Nous vengerons le monde .

(Von Stuck, Sin . "All is not Sin that Satan call so" William Blake .)



Mon cœur tourne sur la roue de l'infortune quand il tourne aux vents mauvais de ton absence . Tu es si loin, ma vie, mon souffle.

Le moindre mot, la moindre route de la Ville est un barbelé tendu entre nous . Celui qui entend mes paroles me répute fou, et rit, à gorge déployée . Et pourtant, c'est la vérité . Le monde ne cesse de blesser le tendon et la chair de notre lien, sans avoir besoin de le vouloir, de le penser, comme la mer use les récifs . Le monde nous répute libre et nous enferme . Les heures sont comptées par le sang .

Notre vie est l'évidence de l'aube et l'évidence des murs, de l'enfermement . Notre vie est l'évidence écrasante du souffle puissant, et l'évidence écrasante de la puissance des morts .

Notre lien est chair, et sang . Sans cesse il cicatrise, mais sans cesse il saigne . Sans cesse la douleur va et vient comme la mer sur l'estran . Sans cesse mon âme rit, et pleure, sans cesse mon cœur bat, et saigne, sans cesse ma chair est soleil, et sans cesse ténèbres .

De cette douleur nous avons cru guérir, mais nous nous sommes toujours mutilés de cette guérison fausse et menteuse . Nous avons eu peur, si souvent peur . Nous avons bu aux puits de nos angoisses .

Le sage a prononcé cette parole : malheur à celui qui a perdu le céleste pays et la grande amitié . Nous avons parcouru les routes du malheur, et j'ai cru te perdre, j'ai cru jeter ma vie dans l'abîme du monde pour cesser de mourir de peur . Mais je t'ai retrouvée . J'ai retrouvé la fidélité des montagnes de l'horizon . Nous n'avons pas perdu le céleste pays et la grande amitié . Nous ne les perdrons plus, jamais .

Le Roi nous a dit libre et il a envoyé ses gardes . Que fais-tu ? Je cherche celle que j'aime, même si je devais marcher encore des longues d'années, même si mes pieds deviennent sang, même si ma bouche devient carton dans la sécheresse, et ne peut plus prononcer de paroles, et invoquer ton nom .

Les gardes se moquent, comme ils se moquent de la Sulamite . Mais je suis noir, moi, fils de Babylone ; le Soleil invaincu a brûlé ma peau, sur les montagnes de l'horizon . Le Soleil m'a donné ses vignes, et m'a donné les ivresses des aubes – et cela, vous ne l'aurez jamais sur vos peaux roses et vos sourires entendus . Vous croyez voir, et vous êtes aveugles . Vous croyez vivre, et vous vivez comme des rats dans un souterrain . Vous croyez savoir, d'ignorer votre ignorance . Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi, et je n'ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu .

Revienne l'aurore de tes doigts de rose, le souffle de tes baisers. Revienne le bruit de tes pas dans les rues de mon âme – mon âme est si usée, si vivante, si tortueuse, pleine d'égouts, de crimes, d'espoirs et d'étoiles parfaites, comme une grande ville, et tellement ancienne – Revienne le souffle de nos retrouvailles .

L'aube d'été de ton regard – le soleil de tes yeux noirs.

Je te prendrais dans mes bras par la taille, comme une liane, et j'embrasserais les fleurs des prairies . Ma langue sera le serpent de ton jardin .

Nous dessinerons sur les lignes de nos lèvres le baiser de l'horizon .

L'amour du lointain . Nous aurons un lieu où vivre, nous qui vivons l’Éden, ici et maintenant .

Le soleil se lèvera à son couchant : l'horizon à nos pieds, et nos pieds nus dans le sang de l'aurore comme dans la mer .

Nous vengerons le monde .

Nous vengerons le monde devant l'éternité.

Toujours.

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Nu

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Zinaida Serebriakova