De l'anarchie à l'âge adulte, ou le passage du Nord-Ouest.





A celui qui a lu le texte précédent, qui traite des rapports de force qui naissent entre les sexes du fait de l'abandon des régulations communautaires des liens entre les sexes, des rapports de force qui naissent entre les générations du fait du blocage de la transmission, tout ce domaine des sexes, des générations et de la transmission étant étroitement corrélé à celui de la génération, de la puissance génésique et des formes du commerce sexuel légitime, et aussi, intimement à l'organisation systémique de la domination dans la tyrannie floue, je dois ajouter deux éléments qui l'aideront dans ce labyrinthe .

Précisons aussi que de manière de plus en plus précise, je me dirige vers un démontage de thèses de Maurice Dantec ; après la guerre des sexes comme pure apparence, dans une perspective de jeune mâle dominé, d'une domination de structure essentiellement mâle axée sur la jouissance sénile, je prépare un article sur « l'Europe des Dhimmis » et la question politique du pluralisme dans un cadre non libéral . Enfin le fond de la discussion, le rapport de force entre les générations, dans son analyse et son expression moderne, s'appuie de plus en plus, dans le champ idéologique, sur la constellation « anarchiste », avec laquelle il s'agit donc de dialoguer .

Le premier élément est un élément d'illustration de la thèse selon laquelle le rapport de force entre les générations est un élément de compréhension de la « société » aussi dirimant que le rapport des sexes ou la « lutte des classes » : Et plus généralement, qu'aucune opposition ne peut être érigée en modèle explicatif général .

Pour donner d'autres informations pertinentes, ajoutons que dans la crise actuelle, les jeunes générations vont servir de volant d'ajustement à la destruction de l'emploi en priorité, et voir leur entrée sur le marché du travail devenir encore plus violente ; que les « politiques de rigueur » qui tiennent lieu depuis les années 80 de ligne officielle économique de l'UE et des pays développés sont des politiques de la rente, de la propriété, donc des vieux ; encore une fois, pas n'importe lesquels, bien sûr ! Et enfin que les remèdes à la crise sont essentiellement pensés comme des arbitrages entre la rigueur, qui maintient la rente, et donne comme mission aux jeunes générations de rembourser les énormes dépenses jouissances de leurs pères ; et l'inflation, qui liquide les biens et le pouvoir des aînés, sur le modèle de la Russie après 1991 . Enfin, en Grèce et en Italie les dernières révoltes sociales prennent conscience d'elles même comme des révolte de génération spoliées, et non sans raison, la génération à 700 euros . Reste à ces révoltes de s'armer d'une pensée adaptée . Mais voyons notre exemple archétypique.

Le système actuel de retraite et sa « réforme » prévoit rien moins qu'une négation de l'Egalité en droit inscrite au noble fronton dorique de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Plus on appartient à une classe démographique récente, plus les droits à la retraite, à cotisations égales, s'amenuisent.

Cela ne peut être comparé à un quelconque « emploi jeune » dont l'inégalité déjà flagrante peut être contre argumentée en disant que chacun passant par toutes les tranches d'âge, les différences juridiques entre les tranches d'âge ne dérogent point au principe d'égalité . Cela par exemple répond à l'appel d'inégalité que l'on ferait entre un « majeur » et un « mineur ».

Mais dans le cas de la réforme des retraites, il est faux que le passage d'un stade temporel soit universel , puisque l'année de naissance crée des différences de droit insurmontables . En conséquence, une fois de plus, un « principe sacré et inaliénable »de la Constitution est aliéné par la République au profit d'une catégorie, et ce dans un étourdissant silence général, tant des institutions juridiques que des médias . Soit jeune et tais toi !
Si les ressources des caisses de retraite baissent, quelle est à l'évidence la solution juste ?

La solution retenue est la suivante : les droits à pension fixés par un chiffre sont inaliénables et sacrés, à l'évidence plus que les droits de l'homme . En l'occurence, il faut que les nouveaux arrivants aient moins, de moins en moins, pour garantir la fixité du revenu des premiers servis . Ce système de partage est le suivant : tu est le dernier servi, malheur à toi ! Une telle brutalité de traitement ne peut être maintenue qu'en occultant les premiers servis, pour éviter les comparaisons trop faciles, et en usant d'un rapport de force judicieusement discret . En clair, chers amis des jeunes générations, on vous servira dans la rue les restes du festin derrière les murs, à moins qu'une main puissante ne fasse de vous un vieux social dans votre jeune âge .

