Par ta main seule, pace et salute .

(Araki)

Par ta main seule, pace et salute.

Lueur de feu sur le cuir
Et la dentelle
Volutes d'ombres sur l'épaisseur floue de la peau
Tracée de fleuves
Salés
Rassemblés vers le
Sexe

Le plan immobile du mur
Le roc pensif voit
Le dévoilement de la chair
Le sein tendu vers des cieux improbables mais
Réels du Serpent
Délice dévorant comme l'haleine ignée du
Dragon.

Je te brise les Seins
Dans mes serres
Mon âme se fend

L'intensité électrique flue
Vers les vertiges
Des abîmes d'enfer
La nuit appelle les ténèbres
D'un son sans timbre
(AUM)

La douleur et le plaisir s'entrelacent en une
Corde de métal
Résonnante
De fantômes de fourrure
Qui brûlent en phosphorescences
Les yeux de la mort
dans
Le crâne

Quel mort frappe les feuilles de sang
Quel crépuscule est bu dans la coupe du sacrifice
Quelle lame s'enroule autour de la gorge
Fer rouge
Errant dans la trachée et l'artère
Sacrificiel
Brulant le souffle en
Angoisse d'
Excès
Inassouvi qui
Se liquéfie comme moi même
Fluant de moi
Le sang s'écoule


Angoisse d'excès
Qui arrive brulante
Qu'enfin
Hurlant
Le monde
Soit!

Sur le goût du révolver au froid de serpent mort
Le rouge du ciel s'enroule en
Ivresses
Pourpres
Le crépuscule coule le long des cordes de peau duveteuses
De la lune
Blafarde et dégoulinante de cyprine et de foutre
J'embrasse le tremblement rouge de tes lèvres
Ton souffle de brumes
Ta bouche posée sur la coupe
De mon Sexe
L'odeur divine du sang comme la forêt mouillée
Piétinées comme les hommes
Les feuilles

Je règne par l'éclair aux corps d'aromates
Je règne par la mort aux formes asservies
Je règne par la chair aube solaire et vaincue par la chair
Par le crépuscule du soir qui se répand noir sang dans la tasse de nuit et
Déborde sur les mondes
Par la fleur hiératique qui se tend vers la puissance
Par le monde qui se fend
Par l'invocation silencieuse des ombres

Pace et salute
Par ta main

Sang.

(Peinture murale du grand canyon)


Il se peut que des gouttes de sang s'écoulent à terre . Le sang forme une flaque, puis s'écoule en une figure compliquée dans la poussière . Quand tout le sang sera à terre, comme le serpent, alors peut être ma vie m'aura quittée .

Le temps s'écoule et comme le fleuve, ou encore comme la taupe, il creuse . Dans les falaises de marbre il creuse des puits et des siphons souterrains, envahis d'obscurité . Puis les siphons s'effondrent, se manifestent à la lumière comme canaux et roches brisées .

Des gorges, des falaises apparaissent . Vertigineuses, superbes, leurs fronts noirs de forêts séculaires sous le soleil . Le fleuve coule en bas, très loin, entre le moucheronnage des truites et l'éclat furtif des barbeaux . Sur les bras des fleuves, des îles de galets portent des peupliers, et des plantes à fleurs . Là fut échangé un baiser au soleil, là je m'enracinais dans le soleil .

L'eau a creusé son enfermement, comme la violence de nos vies . Tous ces moments qui ne sont plus toujours distincts, comme ne sont plus distinctes les pierres des îles . Cet amas de choses indistinctes, lourdes, froides, laides, ces prisons de l'âme . Il y a cette angoisse diffuse, cette difficulté à croire le sol solide, ce sens du creusement des puits d'abîme sous les univers des hommes . Le puits d'abîme porté dans le ventre, dans la tête . Les vomissement du matin, ou les convulsions des murènes parmi les tripes, les roches de l'esprit qui se fendent sous le gel, le hurlement qui ne peut être dit, le corps chargé de ces noirs maux violents .


