Métaphysique cubiste de l'érotique postmoderne . De la visite de Kant au Cap d'Agde .



Ce qu'est une position en vue kaléidoscopique .


L'érotique moderne a ses lieux, ses boîtes, ses commerces de plus en plus hype, et a un spot qui réuni les européens passionnés par le sexe, le village naturiste du Cap d'Agde . Ce lieu étrange est un spectacle recherché, par sa saveur et sa drôlerie . L'érotique moderne, en tant que produit de notre monde, ne peut être séparée du monde, et appelle une lecture fonctionnelle . Une telle lecture n'est pas un jugement, ni une prise de position .

Il est courant d'être incité à prendre position, ne serait-ce que par une pétition – et je soutiens que le penseur supérieur n'a pas d'opinion, pas de position à prendre . Cela ne saurait signifier que ne pas réagir face à une situation insupportable soit une marque de sagesse . On préfèrera une attitude excessive à un comportement intelligent et discret, dit le Hagakure . Cela signifie seulement que le sage n'a pas à répondre aux sollicitations partisanes du Système, qui ne servent qu'à maintenir celui dont elles jouent dans l'univers unidimensionnel de ce monde . Aussi ne s'agit-il pas pour moi de prendre position pour ou contre le spectacle du Cap d'Agde . Le Cap d'Agde est un champ de positions et d'images . Ce champ est un élément du monde moderne, et a ce titre en apporte une compréhension, une perspective .

Abd El Kader dit que le gnostique est exempté de l'obligation de devoir lutter contre le mal, car il n'est pas de mal qui ne soit un aspect du bien pour celui qui ne connaît que l'Être, et connait l'existence comme une écume toujours renouvelée d'oppositions, c'est à dire de positions binaires relatives . Pour celui qui cherche l'Un, la lutte contre le mal peut être une division dans sa propre maison . William Blake relève ces proverbes de l'Enfer : « the roaring of lions, the howling of wolves, the raging of the stormy sea, and the destructive sword are portions of éternity too great fot the eye of man » . Autrement dit, traduit : la lubricité du bouc est la générosité de Dieu . Ou encore, la clef de ces proverbes, ou de la consultation secrète d'Abd El Kader, chez ce même Blake : Dieu seul Est, Dieu seul Agit dans les êtres existants ou dans les hommes . Le diable est au service de Dieu, voyez Faust, et parfois Dieu, comme figure du Suprême, est au service du diable, ainsi chez le pécheur justifié de James Hogg . Aussi le gnostique peut-il être ami du Serpent, et Judas auteur d'un Évangile secret, issu du Royaume immortel de Barbèlô . Il n'est pas certain qu'Agde soit plus superficielle et sinistre qu'une réunion de la Halde, ou qu'un livre de la rentrée littéraire . Il n'est pas certain qu'une orgie au Glamour soit plus loin de Dieu qu'un touriste au Mont St Michel .

Le penseur supérieur n'a pas d'opinion . Ces paroles de gnose, ne sont-elles pas une opinion, une position ? Non, c'est une position de position, et cela n'est qu'homonyme, c'est à dire le même mot, mais non le même ordre . Pouvoir penser une position est d'ordre inférieur à la capacité de produire la matrice des positions possibles . C'est exactement ce que comprend tout homme normal qui lit un livre normal, comme la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, ou le Kama Sutra, ou encore les états multiples de l'être de Guénon . Une œuvre puissante est une matrice de positions . Bien entendu, ce qui est vrai dans son ordre d'une position est vrai par analogie, selon donc une réfraction, d'une position de position – dans son ordre, et non dans l'ordre des positions simples . Cela ne peut être compris que par ceux qui comprennent les divers ordres de la vérité, les cycles des états multiples de l'être . Et parmi les positions de positions, il en est de démoniaques, il en est qui sont des prisons de l'âme, des îles des morts sous des apparences riantes . Et contre celles-là, il arrive que le sage doive lutter .

Prendre une position est inévitable, fait partie de son essence, pour celui qui est déterminé, limité, qui existe . Analogiquement à un étant, à mon corps, qui ont toujours une position . L'homme existe, c'est un ordre de l'être ; ex-istere, il se tient en dehors du principe, qui lui, est, mais n'existe pas . Pour les penseurs orthodoxes, il est tout à fait clair que Dieu n'existe pas . Le principe est immuable et n'a pas de position à prendre, étant la puissance de toutes les positions . L'être est, le non être n'est pas, juge durement le vieux Parménide, semblable aux ascètes de l'Advaïta . L'existant n'est pas l'être . L'existence est un être séparé, un être diminué . Exister n'est pas une marque de noblesse . Goethe dit, après Héraclite : « tout ce qui existe mérite d'être détruit » . La destruction rôde partout dans les mondes de l'existence, et pas seulement pour l'individu humain, sous le nom de mort . Ce fait est toujours déjà jugé .