La baisse relative des ressources par individu n'est portée au préjudice que d'un petit groupe statistique selon un seul caractère, l'âge dans le cas étudié, et d'autant plus fortement que ce caractère est plus prononcé quantitativement . La caractérisation juridique de la discrimination me semble parfaitement constituée . Imaginez, à titre d'expérience de pensée, que le préjudice soit porté contre le teint de peau, et d'autant plus que sa teneur en mélamine est forte ! Imaginez ! Mais les inégalités légitimes entre « majeur » et « mineur » ont fait exclure l'âge des facteurs les plus courants de discrimination, si bien que la Halde reste silencieuse . Pourtant la différence entre l'inégalité de droit entre classes d'âge et la discrimination fondamentale de la « réforme » des retraites est essentielle.

Brutalement dit, les ressources allouées au dernier bénéficiaires tendent vers zéro pour maintenir la prospérité des premiers, établie dans des temps prospères . Avoir vécu la prospérité est donc un droit inaliénable à la conserver autour de soi comme un bulle, les autres devraient-il crever.

Quelle serait la solution retenue dans une communauté d'égaux ? La réponse me paraît évidente : la baisse relative des ressources par individus serait amortie sur l'ensemble des bénéficiaires ; et cela aurait pour résultat d'amortir considérablement le choc pour chacun .

La baisse relative des ressources devrait être impactée sur l'ensemble des pensions, y compris par l'impôt en cas de gains constitués d'intérêts de capitaux . De ce fait les fonds de pensions, qui liquident les salariés plus jeunes dans l'intérêt des retraités, perdraient justement de leur intérêt . De plus, si les ressources relatives des caisses de retraite diminuent réellement, ce n'est pas par la cause des jeunes générations, mais bien par celles du baby-boom, qui ont eu relativement peu d'enfants, c'est à dire, qui veulent jouir de hautes retraites après avoir voulu jouir sans entraves d'enfants .

Mais ne serait-ce qu'évoquer cette pourtant évidente responsabilité collective est déjà être horriblement réactionnaire : les retraites devraient être liées à la reproduction physique de la force de création, de combat, de travail ? Quelle horrible discrimination, quelle effroyable atteinte à la liberté individuelle ! La transmission de la vie et de l'humanité, une part essentielle des devoirs envers l'être humain, est un problème purement privé et moralement neutre, qui n'est par ailleurs lié à aucune reponsabilité, et où la communauté n'a pas à mettre son nez : évidemment ! Sauf pour augmenter « la liberté individuelle » bien sûr, c'est à dire sauf au profit du Système . Et pour le Système, il est des discriminations moins injustes que les autres, et des hommes qui sont plusss égaux que les autres .

On nous tartine tous ces horribles chiffres sur les femmes, mais où sont ceux tellement plus violents sur les jeunes ? Et que ne nous assène-t-on pas l'inéquité des chiffres sur les pauvres?
La vérité est qu'on préfère démanteler les agences de statistiques qui produisent ces chiffres .

Attention aux mots, amis, une femme n'est pas une opprimée, un jeune homme n'est pas un opprimé par sa nature, mais par un autre qui peut très bien être de même nature . La tyrannie floue fonctionne par réification de catégories statistiques : une femme jeune, fille d'immigrés, ne peut faire partie de la caste oligarchique qui opprime « les immigrés ». Pourtant il en est des exemples...

Il ne peut exister d'opprimés par essence, car être opprimé est un relatif qui suppose un oppresseur . Les « opprimés statistiques » sevent de bouclier à des individus qui veulent entrer au plus vite dans la caste dominante, et les « opprimés » de la caste dominante servent de bouclier médiatique contre tout discours qui voudrait rendre transparents les privilèges de cette caste...pas de nom, de ceux qui furent « toujours du côté des victimes » en édifant une belle prospérité...La « lutte contre les discriminations » est ainsi un bien bel outil au service du pouvoir...voilà pourquoi le pouvoir l'apprécie tant ! L'Âge de fer est l'Âge de la réification, de la négation, de l'occultation des liens et des dominations...la domination passe par l'humiliation et l'humiliation passe au premier degré par la morsure du désir...désir excité avec une connivence du désir, fausse certes! par les dominants ! Et dont ils organisent subtilement la frustration .