« Au bassin de l'Ange
COMME SI le souvenir amer de la peine rejoignait
Le corps chargé de ces noirs maux violents
l’ultérieur démon immémorial
N'ayant pas trouvé de bel exutoire



QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES ÉTERNELLES
DU FOND D’UN NAUFRAGE



Empoisonné de mes venins
Je suis maintenant l'un de ceux-ci
un banni et un homme errant loin des dieux
je mettais ma confiance dans la Haine insensée


COMME SI errant
Mes pas se feraient alors insaisissables Tant
Aux autres qu’à moi-même aussi légers et
Lourds que le vent chaud d’Algérie qui emplissait ce soir le vide des rues et des passages
vers
ce doit être
le Septentrion aussi Nord

UNE CONSTELLATION


COMME SI le serpent lové dans le ventre de l'homme banni
à l'infini rejoignait sa marche et
l’angoisse suspend chacun de ses pas


C’ÉTAIT
LE NOMBRE
issu stellaire
EXISTAT-IL
autrement qu’hallucination éparse d’agonie


COMME SI les rues et les voyages vers les ténèbres à l'infini rejoignaient
Un boulevard qui allait engager ma mémoire.
Ma mémoire entrechoquée par
Le gémissement des trains humains La nuit
À travers la plaine


COMME SI l'infini des voies de fer était mort Vie et
Envol des oiseaux de feu et
Je regardais je m'orientais me désorientais tandis que
Mort d'inquiétude
je rendais une âme mutique aux étranges hommes qui contemplaient des œuvres d’art Tandis que
Des métros aériens, d’une grâce toute fictive
fusaient
embarquant encore un peu de l’air chaud
très à l’intérieur résume
l’ombre enfouie dans la profondeur par
Cette voile alternative


Des vaisseaux dérivants
D'un long vol vers Le ténébreux vertige
au front invisible
debout
en sa torsion de sirène »



Ce que j'ai vu dans tes yeux noirs dans l'effleurement du premier regard . Et nos inquiétudes qui s'annulent . Et au delà, j'ai embrassé l'aube d'été, l'éclatante lumière du Soleil Invaincu .

La violence creuse son enfermement . Non pas cette violence physique, le sang, mais aussi la tension, la haine, la peur, le désespoir - et surtout la tristesse, la tristesse de l'enfant qui ne voit que l'amertume . Et l'enfant tend à penser que la cause de tout cela, c'est lui ; ou encore qu'il n'est pas assez puissant pour apporter la paix, qu'il apporte le mal et qu'il mérite d'être puni . Mais le mal était là avant, bien avant lui, et bien avant même ceux qui l'ont porté . La douleur n'est pas inessentielle au monde .

Tout cela n'est pas beaucoup assimilé dans l'enfance . L'enfance peut être encore légère, émerveillée . Mais teintée d'un léger voile, comme un paysage baigné dans la brume . Mais le sang est toujours déjà présent .

Alors les baisers sont teintés d'inquiétude, car le malheur qui a eu lieu n'est jamais entièrement reconnu . Aussi tout amour est aussi sourdement le retour de la violence, le retour de la destruction, aussi tout amour est aussi désir de rédemption . Telle est l'Aube de la main gauche . Celui qui connaît une chose précieuse, indéfiniment précieuse, plus que toute vie humaine biologique, que toute principauté de ce monde, que toute fortune hors l'absolu Soleil du Saint - peut la cacher dans une caverne secrète, ou la faire connaître au monde, mais il veut aussi, s'il sait pouvoir la perdre, en dresser un mémorial, tant pour son souvenir que pour le souvenir des hommes .

Toi qui réside dans les eaux et les sources des collines, dans l'obscur des forêts, le sucre des fruits et la splendeur des fleurs, donnes-nous la paix . C'est à dire, permets-nous de combattre non des fantômes qui se dérobent, mais des ennemis . Alors l'héritage du sang sera un bouclier, en un cercle accompli .

COMME SI les mots pouvaient se teinter comme
le ciel ou encore comme le sang
Comme l'entrelacs et l'enlacement


COMME SI la mort de l'espérance et
le début de la grande guerre dans le
Ciel
Je la reconnaissais fulgurante remontée tempétueuse
que se
prépare
s’agite et mêle
au poing qui l’étreindrait
comme on menace
un destin et les vents



Car pour nous, la guerre est la paix . Marguerite brisant des vitres trouve la paix .

Je veux briser mes hautes fenêtres et te retrouver .

Viva la muerte!

Les mille plateaux sous le déluge, ou le devenir-animal de Deleuze sous l'oeil du sorcier .

