Ruptures - et merci Carolanne !

En tant que vieillard, je manque de savoir concernant les moeurs de notre belle jeunesse . Une charmante étudiante, soubrette occasionnelle fort légère, et cependant profonde, a bien voulu, sur mes instances, nous éclairer sur un point important, le point final de ces charmantes historiettes qui mêlent foutre et études . Au delà, cela informe sur des situations fort désagréables qui encombrent la vie moderne . Sans aucun doute les ruptures qui naissent de l'exténuation et de l'infime sont elles les plus douces, et ne passent pas même par les mots publics de remise en cause des institutions . Car le fond de la rupture est dans l'institution qui pousse à l'erreur par la normalisation .

Vous noterez ce paradoxe : les plus belles ruptures sont celles qui restaurent le lien .

"Bonjour Monsieur

Vous m'aviez demandé il y a un moment de vous faire un texte sur la rupture, à la façon "je suis venue te dire que je ...", j'ai quelque peu de retard mais c'est qu'il m'est difficile de traiter le sujet avec la légèreté qui semblerait vous plaire .

Je suis en amours alors de chez moi la rupture me semble d'un ridicule sans nom : et ça l'est .

J'aimais les aventures rapides parce qu'elles entraînent toujours des ruptures sobres et silencieuses. Car, malheureusement avant de pouvoir quitter une personne aimée il faut la voire passer par toutes les états de la mesquinerie et de la lâcheté : une choses effrayante mais qui s'avère nécessaire pour qui cherche du sens au delà de ce "bon vieux braquemart"

Certain se vantent de collectionner les aventures et mettent ce penchant sur le dos de la curiosité et de l'aventure (l'aventure : comme si Casanova n'était jamais sorti de son lit !) : j'ai été de ceux là alors à présent je m'en moque pas mal et m'en défie beaucoup : la façon de baiser de ces véritables bouquetins s'apparente à ma façon de monter des meubles : en kit et avec une notice façon IKEA (je les soupçonne de prendre leurs sources vers Marc Dorcel) .

Ces gens là n'entraînent pas de rupture, seulement un SMS et surcout éventuel de l'opérateur : pratique mais insupportable pour qui pense avec orgueil (très peu d'orgueil est nécessaire aux condoms .)

Vous voyez Monsieur comme je m'éloigne du sujet ?

Moi que les pleurs indisposent je suis la pire des garces quand il s'agit de rupture : là dessus on peut dire que les télécommunications on beaucoup aidé à ce genre de mes lâchetés. Mais enfin quoi, avouez donc que pour qui aime rire et aimer, la rupture est la plus ennuyante des épreuves, une formalité pénible et humide : les hommes faibles dans la rupture perdent quasiment 50% dans la masse de leurs valseuses : pensez si après cela le peu de désir susceptible de rester se transforme en une pitoyable tendresse presque fraternelle : comme on aime son puceau de cousin on tape sur l'épaule du malheureux les yeux tournée vers le ciel.

Voyez comme le tableau est ridicule : ainsi la vrai nature de l'homme se révèle, certain tombent dans le ridicule ou le grandiloquent ("j'ai passé ma nuit a courir dehors en pensant a toi" : véridique !), d'autre dans le méchant : voyez celui qui ne me fondra pas dans les bras, celui qui restera beau même après, celui qui aura conserver l'ensemble des ces couilles : et bien de cet homme là je veux bien être l'ombre et l'épouser !

(Je prie tout les saints qu'il arrive bien après mes 25 ans afin que j'ai bien usé ma jeunesse, choses si précieuse aux vieilles personnes, jusqu'à la trame : j'ai peur de ne pas avoir été exaucée )

C'est le point de vue de celui qui quitte bien sûr : mais chance ou stratégie je me suis toujours trouvé du bon côté de la colère .

Je suis peut être trop en retard pour retenir votre attention, mais je ne pense pas vous avoir déplu.

Amicalement votre, Carolanne ."

Dialogue aux enfers entre Kant et William Blake .


(Angelo Bronzino, Lucrezia Panciatichi, vers 1550-1560. Florence, Galerie des offices. )



To Marguerite .

Kant, nous l'avons laissé en Enfer...Boulgakov :
"(...)
Votre Kant, avec ses preuves, je l'enverrais bien pour trois ans aux îles Solovki, moi ! Lança soudain Ivan Nikolaïevitch, tout à fait hors de propos .
Mais l'idée d'envoyer Kant aux îles Solovski, loin de choquer l'étranger, le plongea au contraire dans le ravissement .
Parfait, parfait!(...) c'est exactement ce qui lui faudrait ! Du reste, je lui ait dit un jour, en déjeunant avec lui : « voyez vous professeur-excusez moi-mais vos idées sont un peu incohérentes . Très intelligentes, sans doute, mais terriblement incompréhensibles . On rira de vous »
Berlioz ouvrit des yeux ronds : « en déjeunant...avec Kant ? Qu'est ce qu'il me chante là ? Pensa-t-il.
Malheureusement, continua le visiteur étranger en se tournant, nullement déconcerté par l'étonnement de Berlioz, vers le poète, il est impossible d'expédier Kant à Solovki, pour la simple raison que depuis cent et quelque années, il séjourne dans un lieu sensiblement plus éloigné que Solovki, et dont on ne peut le tirer en aucune manière, je vous l'affirme .
Je le regrette ! Répliqua le bouillant poète .
Je le regrette aussi, croyez moi ! Approuva l'inconnu et son oeil étincela. »


Là où est Kant, nul homme ne peut le sortir-nous l'avons vu, amis . Mais Kant se promène et parle en ces lieux .

Kant se promène, il fait éternellement la boucle qu'il faisait à Königsberg, et ressasse éternellement ses héroïques paroles de penseur . Il les ressasse, car le penseur mort n'est qu'une machine . La pensée est la vie, où rien - l'école des cadavres .

Blake, lui est vivant, tout comme Marguerite ; vivants, car ils sont nus, vêtus de l'onguent des sorcières . Il aspecte Kant, et souhaite l'assommer de ses mots, par gangstérisme intellectuel, pour lui voler sa bourse bien remplie depuis sa mort par les innombrables lecteurs, et qui lui sert à cantiner royalement, et même à trafiquer à l'entrée de l'Enfer . Kant est un notable de l'Enfer .

Marguerite relève ses cheveux de corbeau et montre d'un sourire ses petites canines, aiguës . Elle porte pour vêtement un ruban de velours noir sur son cou sublime, où palpite le sang des vampires . Elle dit, avec sincérité, en levant le doigt d'un air magistral, arrondissant ses lèvres et ses grand yeux mystérieux :
"Mais Kant, William, est une institution ! Une institution ne peut être attaquée librement, comme on veut ! "

William Blake, puis Marguerite partent d'un grand rire démoniaque . Puis William Blake commence, décidé :

"Je pense au Kant des préfaces de la Critique de la Raison Pure, cet homme enflammé, dans sa petite ville de la Baltique, d'être à la fois le porteur de la Révolution, la fin de la Révolution, et le juge de l'histoire de la pensée . Voilà la métaphysique sur la voie sûre d'une science, sur une voie d'une portée infinie, et cette révolution résulte de la pensée d'un seul homme . Bien sûr, Kant utilise ces mots en parlant du découvreur des mathématiques ; mais il n'en n'est pas moins clair qu'il trace une analogie entre la découverte des mathématiques et la Critique de la Raison Pure . Kant parle, au sujet de son œuvre métaphysique, de complète révolution .

Dans la Critique de la Raison Pure, l'entendement n'a rigoureusement affaire qu'a lui-même : voilà la pureté dont parle la Critique : la pureté d'être enfermé en soi-même . Quand bien même l'on accorde-et je n'accorde pas, pas plus que Fichte-que l'on puisse poser purement la limite de soi même hors de la pensée de l'Autre, pour ainsi déterminer un entendement qui n'ait affaire qu'à lui même, tout homme frère du rêve sait à quel point l'eau stagnante entraîne de pestilence . La pureté dont parle Kant est tout à fait mythique pour un être comme moi, qui se nourrit, en lui-même, des puissances -parfaites comme pur vouloir- du monde imaginal, de cette puissance de produire images et pensées qui m'entraînent comme une spirale de sorcières . La pureté de Kant est celle d'un entendement sans désir, d'une métaphysique sans Bien ni Mal, sans mâle ni femelle, sans fleurs, sans arbres, sans ciel, sans le goût divin de la rosée de ton sexe .

