Orient sur les fleuves des yeux.
Et que serait l'amour, s'il n'y avait le déchirement et l'exil
Ô mon bel amour du Haut tant désiré
Mon bel amour de loin
Voyageur à jamais étranger
Lisant sur la peau humaine
Les présages des hommes des aubes
Je jette les tiges d'achillée
S'écoule la perle d'Orient sur les fleuves des yeux
Comme un souffle errant appelle
L'esprit des morts
Que je meure si je t'oublie
Chasseur des ténèbres de l'
Étoile noire de la Nuit.
Universelle Araigne
Dessinant l'astre dans ses lacs
Vent vanité
Souffle
Insaisissable sont l'âme
Insaisissable le monde
Exilé
Je jette les tiges d'achillée
Des montagnes de l'horizon s'en vient
La brise parfumée
De ton souffle - ou un rêve
Ou de sang peut être
Oh mon amie, mon amie...pourquoi est-il si difficile de vivre, que parfois la douleur donne une voix et un appel au vide ?
Et pourtant il faut aimer le destin
Je jette les tiges d'achillée
Réflexions sur la fonction amoureuse de la mort, I.
Les générations qui s'accrochent s'accrochent pour jouir, et au fond pour jouir de leurs propres enfants. Comme Saturne, nos vieux veulent dévorer leurs enfants, jouir des routes en camping-car en flânant au ralenti à l'heure du travail ; jouir de la sécurité, quitte à promouvoir la prison lors des élections ; jouir de retraites élevées, quitte à licencier massivement et à pressurer les salariés, par les fonds de pension, à "libéraliser" le marché du travail. Pour rien dans les mondes les vieux de l'âge moderne ne veulent renoncer, accepter la mort, faire de la place à leurs enfants . Et peu veulent vraiment des enfants, tous sont prêts à détruire la politique familiale pour payer les retraites, car ils savent obscurément le lien entre la mort et l'enfantement ; l'enfantement fait apparaître la mort comme Justice et comme Paix. La mort permet la réconciliation entre générations que les conflits vitaux rendent impossible, pollués par la nécessité et par l'intérêt.
Aussi les vieux mourants de l'époque, ces agonisants entassés dans de luxueuses maisons de retraite, ces mourants terrifiés consomment pour vivre de misérables jours de ténèbres en plus de quoi faire vivre tant d'hommes jeunes mourant de faim, et enfermés dans le cercles de fer du besoin, l'enfer sur terre . Ces millions de vieux mourants, ces quatre-vingt-dix pour cent de femmes de plus d'un siècle atteintes d'Alzheimer, préférant six ans d'agonie, de démence baveuse, à la mort digne des ancêtres de la forêt, au renoncement rituel , à la prise d'habit ultime, tous ces gens montrent que leur vieillissement les a laissés verts et pourrissants : il n'ont jamais mûri pour aucune récolte, ils ne passent pour aucune promesse.
Les types de liens entre les sexes sont liés aux classes d'âge et à la domination ; et en tout les jeunes gens sont de la baise, comme le dauphin Charles de Galles, maintenu indéfiniment dans la minorité royale à plus de soixante ans. Les grandes révoltes du dernier siècle furent aussi des révoltes de générations sacrifiées par leurs vieux, sacrifiées aux grandes guerres, sacrifiées à « la crise économique », à tout ce qui peut justifier le sacrifice.
L'âge et le vieillissement sont déjà des problèmes politiques, ils sont aussi porteurs de maladies spirituelles.
Le refuge de la Caverne, ou la légende des Sept Dormants.
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(Les sept dormants d’Éphèse) |
"Quand les jeunes gens se
furent réfugiés dans la caverne, ils dirent : "O notre
Seigneur, donne-nous de Ta part une miséricorde ; et assure
nous la droiture dans tout ce qui nous concerne". Alors Nous
avons assourdi leurs oreilles, dans la caverne pendant de nombreuses
années", Coran, 18:11-12.
Je suis silencieux depuis maintenant
deux ans, ou presque. J’ai perdu l’habitude d’écrire – c'est un
vice des écrivains professionnels, que d'écrire par habitude. L’écriture
doit être une surprise, ou rien. Si l’écriture n’apparaît pas
issue du silence – comme les pas du Cerf qui apparaît soudain
entre les arbres, quand l’homme a longtemps, figé, tendu l’oreille
aux bruits de la forêt - l'écriture est vanité, vent sur les trottoirs des villes. Le silence, frère, est comme un vin doux,
une fontaine gouleyante qui s’écoule sur le cœur. Il est le fond
de la parole, comme la lumière blanche est le fond de la lumière.
Je ne me suis pas tu par esthétisme ou
par morale cependant, mais par nécessité. Faim fait saillir le
loup du bois, a dit Villon après la sagesse des peuples. Les
êtres humains, de plus en plus nombreux en ce monde, qui ne
comprennent pas cela, y compris pour eux- même, ont perdu une part
d’humanité que la vie leur fera retrouver – tant pis pour eux !
Qu'ils mangent de la brioche ! Je ne reviens pas sur ce sujet.