Posez vous la question : qui désirerait une chaîne d'or énorme, une rolls, seul sur une île déserte ? Et ce Robinson se regarderait-il sur un média ? Ainsi les objets ne sont pas désirables par leur nature, comme l'affirme universellement le discours publicitaire, par leurs caractéristiques techniques, leur matières nobles, leur coupe impeccable, mais par le désir accumulé de tant d'hommes, par les campagnes de publicité, qui nous font désirer autant par elles même qu'en faisant désirer les autres, par le prix qui sert de miroir à l'importance du désir d'autrui . La valeur énorme d'« oeuvres d'art » vient de ce désir de distinction et de noblesse que leur possession semble donner, comme celle que semble octroyer la possesssion de certaines femmes . Voyez les publicités des années 70, elles ont les mêmes arguments que les nôtres pour des choses qui semblent ringardes, mortes, ridicules...aussi toute inquisition vers l'objet du désir, se demandant en quoi son essence est désirable, est vouée à l'échec ou au ridicule dans l'Âge de fer . Ce que montre magistralement Duchamp, c'est que l'objet n'est rien qu'un miroir ; c'est le désir qui fascine, ce point aveugle de l'Âge de fer, et que tout peut en faire office, et tout objet de l'Âge de fer est un leurre du désir réifié...la valeur des choses . L'empreinte, l'image de l'objet désiré, se fixe à notre insu, et échappe à toute maîtrise de la volonté, comme ces canetons de K.Lorenz, qui suivent aveuglément une boîte de conserve .

Toute inquisition vers l'objet du désir est vaine...vanité des vanités...il s'ensuit que le fait qu'un objet sexuel soit désirable ne réside pas dans sa nature, dans son essence ou dans sa forme ; sinon par exemple on ne pourrait expliquer les variations de forme de l'objet de désir, modèles de la femme, du costume, des « bonnes manières » dans l'histoire . Il est probable que la Montespan, glorieuse maîtresse du Roi soleil, nous apparaîtrait effrayante, grosse, avec une violente odeur, brutale...nous constatons cela et nous ne pouvons pas ne pas désirer selon le modèle du temps . Il semble clair que le modèle intériorisé s'impose à nous comme objet du désir ; et nous avons tendance, par la filtration déformante de la structure de pensée moderne, à penser qu'une relativité d'objet est nécéssairement un relativité par rapport à nous, une liberté ; alors que cette relativité est une détermination qui s'impose, une servitude d'objet, la forme d'un manque . La cristallisation dont parle Stendhal est une donation de qualités, une projection : nous voyons alors l'autre comme ce fantôme de complément qui nous hante, comme promesse de plénitude, et nous le voyons aisément ainsi . Une image glacée est justement ce miroir sur lequel s'accrochent tout les désirs épars, comme les crustacés sur la baleine ; en font partie les manques et les impuissances, et le désir de remplir la vie, de trouver ce dont tout être vivant, comme misérable partie, a besoin . La fonction de l'image est d'être l'écran d'une projection, donc d'être aussi lisse, aussi vide que possible, sans parole, juste un être traversant la rue . Baudelaire a décrit Kate Moss avant même qu'elle existe : à une femme inconnue, et le rêve étrange et pénétrant...

Le jeune enfant fut fasciné et empli d'un irrépréssible et douloureux désir pour ces ballons métallisés construits en forme d'animaux par la magie des noeuds ; et ainsi l'adulte devenu fortuné rendra hommage à ce désir, ni plus assimilé ni plus construit, en s'achetant une oeuvre monumentale de Jeff Koons . Un leurre, et un leurre touchant d'un monde de pur désir, sans les longues ombres que dessinent sur toutes choses les crépuscules des hommes...qui augmente la sagesse augmente la douleur...et cela, nos modernes ne peuvent le regarder en face . L'ombre d'une oeuvre de Dürer est encore du Dürer, alors que l'ombre d'une oeuvre de Koons échappe à Koons, et est justement ce qui la rend fascinante pour l'homme d'antique science : calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur .

Avoir tant désiré ce que les hommes désirent, le désir des masses, et ne saisir que le vide : telle fut la vie de Staline . Et le désarroi de Staline après la guerre fut filmé, lors de la cérémonie du premier mai : chose incroyable, ce désarroi, ce désespoir peints par Melville chez Achab, et décrit déjà par de Gaulle dans ses mémoires, sont parfaitement perceptibles dans tout l'être d'un des plus puissants tyrans de l'histoire . Car là où tous désirent, tous regardent, il n'est rien d'autre qu'un point de fuite, un soleil noir du vide .

Être opprimé et exercer une dictature morale, puritaine, est un leurre, un fantasme naïf de l'Âge de fer qui naît de la structure réelle de la domination-humiliation...la dictature du prolétariat ! Un désastre obscur ! La dictature du ressentiment, une dictature de la haine et de la revanche...vous avez joui, vous allez souffrir...à nous de jouir de votre terreur et de votre humiliation : et cela au nom du Bien ! Amères délices du puritain, qui doit se mentir à lui même pour assouvir sa cruauté atavique...là où Maldoror se sait et s'affirme cruel...et par là n'est-il pas plus juste?

La jeunesse est l'âge du désir, aussi est-elle aisément manipulée par le désir . Notre jeunesse apparement survalorisée est statistiquement opprimée au plan de la richesse et de la puissance . Elle connaît la colère et le désir de revanche . Elle est pourtant très peu défendue .

Je ne prend l'exemple de la jeunesse que pour montrer que les catégories statistiques d' « opprimés » qu'on nous vend sont des constructions bien fragiles, des fantômes, pour reprendre un mot de Stirner, et que les « représentants » spectaculaires médiatiques de ces « opprimés » ne sont pas autres choses que des membres de l'oligarchie médiacratique qui tiennent leur rôle...Il en est des fameux, tenez...on voudrait tellement que le spectacle des dirigeants soit le spectacle du pouvoir des opprimés, immigrés, descendants d'esclaves...chaperons rouges...cendrillon est devenue bling bling ! Peau d'âne peut garder sa peau, au contraire ! La robe de princesse excite la méfiance...Libres à vous amis, de croire retrouver une essence, un moi-même dans le miroir trompeur qu'une main complaisante et intéressée vous tend...une main flatteuse en apparence, qui vous identifie comme victime... et vous soutient que vous devriez être fiers de ce que « quelqu'un comme vous » soit nommé à un poste éminent, que votre nature vous y oblige, à être fier de ça...mais vous n'êtes pas plus opprimés selon votre nature que vous ne désirez selon la nature des objets . Vous désirez selon votre nature, et vous êtes opprimés par ceux qui vous dominent et par ce que ils « voient » et que donc vous voyez en vous, dans le miroir de leur regard porté de haut en bas . Vous êtes humiliés parce qu'au fond de vous même vous pensez votre nature comme humiliante...le politiquement correct est l'aveu implicite de l'inavouable sous jacent...voilà le piège du politiquement correct : ce langage est une humiliation au second degré, puisqu'on fait mine de devoir vous protéger en parlant de vous...on doit vous protéger de votre nature, ne pas vous dire la vérité que pourtant vous connaissez . Voilà pourquoi ceux qui disent votre nature d'humiliés peuvent « dire tout haut ce que les français pensent tout bas »...non mes amis, le politiquement correct est un piège...un homme n'est pas « représentant d'une ethnie », il est ou n'est pas membre réel d'une communauté réelle . Un homme noir de nationalité française n'est pas représentant des noirs, mais français, si la nation est bien une communauté . La vraie question opérationnelle est celle de la place que lui laisse sa communauté, la sécurité qu'elle lui offre . On est très loin de « la communauté noire » comme de « l'employabilité ». Une société véritablement humaine ne peut déléguer l'intégration humaine, vitale à la dignité, au simple et glacial calcul capitaliste . L'intégration humaine à la communauté est un droit de nature, un besoin vital, et les hommes portent et transmettent la vie, mais ne peuvent la donner . Là encore, ce principe est antérieur, supérieur et fondateur du droit . La distance au réel montre la dissolution réelle de la communauté dans sa forme dégénérée déjà de communauté nationale .