(Hikiko Mori, S.D.)



Quand s'élèvent les nuées au dessus des collines et des forêts, quand l'ascension des arbres vers les eaux du ciel se dessine à travers la brume, quand la surface de la mer et les falaises hiératiques sont criblées par le vent et la pluie – il est temps de méditer sur le symbolisme des eaux, et du déluge – des quarante jours et quarante nuits de sa durée . L'eau, comme la nuit qui permet la transformation de l'homme en loup, est le lieu de l'exténuation des limites .

N'invoquez pas, je vous prie, Bachelard . A part la longueur de sa barbe, assez semblable à celle du sexe d'un âne, il n'y a rien à retenir de ce gentil instituteur de « l'imaginaire », des « rêveries ». Car s'il peut satisfaire les corbeaux, les professeurs qui professent la recherche de la sagesse à travers la Science, laquelle est un Fantôme qu'il mettent à une place analogue à celle de Dieu, un tel penseur aux oreilles de cheval ne peut satisfaire l'aigle – L'aigle ne perdit jamais autant de temps que lorsqu'il se résigna à écouter le corbeau . Aigle ! Ce dont le corbeau fait ses délices, rejette le sans plus d'examen . Ne te nourris que de ce qui l'étouffe . Et écrase lui la tête entre deux pierres, pour te nourrir de sa chair .

Le monde enivré de pluie, de brumes, paraît être aussi un monde d'atténuation indéfinie des limites, là où le soleil méditerranéen découpe, depuis des millénaires, les lignes précises des genres et des espèces . Cela, de manière métaphorique quoique rigoureuse, m'amène à parler de Deleuze, celui du début de Mille Plateaux . Il s'agit de produire une infinité de puissances, de transformations sans genres ni espèces, de déstructurer toute filiation des êtres, de morceler, d'effacer les limites . Le brouillard devient ainsi un modèle mouvant d'organisation . En même temps, on voit des êtres humains ainsi enivrés se réclamer de la théorie de l'évolution . Mais toute la théorie de l'évolution est une méditation sur les genres et les espèces . Darwin ne nie pas les espèces, il prétend en fonder l'origine par la filiation . Deleuze soutient lui il n'y a de filiation que symbolique . De toute façon, toutes les théories se valent, mais toutes ne sont pas compatibles au delà de paroles verbales sur l'émergence de la complexité par des intégrons - désintégrés .

Il y aurait ainsi selon Saint Gilles des pensées schématiques, basées sur la disjonction binaire de la différence spécifique, et des pensées plurielles, indéfiniment riches, basées sur le chatoiement indéfini des perspectives multiples, et sur le rhizome, bref des pensées pécheresses, hiérarchisantes, et des pensées vierges du péché originel, égalitaires, celles inspirées par Deleuze . Par exemple, l'horrible distinction des sexes, binaire, inégalitaire, et le nombre indéfini de genres distingués savamment par la pensée queer . Seul petit problème, la disjonction binaire entre les pensées démultiplicatrices d'a-pensées désensorcelantes de l'écart, bonnes, progressistes, et les horribles pensées en soutane du discours des suppôts théologiques du binaire, est parfaitement binaire, tant et si bien que le deleuzisme vulgaire, loin d'avoir la noblesse du déluge, est un discours idéologique simpliste qui se réclame du complexe sans l'être, tout comme le scientisme est un discours idéologique qui se réclame de la science sans la moindre valeur scientifique . Valeur scientifique qui par ailleurs ne vaut presque plus rien, sinon l'honnêteté bécassière de la plupart des travailleurs du champ de la « recherche » .

Tôt ou tard nous devrons nous débarrasser de ces fantômes . La pensée qui n'ordonne pas, qui n'invoque pas une harmonie, est à peine une pensée ; elle est par contre parfaitement fonctionnelle au monde du troisième totalitarisme, qui se caractérise toujours par des oxymores fondateurs donnant réponse à tout, depuis le libéralisme qui oblige à être libre, jusqu'au simplisme de la « pensée complexe » . Plus je le connais, plus l'ensemble de ce courant de pensée m'apparait autant paradoxal dans son contenu que parfaitement fonctionnel dans ses résultats . L'envahissement de l'université américaine par de telles familles idéologiques n'est plus alors la figure d'une opposition à la société du Système, mais bien une forme d'accompagnement idéologique d'avant garde de l'ontologie du Bloom .