Et la conscience, qu'il faut distinguer de l'entendement, d'accord, peut-elle être pensée en elle même, alors même que toute conscience est conscience de quelque chose, selon le concept d'intentionnalité de la conscience ? L'entendement peut-il n'être entendement que de lui-même ? Et comment déterminer avec certitude que l'objet de l'entendement, distinct de lui par définition en tant qu'objet d'un sujet, est pourtant de la même essence, et permet de rester pur dans l'entendement pur ?

Et que m'importe, que le Diable m'emporte si je désire une telle pureté-autant désirer la mort !

Le Nyasa Sutra de Gautâma Akshapada commence l'examen des voies de connaissance droite par la motivation et l'aspiration au bonheur indépassable . Il importe en effet de poser préalablement la question de comprendre pourquoi nous désirons si violemment connaître, et voir . Nous désirons en effet connaître, comme nous désirons le désir ; et nous désirons connaître par signes, en énigme, dans le miroir, et plus encore face à face, par la vue . Nous désirons voir la nudité de l'aimé ; et par ce désir nous connaissons sa peau, son corps, et par le désir de son âme, à la mesure de ce désir, nous connaissons son âme . Il en est de même pour la nature, Natura ; nous la connaissons à la mesure de la puissance de notre désir . Le désir et le savoir, sapere, l'âpre saveur du monde, sont Un. .

L'ascète désire tellement Dieu en sa nudité qu'il se met nu lui-même, et dénude Dieu des vêtements de la Nature ; et ainsi se dévêt lui-même de l'homme . L'ascète ne renonce pas au désir, il réoriente son désir vers l'objet suprême du désir . Mais il n'est pas supérieur à celui qui cherche Dieu dans les vêtements de la Nature, dans les plantes, les fleurs, les simples, qui se récapitulent dans le microcosme, dans le corps, l'âme et l'esprit de l'aimée .

Le désir n'est pas le désir de soi même, il est éternelle puissance de dépassement, et donc de transgression, de transformation ; et aussi désir de paix et puissance d'ordre, un et même en essence, et séparés comme les moments d'un cycle . Oui, parfois l'homme vivant désire l'ordre et la paix, désire le port, le feu de la chambre d'auberge, dans les ténèbres de l'ouragan qui martèle de lames d'eau l'univers entier ; mais la vie, comme la mer, n'est pas le lieu des répits, ou bien plutôt est le lieu des répits, mais non du repos éternel . Car tu ne saurais pas ce qu'est assez, si tu ne sais pas ce qu'est plus qu'assez . Aussi la plupart des hommes sont agités de désirs insurmontables, car leur âme, hélas, n'est pas assez hardie . Et le petit nombre sait ce qu'est plus qu'assez ; ceux là ne désirent plus revenir...il sont partis sur la voie de la main gauche, et ne peuvent revenir qu'avec leur départ selon le cercle des mondes, ô Infini .

Kant, par son concept de pureté, accomplit trois ruptures, trois révolutions . C'est toi, sœur, dit William à Marguerite, qui jugera si de telles révolutions sont des retours, ou des avancées pour l'ordre du plus Haut Désir .

La première rupture est celle de l'analogie de la pensée humaine et de la Nature . La pensée pure de l'entendement est la forme qui informe de Temps et d'Espace la matière, obscure comme toute matière, de l'intuitionné . Le monde phénoménal n'est autre qu'un obscur en soi inconnaissable qui nous effleure, et est informé par les catégories à priori de l'entendement . En soi, il n'est ni temps, ni espace, ni cause, ni effet, ni signe, ni sens, ni beauté, ni rien de nommable . Nous projetons sur un écran obscur un être peu consistant . Les analogies entre l'ordre mathématique et l'ordre physique s'expliquent par le fait que ce sont les même catégories à priori de l'entendement qui ordonnent le monde phénoménal de la physique et l'ordre pur des mathématiques . Seul problème, cette thèse n'explique que difficilement que le calcul puisse poser des possibilités matérielles, comme l'explosion tout à fait concrète d'une bombe nucléaire . Sans parler des redoutables charmes des sorcières .

(...)
L'Éternel des Armées à tracé (le monde )
sous trois formes :
par l'écrit, le nombre et le Verbe .

Une position basée sur l'analogie permet de comprendre, au contraire, que les structures des mathématiques informent le monde des choses, et donc de comprendre que l'imagination mathématique, comme la pensée logique d'espaces à plus de trois dimensions, a permis de mieux comprendre et manipuler l'univers réel . Ce fait, cet ordre chronologique des faits, à savoir l'apparition des ordres mathématiques avant leur application physique théorique, et avant toute "expérimentation" est la chose la plus têtue du monde .

Kant rompt le lien, plus exactement brise l'unité de la pensée et de la nature qui rend la magie normale, dès l'Écriture . Dieu dit : que la Lumière soit ! Et la Lumière fut . Pour celui qui sait lire, le passage de Genèse, 6 contient aussi ce sens:

Les fils de Dieu virent que les filles d'hommes étaient belles et ils prirent pour femmes celles de leur choix.

Les fils de Dieu sont aussi les Lettres, les puissances divines, et ces lettres se lient aux filles d'hommes, aux oeuvres et aux désirs des hommes . La magie n'est rien d'autre que ce lien, cette invocation des puissances qui sont l'essence du pouvoir spirituel tant du Prophète, du Poète et du Mage, qui ne sont que trois aspects fonctionnels de l'analogie du Tout Puissant qu'est le Maître des mots . Tel est le dit du sage :

Premièrement l'esprit du Dieu vivant
Béni et loué soit le nom de la vie des mondes.
Voix, souffle et Verbe
C'est lui l'Esprit Saint .
Sefer Yetsirah, 1&9 .

Ma pensée est emplie de lumière et d'ombres, comme une forêt sous l'azur du Soleil Invaincu ; constellées de fleurs, parsemée de chemins de forêts, de labyrinthes tortueux comme le corps des serpents ; ma pensée est rosée, pluie, vent du ciel, odeurs puissantes des herbes sauvages . Ma pensée est comme le crépuscule qui enflamme le souvenir de ta peau nue, parfumée, sur ma couche . La pensée invoque la vie, et la pensée comprend les abîmes .

Ils correspondent aux dix infinis :
Profondeur du commencement
et profondeur de la fin,
Profondeur du bien
et profondeur du mal,
Profondeur du haut
et profondeur du bas,
Profondeur de l'orient
et profondeur de l'occident,
Profondeur du Nord
et profondeur du Sud
Et un Maître unique (...)
Sefer Yetsirah, 5 .



Une pensée qui n'invoque pas le Soleil et la Lune, qu'invoque-t-elle, sinon la mort ? La vie des mondes n'est-elle pas absente de ses mots ?

Les mots que j'invoque, sous le souvenir de Merlin et de Taliésin, sont la sève du monde . Ainsi les paroles du Druide invoquant son excellence :

"Une question, ô jeune homme d'instruction, d'où est-tu venu ?
(...) du talon d'un sage,
Du brillant du soleil levant,
Des noisetiers,
De l'art poétique,
Des circuits de splendeur
Par lesquels on mesure le vrai (...)
Par lesquels on apprend la vérité
(...)par lesquels on voit les couleurs
Par lesquels les poèmes sont renouvelés
(...)"
Dialogue des deux sages,
Payot, traduction C.J Guyonvarc'h .

La splendeur du soleil, de la forêt, de la sagesse, des couleurs, de la vérité : voilà l'ordre de la splendeur qui se déploie, et non la pureté inatteignable et morte de l'entendement . Voilà la première coupure de Kant, la blessure fausse et mensongère qui coupe la pensée de la nature . Toute pensée opère par signe, par absence, par invocation ; toute pensée naît du désir, de la splendeur du monde ; toute pensée est vie et habitation des mondes .

Il n'est rien à trouver dans la pureté de soi-même, sinon le mythe de cette puritaine pureté ; car l'homme n'est pas une essence, mais l'âme est en quelque sorte, toutes choses (Aristote, de l'âme) . Une règle de la sagesse de l'Inde est tat vam asmi, je suis aussi cela, Ange, pierre, démon cruel ; l'homme n'est rien d'autre que la spirale des états multiples de l'être, et ainsi récapitulation indéfinie des mondes involuée en elle-même .