Dans ce contexte de déshumanisation de l'appartenance, toutes les périphrases des biens pensants sont des humiliations effectives . Pourquoi affirmer haut et fort : « une femme peut être ministre » ou « on peut être bretonnant et cultivé »? Pensez-y! « il n'y a plus ni juifs ni grecs... »

Ne nous dit-on pas avec raison que les races n'existent pas ? L'idée de race est celle d'une communauté de nature, la communauté du sang . Or la communauté n'est pas construite par la matière, mais par la forme, par le partage des symboles, la langue, l'adoration, (voyez le foyer sacré de la maison romaine et son culte des ancêtres, bases d'une communauté familiale) le récit de la communauté, la fraternité face à l'adversité, le don et le contre don . Ainsi par exemple il n'existe pas de race juive, mais une communauté juive réelle . Car tout échange non libéral tisse la communauté par la création d'obligations, là où l'échange libéral annule toute obligation, toute communautée une fois réalisé . C'est pourquoi l'échange libéral est-il le mode de tissage du monde post babélien, puisqu'il est possible entre étrangers, et ne les rapproche pas nécessairement, plus même, il les rend étrangers les uns aux autres, puisqu'il les rends ennemis en puissance, le gain de l'un dépendant de la perte de l'autre .

Le spectacle paraît renvoyer une image flatteuse à vos identifications : les « ceux qui se lèvent tôt », les victimes de l'Xphobie ; les spectateurs ne sont-ils pas « formidables, enthousiastes, etc! ». Mais tous savent, même les spectateurs, qu'ils sont de la baise . Le film les trois frères est à cet égard parfaitement explicite : « on a les trois télés... ». Ainsi l'humiliation peut-elle prendre la forme d'une défense, ce qui est le message explicite que cette nécessaire et humiliante défense est nécessaire parce que...elle ne l'est pas, bien sûr !

Dans la vie réelle, les conflits s'entrecroisent sans qu'un couple d'opposé d'un même niveau hiérarchique, « sociétal » n'ait le privilège de rendre la totalité des oppositions intelligible, en étant l'archétype de toute opposition : la lutte des sexes pas plus que la lutte des classes, des ethnies, des générations, de la gauche et de la droite, du passé et de l'avenir...il n'empêche que le principe de l'opposition est lui intelligible . Le principe des oppositions est de nier la codéfinition et la dépendance des opposés, leurs devoirs réciproques, principe de la complémentarité et de l'harmonie ; le principe des oppositions est de diviser pour masquer le règne et le vide central ; le principe des oppositions est la réfraction indéfinie de la domination par l'humiliation, par l'instrumentalisation de la dépendance, autant que par par la proclamation de la non-humiliation, de la fierté, de la « pride » ; mais cette proclamation est un aveu qu'il faut à chaque fois masquer par de plus tonitruantes déclarations . Le principe des oppositions est l'inconsistance du moi moderne qu'il faut déterminer par opposition ; et aussi de l'inflation permanente du bruit, proclamation, valeurs, plein de respect pour des tas de culture, bruit couvrant l'étourdissant silence, et absence, des nourritures terrestres authentiques : langue constituante et poétique, adoration, communauté, reconnaissance, enracinement, amour, enfantement, transmission, poiésis, vécus ensemble dans l'oeuvre humaine et la communauté .

Assez parlé des retraites et des vieux, des oppositions vides et nées du vide, allez...j'en ai bien assez dit ! Il est vain de parler de ce qui est vide, abyssalement ; il est vain de parler des tentatives de refondation de la gauche que tentent rituellement des idéologues libéraux, dans un fatras verbal et groupusculaire qui est une promesse d'inefficacité, sinon pour leurs dirigeants qui espèrent des prébendes, mais pour leurs « idées » et pour les « opprimés » qu'ils « défendent », c'est à dire pour les clients dont ils espèrent capter le temps de cerveau disponible . Ces gens ne sont pas des penseurs sérieux . Les penseurs sérieux « à gauche » sont certains marxistes, et une deuxième catégorie .

Il y donc une deuxième chose, et cette deuxième chose est une lecture critique de la tradition anarchiste .