Le déluge est le retour du chaos et de la destruction . Le chaos et la destruction ne sont bons qu'en référence à un ordre pervers, comme réaction divine au chaos provoqué par les hommes . Ce chaos n'est pas de nature ; le monde donné à l'homme était ordonné, par la différence des sexes et des espèces, ce qui permet à l'Arche d'être un résumé du monde ordonné, et non un chaos à son tour . C'est l'homme, qui par l'accumulation des meurtres a crée le chaos à partir de l'ordre qui lui était donné . Le déluge est alors une destruction qui permet la refondation d'un monde .

L'eau est à la fois le symbole du chaos et de la re-naissance, puisque toute naissance est renaissance . Dans leur puérilité, les rationalistes condamnèrent l'ambivalence constitutive des symboles, qui les rend impropre à la logique binaire ; mais en réalité cette ambivalence est la manifestation du caractère dialectique de toute existence . Héraclite est le penseur même du symbole . Naître, être séparé, est le gain de la liberté et l'apparition du conflit, de la disharmonie indéfinie des mondes ; de ce fait la guerre est mauvaise et mère des mondes . L'eau est ainsi symbole de destruction, d'étouffement, d'enlisement dans la boue des mondes ; et symbole de naissance, de purification, de jouissance infinie de la fontaine . L'eau est ce qui descend vers les égouts, ce qui couvre et remplit toute forme, le sang qui couvre le front de Caïn, la vague immense qui emporte la vie ; et l'eau est l'eau des ablutions, la goutte sur la peau, le sang du sacrifice, l'ambroisie de ton sexe, les sinuosités des liquides entre les cuisses, la pureté sainte des larmes . Le Graal est le réceptacle d'un liquide . On parle ainsi de rosée céleste, et des eaux noires des fleuves de l'Enfer ; mais l'eau est une et même .

Ce qui fait l'ambivalence est la puissance ; le puissance possède ce double aspect destructeur et bâtisseur au cœur de toute violence . La puissance, et aussi le désir indéfini de la puissance, la volonté de puissance, sont par nature par delà le Bien et le Mal – tout comme le Saint en soi, le désert de l'outre divinité . La source de la disjonction a son image originaire au cœur même du processus divin, qui de l'Un produit des forces qui s'affrontent . Mais toute disjonction n'est pas fondamentale .

La disjonction entre imagination et pensée rationnelle, comme les autres disjonctions de l'épais brouet bachelardien, est une disjonction axiologique-idéologique, et rien de plus . Le monde imaginal a sa rationalité propre . Le caractère ambivalent des mondes que manifeste l'eau n'est pas la projection sur l'écran vide d'une eau claire de la psyché humaine, dans l'idéologie racine créatrice de tout ordre, mais bien la sympathie, l'analogie de l'âme et du monde, qui permet à la pensée de jouer au Créateur, par analogie, à partir de mondes ordonnés avant toute humanité . Il n'y a décidément rien d'archaïque a comprendre l'union des opposés, mais bien plutôt immaturité à la structuration permanente du monde en bons constructeurs d'ordre et en méchants destructeurs, structuration mythique qui permet le discours progressiste et ses prestiges vides .

L'accumulation de l'ordre humain dans le temps finit par obscurcir la lumière de l'ordre primordial qui doit être régénéré - telle est la pensée du Déluge, et aussi la pensée du temps cyclique qui s'exprime dans la fête de Samain . Mais on retrouve ce même phénomène dans l'exténuation actuelle de la République, dans le vide que ressentent même les progressistes . Le progressisme lui même s'exténue . C'est dans la réalité même que l'on perd dans la mesure où l'on gagne, et que l'on gagne dans la mesure où l'on perd . Dans la réalité même que le vieillissement est à la fois maturité et mort . Le même chemin me grandit et me tue .

L'union des opposés est un autre aspect des états multiples de l'être . Il n'est pas de texte plus proche, en vérité, des réquisits de pluralisme des deleuziens que ce livre de René Guénon . Plus même que Deleuze lui même, enfermé sans recours dans des limites idéologiques incroyablement bornées . « Jamais un homme n'a pu dire : « je suis un taureau, un loup... » » (mille plateaux p 289 sq) . Non seulement cela s'est dit, mais cela a été . L'image prend possession de l'âme, et le sorcier devient loup, ce que toute âme est en puissance, car l'âme est en quelque sorte toutes choses .