"Voici le barde qui n'a pas encore chanté
Mais il chantera bientôt
Et à la fin de son chant
Il connaîtra la science des étoiles
(...)
J'ai revêtu une multitude d'aspects
avant d'acquérir ma forme définitive (...)
J'ai été une lance étroite et dorée,
(...)
J'ai été une goutte de pluie dans les airs,
J'ai été la plus profonde des étoiles
J'ai été mot parmi les lettres,
J'ai été lumière de la lampe (...)

Ma science s'est exprimée
En Hébreu (...) "

Extraits de Taliésin, barde du VIème siècle .

Kant n'aurait pas accompli de si grande rupture s'il s'était contenté de définir la nature en terme d'entendement, comme étant la matière de l'intuition ordonnée dans les formes à priori de l'entendement . Il a aussi fermé la porte de la Gnose .

Le désir de savoir provoque dépassement et transformation . Le savoir, forme la plus haute de la sensualité, est l'acte commun du sentant et du senti (Aristote, de l'âme) . L'âme, l'esprit, et les puissances divines sont des puissances qui enflamment des actes, des étoiles . Tel est le feu du savoir, la gnose . La gnose est par ailleurs, l'objet d'une expérience, mais cette expérience ne relève pas du critère du monde des choses, l'intersubjectivité égale . Kant accomplit pour cela une lourde construction conceptuelle, lourde comme une porte de prison, et qui fait encore autorité :

"Nous nommons les principes dont l'application se tient entièrement dans les limites de l'expérience possible immanents, mais ceux qui sortent de cette limite, nous les appelons transcendants . Aussi le transcendantal- nous ne connaissons à priori des choses que ce que nous y mettons nous -même-et le transcendant ne sont pas la même chose . Les principes de l'entendement pur(...)ne doivent avoir qu'un usage empirique(...). Mais un principe qui repousse ces limites et nous enjoint même de les franchir est un principe transcendant ."

CRP A295 296, B352 353

Le transcendantal est la science de notre mode de connaissance des objets en tant qu'il est possible à priori . Il est donc possible par cette science de déterminer les abus du transcendant, les dépassement, de dire à priori si telle ou telle expérience est possible ou impossible . Or nous ne pouvons connaître, dit le transcendantal, que des objets informés par les catégories a priori de l'entendement et naissant d'une intuition empirique, ou le transcendantal, qui ne nous renseigne que sur nous même . De ce fait, si je vois un Ange, soit je vois un objet empirique et je dis que c'est un ange, soit je vois une image produite par mon imagination . Je vois donc une illusion ou une hallucination .

A priori donc aucune gnose, aucune vision ne sont possibles . L'intersubjectivité permet de trancher, identique dans les faits à la notion de reproductibilité de l'expérience ; ce qu'un est seul à voir est une illusion . En conséquence, toute vision est à la portée du premier venu, et le premier venu est la mesure de toute vision . Sous l'apparence de l'objectivité, Kant accomplit une inversion rigoureuse de toute théorie que puisse défendre un visionnaire . A cette aune, Pétain a raison contre De Gaulle, qui décrit le déroulement de la guerre dans ses grandes lignes en 1940 . La preuve, c'est que la majorité le soutient .

De même, aucune pensée valable ne peut naître d'un objet non empirique ; de ce fait la seule théologie encore acceptable est l'interprétation objective, selon la règle précédente de l'intersubjectivité, de l'écriture sainte . Autant dire que cette théologie acceptable n'est elle guère plus que les plumes de l'albatros, proposée comme nourriture consistante . Roborative, même . Nous en arrivons à un niveau vraiment répugnant, de théologie dépourvue de vision, de symbolisme et de savoir . Et aussi, à une théologie qui se pose comme savoir objectif, sur le modèle du savoir des objets empiriques, devenu mesure de tout savoir, et non science salvifique, transformante, illuminative : gnose . Ainsi le Verbe est-il pensé non comme le rideau du temple, comme les plis divins de ta jupe quand je la relève sur tes hanches, mais comme un objet-comme si la description objective, les étiquettes, de ta jupe et de ta fine culotte était plus que le mouvement de tes hanches et de tes pas, que l'odeur de mes mains passée sur le frêle tissu humecté d'humeurs, plus même que l'oubli des vêtements !

Marguerite rougit légèrement, pour deux raisons .

En fermant l'harmonie naturelle de l'entendement et de la Nature, du Soleil et de la Lune, du mâle et de la femelle présents tout deux tant en l'homme qu'en la femme, tu as interdit la magie des mondes, tu as voulu nous interdire d'être - en fermant la gnose, tu as entraîné des hommes à la damnation, à la haine, comme Isidore Ducasse ; mais tu as fait pire, tu as fermé le souffle de la poésie .

"La contemplation du monde a commencé par le spectacle le plus splendide que les sens de l’homme puissent offrir et que l’entendement, s’il veut en saisir la vaste étendue, puisse supporter, et elle a abouti – à l’astrologie." Critique de la Raison Pratique, I, 803.

D'une simple perspective sémantique, tes mots ne veulent rien dire d'autre qu'une interdiction de la métaphore, de l'invention du Verbe qui permet l'invention des mondes . Les mots prononcés devant la nuit, devant la splendeur de la voûte céleste ne peuvent être utilisés pour caractériser mon âme, même si tu reconnais que la loi morale est l'analogue du Ciel étoilé . Tu le reconnais, mais dans ta hâte à fermer des portes, tu le condamnes en général . L'astrologie en tant que Science traditionnelle est une poétique du ciel de l'âme . Et tu l'assimile à la sottise, au fanatisme et à la supersitition, avec sottise, fanatisme et superstition rationnelle .

Maintenant, tu n'est plus qu'une horloge parfaite, c'est à dire mortelle, cassée ; tu tourne pour l'éternité la même ronde monotone de tes prisons conceptuelles, de tes pas, de tes désirs putrides d'être l'Histoire, d'être le Maître . Tu séduis encore dans le Système, et accomplir ta destruction phénoménologique reste une utilité . Tu es séduisant comme penseur, livré à la pensée ; mais tu est comme un château sans fenêtre, comme la tour de Babel ; faute d'ouverture sur les mondes qui ne s'atteignent pas en accumulant les pierres, tu t'es enfermé dans une pureté logique sans consistance . Personne ne t'a demandé l'autorisation de penser des espaces impossibles, à n dimension, ou les aspects multiples de l'être .

Marguerite regardait Kant et William Blake avec un mélange de tendresse et d'amusement . La colère l'avait quittée, cela faisait longtemps qu'elle était du parti du Diable en le sachant, comme tout vrai poète arrivé en Enfer-poétesse, fée et sorcière . Elle s'amusait surtout par des farces aux pédants, comme répandre de l'huile par terre lors d'un vernissage d'un ennemi du diable, ou par mille autres tours attentatoires . Elle était même parfois marxiste, c'est pour dire . Elle mangeait des coquillages gras des fleuves de l'Enfer, en laissant son regard errer avec admiration sur les laves et les feux de l'enfer, qui répondaient aux feux de son âme .

"Servez moi un thé russe aux agrumes", dit Kant en souriant . Il était tout à fait habitué, et très aimable, au fond de lui-même . Et il s'assit avec eux . William mit le thé, et Marguerite l'eau, dans un grand samovar . Kant se servit ensuite une tasse avec délectation . William Blake pensa à l'alliance du thé brûlant et de la bouche de Marguerite, et de...

Le regard de Kant se perdit sur la surface sombre et fumante . Il pensait aux arguments qu'il opposerait au Maître de Behemoth, lors de leur repas habituel . Il regardait Marguerite, comme une preuve des délices du transcendantal . Tôt ou tard, il connaîtrait l'apocastase . "Le Diable sait ce que je ferais alors", se dit-il en ses pensées .

Il regarda un instant une jeune femme aux gestes sévères . Une certaine Irena Adler, qui regardait Kant avec plus de colère d'ailleurs, en passant le balai sur les cauchemars irrationnels qui tapissent le sol des enfers . Elle le regardait ainsi parce qu'elle était en Enfer à cause de lui, et même pas par amour . En plus, elle était toujours en colère, c'était sa peine .

