaste étendue, puisse supporter, et elle a abouti – à l’astrologie." Critique de la Raison Pratique, I, 803.

D'une simple perspective sémantique, tes mots ne veulent rien dire d'autre qu'une interdiction de la métaphore, de l'invention du Verbe qui permet l'invention des mondes . Les mots prononcés devant la nuit, devant la splendeur de la voûte céleste ne peuvent être utilisés pour caractériser mon âme, même si tu reconnais que la loi morale est l'analogue du Ciel étoilé . Tu le reconnais, mais dans ta hâte à fermer des portes, tu le condamnes en général . L'astrologie en tant que Science traditionnelle est une poétique du ciel de l'âme . Et tu l'assimile à la sottise, au fanatisme et à la supersitition, avec sottise, fanatisme et superstition rationnelle .

Maintenant, tu n'est plus qu'une horloge parfaite, c'est à dire mortelle, cassée ; tu tourne pour l'éternité la même ronde monotone de tes prisons conceptuelles, de tes pas, de tes désirs putrides d'être l'Histoire, d'être le Maître . Tu séduis encore dans le Système, et accomplir ta destruction phénoménologique reste une utilité . Tu es séduisant comme penseur, livré à la pensée ; mais tu est comme un château sans fenêtre, comme la tour de Babel ; faute d'ouverture sur les mondes qui ne s'atteignent pas en accumulant les pierres, tu t'es enfermé dans une pureté logique sans consistance . Personne ne t'a demandé l'autorisation de penser des espaces impossibles, à n dimension, ou les aspects multiples de l'être .

Marguerite regardait Kant et William Blake avec un mélange de tendresse et d'amusement . La colère l'avait quittée, cela faisait longtemps qu'elle était du parti du Diable en le sachant, comme tout vrai poète arrivé en Enfer-poétesse, fée et sorcière . Elle s'amusait surtout par des farces aux pédants, comme répandre de l'huile par terre lors d'un vernissage d'un ennemi du diable, ou par mille autres tours attentatoires . Elle était même parfois marxiste, c'est pour dire . Elle mangeait des coquillages gras des fleuves de l'Enfer, en laissant son regard errer avec admiration sur les laves et les feux de l'enfer, qui répondaient aux feux de son âme .

"Servez moi un thé russe aux agrumes", dit Kant en souriant . Il était tout à fait habitué, et très aimable, au fond de lui-même . Et il s'assit avec eux . William mit le thé, et Marguerite l'eau, dans un grand samovar . Kant se servit ensuite une tasse avec délectation . William Blake pensa à l'alliance du thé brûlant et de la bouche de Marguerite, et de...

Le regard de Kant se perdit sur la surface sombre et fumante . Il pensait aux arguments qu'il opposerait au Maître de Behemoth, lors de leur repas habituel . Il regardait Marguerite, comme une preuve des délices du transcendantal . Tôt ou tard, il connaîtrait l'apocastase . "Le Diable sait ce que je ferais alors", se dit-il en ses pensées .

Il regarda un instant une jeune femme aux gestes sévères . Une certaine Irena Adler, qui regardait Kant avec plus de colère d'ailleurs, en passant le balai sur les cauchemars irrationnels qui tapissent le sol des enfers . Elle le regardait ainsi parce qu'elle était en Enfer à cause de lui, et même pas par amour . En plus, elle était toujours en colère, c'était sa peine .

Le soleil de l'Enfer était à son crépuscule .

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Nu

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Zinaida Serebriakova