J'ai revêtu une multitude d'aspects
avant d'acquérir ma forme définitive (...)
J'ai été une lance étroite et dorée,
(...)
J'ai été une goutte de pluie dans les airs,
J'ai été la plus profonde des étoiles
J'ai été mot parmi les lettres,
J'ai été lumière de la lampe (...)
Taliésin.

Deleuze cherche la subtilité, en nous disant en terme d'eaux : le devenir ne produit pas autre chose que lui-même : là encore voilà une pensée de l'in-identité qui se formule en terme d'identité . Il n'existe rien de parfaitement défini, cela est parfaitement défini . Le devenir n'a pas d'identité, et il a pourtant selon Deleuze une limite circonscrite et un lui-même- c'est à dire une identité .

De quoi diable peut parler le « lui même » d'un étant sans consistance, et comment même on peut l'appeler un, voilà le grand mystère que ne peut dévoiler cette pensée . Le devenir, la puissance, n'appartiennent pas à l'ordre des choses, et n'ont pas les propriétés des choses-définissables, manipulables, localisables dans le temps et l'espace, définies et définissables par exemple . La puissance d'être d'un homme a venir n'a pas de nom . Ce que l'on peut nommer, le devenir, l'évènement, est déjà un acte, l'acte de ce qui est en puissance . Et l'évènement, localisable dans le temps et l'espace, n'est déjà plus manipulable, sinon par son souvenir .

En tant que puissance, étant sans nom - car le « devenir-loup » ne nomme ni ne cèle, mais fait signe vers l'acte, vers le loup à venir et vers le monde de sa manifestation – étant sans lieu ni temps, le devenir-loup est toujours déjà présent, partout et nulle part . La puissance du devenir-loup était au commencement . Cette puissance est identique à celle du monde entier du loup, comme le rêveur produit la totalité du rêve, sans y être situé plus en un moment et en un lieu . Le destin est toujours déjà présent, déjà étoile et Soleil Invaincu . La puissance est insaisissable, tout comme l'ordre du monde en tant que donné .

Le mortel ne peut revenir sur sa naissance, son temps et son lieu, sur la certitude ordonnée de sa mort . Le mortel peut invoquer les puissances du destin, peut garder le front haut face à elles, il ne peut les transformer totalement . Aussi la sagesse est-elle amor fati selon Nietzsche lui-même, amour de l'ordre donné par le destin . L'homme ne peut fonder d'ordre que dans l'amour de l'ordre plus vaste qui le reçoit, et qui lui échappe . L'homme se révolte contre l'ordre humain pervers, selon la figure du Déluge, en s'appuyant sur l'ordre reçu par les hommes, et cet ordre donne alors au Héros primordial, comme Dieu à Noé, sa puissance d'aurore .

C'est au nom du Destin figuré humainement, symbolisé par les puissances astrales et magiques, que Tristan s'élève contre l'institution royale, contre l'ordre de la fidélité humaine et matrimoniale . L'ardent désir du Haut tant désiré emporte, et dépasse comme une vague, les fragiles digues de l'ordre humain, ordre dont la faible puissance, dont l'étouffement sont marqués par leur fondation satanique dans le Récit gnostique . Et grâce à cette puissance, il triomphe, d'un triomphe de l'ordre supérieur sur l'inférieur ; et non pas au nom fictif d'un caprice individuel . Sa Loi est hiérarchiquement supérieure à l'ordre humain ; il juge, et ne peut être jugé . Mais il ne juge pas en son nom .

Ce qui est réel, poursuit le noble Deleuze, c'est le devenir, le bloc de devenir, et non pas des termes supposés fixes dans lesquels passerait celui qui devient . Le devenir peut et doit être qualifié de devenir animal sans avoir un terme qui serait l'animal devenu . Le devenir animal de l'homme est réel, sans que soit réel l'animal qu'il devient ; et simultanément le devenir autre de l'animal est réel sans que cet autre soit réel .