Le soleil de l'Enfer était à son crépuscule .

La spirale de l'initiation : Aleister Crowley .




Il est dit que trop souvent l'on parle trop . L'ensemble des paroles prononcées sur un homme, quant elles atteignent une certaine masse, devient un fait objectif, qui se nomme réputation . Si ces paroles sont globalement des jugements, négatifs, on parle de réputation sulfureuse, sulfureuse comme l'odeur du Diable, comme l'odeur des couloirs du n°50, de mauvaise réputation . Au diable la mauvaise réputation !

C'est le cas d'Aleister Crowley . Il avait une mauvaise réputation, entre le sexe, la drogue, la sorcellerie . Il avait une mauvaise réputation auprès de Mussolini, qui l'a fait expulser de Sicile en 1923 . Il passe pour sataniste .

Crowley est un homme spirituel, qui invoque les dieux et les esprits, et qui en toutes choses cherche l'Un . L'amour est le seul lien qui puisse restaurer le divisé . Il est un spirituel de la main gauche . Il y a la colombe, et il y a le serpent : choisissez bien ! De ce fait, il ne peut être compris que d'un petit nombre de gens, ce qui est posé dans le Livre de la Loi . Le croire athée est une première incompréhension massive qui condamne le lecteur . De tels mots sont dépourvus de tout contenu dans la Voie . Le Dieu de la voie de la main droite est un fantôme, et ainsi Crowley apparaît athée dans cette perspective . Car la main gauche est et n'est pas une négation de la main droite ; est négation dans sa perspective, mais nullement dans l'absolu, car la main gauche se définit relativement à la main droite, et réciproquement .

Crowley, comme Blake, comme Wilde, est un Celte . Être Celte est une filiation angélique, nullement un atavisme biologique ; l'inférieur est analogue à ce qui est en haut, nullement un support ou une puissance du haut . Les fils du ciel trouvèrent les filles des hommes désirables et s'unirent à elles...Telle est la parole de Moïse qui rapporte cette filiation . Héraclite ne suit pas d'autre Voie . Qui est (comme) Dieu ? Demande l'Ange . Le monde est la beauté même de Dieu, belles et désirables, solaires comme Dieu sont les filles des hommes...telle est la réponse de cette filiation depuis l'origine . Le désir pour la beauté de la manifestation est le désir de Dieu pour lui-même, est la puissance même de l'être ; le désir est Dieu ; comme le feu, il se nourrit de lui-même, s'intensifie, se rend toujours plus puissant . Car le pur vouloir sans objet (...) est en tout point parfait . La manifestation n'est autre que la peau visible et sensible, parfumée de Dieu, homme et femme mêlés indissolublement, le deuxième livre d'Eriugène . La nature du Periphyseon est Dieu rendu visible, à l'égal des lettres de l'Écriture . Le corps, l'être auquel je fais l'amour est l'analogue, l'image, la puissance même de Dieu .

Le désir humain, puissance impersonnelle-ça désire, et je dis que je désire- est l'expression du pur vouloir ; proche d'un gouffre, et tout entier tourné vers l'abandon à la puissance du Serpent, non la volonté individuelle, qui peut être contraire au désir par le sens du péché, la culpabilité . L'amour est la loi, l'amour sous la volonté . Le mot du péché est restriction . Le pur vouloir, le désir, vécu comme étranger au moi, volonté de puissance, l'extase – Mon extase est votre extase - dans la possession par la puissance qui fait germer les mondes, et non la possession du monde . Délivré de la loi, le gnostique paraît se livrer à un culte transgresseur, quand il lève en lui les chaînes, les illusions de l'existence, de la puissance, de la liberté individuelle, selon une ascèse qui exige une renonciation aussi sévère que l'ascèse de la main droite, qui exige d'affronter l'angoisse jusqu'à la mort, les océans des ténèbres et d'éternités, la destruction nocturne de l'âme, mais non pour atteindre à l'extinction dans l'humilité, mais à la puissance, à la liberté d'un ordre supérieur, la liberté des mondes, de l'être même .

Les mots, les invocations, les poèmes, les œuvres d'art ne sont pas des déplacements symboliques du désir, des sublimations, mais des dévoilements, des invocations destinées à intensifier indéfiniment le désir, pour exténuer la séparation entre l'homme, le divisé, et la Puissance, pour restaurer l'unité . Alors l'homme est puissant non en tant qu'ego, mais en tant que son ego s'exténue, il est puissant comme identifié à la puissance, et voulant ce qu'elle veut, comme étant devenu destin, et liberté par rapport aux liens de la multitude, qui sont malédiction . Multitude et divisé sont synonymes, car la multitude d'en bas naît de la division indéfinie de l'Un, et non d'une impossible multiplication ou addition de la totalité, ou puissance . Ainsi le gnostique est cinglé d'embruns sur l'océan des désirs, sous l'œil de Sol Invictus .

Voie de la manifestation, la voie de la Main gauche passe par les contraires, le combat, père de toutes choses, et dessine une spirale indéfinie où les pas ne cessent de paraître s'éloigner du centre infini de la Ténèbre, dans la plupart des perspectives . Aussi l'homme du commun ne discerne-t-il le plus souvent aucune continuité dans la Voie, entre vie dans les richesses du monde, exhibition sans mesure, et obscurité et misère . Mais il n'est d'autre continuité que les écarts indéfinis de la spirale, écarts liés à la manifestation, et qui s'impliquent en un point unique, et dont seule l'explication chaotique est visible .

Tout Maître absolu est cependant au même lieu de tous les lieux qu'un autre, et n'est donc qu'implication de sa Voie .

Les hommes de la voie de la main gauche, les hommes du Serpent-brûle sur leur front, ô splendide Serpent ! -sont des gnostiques, des hommes de la jouissance du visible et du sensible comme manifestations, qui suivent la voie des spirales indéfinies de la Maya : le Soleil, la force&la Vue, la Lumière ; ceux-ci sont pour les serviteurs de l'Étoile et du Serpent ! Je suis le Serpent qui donne connaissance et plaisir . La division première du divisé est le division des sexes, et un des aspects multiples de l'amour passe par la puissance de l'attraction des sexes . Ainsi ils se chargent de la puissance des éléments, puissance apte à briser les fers de la présente humanité pour élever l'alchimie des sons, des couleurs et des mots, la pensée et l'œuvre, pour transformer la vie par l'art, et par l'art secret de l'union des sexes . Tel est la fin de la magie sexuelle .

Mais en tant que serviteurs du Serpent, ils sont souffrants dans ce monde qui veut se fermer sur la main droite, et passent pour serviteur du mal, athées, hommes cruels, Grande Bête 666 .

L'apparence de l'Antéchrist pourtant ne sera pas celle d'une grande Bête, mais bien celle là même d'un Ange : il tromperait même les élus, si cela était possible . La véritable raison de la haine qui frappe toutes les voies de la main gauche et les plonge dans l'obscurité, est le secret qui s'échappe par l'écoute de Tristan : Le Roi Marc a des oreilles de cheval . Ou encore, le diable se cache dans l'énonciation de la morale et de la Loi, car la morale et la Loi sont fondées sur la division originaire entre le Bien et le Mal – sont la fermeture définitive de la Restauration, ou encore ne sont pas autres que les chérubins aux glaives de Feu qui gardent les portes de l'Éden, de la Jérusalem céleste .


Ajoutons que le diable, comme toute créature, est au service de Dieu . Et que certains gnostiques voient Dieu, dans leur perspective, comme démiurge, comme mal, à tort et à raison . Il en est de même de la Loi .

Un maître de la voie de la Main gauche n'est autre que René Guénon, qui suivit essentiellement la voie de la Main droite, mais n'ignorait absolument pas l'autre .

Il ne l'ignorait pas non plus, le Maître qui a dit : Le Royaume des cieux se conquiert par violence .

Que celui qui a des oreilles, entende !

Viva la muerte !

Gangstérisme dans le champ intellectuel : casse sur les sarcophages de la culture .