Avant de commencer cette lecture, que ce soit de Stirner, de Proudhon, du Jack London de Martin Eden et du Talon de fer, de Stig Dagerman, de Tiqqun, ou du comité invisible, et même de J.C Michéa, issue du désir réaffirmé de parvenir à nouveau au dialogue qui s'était noué dans les cahiers du Cercle Proudhon entre les ennemis du Système libéral issus de différentes traditions intellectuelles et politiques, dialogue qui est une condition nécéssaire de réaffirmation d'une nouvelle Encyclopédie capable de creuser la tombe de la matrice idéologique moderne, je veux faire une courte remarque sur le dossier sur l'anarchisme que présente le Monde Diplomatique de ce mois .

Le Monde Diplomatique est soutenu par d'excellents auteurs, le plus puissant intellectuellement en terme d'analyse idéologique étant je crois Serge Halimi, qui peut être lu profitablement bien au delà du cercle des lecteurs altermondialistes . Mais le Monde Diplomatique devrait lire de plus près Christopher Lasch et Jean Claude Michéa, et se lire lui-même de plus près, certains articles d'auteurs nord-américains ayant touché du doigt des vérités indispensables à tout dialogue . Ce sont les articles qui constataient le caractère manipulateur des « luttes contre la discrimination », fixant l'attention contre des « inégalités » construites de manière douteuse, pour faire oublier le creusement massif des inégalités financières...non ? Un homme blanc hétérosexuel conservateur (et même chasseur!) pourrait-il aujourd'hui faire partie des opprimés, une femme noire lesbienne artiste contemporaine rebelle des oppresseurs?

Avec la sottise bien pensante qui caractérise les progressistes, un article du MD sur Proudhon note :

« Si on laisse de côté certains aspects des conceptions de Proudhon(antiféminisme, misogynie, voire antisémitisme), hélas fréquents chez les socialistes du XIXème siècle, sa pensée demeure d'actualité(...) »

Une telle pauvre phrase concentre toute la stupidité abyssale de « la gauche altermondialiste » reconnue par le spectacle médiatique de la rebellion . Si une telle phrase vous agrée, il est impossible de tisser le moindre début de philosophie globale du « libéralisme » comme idéologie funeste . Car on y retrouve deux vices métaphysiques de la pensée qu'elle prétend dénoncer .

Le premier vice métaphysique est de croire que la pensée est l'activité qui consiste à accumuler des propositions plaisantes pour nous, comme si la pensée ne produisait qu'un marché de propositions atomiques, sans chercher nullement à les relier et à tester leur cohérence . Ainsi un emblème de ce vice a pu écrire un livre du type« ce qui vaut encore chez Nietzsche », titre à la fois d'une insondable prétention (qui est-tu pour savoir ce qui vaut chez ton frère?), d'une sottise historique sans borne ( qui est tu pour définir ce qui vaut encore et ce qui ne vaut plus, nain stupide?) .

Ainsi ce type de lecteur ne lit Proudhon que pour se trouver lui même, pour se donner un nom d'autorité à lui-même ; autant dire qu'il n'a jamais commencer à penser...alors que l'essentiel de la pensée est la perception des liens entre les pensées, et que cette perception des liens est la seule activité qui puisse être appelée pensée ; et aussi la seule qui explique que la pensée soit un levier pour transformer le monde : tout se tient en matière discursive, et changer la matrice des pensées humaines est bouleverser le monde plus profondément qu'un changement de Dynastie . C'est ici, dans le travail de la pensée, que l'homme patibulaire, mais presque, peu affronter à armes égales le plus écrasant pouvoit temporel . Car la véridiction ne peut invoquer la puissance sans se trahir comme mensonge.

« Ne pouvant faire que ce qui est juste soit fort, on a fait que ce qui est fort soit juste ». C'est la vérité de tout ordre tyrannique . Cela est un savoir obscur qui peut être exposé et porté à la lumière . Et ce qui fait un ordre tyrannique n'est pas la violence de son exercice, mais son illégitimité fondamentale, son absence de principe, en grec archos, son an-archie .

Mais engager ce combat, mettre au jour l'obscur noeud de la parole aliénée de l'Âge de fer, ce que j'appelle après d'autres la matrice, n'est accessible qu'avec la plus grande rigueur et cohérence . La matrice est ce qui permet la production des énoncés, en organise justement la cohérence systémique au delà même de leur apparence contradictoire et aussi contraire . La matrice est comme le Léviathan dans les profondeurs de la mer, elle n'est pas exposée au jour ; elle est tout sauf évidente .

