Doisneau, fils du Dream-a-Dream land. Exposition Doisneau à Dinan .


(Robert Doisneau)


Doisneau : des amoureux qui s'embrassent, des enfants qui jouent, des passants qui lorgnent discrètement des images érotiques, des artistes bonhommes avec leur œuvre, de grands moments de l'histoire sur un joli sépia argentique intemporel désormais- qui ne chanterait pas Doisneau, qui ne serait pas ému par ses photos ?

Ne montre-t-il pas un intérêt social, ces pauvres gens chargés de butin de retour du marché, ces bouchers gros et sanglants touchés par une accordéoniste, ces vieillards joviaux dans des cafés pourris, ces enfants de banlieue jouant avec des bidons en vue de Montmartre ? Qui pourrait ne pas adhérer à cette esthétisation du sordide urbain ?

Pourtant un peu de recul devrait nous faire réfléchir . Le photographe de Vogue est-il quelqu'un qui a voulu changer la vie des enfants pauvres, ne pas les laisser là, dans le monde qu'il présente, ou porte-t-il sur eux un regard en terme de valeur dans le sous système des images ? Porte-t-il une instrumentalisation des images en vue de la puissance d'impact sur le spectateur ? Porte-t-il sur eux le même regard esthétisant que sur les soldats allemands dans Paris ? Le totalitarisme moderne ne peut-il faire d'aussi belles photos que l'occupation ?

Le regard des enfants enchante un bidonville . Rimbaud s'habituait à l'hallucination simple, faisait naître des palais sur l'emplacement des grandes usines . Doisneau retranscrit le regard des enfants, nous amène dans la fiction de voir par leur yeux à travers les siens ; aussi nous attendrissons nous, sentons en nous une humanité commune ; mais au prix du gommage de l'horreur réelle, concrète, de ces lieux d'entassement . L'humanité commune de Doisneau est une fiction spectaculaire . Le sourire d'enfants à Évry en 1980 ne peut faire oublier, rendre uniquement poétique ces mondes de béton, de goudron, d'ordure, de désespoir .

Ne doit pas nous faire oublier par exemple la cité Gropius de Christiane F dans le Berlin des années 70 . Les enfants machines à laver, les enfants télés, enfants attendus pour les allocations . Et le tintamarre intéressé du spectacle dans les appartements, les télés, la musique, le bruit, les cris, les hurlements, la violence omniprésente . La misère : car c'est bien de misère qu'il s'agit, et qui est voilée .

Rare sont les enfants qui connaissent le désespoir . Le désespoir se lit dans les traits d'une femme adulte, la désillusion, le retour au réel qui prend au tripes de ce Paris de cauchemar . L'attendrissement nous rend pharisiens, participe du politiquement correct . La vérité des villes modernes n'est pas dans la bouche des enfants ; ceux-ci la trouvent après de longues enquêtes, de longues voies de cauchemar que l'on retrouve dans la part d'Ombre d'Ellroy, plus généralement dans la roman noir, pour reprendre les thèses, exactes, de J.P.Manchette .

L'art bourgeois use de l'émerveillement et de l'attendrissement comme d'un arrière monde qui moralise les cuisines sales et grasses du Système . Cet art vénéré est difficile, si difficile à renier ! Comment renier avec des mots d'adulte ces enfants rêveurs, rieurs, consciencieux, si craquants ? N'a t'on pas le sentiment de renier non Doisneau, mais ces enfants eux mêmes, et peut être tous les rêves d'enfants ? Au risque d'être un monstre ?

Pourtant l'art bourgeois est un moment du Système, il le rend un instant infime poétique, agréable, loin de toute la laideur qu'il véhicule : et c'est le bruit, le vacarme de cette négation que j'ai ressenti dans le calme ouaté de cette salle d'exposition tendue de noir, moquettée, emplie de vénération et d'extase, loin, très loin des pays et des lieux photographiés, de leur vie réelle, étrangère et hideuse .

Aussi je le répète : non, je n'ai aucune sympathie pour Doisneau, et je me sens étouffer dans le sépia de ces merveilles-comme si j'y lisais au travers le visage des adultes et des morts qu'il recouvre de son voile consolateur . Ce qui est fonction du Système est le Système . Le radicalisme est inéluctable, même subtilisé par la stratégie du virus, la nécessité de l'apparence compatible . L'art que j'attends n'est pas la voile du vaisseau des morts du Système, la participation à l'éloignement de l'âpre saveur de la vie dans la douceur mièvre du Spectacle .
Viva la muerte!

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette photo n'est pas de Doisneau, elle est de Cartier-Bresson. Elle ne représente pas un couple d'amoureux mais un couple d'amoureuses.
Vous en trouverez une reproduction dan le Hors-série du magazine Photo consacré à Henri Cartier-Brezsson du 4 août 2004 par exemple.

lancelot a dit…

Je vous remercie et vous crois sur parole. Bien à vous.

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova