Empreinte

Je parle d'empreinte pour décrire la fixation de l'âme sur l'objet du désir. Ainsi dans Psychopatia Sexualis, Krafft-Ebing note que le fétichisme peut s'expliquer par une empreinte faite accidentellement sur un objet comme un parapluie noir.
De même, il y a empreinte sans doute dans l'homosexualité et l'hétérosexualité. Cependant après l'empreinte faite par une espèce, ainsi le sexe de l'objet, ou tel type d'individu, il y aussi l'empreinte individuelle, telle que Stendhal l'étudie dans "de l'amour". Une branche mise dans une mine de sel ressort constellée de gemmes comme un bijou précieux; ainsi l'amour transforme-t-il son objet.
Ce processus échappe au sujet; sinon tout le monde serait fétichiste d'objets faciles à trouver, ou d'animaux courants, ou de son conjoint. Le désir de loin est un moteur du conjointement des êtres, non le ciment essentiel pour une longue durée.
Il serait inutile de faire autant d'efforts et d'encourir autant de risques et d'aventures pour trouver l'objet de son désir.
Le désir est désir de loin. C'est son essence. Le lointain est constitutif du désirable.
Ce qui plait à celui qui possède le lointain pour les autres hommes, c'est la satisfaction de constater l'envie des autres. Mais il sait la vanité de ce désir, car cet objet est proche pour lui, et ne peut être désiré comme les autres. La satisfaction n'est pas la possession.

Une belle femme plus agée que moi dans l'adolescence, ayant emploi et appartement, m'a attendu après un concert-le requiem de Mozart. Elle m'a enveloppé dans son grand manteau en me retrouvant, alors que nous n'étions pas encore déclarés. L'empreinte a été profonde, émouvante, mais terriblement chaste malgré la peau douce et les formes parfaites de l'aimée. Elle a été très décue de mon nuage saint sulpicien, qui me fermait les mains au lieu de leur faire parcourir ses champs précieux. Et qui me rendait silencieux plutôt qu'entreprenant comme elle le désirait.

Les empreintes sont variables et peuvent être très ciblées. Un objet peut être seulement objet du désir sexuel; un seulement objet d'un amour passion chaste.
Un jour j'ai vu, à une grande table, le profil d'une jeune fille; sa peau était blanche comme le lait, et ses yeux et ses cheveux noirs comme le corbeau. Un sein juvénile tendait fortement un tissu léger. Elle paraissait douce et modeste. Une empreinte est née qui a duré des années. J'aurais pu mourir pour elle. Mais aussi je brulais de désir pour sa peau, ses seins, sa bouche.
Cette fascination m'a longuement tenu, et elle a été mon Isolde, de manière malheureuse. J'aurais aimé mourir avec elle du sommet d'une falaise de marbre, tournoyant vers l'écume.

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Nu

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Zinaida Serebriakova