Notre position à nous autres, de l'underground du champ intellectuel - les mémoires du souterrain de Dostoïevski valident ce mot - est une position qui demande à être analysée . Je vous écrit d'une île, d'une Temporary Autonomous Zone, d'un lieu délié de liens avec les pôles des mondes de l'âge moderne, sinon de liens électroniques, médiatiques-un lieu anonyme et dominé de plus des champs de force du Système, qui reçoit des formulaires standards de la domination, impôts, factures, amendes automatiques, rien de personnel, même pas le luxe d'une surveillance policière à un nom commun , encore moins propre . J'ai le droit de choisir le prélèvement mensuel, le prélèvement à l'échéance, bref, de rentrer dans l'anonymat absolu, c'est ce dont m'informent les formulaires standardisés que je reçois . Ainsi le Système pense et préserve ma liberté . Sinon je reçois le bulletin municipal, une fois par an . J'apprends parfois qu'il y a des élections . Autant vous dire, je me sens vachement partie prenante de la République .

Je n'ai de liens avec aucune Université . Ces liens ont existé, ont été rompus . A vingt trois ans, j'ai raté la marche de l'université, le poste, la thèse prévue, en échouant à l'agrégation, à la surprise générale, et avec les excuses d'un membre du jury . Rien que de normal, de ne pas avoir l'agrégation du premier coup . Mon père avait sombré dans une dépression délirante en janvier . J'étais très proche de lui . Je l'avais appelé tous les soirs, une heure, pendant des mois . En juin, le téléphone avait sonné dans le vide, dans la chambre de la maison de retraite sinistre où il avait fini par échouer . J'avais appelé ma sœur, qui avait appelé la maison de retraite, qui avait envoyé quelqu'un dépendre mon père, à la porte des toilettes . Puis j'ai enterré mon père, embrassé son corps étrangement gonflé, son visage marbré de rouge . Puis je suis allé passé l'oral, à la Sorbonne, à Paris .

Le jury de géographie, c'était des gens assez jeunes, gras, laids , en sueur à cause de la chaleur . Ils étaient très sots, très contents de me flinguer, je venais d'une université ennemie . Le jury qui m'a donné le sujet de hors programme m'a dit après, après les résultats que c'était très bien, mais que je n'avais pas présenté tel personnage en introduction, qu'il ne pouvait pas me mettre quatorze, mais dix . Le président du Jury m'a dit en me regardant dans les yeux que je devais absolument repasser l'agrégation . Absolument !

Mais voilà, mon père était mort, je devais me mettre au travail . J'ai commencé à travailler en zone sensible, le nom de l'époque . J'ai souffert, ramé, été humilié plusieurs fois . J'ai continué, réussi parfois, gagné le respect et l'estime de gens qui ne sont pas des universitaires, des flics, des routiers, des marins, de gamins paumés . La pensée a disparu de ma vie, mais comme le soleil passé de l'autre côté de la terre . Insensiblement, je me suis spécialisé dans "les adolescents difficiles" .

Je suis dans mon travail, en position de réussite sur le critère valide du Système, l'argent . Je suis marginal professionnellement, mais financièrement reconnu, et globalement en réussite, mais sans aucune sécurité .

Je suis aussi un petit soldat du champ intellectuel . En réalité, le projet de thèse, le champ de recherche abandonné sur le cadavre de mon père revit dans la blogosphère . Je suis ainsi entre la violence de la pauvreté, la violence d'un quartier, et l'art, et la pensée, et la vie . L'âpre saveur de la vie . Si je ne peux vivre l'art et la pensée, je meurs étouffé comme un poisson au fond d'une barque . Notre position m'apparait de plus en plus comme un gangstérisme intellectuel . Notre, car nous sommes plusieurs .

Nous voulons bouffer le champ intellectuel et artistique par la force . Bouffer le monde par la force, c'est une expression d'André Bellaïche, chef présumé du gang des postiches . Nous avons pour cela le désespoir, la haine, la rage, l'immense désir qui font le gangster . Le pragmatisme absolu aussi .

Bellaïche, personnalité attachante, ajoute que le gang des postiches aurait été une aventure romantique s'il n'y avait eu deux morts . C'est cela même ; l'histoire de nos pensées, de nos groupes, de nos espoirs, est une aventure romantique, serait une aventure romantique, si nous ne nous vidions de notre sang en public . Car cette écriture, c'est écrit avec du sang . Et si je ne parlais pas de mon père pendu, des marbrures sur son visage, quand j'ai embrassé son cadavre, avant l'enterrement .

"L'image de mon père en agonie, en chaînes, au fond d'un cachot, restera l'image de ma vie . Sans cesse, elle hantera mes rêves . Quand je l'évoquerai ou qu'elle m'apparaîtra dans les épreuves ou la défaite, elle décuplera ma force ; quand elle me viendra dans la victoire, je deviendrais cruel, sans humanité ni concession quelconque . " Amadou Kourouma .

Peu importe . Une vie sans mort, sans corde, sans effusion de sang, avec juste les formulaires anonymes de l'État comme attention, nous n'en voulons pas . Plutôt mourir . Tout a commencé quand nous avons compris que sans combattre, nous allions mourir . Quand le désespoir nous a donné la force de ne plus reculer . Il a fallu du temps . Les leurres de la vie privée ont pu nous contenter . Le sexe, la fête nocturne . Mais même des vêtements, des talons, peuvent être une occasion d'agression, car la plupart des hommes de ce temps, comme dans toutes les tyrannies, sont amers, agressifs, frustrés . Encouragés tous les jours dans la sottise . Ou l'édification d'un foyer . J'ai écris sur les illusions de l'authenticité, produit du Système .

L'affaire Coupat a été pour beaucoup un éclaircissement . La guerre était réelle, pratique . Les armes, l'ordinateur, la rigueur des mots . La poésie, le sang, le sperme, le désir, la cyprine . L'angoisse, la douleur, la mort . Les murènes qui se tordent dans les tripes, qui te déchirent, le temps épais comme la résine, comme l'ambre, dur comme le cristal des falaises granitiques . L'atroce attente, la mélancolie qui donne le gout du sang dans la gorge . L'ivresse, les ivresses artificielles, les labyrinthes nocturnes de l'âme .

L'odeur mêlée du corps et des roses . Je rêve de voir ton cul, ton ventre, ton sexe, de te voir avaler mon sexe, d'introduire ma langue dans tous tes orifices . Ton regard est profond comme les gouffres des mondes, scintillants luminaires des sphères . Ta voix résume en elle les rumeurs des mondes, les rumeurs infimes des passés sanglants, des passés d'aurores sublimes, de crépuscules rêveurs . Ta peau est la surface duveteuse et douce du fruit de l'arbre-et cet arbre était un bouleau . Tu es l'alliance des forêts du Nord et du soleil invaincu du midi, le seul nombre qui ne pourrait être un autre . D'une certaine manière, tu es le monde . Et tu est la colonne sur lequel il repose . L'air que je respire, dans la roseraie . Le pôle qui ordonne la rotation de la Roue .


Mishima se retrouve avec Duras, à affirmer qu'un écrivain, pour écrire de choses intenses, ne peut vivre des choses intenses, doit se mettre à part, enfermé dans l'écriture . Perspective-en outre inexacte pour eux même- de la dissociation d'un âge de fer . Il ne faudrait pas être sage vivant, pour écrire de la sagesse ? Il ne faudrait pas être fou de douleur, pour écrire de la douleur ? Il ne faudrait pas aimer, pour écrire de l'amour ? Je dis, moi, que celui qui a écrit le Cantique, connaissait l'amour, et que je n'ai compris le Cantique que par l'intensité de l'immense désir .

Pourtant c'est une chose commune, dans notre âge, de voir des oeuvres, de méchantes oeuvres, qui traitent de sujet absents de la vie de leurs auteurs . Une universitaire initiée au Tantrisme est rare, paraît même étrange . Écrire sur la vie religieuse, sur l'ascèse, sur toute sorte de sujets sans en avoir la plus infime parcelle de vie est tout à fait considéré . Écrire sur les textes sacrés sans jamais en goûter la saveur est banal . Écrire des livres d'éthique en ayant jamais vécu la moindre éthique, sans jamais avoir affronté de moment crucial . Juger dans un livre les actes d'un guerrier sans connaître le gout de la panique et la terreur organique, le risque de la mort par le fer, le désir de te tuer dans les yeux de celui qui est devant toi . L'autorité de toutes ces paroles n'est pas intrinsèque, mais extrinsèque, issue de la position de maîtrise sociale . Tombent-ils au sol, que leurs mots rejoignent la poussière . Invoquer l'éternité dans la parole leur est étranger . Cela est vanité et poursuite de vent . Le monde qui nous abrite ne permet pas de mener une vie pleinement humaine : nous n'avons que le pain . Reste le monde . L'être manque, la vie moderne est vide comme un évier abandonné dans un terrain vague .