Voilà de frais propos qui permettent à des urbains incapables de se confronter à une véritable séance de sorcellerie de respecter la sorcellerie sans développer de mépris à l'égard de ces pauvres sauvages, au contraire des moches et féroces colonisateurs qui se moquaient du moine bourru, comme Don Juan . Le devenir loup de l'homme loup est réel ; pour autant, il ne devient jamais un loup, il ne faut pas prendre un prof pour un con non plus . Ainsi on respecte le sauvage sans se renier . La solution est purement verbale . La pensée qui se développe ici ne repose en rien sur une réflexion sur l'être et un désir invincible de savoir ; elle repose sur la nécessité de sortir des caricatures du positivisme sans abandonner l'idéologie racine ; en bref, il s'agit de trouver une issue à des contradictions internes du champ intellectuel, qui veut être rebelle et qui est fonctionnel par nécessité . Cela est net quand on lit : « devenir ne se fait pas dans l'imagination, même quand l'imagination atteint au niveau cosmique ou dynamique le plus élevé, comme chez Jung ou Bachelard » . Parce que sortir de ces modèles pour aller vers Henry Corbin et l'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi, c'était véritablement changer de paradigme – ce qui est tout simplement impossible . Les obstacles épistémologiques sont si nombreux...

Pourtant, que vaut l'analyse proposée ? Rien . Un éclat de rire . « Du reste, je lui ait dit un jour, en déjeunant avec lui : « voyez vous professeur - excusez moi-mais vos idées sont un peu incohérentes . Très intelligentes, sans doute, mais terriblement incompréhensibles . On rira de vous » . Devenir ne se fait pas dans l'imagination, au fond, qu'est ce que cela apporte comme information ? Mourir, cela ne se fait pas dans l'imagination ? Attention, c'est pour de vrai ? L'intellectuel moderne se débat dans un tel vide qu'il éprouve ce désir de pour de vrai ? Quoi de plus réel que ce vide de la pensée du bloom, envahissant, féroce ?

Si je dis qu'une pâte d'argile devient du pain à un homme affamé, et que je lui dis : le devenir pain de la pâte est réel, mais non le pain ; il ne faut pas supposer de terme fixe au devenir, qui ne produit que lui même ; je ne peux te donner réellement que de la terre - cet homme risque de penser que je me moque de lui . Non ? Si un druide dit qu'il devient un loup, je peux certes dire que « c'est une fausse alternative qui nous fait dire : ou bien on imite, ou bien l'on est . » Supposer que le loup se manifeste sous la forme du Druide, et donc que la manifestation se présente comme la surface d'un kaléidoscope indéfini de mondes, cela paraît trop pour Deleuze, mais c'est pourtant indéfiniment plus conforme à son programme . Si ce n'est l'inavoué de son programme, qui est de se situer dans l'ontologie moderne, et de n'en pas sortir .

Et le devenir, le mouvement ? Aristote définit le mouvement dans sa physique comme l'acte de ce qui est en puissance, en tant qu'il est en puissance . Mais nous connaissons la puissance par l'acte ; nous connaissons le devenir-loup par le loup, et non le loup par le devenir-loup . Le devenir-loup de l'embryon de loup est certain, sinon réel ; si le devenir-loup du Druide est le même que le devenir loup de l'embryon, il n'est pas pertinent de distinguer, ou de nier, le terme supposé fixe de ce devenir . Et si l'acte de l'acte de ce qui est en puissance, la fin du devenir-loup, n'est pas le terme, le loup, comment le connait-on comme devenir-loup réel en tant que devenir, réel comme ayant le caractère de la res, de la chose, c'est à dire comme objet de science susceptible de définition ? Comment puis-je connaître cette réalité non manifestée ? Y-a-t-il des réalités non manifestées ? Des étants non-manifestés, certes, mais des choses ? Une réalité n'est-elle pas essentiellement manifestée ?

Le devenir-loup réel dont le terme n'est pas réel doit être distingué du devenir-loup réel dont le terme est réel ; mais alors le critère de la « réalité » du devenir-loup se pose avec insistance réelle .

A cette question je ne peux apporter de réponse dans un univers poppérien de validation . Je crois que l'hypothèse d'un devenir-loup réel dont le terme n'est pas réel ne peut être testée, puisque le test doit se définir sur une réalité « loup » susceptible de se reproduire . Or le devenir-loup réel dont le terme n'est pas réel ne peut en acte être distingué d'un devenir-bécasse réel dont le terme n'est pas réel, puisqu'il s'agit d'états indéfinis à terme indéfinis .