Mais il est vrai que parfois, il faut
se taire et ruminer lentement...tu retrouveras Nietzsche à chacun de
tes pas. Se taire et ruminer...retrouver des voies d'évidence. Une
voie d'évidence fut de retrouver chez Gramsci le fondement et la
justification ultime du matérialisme dans la critique des
idéologies : le matérialisme est le critérium de distinction
entre la critique politique et le Spectacle, ou mensonge, tout comme
l'expérience de la faim est un critérium du réalisme concernant le
monde humain. Le Spectacle crée une seconde société, une
aliénation du monde social où les rapports de classes sont
complètement déconstruits et reconstruits dans un récit global de
fiction. Dans le Spectacle, l'esclave peut devenir dominant, et le
dominant victime ; l'oligarchie ne peut être composée que
d'innocentes victimes, le monde du crime de bons citoyens,
l'entreprise peut être citoyenne, la filiation peut être
homosexuelle, les jeux du cirque voie d'éducation civique par
nature, les journalistes vedettes grands reporters sans quitter leur
studio. Bref, le lapin tue le chasseur, le lion dort avec l'agneau
et partage son foin.
Le Spectacle et le narcissisme moderne sont des fonctions réciproques, puisque le rien n'est vrai du Spectacle s'accompagne du tout est permis des égos en folie. Dit autrement, Deleuze n'est jamais rien de plus qu'un théoricien du Capitalisme qui se croie extérieur au capitalisme.
Le Spectacle et le narcissisme moderne sont des fonctions réciproques, puisque le rien n'est vrai du Spectacle s'accompagne du tout est permis des égos en folie. Dit autrement, Deleuze n'est jamais rien de plus qu'un théoricien du Capitalisme qui se croie extérieur au capitalisme.
Le matérialisme en tant qu'arme
critique doit te faire voir ceci : l'exploitation est une
réalité matérielle. Si un individu A est exploité par un individu
B, ou si un groupe social A est exploité par un groupe social B,
alors il est nécessaire que des flux d'argent ou de marchandises
aillent de A vers B dans un échange inégal ( et pensable comme
tel). Cet échange inégal doit de plus être conséquent, et
visiblement recherché par B. Exemple :
Aucun flux de ce genre ne va des femmes
de l'oligarchie européenne vers les travailleurs européens.
L'inverse est manifestement vrai. Il s'ensuit que poser de manière
générale que « les mâles » exploitent « les
femelles » en dehors de toute considération de structure de
production et de classe est manifestement une aliénation
idéologique.
Autre exemple : au moment du
commerce triangulaire, les paysans des sociétés européennes
n'avaient pas accès en général aux marchandises issues de
l'esclavage, beaucoup trop chères. Il s'ensuit que « les
blancs » n'exploitaient pas «les noirs », mais que les
bourgeois et la noblesse exploitaient selon des ordres juridiques
différents des groupes blancs ou noirs, et ce fait est allé jusqu'à
la conscience des boucaniers blancs qui se sont parfois alliés aux
esclaves contre les maîtres. De même, les marchands d'esclaves en
Afrique étaient le plus souvent noirs. L'esclavage est une
illustration de l'exploitation, non du « racisme » ;
et c'est une première piste pour montrer que dans le Spectacle, le
« racisme » comme « l'antiracisme » sont des
figures aliénées, des ombres dans la caverne, de ce qu'est
l'exploitation réelle. La décolonisation ou la situation sociale de
l'Afrique du Sud montrent assez que remplacer un maître blanc par un
maître noir – peau blanche, masque noir – est une diversion de
l'exploitation réelle, exactement comme placer des femmes issues de
la bourgeoisie dans les ministères pour les caissières de
supermarché.
***
Mon ami ! Ne parait-il pas étrange
que je te parle de matérialisme après t'avoir parlé de silence ?
Mais bien sûr cela a une fin, et une fin spirituelle. Se débarrasser
de l'illusion est une des premières tâches de la sagesse ; et
le matérialisme est donc une arme contre l'illusion du verbe humain
si répandue dans le monde moderne. Je te dis d'être matois et
silencieux comme le paysan des anciens temps : si on te parle de
générosité, tend la main. Si elle revient vide, il est inutile de
parler de générosité. La plupart des généreux modernes sont
infiniment généreux en paroles : il veulent l'éducation
gratuite pour tous, le revenu d'existence pour tous, le logement
gratuit pour tous : mais ils ne produisent aucune richesse dont
ils annoncent si royalement la distribution. Ils sont prêt à offrir
ce qu'aucun effort de leurs mains n'a produit. Ils seraient
incapables de maçonner une maison, de poser proprement une
charpente, une couverture, une plomberie, une électricité aux
normes, bref de faire et même de comprendre tout ce qu'ils
possèdent.