Notre écriture se trempe de notre intensité, de notre nostalgie, de notre manque légitime, ontologique . Notre intensité est l'eau claire, la source dans la forêt, qui fait jaillir la vapeur autour du style sorti de la forge . Nous sommes forgerons, Héphaïstos, boiteux et souterrains, se vivant de feu dans les abîmes, créateurs des armes des dieux . Nous sommes Hadès, roi du royaume des ombres, mais avides de l'hiver, où le règne du souterrain se pose avant l'ère des mimosas, ces mêmes mimosas que tient Marguerite en rencontrant le Maître .

Hors des liens qui produisent la pensée officielle, en fuite sur les routes, à travers les espaces improbables de l'Europe, nous mêlons ce que les autres séparent, et nous sommes le creuset de l'avenir . Nous n'avons besoin d'avoir une éthique révolutionnaire, ou je ne sais quelle verbosité pompeuse, pour être réellement des révoltés, comme Roméo et Juliette interrogent bien davantage l'ordre de Florence sans se poser de questions que tous ceux qui prétendent, dans les vestiges consternants de la chute de l'art, par des oeuvres vides, interroger profondément des thèmes profonds- alors que leur pensée et leur vie sont totalement vides, fonctionnarisées . Les esclaves jouent aux hommes libres, sous le maréchalat du Père Ubu, couvert de chaînes de chocolat . Ce monde de verre ne tiendra pas éternellement sous les impacts de feu, cruels, sans humanité ni concession quelconque, de l'invocation de l'esprit impliqué de la langue, sous l'appel persistant, insistant de la rénovation du monde par l'art .

Nous allons infiltrer les forteresses et casser les coffres qui gardent dans les ténèbres les corps aimés-les grands corps blancs des amoureuses- dont parle Apollinaire en 1917 : "Les jalouses Patries m'ont déchiré un jour, Moi! La Pensée, Moi, l'Art, et Moi, l'Amour! Mon corps est splendide toujours. "

C'est le Système aujourd'hui, barbe-bleue moderne, qui a enfermé dans des sarcophages de marbre ces corps . Et qui paye, et sélectionne, tous les ternes et vides gardiens des sépulcres, ces êtres pompeux qui croient être, parce que des fils les tiennent debout .

Nous allons les briser, sans humanité ni concession quelconque . Nous sommes vivants, et ils sont morts . Nous sommes traversés par tous les printemps, toutes les sèves qui auraient pu être . Nous sommes des loups, et ils sont devenus des chiens, porteurs de la marque de la laisse . En réalité, ils n'ont aucune chance .

Nous allons briser les sarcophages de la culture .
C'est notre gangstérisme intellectuel, celui du Prince d'Aquitaine à la tour abolie . Celui de Bohémond De Tarente, prince de Tripoli .

Vive la guerre ! et vive la mort !

Métaphysique cubiste de l'érotique postmoderne . De la visite de Kant au Cap d'Agde .



Ce qu'est une position en vue kaléidoscopique .


L'érotique moderne a ses lieux, ses boîtes, ses commerces de plus en plus hype, et a un spot qui réuni les européens passionnés par le sexe, le village naturiste du Cap d'Agde . Ce lieu étrange est un spectacle recherché, par sa saveur et sa drôlerie . L'érotique moderne, en tant que produit de notre monde, ne peut être séparée du monde, et appelle une lecture fonctionnelle . Une telle lecture n'est pas un jugement, ni une prise de position .

Il est courant d'être incité à prendre position, ne serait-ce que par une pétition – et je soutiens que le penseur supérieur n'a pas d'opinion, pas de position à prendre . Cela ne saurait signifier que ne pas réagir face à une situation insupportable soit une marque de sagesse . On préfèrera une attitude excessive à un comportement intelligent et discret, dit le Hagakure . Cela signifie seulement que le sage n'a pas à répondre aux sollicitations partisanes du Système, qui ne servent qu'à maintenir celui dont elles jouent dans l'univers unidimensionnel de ce monde . Aussi ne s'agit-il pas pour moi de prendre position pour ou contre le spectacle du Cap d'Agde . Le Cap d'Agde est un champ de positions et d'images . Ce champ est un élément du monde moderne, et a ce titre en apporte une compréhension, une perspective .

Abd El Kader dit que le gnostique est exempté de l'obligation de devoir lutter contre le mal, car il n'est pas de mal qui ne soit un aspect du bien pour celui qui ne connaît que l'Être, et connait l'existence comme une écume toujours renouvelée d'oppositions, c'est à dire de positions binaires relatives . Pour celui qui cherche l'Un, la lutte contre le mal peut être une division dans sa propre maison . William Blake relève ces proverbes de l'Enfer : « the roaring of lions, the howling of wolves, the raging of the stormy sea, and the destructive sword are portions of éternity too great fot the eye of man » . Autrement dit, traduit : la lubricité du bouc est la générosité de Dieu . Ou encore, la clef de ces proverbes, ou de la consultation secrète d'Abd El Kader, chez ce même Blake : Dieu seul Est, Dieu seul Agit dans les êtres existants ou dans les hommes . Le diable est au service de Dieu, voyez Faust, et parfois Dieu, comme figure du Suprême, est au service du diable, ainsi chez le pécheur justifié de James Hogg . Aussi le gnostique peut-il être ami du Serpent, et Judas auteur d'un Évangile secret, issu du Royaume immortel de Barbèlô . Il n'est pas certain qu'Agde soit plus superficielle et sinistre qu'une réunion de la Halde, ou qu'un livre de la rentrée littéraire . Il n'est pas certain qu'une orgie au Glamour soit plus loin de Dieu qu'un touriste au Mont St Michel .

Le penseur supérieur n'a pas d'opinion . Ces paroles de gnose, ne sont-elles pas une opinion, une position ? Non, c'est une position de position, et cela n'est qu'homonyme, c'est à dire le même mot, mais non le même ordre . Pouvoir penser une position est d'ordre inférieur à la capacité de produire la matrice des positions possibles . C'est exactement ce que comprend tout homme normal qui lit un livre normal, comme la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, ou le Kama Sutra, ou encore les états multiples de l'être de Guénon . Une œuvre puissante est une matrice de positions . Bien entendu, ce qui est vrai dans son ordre d'une position est vrai par analogie, selon donc une réfraction, d'une position de position – dans son ordre, et non dans l'ordre des positions simples . Cela ne peut être compris que par ceux qui comprennent les divers ordres de la vérité, les cycles des états multiples de l'être . Et parmi les positions de positions, il en est de démoniaques, il en est qui sont des prisons de l'âme, des îles des morts sous des apparences riantes . Et contre celles-là, il arrive que le sage doive lutter .

Prendre une position est inévitable, fait partie de son essence, pour celui qui est déterminé, limité, qui existe . Analogiquement à un étant, à mon corps, qui ont toujours une position . L'homme existe, c'est un ordre de l'être ; ex-istere, il se tient en dehors du principe, qui lui, est, mais n'existe pas . Pour les penseurs orthodoxes, il est tout à fait clair que Dieu n'existe pas . Le principe est immuable et n'a pas de position à prendre, étant la puissance de toutes les positions . L'être est, le non être n'est pas, juge durement le vieux Parménide, semblable aux ascètes de l'Advaïta . L'existant n'est pas l'être . L'existence est un être séparé, un être diminué . Exister n'est pas une marque de noblesse . Goethe dit, après Héraclite : « tout ce qui existe mérite d'être détruit » . La destruction rôde partout dans les mondes de l'existence, et pas seulement pour l'individu humain, sous le nom de mort . Ce fait est toujours déjà jugé .

L'homme n'est pas enfermé dans l'existence ; il garde l'image et le souvenir de l'Être . Il peut renoncer aux néants du siècle, candide comme la colombe . Il peut goûter à l'être comme on goûte l'éclat divin d'un fruit mur, rusé comme le serpent, car l'image de l'être est à la fois être et non être . Une image n'est pas rien . Et ainsi le néant dans la perspective de la colombe, le Siècle et ses ténèbres, peut être le foyer d'intensité de l'être du Serpent .