L'homme n'est pas enfermé dans l'existence ; il garde l'image et le souvenir de l'Être . Il peut renoncer aux néants du siècle, candide comme la colombe . Il peut goûter à l'être comme on goûte l'éclat divin d'un fruit mur, rusé comme le serpent, car l'image de l'être est à la fois être et non être . Une image n'est pas rien . Et ainsi le néant dans la perspective de la colombe, le Siècle et ses ténèbres, peut être le foyer d'intensité de l'être du Serpent .

Il peut par un lien d'exception poser la puissante analogie de l'arbre de la connaissance, s'abriter sous les branches de l'arbre qui protégea Marguerite et Lara .

L'existant est image et ressemblance du Principe, comme l'image est un être diminué par rapport à cette image primordiale . L'objet existant est image, et l'image est image d'image, poussière de poussière . L'ontologie de l'image est analogue à celle du signe, à celle de la conscience intentionnelle, problématique et paradoxale : c'est un étant isolé comme objet, et dont pourtant l'essence est de marquer une absence, un autre que lui . L'image, le signe, sont susceptibles de fiction, d'illusion, d'erreur, comme la conscience de mensonge cruel, ou de trompeuse mélancolie . L'image, le signe, et la conscience partagent cette implication d'être et de vide au plus profond de leur tissage d'être, cet insaisissable essentiel .

Aussi le vêtement, le costume, sont-ils associés à l'illusion, voire à la tromperie . L'homme désire la confiance et désire l'obtenir d'essences insaisissables, ainsi condamné à l'errance, comme le chevalier des Grieux . Il sait pourtant, ce naïf chevalier, que les délices de l'amour sont liées à l'essence humaine, à l'immense désir de l'aimée, désir qui le porte, et désir qui la porte . Il désire en plus une confiance absolue qu'il ne saurait s'accorder à lui-même, qui ne cesse d'hésiter entre Manon et le respect de la moralité de son père et de ses amis . Jivago a vis à vis de Lara, et Lara vis à vis d'elle même, cette puissance d'aimer le monde dans ses voiles . Mais rares sont ceux et celles qui ont reçu, incompréhensiblement cette grâce, d'aimer inconditionnellement un être conditionné, car cet amour est lié au soleil, à la lune et aux étoiles, par la chaîne d'or de l'être . Cette chaîne d'or est elle même le lieu des reflets entre les eaux d'en bas et les eaux d'en haut :

Un abîme en appelle un autre,
Ils forment ensemble un duo solide :
(…)
Le ciel lui-même doit être terrestre,
Sinon aucune vie n’est insufflée dans le royaume terrestre.
Ce qui est en haut doit être ce qui est en bas,
Ce qui est en bas doit à nouveau être ce qui est en haut.

La terre doit monter au plus haut du ciel,
Et le ciel se replier au centre de la terre.
Ainsi doivent être inversés le ciel et la terre,
Ce qui est en bas devrait devenir ce qui est en haut.

Ainsi doit venir au jour, visible,
La Quintessence et ce dont elle est capable, son pouvoir.


Cette puissance de mettre au jour l'invisible à travers le jeu indéfini des reflets est ésotérique et rare . L'homme souffre habituellement de ce sentiment inauthenticité qui le frappe par essence . Certains cherchent la racine de cette souffrance, et la trouvent dans le mensonge et l'hypocrisie du vêtement . Ils espèrent que la nudité du corps permettra un retour à la confiance perdue, une simplicité aurorale . Cette démarche est en son principe très puritaine . Elle provoque en réalité une flambée du désir, du manque, là où les naturistes attendaient la pacification des apparences et des désirs .

Mais même de ce qui n'est pas, l'être n'est jamais absent, ne serait-ce que présent par son absence, par la nostalgie essentielle . La chaîne d'or des mondes est une chaîne, une cascade indéfinie d'images, l'image étant séparée de ce dont elle est image, selon les deux objets les plus essentiels d'un temple japonais, le miroir, et l'épée . Tout le secret des mondes peut être compris dans ces objets . Ainsi la flambée du feu érotique provoquée par la nudité pudique du naturisme principiel est-elle peut être moins illusoire que le puritanisme des fondateurs .