Ainsi l'interrogation des premiers principes de toute parole, la transformation de la matrice est hors de portée, totalement, d'un collectionneur d'énoncés épars, de celui qui cherche à se confirmer, et qui n'aboutit circulairement qu'a confirmer la matrice combinatoire générale . On trouvera chez tout auteur des choses qui « restent d'actualité »...et tout particulièrement chez les plus anodins crétins qui soient . Car si ce qui fait la valeur d'une pensée est son actualité, alors il n'est aucun autre critère de validité que « le dernier qui a parlé a raison » ; alors adieu, homme, car j'ai parlé après toi...

Il en est de l'anarchie comme de toutes choses, qui sont faites de multiples faces pliées et repliées comme les contours d'une étoffe, comme Janus, comme le symbole de la Croix : il est une anarchie ténébreuse qui se réclame de l'absence de principe, et termine complice jouissante du Système ; et une anarchie qui constate l'absence de principe et le vit comme un horizon nihiliste et destructeur, comme Jack London après Melville . Celle là connaît les délices de la delériction et du suicide, sait que « notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Cette anarchie là est aussi celle qui fut fascinée par « le sens de l'honneur, le sens du surnaturel, le sens de la communauté et du don »chez les peuples amérindiens . Solidement fondée sur le Principe, ces communautés n'avaient nul besoin de la lourde machinerie de l'Etat moderne, exactement comme les royautés celtiques avant la rencontre avec l'Etat Romain, c'est à dire avec l'avant garde de l'Âge de fer . Mais ce désespoir n'est issu que d'une éducation, celle de l'Âge de fer : il naît d'une confusion entre la matrice et l'Être . Il n'est que l'effet d'une prétention, de croire que ce que nous ne pouvons penser ni formuler ne peut être . Une prétention qui s'appuie sur la valeur ontologique des principes logiques, mais qui ne peut s'étendre au delà de leur monde légitime d'application . Une limite n'est qu'une frontière, non un mur . Ceux qui vivent dans la matrice vivent dans une prison qu'ils portent en eux même . La Gnose est justement une attitude de prisonnier évadé.

Deuxième vice métaphysique de l'Âge de fer que dévoile cette phrase, vice étroitement corrélé au premier, le refus de tant de « penseurs » de voir que les aspects sociétaux du Système comme « le féminisme »sont étroitement liés aux aspects économiques ; et cette volonté, absurde et perdue d'avance de considérer comme un progrès dans un évangile progressiste ignare toutes les transformations sociales du Système, tout en prétendant en faire une critique économique et politique radicale . Comme si la séparation des domaines « sociaux », « politiques » ou « économiques » qui structure les médias était plus que structuration aveuglante et fantomatique au sens de Stirner...l'Etat redistribue la moitié du PIB sans exercer de rôle économique ? La domination politique n'a pas d'effets sociaux ? L'appropriation économique des richesses n'a aucune conséquence sur la structure de classe de la société? Constructions aberrantes au regard d'une compréhension supérieure, dont il faut chercher la finalité dans l'entéléchie générale du Système, et non dans une transparence sans point de perspective, qui miraculeusement existerait dans notre Siècle, et miraculeusement contenterait tous les producteurs médiatiques .

Remettre en cause ces distinctions principielles, en opérer l'archéologie, ou science historiale des principes, en montrer la position originelle dans toute sa relativité, son fondement dans une volonté de puissance particulière et intelligible, puis procéder à la destruction phénoménologique qui en est la suite nécéssaire, ou se donner les moyens spirituels de voir le monde sans ces catégories qui agissent comme une forme à priori de notre représentation du monde humain, et sont une prison spirituelle : c'est ainsi que l'on refonde le monde des hommes . Techniquement il s'agit de comprendre ces universaux idéologiques comme ce qu'ils sont, de trompeuses illusions d'objectivité, des principes qui informent le monde humain avant d'être « constatés » dans la « nature humaine »,et des fonctions indispensables du Système qui se représente à lui-même en lui-même . Et se représente comme nécessité ontologique, et non comme contingence humaine fragile et plastique, afin de protéger ses dominations par le sceau de l'Être . Pouvoir répondre « c'est comme ça », sans avoir à se justifier, c'est triompher de toute question . Or toute approche fondamentale de ce type est fermée par ceux qui veulent garder le fruit et couper l'arbre . On ne rejette pas partiellement un Système .