Il peut par un lien d'exception poser la puissante analogie de l'arbre de la connaissance, s'abriter sous les branches de l'arbre qui protégea Marguerite et Lara .

L'existant est image et ressemblance du Principe, comme l'image est un être diminué par rapport à cette image primordiale . L'objet existant est image, et l'image est image d'image, poussière de poussière . L'ontologie de l'image est analogue à celle du signe, à celle de la conscience intentionnelle, problématique et paradoxale : c'est un étant isolé comme objet, et dont pourtant l'essence est de marquer une absence, un autre que lui . L'image, le signe, sont susceptibles de fiction, d'illusion, d'erreur, comme la conscience de mensonge cruel, ou de trompeuse mélancolie . L'image, le signe, et la conscience partagent cette implication d'être et de vide au plus profond de leur tissage d'être, cet insaisissable essentiel .

Aussi le vêtement, le costume, sont-ils associés à l'illusion, voire à la tromperie . L'homme désire la confiance et désire l'obtenir d'essences insaisissables, ainsi condamné à l'errance, comme le chevalier des Grieux . Il sait pourtant, ce naïf chevalier, que les délices de l'amour sont liées à l'essence humaine, à l'immense désir de l'aimée, désir qui le porte, et désir qui la porte . Il désire en plus une confiance absolue qu'il ne saurait s'accorder à lui-même, qui ne cesse d'hésiter entre Manon et le respect de la moralité de son père et de ses amis . Jivago a vis à vis de Lara, et Lara vis à vis d'elle même, cette puissance d'aimer le monde dans ses voiles . Mais rares sont ceux et celles qui ont reçu, incompréhensiblement cette grâce, d'aimer inconditionnellement un être conditionné, car cet amour est lié au soleil, à la lune et aux étoiles, par la chaîne d'or de l'être . Cette chaîne d'or est elle même le lieu des reflets entre les eaux d'en bas et les eaux d'en haut :

Un abîme en appelle un autre,
Ils forment ensemble un duo solide :
(…)
Le ciel lui-même doit être terrestre,
Sinon aucune vie n’est insufflée dans le royaume terrestre.
Ce qui est en haut doit être ce qui est en bas,
Ce qui est en bas doit à nouveau être ce qui est en haut.

La terre doit monter au plus haut du ciel,
Et le ciel se replier au centre de la terre.
Ainsi doivent être inversés le ciel et la terre,
Ce qui est en bas devrait devenir ce qui est en haut.

Ainsi doit venir au jour, visible,
La Quintessence et ce dont elle est capable, son pouvoir.


Cette puissance de mettre au jour l'invisible à travers le jeu indéfini des reflets est ésotérique et rare . L'homme souffre habituellement de ce sentiment inauthenticité qui le frappe par essence . Certains cherchent la racine de cette souffrance, et la trouvent dans le mensonge et l'hypocrisie du vêtement . Ils espèrent que la nudité du corps permettra un retour à la confiance perdue, une simplicité aurorale . Cette démarche est en son principe très puritaine . Elle provoque en réalité une flambée du désir, du manque, là où les naturistes attendaient la pacification des apparences et des désirs .

Mais même de ce qui n'est pas, l'être n'est jamais absent, ne serait-ce que présent par son absence, par la nostalgie essentielle . La chaîne d'or des mondes est une chaîne, une cascade indéfinie d'images, l'image étant séparée de ce dont elle est image, selon les deux objets les plus essentiels d'un temple japonais, le miroir, et l'épée . Tout le secret des mondes peut être compris dans ces objets . Ainsi la flambée du feu érotique provoquée par la nudité pudique du naturisme principiel est-elle peut être moins illusoire que le puritanisme des fondateurs .

L'homme, condamné au miroir, au reflet, à l'énigme, aspire passionnément au réel, au vrai, au nu . Mais ce désir l'entraîne dans des cascades d'illusions nouvelles ; illusion de croire que seul l'objet réel est vrai, alors que le vrai est une propriété du Verbe avant d'être celle d'un étant réel ; illusion cartésienne de sacrifier toute connaissance comme douteuse, pour se refonder sur de l'indubitable formulé dans les mots de la tribu, et donc gonflé d'implicite – cogito, ego sum contre ça pense, et je dis que c'est moi qui pense . "Toi, tu n'a pas vie en toi . Toi, tu n'existes pas . (...) La vie, tu ne la possède pas-c'est elle qui te possède (...)" (Doctrine de l'Éveil) . Illusion de croire que l'homme nu soit plus vrai que l'homme vêtu . Illusion de croire que la vérité de l'âme soit la paix, et que l'absence des simulations modernes des hommes habillés, érotisés par leurs vêtements, apporte la paix de l'âme par la paix du désir . Non, l'âme, pas plus que la mer, n'est le lieu des répits .

L'authenticité que désire le vulgaire, le vrai bois, la vraie laine, les vrais gens, le vrai corps – tout cela est par essence image, et donc illusion . Derrière le voile, derrière le miroir, il n'y a que voiles et miroirs indéfinis, per speculum in aenigmate,et l'authenticité est aussi fausse que le faux qui la copie . La seule vérité de l'illusion est l'illusion . Le réel, le vrai ne sont que des images de ce à quoi l'homme aspire, et qui est une intensité d'être de sa vie . Là où l'objet authentique est trompeur, la vie humaine authentique n'est pas trompeuse, même si elle ne peut aisément se dire . La vie humaine peut être enserrée, étouffée par le vide, ou respirer, s'élever parmi les orbes des astres à travers les images . Ce qu'écrit Wilde : Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa propre vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose . Respirer l'or liquide des météores . Être possédé par l'insaisissable : ce qu'est l'authenticité d'une vie humaine portée à la grandeur, loin du cogito de Descartes .

L'authenticité de l'existence humaine est l'acceptation souriante de la totalité de la condition de l'homme, l'odeur mêlée du sang et des roses, l'immense joie et l'immense douleur, l'âpre saveur de la vie, ces entrelacs de lumière et de ténèbres qui se mêlent comme nos mains, comme nos corps . Il est diverses voies, mais toutes se rassemblent en ceci que l'homme se guide sur ces mots de Racine : Mais il n'importe, je dois suivre ma destinée...alors la destinée devient destin, quand aucune force autre que la mort peut me faire plier d'arracher au monde la puissance des destins, la pierre enfouie au cœur de la montagne des mondes . Aucune force, l'immensité des espaces, le mouvement des mâchoires du temps qui me broie comme l'herbe entre les dents du cheval, les convenances humaines, les moqueries et les attaques sinistres des critiques Staliniens envers le Maître, la fidélité due au Roi et au père, la morale, et la loi même : il n'importe . Telle fut Simone Weil, tel fut Rimbaud, telle est l'histoire de Tristan et Iseult . Qu'importe la défaite et la mort à celui qui n'a pas plié – et qu'importe la vie de l'esclave qui protège sa vie au prix de toutes les morts . Comprendre cela fut la grandeur de Spartacus, de toutes les résistances . Et la vie humaine se nourrit de cette force solaire . Et cette force solaire de l'homme apparaît parfois dans la nudité du corps, mais n'est pas la nudité du corps .

La puissance d'être de l'homme n'est pas acte, mais puissance, force qui va, analogue au créateur primordial . Puissance qui comme la source s'enracine au plus profond du Principe, et fait retour à lui . Le règne du spectacle désigne le processus d'exténuation de l'être qui afflige l'homme depuis toujours, en tant qu'existence séparée . Le règne du spectacle est le lieu de la jouissance du visible au prix du renoncement à la puissance . L'homme est un être faible, entouré de néant, percé de vide . Selon le principe hystérique de l'apparence, il est d'autant plus voyant qu'il est plus incertain d'être, faute d'exercer la puissance . Mais quand l'hystérie devient mesure de l'être, ce qui est le plus voyant devient la mesure de l'être, tandis que l'obscurité envahit les signes de l'invisible . Cela est vrai quand dans la lecture des textes sacrés l'exégèse, la lecture obvie, remplace le commentaire qui révèle le sens caché dans le mystère ; cela est vrai de la représentation en perspective, à partir de Vasari, qui cherche à reproduire un visible pur, privé d'invisible, vide d'ontologie, une phénoménologie de fait ; cela est vrai de Lady Gaga . Cela est vrai du spectacle du désir de l'érotique postmoderne .