Il importe aussi de peser les raisons de l'hypothèse du devenir loup réel dont le terme n'est pas réel, et sa rigueur . En toute rigueur, le loup qui succède à un devenir loup réel dont le terme est réel n'est supposé fixe que par la sémantique ; en réalité, l'organisme est lui aussi un devenir, un être pour la mort . Il s'ensuit que distinguer le loup du devenir n'est qu'une apparence, une commodité ; le loup est comme le feu, ou le fleuve, ou la conscience, un perpétuel courant . La distinction entre substantifs, comme le loup, et verbes, comme devenir, relève d'un certain arbitraire de la grammaire, ce qu'a assez montré Quine : et soudain, entre les nuages, il luna . Dire que le devenir-loup de l'embryon passe en loup n'a rien d'une pensée enfouie dans l'immobilité morte de la pierre, laquelle d'ailleurs n'est que la figuration symbolique, la pétrification, de la mort ; car le pierre ne cesse de passer en autre chose, ce que pose Lyell, lecture de Darwin .

Pourquoi poser ce devenir-animal réel dont le terme n'est pas réel ? Pour concilier l'ontologie occidentale avec le respect de la sorcellerie étudiée par l'anthropologie . Dire en effet à quelqu'un que quelque chose à laquelle il croit, comme le devenir-loup du loup garou, est inexistant, est manifester du mépris et de l'irrespect . Mais penser ainsi est d'une naïveté coloniale . En en toute rigueur, Deleuze devrait dire, plutôt que de sortir de sa musette de telles contorsions, que les croyances telles que le devenir loup ne sont pas compatibles avec son ontologie, ne sont pas traduisibles directement dans son monde sémantiquement construit – et rien de plus . Dire « cela est inexistant »se fait par définition par référence à un univers ontologique qui définit l'existant . Deux attitudes sont possibles : défendre le cadre ontologique-ce que fait Deleuze . Le poisson est dans l'eau, aussi loin qu'il aille il est toujours dans l'eau .- ou remettre en cause le cadre, en essayant véritablement de savoir si le devenir-loup revendiqué est réel, par expérience .

Deleuze ne fait aucune tentative en direction d'un tel savoir, ce qui suppose une mise en abîme des mondes, tout comme prendre au sérieux William Blake . Son jugement sur Bachelard le manifeste . Bachelard ou Jung sont le maximum pensable à ses yeux . Pourtant, si le visionnaire, le fantôme, ou le devenir-loup, ou les intersignes, ou ...sont attestés au delà du doute, cela ne peut avoir qu'une signification : l'ontologie occidentale n'est qu'un modèle partiel, fragmentaire des mondes, une sorte de banquise fêlée, parcourue de failles et de cavernes-une mer pétrifiée par la glace mais grinçante, mais toujours déjà proche de la débâcle . N'en déplaise à un certain esprit borné de philosophes analytiques standardisés, c'est exactement l'analyse de William James dans expériences d'un psychiste .

Le poisson est toujours dans l'eau . Aussi loin qu'il aille, il est toujours dans l'eau .(...) Aussi, lorsque dragons et poissons voient dans l'eau un palais, ils la perçoivent comme les hommes voient un palais, il ne la voient pas couler . Si du dehors quelqu'un leur disait : « ce que vous prenez pour un palais, ce n'est que de l'eau qui coule », ils en seraient aussi interloqués que nous, quand nous entendons les mots « les montagnes s'écoulent » ! (...)vous devez y réfléchir et considérer le sens de ce point de vue . Si vous n'apprenez pas à vous affranchir de vos conceptions superficielles, vous ne serez pas encore délivrés du corps et de l'esprit d'un homme du commun .» Dôgen, Shobogenzo, Sûtra des montagnes et des eaux, trad J. Brosse .

Le loup n'est un terme du devenir-loup que dans l'ontologie occidentale-dans l'esprit de l'homme du commun . L'ordre d'être de l'eau, du fleuve, du devenir-loup et du loup ne sont pas différents si l'on sort de l'idéologie de la chose . Le devenir-loup, le loup n'ont pas de terme . Le loup est un devenir-une puissance qui va- comme l'homme, comme le fleuve d'Héraclite, comme l'écoulement de la montagne, comme le soudainement il luna de Quine . Mais la pensée du mouvement et sa mesure sont relatifs à l'immobilité du Verbe et du Nombre .

(...)
L'Éternel des Armées à tracé (le monde )
sous trois formes :
par l'écrit, le nombre et le Verbe .

Dans le devenir-loup du Druide, le loup est dans l'Autre Monde, il est la porte du Ciel . Il n'est Loup que par analogie au loup de ce monde, être d'orientation dans l'obscur des forêts, d'endurance et de désir de sang . Le devenir est le cycle du retour à la sauvagerie de l'ardent désir du haut tant désiré . Dire que ce terme n'est pas réel, est à la fois exact en ce monde, et faux et menteur, puisque il s'agit de nier la porte et l'Autre monde, de rester indéfiniment dans l'eau stagnante de l'idéologie racine .

L'Autre monde est dans le Verbe une puissance sémantique qui peut bouleverser ce monde, le recouvrir des eaux d'en haut . L'Autre monde est une puissance en ce monde . Sans l'Autre monde, la pensée du Loup se réduit à l'animal domestique, à l'aboiement impuissant du chien vers la lune . Lautréamont : "Moi, comme les chiens, j'éprouve le besoin de l'infini...je ne puis, je ne puis contenter ce besoin ! Je suis fils de l'homme et de la femme d'après ce qu'on m'a dit...cela m'étonne, je croyais être davantage ! Au reste, que m'importe d'où je viens ? Moi, si cela avait pu dépendre de ma volonté, j'aurais voulu être plutôt le fils de la femelle du requin, dont la faim est amie des tempêtes, et du tigre, à la cruauté reconnue : je ne serais pas si méchant . (...) Pourtant, je sens que je ne suis pas atteint de la rage ! Pourtant, je sens que je ne suis pas le seul qui souffre ! Pourtant, je sens que je respire ! " Voilà le sort du chien, voilà la nécessité du Loup .

Les limites sont exténuées à la vue comme la forêt dans la brume, non pour les faire disparaître, mais pour les renforcer par l'ignorance de leur vérité . Tu ne sauras jamais ce qu'est assez si tu ne sais pas ce qu'est plus qu'assez . Tu ne connaitras pas les limites en les exténuant dans le fatras d'un verbiage de la pluralité indéfinie, mais en les affrontant, en les transgressant . Deleuze est une carpe, à la rigueur un carassin doré, figure lumineuse et molle de l'animal domestique, le chien porteur du collier – Blake a écrit encore à son sujet : de l'eau stagnante, n'attends que du poison .

Nous sommes des saumons, au retour dans les eaux vives vers le suprême, animal symbole par excellence du Druide ; nous ne sommes pas des carpes . Laissons les carpes dans les bassins du Rhizome, sur les plateaux du deleuzisme, avec leur schizophrénie, leur transgression lovée dans l'intérieur de leur étangs .

La foi déplace les montagnes, a dit le Maître . Les montagnes s'écoulent . Que les montagnes, les fantômes géants de l'idéologie racine s'écoulent dans le déluge des mondes, que ce monde ancien dont nous sommes si las soit régénéré par des eaux vives d'une pensée vivante . Une telle pensée est comme le sperme du Dieu mêlé aux sucs de la déesse ; elle est eaux des plus grands désirs, enivrement, amplitude et exaltation . Une telle pensée est mariage du Ciel et de l'Enfer, elle est union du Ciel et de la Terre, dont l'ouverture des eaux du Ciel est un délice, et dont l'image circulaire de plénitude est le cycle du saumon, ou encore comme le demi cercle de l'Arche surmonté du demi cercle de l'Arc en ciel . Tout amour humain authentique est le miroir analogique de cette union et de cette restauration, une arche sur les océans du déluge de l'Âge de fer, depuis la petite maison du Maître jusqu'aux refuges de Jivago .

C'est pourquoi le Maître et Marguerite est un livre sur le Déluge . Le Maître est un loup égaré en ce monde . Marguerite, une louve, une sorcière . Le Loup est un délice de l'Âge de fer .

Viva la muerte!

Nu

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Zinaida Serebriakova