Là où une volonté de puissance a fondé un monde,aux plus profondes racines, une autre volonté de puissance peut le déraciner en fonder un autre . Partout ailleurs la taille ne fera de l'homme que le jardinier aveugle d'un monde étranger . Un homme qui croit, parce qu'il taille, dominer la vie de la forêt .


Si l'on refuse cette séparation instrumentalisée depuis toujours par la gauche favorable au développement du Système, alors l'antiféminisme de Proudhon apparaîtra comme une marque de supériorité globale de cet auteur : car le féminisme n'est rien d'autre que l'application locale, au rapport entre les sexes, de l'idéologie libérale : on vend comme libération de la femme la constitution et la libéralisation du marché sexuel .

Et après dans la polémique contre les ennemis du Système, on classe comme ennemis des femmes, ou « misogynes » ceux qui veulent s'opposer à la libéralisation du marché sexuel ; comme on classe comme « xénophobes » ceux qui veulent s'opposer à la libéralisation complète du marché du travail et à la dissolution corrélative des communautés politiques ; comme on classe comme « communistes » ceux qui doutent de la bonté nécessaire des capitaux libres et de la citoyenneté naturelle des entreprises . Le tout étant bien sûr archaïque et pas du tout « actuel ».

La confluence entre la critique « de droite » et la critique « de gauche » du Système doit être permise par leur complémentarité. Pour des raisons historiques, la critique de droite a été plus sensible au caractère destructeur de toute dimension sacrale de l'homme et de la noblesse d'âme de l'entéléchie du Système, aspect magnifiquement montré dans la grande illusion, car la « droite » était attachée à la noblesse réelle, et avait tendance à défendre la noblesse comme ordre et comme valeur, là où des opprimés critiquaient l'instrumentalisation de l'idéal noble au profit d'une exploitation économique nue, fait apparu insidieusement dans la période de la crise du féodalisme dès le XIVème siècle et accru puissament par l'absolutisme . Et la critique de gauche s'est accentuée sur l'exploitation économique, sans comprendre que l'acceptation d'une vision « progressiste » de l'histoire et « matérialiste » de l'homme était un corrélat du Système que cette critique prétendait combattre .

Le dialogue a été possible, et le produit de cette alliance a déjà montré une terrible puissance critique, artistique et politique . Ajoutons très clairement que ce dialogue, ce tissage souterrain que propose l'Encyclopédie, ne peut démarrer à nouveaux frais que si une fois pour toutes le passé est scruté d'un oeil de fer, sans complaisance ni pitié . Très clairement, il appartient à ceux qui viennent de la droite de rejeter totalement toute complaisance pour le nazisme, sous aucune forme, et d'en finir une bonne fois pour toute avec les mines révisionnistes, en comprenant clairement pourquoi cette position est indispensable à leur hygiène spirituelle ; et à ceux qui viennent de la gauche de rejeter pareillement toute complaisance pour la Terreur de Robespierre comme pour celle de Lénine, et pour toute forme de tyrannie sanguinaire et puritaine, sans préjudice de la noblesse réelle de certains combattants égarés dans les labyrinthes des mondes . Inutile d'ajouter que comme Proudhon, il devront aussi assumer le caractère systémique de la « démocratie libérale », du progressisme idéologique, de l'absolutisme individualiste, ou encore de « la libre circulation ». Encore une fois, un système se rejette en totalité .

Ce n'est que dans les représentations du Système que la seule alternative à la démocratie libérale est la tyrannie totalitaire . Le totalitarisme est plutôt le miroir où l'entélechie du Système apparaît à nu . Le principe fonde tout, et il n'est pas la totalité . Refonder principiellement le monde humain n'est pas une démarche totalitaire, si le domaine politique demeure . L'absence de principe fonde l'idolâtrie totalitaire . L'anarchie est l'index qui pointe un vide déchirant de l'Âge de fer, l'absence nue, glaciale des ténèbres souterraines .

La liberté humaine est antérieure au droit . Elle consiste dans l'ouverture des mondes, le ciel et l'enfer . La liberté humaine ne peut se fonder sans horizons ; et il n'est pas d'horizon sans principe, sans racine immobile .

Viva la muerte!




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Zinaida Serebriakova