L'image est devenue le modèle de l'être . L'image expose la loi du monde moderne . On assiste à ce phénomène caractéristique dans son inversion, qui est que l'individu devient moins que son image, et que l'on demande à la personne d'être à la hauteur de l'image . C'est l'essence du narcissisme, cette dialectique entre un gonflement de l'ego et une exténuation de l'être . L'image devient la norme, occupe la fonction de la loi morale . Le jeune doit être un jeune, personnifier une génération . L'habitant d'une ville doit être le symbole de la ville . Le modèle doit être plus qu'une image, une personne absolument conforme à l'image . C'est pourquoi on opère le corps plutôt que l'on modifie l'image . L'image est lisse, et les corps sont épilés, par exemple . La chirurgie, le maquillage idéaux tâchent de faire aussi bien que photoshop . Il faut être un spectacle, un événement pour le regard des autres, qui sont autant de puissances capables de me gonfler d'être, ou de m'en priver en détournant le regard .

L'être au sens puissant du terme est à la fois l'acteur, la scène, le décor, comme dans le rêve où je suis le monde, l'ensemble des personnages et l'air qu'ils respirent . L'être diminué existe par ses limites, il doit occuper une position dans le temps et dans l'espace pour ne pas filer vers le néant . L'être diminué se réduit fort justement à un point, un point de fuite, qui fuit à l'indéfini de l'absence, de l'inconsistance . L'espace, le temps, les images, le garantissent dans sont être, comme ces gens qui ne regardent plus le monde que par leur appareil photo, par la capture indéfinie et vaine des images . Cela crée un processus d'extension du domaine de la lutte dans l'apparence, une surenchère pour occuper le regard, et l'hypersexualisation est encore la voie la plus rapide pour y arriver . De ce fait, la surenchère porte à l'exhibition toujours plus poussée du corps, et d'insignes de fer, de piercings, de tatouages, de cuirs, de chaînes, qui puissent faire événement .

Dans l'espace de la pensée, un champ de reconnaissance comme le tournoi, ou la plage du Cap d'Agde, celui qui veut exister doit occuper une position, et si possible créer un évènement . Il doit être à gauche, à droite, au centre, peu importe, mais quelque part . Il doit être visiblement homo, sadique, partouzeur, biker, mais pas rien . C'est par cette nécessité que naissent les tribus, sociétés de reconnaissance mutuelle . C'est cela qui lui donne une identité, qui permet justement de le re-connaître ; car sans ces déterminations il est un masque, présent ici comme cela, et là comme ceci, un être protéiforme, un anonyme qui ne peut être reconnu .

Le penseur supérieur ne désire pas tellement exister, mais être . Mais pour être à l'aise, peut être lui faut-il exister, comme Casanova de Venise . Ne soyons pas dupes : exister est un jeu, et le jeu a pour enjeu la vie . Un jeu, c'est à dire que l'exister en question est contingent et relatif . Les déterminations sont contingentes, mais l'exister est lui nécessaire, selon l'ordre de fer de la vie . Pour le contingent, le contingent est un destin fatal . Le jeu doit être affronté ; et pour être, il faut aussi exister . C'est la problématique théologique de l'incarnation des dieux . C'est le dilemme du Maître, qui doit publier dans un monde qui lui est étranger pour être le Maître . L'immense désir d'être devient alors un processus inflationniste du mode d'existence moderne, le spectacle .

Dans l'amour, une position en appelle une autre en miroir, que ce soit psychologiquement, comme le maître et l'esclave, ou que ce soit la position des corps . Mais n'occuper qu'une position est une faiblesse, quand l'homme est puissance de la totalité des positions . C'est ainsi que quand deux font un, leur puissance d'être est d'un ordre supérieur . Je peux jouer tous les rôles, mais non rester fixée à un . En pensée comme en toutes choses, la stéréotypie est une faiblesse . Aussi le sage peut-il paraître comme un astre errant, comme un nomade étrange, comme un dément, selon Guénon lui-même . Ainsi il entre dans le jeu...

L'homme moderne ne désire rien plus qu'être aussi bien que ses propres images, et doit se conformer à la hiérarchie des images . Bien sûr, ces images servent à la domination des producteurs d'images sur ceux qui les subissent ; bref, elles sont des instruments de pouvoir . Ainsi sur la plage il y a les beaux, les moyens, les laids, et ces derniers sont à priori les dominés, les humiliés . L'artiste peut modifier les images, la Loi, et donc dominer le jeu ; il le peut, mais il peut aussi être vaincu .

Exister alors, c'est exister relativement au monde des images . Le monde des images est posé comme mesure de l'être ; la mesure est ce qui mesure, et non ce qui est mesuré – encore une fois, une figure de l'inversion moderne . L'habit fait le moine . Le non être juge l'être . Le physique est alors l'intérêt unique d'un être humain . Comme dit Houellebecq, pour baiser en toutes positions et en nombre, les beaux avec les beaux, les moyens avec les moyens, les laids avec les laids . Cette règle idéale n'est pas toujours vérifiée . Le mélange apparent est ségrégation réelle . La nudité apparente est un puissant voile de l'euphémisation de la violence des rapports sociaux . Car les vieux, les laids qui sont avec de beaux sont à l'évidence des riches et des puissants . La beauté s'achète à prix d'or .

Seule l'image pèse ; aucune autre puissance humaine n'est reconnue . Il est vain de parler . L'image est la monnaie unique de l'échangisme . C'est le paradis de l'Union Européenne de la concurrence libre et non faussée, et des sportifs, le lieu international de mixité sans aucun effort, sans créole à produire, sans rien .

Chacun hiérarchise les autres selon ces principes de l'image et selon ses prétentions . La prise du pouvoir par l'image se marque au fait que la parole est exclue, réduite au minimum du oui/non . Chacun juge l'image de l'autre comme possible ou pas possible relativement à l'image qu'il se fait de lui-même . Sympathiser est impossible, ce serait échanger des émotions . Les rapprochements sont rares, car tout rapprochement est le risque de subir une blessure narcissique, en voyant l'image qui se forme dans les yeux d'autrui . Ainsi le Cap est-il une puissante machine de propagande de la toute puissance de l'image . On y baise moins qu'on y défile, le long de la mer, tous arguments dehors . Cette sincérité est reposante : il n'y a rien d'autre à chercher ou à comprendre .

La perfection de la consommation d'autrui se passe du politiquement correct . C'est un lieu expérimental du monde moderne, et donc futuriste . La surenchère de la sexualisation est en route encore et encore . L'entéléchie du monde moderne est la dévoration du monde par le Système, et son achèvement est la dévoration du sujet, de l'homme par le Système . Le siècle précédent a vu les hommes utilisés comme bêtes de somme, animaux de boucherie, les corps poussés par des bulldozers, les corps utilisés comme sacs de sable, en bref comme matière première industrielle . Nous voyons l'homme utilisé comme glace à l'italienne, comme objet de consommation, en concurrence avec des sex-toys . Désirant être, et prenant la réalité pour être, l'homme parcourt le cycle pour se réduire à l'exténuation des choses réelles . Désirant être naturiste, il reconstruit les voiles hypocrites des mondes qu'il a cru quitter . Finalement, les paradis modernes sont simples, vides, comme la vie du bloom . Ils sont l'avant garde moderne . L'avant garde moderne n'a d'autre supériorité que sa radicalité dans l'application des principes du troisième totalitarisme . Ainsi le Cap d'Agde est-il un laboratoire de l'avenir .

Le désir immense n'est pas mort, même s'il s'insinue sous le sable . Le troisième totalitarisme le neutralise, mais ne peut l'annihiler; de ce fait, même le désir neutralisé est soigneusement séparé du reste du monde, par des frontières infiniment mieux gardées que la frontière de la Pologne . Ce spectacle étrange et drôle est au fond moins désespéré que la plupart des galeries d'art postmoderne, et moins désespérant qu'un livre de Coetzee . La faune des désirs, cette étrange folie, ce mirage planté dans des marais est finalement un lieu possible, infiniment plus éthique qu'une réunion d'Europe Écologie, plus drôle que Disneyland, et plus spirituel que la conférence de rédaction d'une chaine de télévision .

Viva la muerte!

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova