Boire le lait de la louve .

(boobs)


Tout me dit : renonce à écouter l'oiseau. Renonce à écouter et à être écouté. Retiens ton souffle, deviens un rouage mort. Et souris.

La théorie, entendue au sens originaire est la contemplation des splendeurs des mondes invisibles, pour que l'image, l'homme, se fasse miroir de la Splendeur . Et étant miroir, et image, il devient comme Dieu en contemplant le ciel intelligible . Tel est le Jivan-Mukta, le libéré vivant, qui en contemplant le monde comme rose, a compris les mots en les disant : je suis aussi cela, puis je suis le Brahman .

Il est dit que le haut et le bas finissent par se ressembler . Mais dans notre âge, c'est le bas de l'homme qui doit être emporté par la transformation : son corps . Le corps peut être image de la Splendeur, et facteur de théomorphose, vecteur de théurgie . La théurgie peut s'initier par une discipline du corps .

Mais tandis que la théorie est une élévation vers l'assimilation à la sphère infinie des mondes, la discipline des puissances du corps est une concentration vers un point . Sache que le point est l’œuf de Serpent, le germe du monde . Et qu'il est sans dimension, c'est à dire que si tu pouvais être un point, il n'est aucun mur, aucun mur du temps et de l'espace que tu ne pourrais percer . Le point se résout en monde : ils se rejoignent sur l'infini . Et le point est la pointe, tant la fine pointe de l'âme que la pointe de l'épée qui peut trancher les nœuds de l'ego . Et un jour cracher tout cela comme un chewing-gum agaçant .

Il n'est pas, pourtant, de discipline du corps sans discipline du mental, et de discipline du mental sans discipline du corps . Le corps est dispersé dans la dispersion du mental . Qu'est que ces mots, le mental, la discipline du mental ? Il est parfois très long de découvrir la simplicité, l'évidence de ce qui est, quand accepter cette vérité va contre tant d'années d'école et de révérence . Le mental est évident dans la vie humaine, toujours présent .

La discipline du mental doit d'abord être sentie, imaginée . Le mental est ce flux de pensées inconsistantes, ces multiples éclats éphémères de mondes et de désirs qui fluent dans un espace sans fond ni limites sensibles . Le mental est cette perpétuelle inquiétude dont parle Épictète . Le mental se manifeste par exemple dans cette propension à penser à toute sorte de choses insignifiantes, à considérer un empêchement sans gravité comme une catastrophe, une perte d'objet comme une perte de monde .

Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu'ils en ont. Par exemple, la mort n'est point un mal, car, si elle en était un, elle aurait paru telle à Socrate, mais l'opinion qu'on a que la mort est un mal, voilà le mal. Lors donc que nous sommes contrariés, troublés ou tristes, n'en accusons point d'autres que nous-mêmes, c'est-à-dire nos opinions.

Devant chacune des choses qui te divertissent, qui servent à tes besoins,ou que tu aimes, n'oublie pas de te dire en toi-même ce qu'elle est véritablement . Commence par les plus petites . Si tu aimes un pot de terre,dis-toi que tu aimes un pot de terre ; et, s'il se casse, tu n'en seras point troublé. Si tu aimes ton fils ou ta femme, dis-toi à toi-même que tu aimes un être mortel ; et s'il vient à mourir, tu n'en seras point troublé .

Comment ne pas être troublé de la mort ? Et comment même, trouver cela souhaitable ? Épictète nous est étranger en ce cycle . Pourtant le mental est comme une terre fragmentée, un sable ; il part sans cesse en tous sens . Et de ce sable et de métaux, il est possible de faire un cristal .

Le mental peut être mis en évidence par tout homme, de manière très simple . Si je cherche dans une ville un lieu silencieux, je me rendrais compte que plus aucun lieu n'est vivable, car le bruit est une sphère omniprésente de notre âge . Je cherche un lieu silencieux, et je me rends le bruit insupportable . Plus facile encore, le fait de méditer dans une position confortable, avec la décision de ne penser à rien . Le mental ne cesse de boucler, de m'emmener vers des pensées aussi diverses que possible .

Le mental est par excellence perturbation de l'esprit . Dans la pensée de l'Inde, la puissance de trancher le nœud du mental est la marque d'une intense puissance de méditation . Nous avons le corps pour coordonner, lier le mental . Le mental est aussi figuré comme le Serpent du dresseur de Cobra, celui qui est justement dressé par la musique . Le dressage de serpent dangereux n'est pas un art du cirque, mais un art traditionnel d’apaisement du mental, comparable à l'art des jardins .

L'esprit de l'homme devenu miroir de la Splendeur devient indistinct du miroir primordial . L'image n'est pas sans le miroir ; mais le miroir ne tient son essence que dans les images qui passent à travers lui . Sans image, le miroir n'est pas miroir, et l'image n'est pas image . Mais ce qui fait le narcissisme, ce n'est ni l'image ni le miroir, c'est de se voir soi-même comme seule image de la splendeur . A ce titre l'homme mortel s'enferme en lui-même, et devient aveugle . Le narcissisme et le nihilisme vont de pair . Le Splendeur est toujours et partout déjà présente, et l'image est évanescente image, flamme de bougie .