L'homme, condamné au miroir, au reflet, à l'énigme, aspire passionnément au réel, au vrai, au nu . Mais ce désir l'entraîne dans des cascades d'illusions nouvelles ; illusion de croire que seul l'objet réel est vrai, alors que le vrai est une propriété du Verbe avant d'être celle d'un étant réel ; illusion cartésienne de sacrifier toute connaissance comme douteuse, pour se refonder sur de l'indubitable formulé dans les mots de la tribu, et donc gonflé d'implicite – cogito, ego sum contre ça pense, et je dis que c'est moi qui pense . "Toi, tu n'a pas vie en toi . Toi, tu n'existes pas . (...) La vie, tu ne la possède pas-c'est elle qui te possède (...)" (Doctrine de l'Éveil) . Illusion de croire que l'homme nu soit plus vrai que l'homme vêtu . Illusion de croire que la vérité de l'âme soit la paix, et que l'absence des simulations modernes des hommes habillés, érotisés par leurs vêtements, apporte la paix de l'âme par la paix du désir . Non, l'âme, pas plus que la mer, n'est le lieu des répits .

L'authenticité que désire le vulgaire, le vrai bois, la vraie laine, les vrais gens, le vrai corps – tout cela est par essence image, et donc illusion . Derrière le voile, derrière le miroir, il n'y a que voiles et miroirs indéfinis, per speculum in aenigmate,et l'authenticité est aussi fausse que le faux qui la copie . La seule vérité de l'illusion est l'illusion . Le réel, le vrai ne sont que des images de ce à quoi l'homme aspire, et qui est une intensité d'être de sa vie . Là où l'objet authentique est trompeur, la vie humaine authentique n'est pas trompeuse, même si elle ne peut aisément se dire . La vie humaine peut être enserrée, étouffée par le vide, ou respirer, s'élever parmi les orbes des astres à travers les images . Ce qu'écrit Wilde : Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa propre vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose . Respirer l'or liquide des météores . Être possédé par l'insaisissable : ce qu'est l'authenticité d'une vie humaine portée à la grandeur, loin du cogito de Descartes .

L'authenticité de l'existence humaine est l'acceptation souriante de la totalité de la condition de l'homme, l'odeur mêlée du sang et des roses, l'immense joie et l'immense douleur, l'âpre saveur de la vie, ces entrelacs de lumière et de ténèbres qui se mêlent comme nos mains, comme nos corps . Il est diverses voies, mais toutes se rassemblent en ceci que l'homme se guide sur ces mots de Racine : Mais il n'importe, je dois suivre ma destinée...alors la destinée devient destin, quand aucune force autre que la mort peut me faire plier d'arracher au monde la puissance des destins, la pierre enfouie au cœur de la montagne des mondes . Aucune force, l'immensité des espaces, le mouvement des mâchoires du temps qui me broie comme l'herbe entre les dents du cheval, les convenances humaines, les moqueries et les attaques sinistres des critiques Staliniens envers le Maître, la fidélité due au Roi et au père, la morale, et la loi même : il n'importe . Telle fut Simone Weil, tel fut Rimbaud, telle est l'histoire de Tristan et Iseult . Qu'importe la défaite et la mort à celui qui n'a pas plié – et qu'importe la vie de l'esclave qui protège sa vie au prix de toutes les morts . Comprendre cela fut la grandeur de Spartacus, de toutes les résistances . Et la vie humaine se nourrit de cette force solaire . Et cette force solaire de l'homme apparaît parfois dans la nudité du corps, mais n'est pas la nudité du corps .

La puissance d'être de l'homme n'est pas acte, mais puissance, force qui va, analogue au créateur primordial . Puissance qui comme la source s'enracine au plus profond du Principe, et fait retour à lui . Le règne du spectacle désigne le processus d'exténuation de l'être qui afflige l'homme depuis toujours, en tant qu'existence séparée . Le règne du spectacle est le lieu de la jouissance du visible au prix du renoncement à la puissance . L'homme est un être faible, entouré de néant, percé de vide . Selon le principe hystérique de l'apparence, il est d'autant plus voyant qu'il est plus incertain d'être, faute d'exercer la puissance . Mais quand l'hystérie devient mesure de l'être, ce qui est le plus voyant devient la mesure de l'être, tandis que l'obscurité envahit les signes de l'invisible . Cela est vrai quand dans la lecture des textes sacrés l'exégèse, la lecture obvie, remplace le commentaire qui révèle le sens caché dans le mystère ; cela est vrai de la représentation en perspective, à partir de Vasari, qui cherche à reproduire un visible pur, privé d'invisible, vide d'ontologie, une phénoménologie de fait ; cela est vrai de Lady Gaga . Cela est vrai du spectacle du désir de l'érotique postmoderne .

L'image est devenue le modèle de l'être . L'image expose la loi du monde moderne . On assiste à ce phénomène caractéristique dans son inversion, qui est que l'individu devient moins que son image, et que l'on demande à la personne d'être à la hauteur de l'image . C'est l'essence du narcissisme, cette dialectique entre un gonflement de l'ego et une exténuation de l'être . L'image devient la norme, occupe la fonction de la loi morale . Le jeune doit être un jeune, personnifier une génération . L'habitant d'une ville doit être le symbole de la ville . Le modèle doit être plus qu'une image, une personne absolument conforme à l'image . C'est pourquoi on opère le corps plutôt que l'on modifie l'image . L'image est lisse, et les corps sont épilés, par exemple . La chirurgie, le maquillage idéaux tâchent de faire aussi bien que photoshop . Il faut être un spectacle, un événement pour le regard des autres, qui sont autant de puissances capables de me gonfler d'être, ou de m'en priver en détournant le regard .

L'être au sens puissant du terme est à la fois l'acteur, la scène, le décor, comme dans le rêve où je suis le monde, l'ensemble des personnages et l'air qu'ils respirent . L'être diminué existe par ses limites, il doit occuper une position dans le temps et dans l'espace pour ne pas filer vers le néant . L'être diminué se réduit fort justement à un point, un point de fuite, qui fuit à l'indéfini de l'absence, de l'inconsistance . L'espace, le temps, les images, le garantissent dans sont être, comme ces gens qui ne regardent plus le monde que par leur appareil photo, par la capture indéfinie et vaine des images . Cela crée un processus d'extension du domaine de la lutte dans l'apparence, une surenchère pour occuper le regard, et l'hypersexualisation est encore la voie la plus rapide pour y arriver . De ce fait, la surenchère porte à l'exhibition toujours plus poussée du corps, et d'insignes de fer, de piercings, de tatouages, de cuirs, de chaînes, qui puissent faire événement .

Dans l'espace de la pensée, un champ de reconnaissance comme le tournoi, ou la plage du Cap d'Agde, celui qui veut exister doit occuper une position, et si possible créer un évènement . Il doit être à gauche, à droite, au centre, peu importe, mais quelque part . Il doit être visiblement homo, sadique, partouzeur, biker, mais pas rien . C'est par cette nécessité que naissent les tribus, sociétés de reconnaissance mutuelle . C'est cela qui lui donne une identité, qui permet justement de le re-connaître ; car sans ces déterminations il est un masque, présent ici comme cela, et là comme ceci, un être protéiforme, un anonyme qui ne peut être reconnu .

Le penseur supérieur ne désire pas tellement exister, mais être . Mais pour être à l'aise, peut être lui faut-il exister, comme Casanova de Venise . Ne soyons pas dupes : exister est un jeu, et le jeu a pour enjeu la vie . Un jeu, c'est à dire que l'exister en question est contingent et relatif . Les déterminations sont contingentes, mais l'exister est lui nécessaire, selon l'ordre de fer de la vie . Pour le contingent, le contingent est un destin fatal . Le jeu doit être affronté ; et pour être, il faut aussi exister . C'est la problématique théologique de l'incarnation des dieux . C'est le dilemme du Maître, qui doit publier dans un monde qui lui est étranger pour être le Maître . L'immense désir d'être devient alors un processus inflationniste du mode d'existence moderne, le spectacle .

Dans l'amour, une position en appelle une autre en miroir, que ce soit psychologiquement, comme le maître et l'esclave, ou que ce soit la position des corps . Mais n'occuper qu'une position est une faiblesse, quand l'homme est puissance de la totalité des positions . C'est ainsi que quand deux font un, leur puissance d'être est d'un ordre supérieur . Je peux jouer tous les rôles, mais non rester fixée à un . En pensée comme en toutes choses, la stéréotypie est une faiblesse . Aussi le sage peut-il paraître comme un astre errant, comme un nomade étrange, comme un dément, selon Guénon lui-même . Ainsi il entre dans le jeu...

