Le jeu comme symbole du monde.


(http://www.bloghotel.org/Errance/Peinture/)


"Sans jouissance rien ne subsiste. Sans jouissance rien ne dure,
Dieu doit jouir de soi ;
Sinon son essence comme l'herbe sécherait"


"Dieu joue avec le créé
Tout est un jeu que la Déité se donne ;
La créature, elle l'a conçue pour son plaisir"


"Je ne suis hors de Dieu, ni Dieu n'est hors de moi ;
Je suis son lustre, sa lumière,
Il est ma gloire."

Citations d'Angelus Silesius, (cité sur http://isabelledescharbinieres.hautetfort.com/archive/2008/11/26/reactions-a-la-metaphysique-de-la-virtualite.html#comments)


La pensée conçue comme poiésis est une activité de création, à l'image de la création première ; à ce titre cette pensée est amie du chaos et des ténèbres, de ces ténèbres à la surface de l'Abîme. Elle n'est pas ouverture et contemplation, et la contemplation ne peut être pour elle que le repos après les jours, les cycles de séparation des eaux. Non que le chaos et les ténèbres ne soient bons en soi, mais parce que l'oiseau des tempêtes ne peut étendre sa puissance que dans les labyrinthes des mers et des vents rugissants, là où tout autre éprouve l'angoisse de l'égarement.

L'activité de création est désir, désir des luminaires du ciel, désir des fruits et des fleurs et des semences, désirs d'ordonner et non désir d'ordre, désir du mâle et de la femelle, désir gnostique de la science du Bien et du Mal, désir de parcourir les cycles, et élevation par la splendeur des mondes hiérarchiques : Dieu vit que cela était bon.

Or cette activité divine, cette in-formation de la puissance, est jeu et jouissance, et gloire et lumière. Elle est déploiement de la puissance, de la lumière et de la force. Le jeu se déploie par la fixation de règles sur un horizon de contingence ; il est jouissance de la fondation et de la législation. Il est aussi jouissance de la possession par la nomination des créatures, jouissance de la maîtrise ; il est ivresse de la souveraineté. Il est aussi co-détermination de l'identité personnelle, c'est à dire sculpture de soi, transformation de soi, selon l'appel même d'Origène. Mais tout cela ne se fait que relativement, par image et par miroir ; la folie est de se croire tout puissant. En étant comme, je ne peut m'identifier ; la ressemblance sépare le ressemblant. Cette puissance et cette liberté passent par l'obéissance et la soumission. Il n'est force qu'à ce prix.

Le jeu fait de l'imagination une réalité ; il fait advenir, il est une théurgie. Le jeu est figuré par la musique, qui se joue, et qui se joue des conventions de mots pour dire l'âme et l'esprit. Le jeu est Janus, il est également éclosion et oubli, création et destruction, et innocence, légèreté et gravité. Le jeu enfin peut être guerrier, avoir des enjeux destructeurs. Ce jeu, cette lilà divine, est une figure de la splendeur et de l'effroi, du sens multiple et de l'incompréhension. La beauté qui n'est pas dans l'oeil de celui qui regarde ne se manifeste pas.

La posture du joueur ne peut être univoque ; il joue sérieusement sa vie, sait que le jeu est contingent, et ne peut afficher cette contingence ; le joueur est rusé comme le Serpent et candide comme la colombe, il est entre lumières et ténèbres, il aime la mort et aime la vie, aime les cimes et se place face à l'abîme.

C'est bien sa vie l'enjeu, comme dans Faust ; Faust est essentiellement un joueur. Et ce n'est pas seulement le journal du séducteur, qu'il développe, mais aussi celui du joueur, du danseur de mort. Danser avec la douleur et la mort, porter le raffinement là où l'homme craint d'aller : ainsi le visage du penseur comme artiste de la vie est-il celui du Dandy. Mais en tant que joueur, ce visage ne peut être qu'un masque. Ainsi le joueur est-il masque de masque, et joue-t-il avec le feu des pensées qui lui brûlent l'âme. Il joue et se brûle ; un jeu sans danger est pour nous sans saveur, sans sagesse. Il joue sur les sentiers vertigineux de la folie. Il joue avec les textes de géants, comme un oiseau avec les dentelles et les tissus de l'art, pour y faire un nid. Il joue comme le coucou, il joue en pratiquant le mimétisme, il joue avec les récits de l'histoire du monde.

A tout il peut redonner la légèreté de la danse, et trouver des arrangements nouveaux. Pascal, dans le discours sur les passions de l'amour, montre le rôle propédeutique de l'amour et de l'ambition. A ces jeux l'âme apprend la grandeur.

Tout la puissance qui engage en ces jeux est la nostalgie. C'est dans le jeu de la tragédie que les grecs ont su le dire ; cette puissance de désir, c'est la douleur issue du passé, le souvenir de la grâce, et ce qui est perdu ne peut être retrouvé. Aussi le jeu est-il forme de la quête en sa sincérité.

Viva la muerte!


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Zinaida Serebriakova