Ce qui est corporel est lié au Temps . Aussi ce qui rend le corps miroir de la Splendeur est lié au rythme, comme la danse, la musique, la science des souffles, la poésie . La danse tournoyante est l'image du tournoiement du ciel étoilé . L'amour le plus haut est une danse, un volute de corps comme une lame qui emporte sur l'autre rive . La poésie récitée, comme le chant pourvu de sens, est l'alliance et la porte entre le corps rythmique et l'esprit éternel .

La danse orgiaque des ménades est une voie de la vie en soi de la violence radicale du déploiement de l'être . Mais ce que peu comprennent, c'est que cette vie est aussi une mort : le corps du dieu primordial est indéfiniment morcelé et dévoré sur le monde, avant que le monde ne fasse retour vers le point originaire . Il est un puissant obstacle pour un moderne a retrouver la puissance des ménades, des sorcières, c'est que la ménade doit absolument s'abandonner au service du dieu . L'abandon le plus radical est la condition de la puissance, tel est l'essence du pacte démoniaque . C'est cet abandon que signifie la consécration d'un homme ou d'une femme à un Dieu, par son corps .

Le rythme le plus fondamental des mondes est le Tsim-Tsoum, la mort de Dieu laissant libre cours au déploiement du monde, que figure l'explosion orgiaque . Mais il ne faut pas que tombe dans l'oubli le retour, le Tsoum-Tsim, le retour de Dieu venant broyer les mondes éphémères du mouvement de ses mâchoires . Le néant appelle le néant pour être aspiré par le néant . Très exactement l'inverse de la création . Pour que la force broie le vide, impitoyablement .

Dieu agit comme les révolutions du cœur ; il se retire, puis revient, broie et brûle la paille éphémère - c'est la bouche de la destruction de la Gîta . Abd El Kader connaît ce jour de toutes les traditions, quand le Soleil se lèvera à son couchant . Alors tes pleurs ou ta foi ne te seront d'aucun secours .

Baghavat Gita, XI :
En contemplant tes dents effroyables et ta face semblable aux flammes consumantes de la mort, je ne puis voir ni le ciel ni la terre ; je ne trouve pas de paix : aie pitié de moi, ô Seigneur des Dieux, Esprit de l'univers ! Les fils de Dhritarâshtra avec tous ces conducteurs d'hommes, Bhîshma, Drona, Karna et nos principaux guerriers, semblent se précipiter impétueusement d'eux-mêmes dans tes bouches effroyables armées de crocs ; j'en vois qui sont saisis entre tes dents, la tête broyée. Tels les courants rapides des fleuves débordants se précipitent à la rencontre de l'océan, ainsi ces héros de la race humaine se précipitent dans tes bouches enflammées. Tels des essaims d'insectes entraînés par un mouvement irrésistible trouvent la mort dans le feu, ainsi ces êtres se précipitent éperdument dans tes bouches pour leur propre destruction. Tu enveloppes et engloutis toutes ces créatures de toutes parts, les léchant de tes lèvres en flammes ; remplissant l'univers de ta splendeur, tes rayons perçants brulent, ô Vishnou ! Hommage à toi, ô le meilleur des Dieux ! Sois propice ! J'aspire à te connaitre, l'Un Primordial, car je ne connais pas tes voies.

Krishna :

Je suis le temps venu à maturité, manifesté ici bas pour la destruction des créatures ; à l'exception de toi, pas un de tous ces guerriers ici alignés en rangs serrés ne survivra. Donc lève toi ! Saisis la Gloire ! Défais l'ennemi et jouis de l'empire dans sa plénitude ! (...)

Notre mental va ainsi d'un pôle à l'autre, de l'expansion à la fermeture du retour . Les troubles dits bipolaire sont un cas extrême du caractère rythmique de notre être . Cela, il est extrêmement difficile de le maîtriser . Alors que nous pouvons maitriser le corps, et le fondement rythmique du corps, le souffle . Si je me tourne vers mon souffle pour le rendre aussi ample et profond que possible quand je suis inquiet, effondré, quand la panique m'envahit, sans chercher à maîtriser le mental, le mental sera maîtrisé .

Si je sais m'assoir au soleil parmi les fleurs, ou sous les étoiles, et écouter l'écho du souffle des mondes dans mon souffle ; si l'air chargé de parfum des printemps peut emporter mon mental dans une mer d'odeurs fertiles – si la forêt est chargée de vie et de sève pour mon souffle, si le chant des oiseaux est un écho de mon souffle, alors déjà la musique à travers moi se rapprochera de la Splendeur .

Si je sais écouter la parole des sages, alors les spirales des anciens mondes se dérouleront en poussières d'étoile au soleil, à la fenêtre de la plus profonde prison . Si je sais rester indéfiniment en aspirant le souffle de la Bien-Aimée, comme Romulus et Remus burent le lait de la louve, alors toutes les saveurs et les parfums du monde trouveront à habiter en moi .

Si je sais faire de ma rage et de ma peur un miel, alors comme dans un baiser, cerclant le corps chaud par les serres, et plongeant les crocs comme une langue, le vampire en moi aspire et assimile le sang, la figure de la vie des mondes dans le temps, en donnant l'éternité par et malgré la douleur .

Même la mort sera familière, comme un chat sur les genoux .

Vive la mort !

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Nu

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Zinaida Serebriakova