L'homme moderne ne désire rien plus qu'être aussi bien que ses propres images, et doit se conformer à la hiérarchie des images . Bien sûr, ces images servent à la domination des producteurs d'images sur ceux qui les subissent ; bref, elles sont des instruments de pouvoir . Ainsi sur la plage il y a les beaux, les moyens, les laids, et ces derniers sont à priori les dominés, les humiliés . L'artiste peut modifier les images, la Loi, et donc dominer le jeu ; il le peut, mais il peut aussi être vaincu .

Exister alors, c'est exister relativement au monde des images . Le monde des images est posé comme mesure de l'être ; la mesure est ce qui mesure, et non ce qui est mesuré – encore une fois, une figure de l'inversion moderne . L'habit fait le moine . Le non être juge l'être . Le physique est alors l'intérêt unique d'un être humain . Comme dit Houellebecq, pour baiser en toutes positions et en nombre, les beaux avec les beaux, les moyens avec les moyens, les laids avec les laids . Cette règle idéale n'est pas toujours vérifiée . Le mélange apparent est ségrégation réelle . La nudité apparente est un puissant voile de l'euphémisation de la violence des rapports sociaux . Car les vieux, les laids qui sont avec de beaux sont à l'évidence des riches et des puissants . La beauté s'achète à prix d'or .

Seule l'image pèse ; aucune autre puissance humaine n'est reconnue . Il est vain de parler . L'image est la monnaie unique de l'échangisme . C'est le paradis de l'Union Européenne de la concurrence libre et non faussée, et des sportifs, le lieu international de mixité sans aucun effort, sans créole à produire, sans rien .

Chacun hiérarchise les autres selon ces principes de l'image et selon ses prétentions . La prise du pouvoir par l'image se marque au fait que la parole est exclue, réduite au minimum du oui/non . Chacun juge l'image de l'autre comme possible ou pas possible relativement à l'image qu'il se fait de lui-même . Sympathiser est impossible, ce serait échanger des émotions . Les rapprochements sont rares, car tout rapprochement est le risque de subir une blessure narcissique, en voyant l'image qui se forme dans les yeux d'autrui . Ainsi le Cap est-il une puissante machine de propagande de la toute puissance de l'image . On y baise moins qu'on y défile, le long de la mer, tous arguments dehors . Cette sincérité est reposante : il n'y a rien d'autre à chercher ou à comprendre .

La perfection de la consommation d'autrui se passe du politiquement correct . C'est un lieu expérimental du monde moderne, et donc futuriste . La surenchère de la sexualisation est en route encore et encore . L'entéléchie du monde moderne est la dévoration du monde par le Système, et son achèvement est la dévoration du sujet, de l'homme par le Système . Le siècle précédent a vu les hommes utilisés comme bêtes de somme, animaux de boucherie, les corps poussés par des bulldozers, les corps utilisés comme sacs de sable, en bref comme matière première industrielle . Nous voyons l'homme utilisé comme glace à l'italienne, comme objet de consommation, en concurrence avec des sex-toys . Désirant être, et prenant la réalité pour être, l'homme parcourt le cycle pour se réduire à l'exténuation des choses réelles . Désirant être naturiste, il reconstruit les voiles hypocrites des mondes qu'il a cru quitter . Finalement, les paradis modernes sont simples, vides, comme la vie du bloom . Ils sont l'avant garde moderne . L'avant garde moderne n'a d'autre supériorité que sa radicalité dans l'application des principes du troisième totalitarisme . Ainsi le Cap d'Agde est-il un laboratoire de l'avenir .

Le désir immense n'est pas mort, même s'il s'insinue sous le sable . Le troisième totalitarisme le neutralise, mais ne peut l'annihiler; de ce fait, même le désir neutralisé est soigneusement séparé du reste du monde, par des frontières infiniment mieux gardées que la frontière de la Pologne . Ce spectacle étrange et drôle est au fond moins désespéré que la plupart des galeries d'art postmoderne, et moins désespérant qu'un livre de Coetzee . La faune des désirs, cette étrange folie, ce mirage planté dans des marais est finalement un lieu possible, infiniment plus éthique qu'une réunion d'Europe Écologie, plus drôle que Disneyland, et plus spirituel que la conférence de rédaction d'une chaine de télévision .

Viva la muerte!

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Nu

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Zinaida Serebriakova