Pour la plupart d'entre eux ; ils
jouissent d'un logement et d'un revenu et décident que tous doivent
en avoir comme eux, sans chercher à comprendre quel travail humain
leur fournit tant de richesses avec si peu d'efforts – ils sont
simplement des bourgeois immatures produits industriellement. C'est
parce que beaucoup de fausses valeurs et de fausses générosités ne
cessent de se multiplier qu'il convient plus que jamais, dans une
voie spirituelle, de ne pas être dupé par son narcissisme généreux
– qu'il est doux d'être le Bon, le Généreux, le Juste appelé à
juger le monde et l'Histoire, n'est ce pas ? Et quelle sottise,
et quelle misère se voilent sous tant de grandioses propos
modernes ! Car sérieusement, à quelle générosité peut
appeler celui qui ne produit aucun bien, l'éternel Étudiant, quel
pain partagera-t-il, quel verre de vin, quel toit ?
***
L'exploitation est une réalité
matérielle et un lien entre des personnes ou des groupes. Quand ce
lien est tranché, l'exploitation n'existe plus. C'est par la
fonction sociale que se crée l'exploitation, non par la nature des
personnes, ou par un caractère intrinsèque de cette nature, un
caractère qui ne serait pas nécessairement associé à une relation
d'exploitation. Pour être plus clair, ce n'est pas le sexe, la
couleur de la peau, l'appartenance à une communauté qui fait de
quelqu'un un exploiteur, mais l'exploitation effective d'une personne
ou d'un groupe. Ce point associe la théorie du genre (exploiteur par
nature selon le sexe) ou l'antisémitisme moderne ( exploiteur par
nature selon l'appartenance communautaire). Cette direction de pensée
– associer un caractère par nature à l'exploitation – est
extrêmement faux, mais surtout pervers.
Car si l'exploitation est associée à
un critère par nature (les exploiteurs sont les hommes, les blancs,
les juifs ou les koulaks) alors l'élimination de ces personnes est
la solution pour éliminer l'exploitation. Et qu'on ne me dise pas
que cette perversion soit étrangère à la théorie du genre,
puisque les idolâtres de cette théorie ont clairement formulé ce
projet, soit concrètement, soit symboliquement, en essayant
d'aligner tous les hommes sur le modèle féminin. Seul problème en
pratique : une fois les bourgeois, les blancs ou les juifs, ou
encore les hommes, privés de toute capacité matérielle
d'exploitation, l'exploitation continue : simplement, les
victimes ne sont plus identiques. Une fois tous les koulaks morts, il
restait la nomenklatura ; dans le Reich, le capitalisme n'était
pas du tout mort avec les juifs. Le capitalisme atteignit une sorte de perfection avec Speer et la guerre totale.
L'association de l'exploitation à un
caractère intrinsèque d'un groupe humain est une perversion, un mal
pur et simple de la pensée – et si ta main droite t'entraîne vers
l'Enfer, il faut la couper. Très clairement, la théorie du Genre
est une malédiction pour la gauche, comme l'antisémitisme est une
malédiction récurrente de la droite.
***
Si un juif devient banquier,
ou contremaître, sa tradition devient seconde et son intégration au
système prioritaire. Il n'existe pas de différence fondamentale
entre un banquier Indien, Pakistanais, Chinois, Qatari, Catholique,
ou Juif en tant que banquier : ils parlent et servent la logique
du Système, et le reste est par surcroît. Que tous s'appuient sur
des réseaux communautaires n'est pas surprenant, ni même choquant,
c'est inévitable. Si la logique exploitatrice ou prédatrice du
capitalisme financier te rebute, tu ne dois pas diriger ton esprit vers
l'aliénation de croire qu'organiser le capitalisme financier est une propriété ethnique ou culturelle, ou encore
adhérer aux fictions sur les sociétés secrètes traditionnelles.
Le Capitalisme est dévorant comme l'Enfer : il dévore le cœur des hommes et leurs cultures, leurs symboles. L'Enfer se paie aussi à prix d'âme. Que des sociétés secrètes aient servi de base à des opérations
criminelles du Système, ou servent de pilier au pouvoir du Système,
ne donne pas la vérité sur les loges et les voies traditionnelles.
Le Système instrumentalise et dévore : les loges passées au
service de l'oligarchie ne suivent pas la voie maçonnique, mais sont
dégénérées vers le siècle. Et même les organisations
criminelles traditionnelles ne sont pas naturellement capitalistes,
elles sont dégénérées – et pas de mal de gens le savent, y
compris en leur sein : l'honneur des hommes n'y est plus
respecté.
Si tu accepte d'associer une
communauté à une situation injuste sans discernement, tu diras que
les enfants d'un banquier participent de l'exploitation. C'est
matériellement vrai, mais c'est une perversion. Les enfants du
banquier sont innocents, ils ne savent pas et ne sont pas vraiment
conscients. Tu ne dois pas accepter des hypothèses qui t'amènent à
faire le mal. Si un homme exploite d'autres hommes, et fait vivre des
enfants, ou même des adultes dans l'ignorance de son exploitation,
les enfants comme les adultes ne peuvent être légitimement victimes
de vengeance. Ce n'est que lorsqu’on sait qu'ils savent, et se sont
alignés sur leurs parents, qu'ils deviennent coupables, mais les
héritiers sont toujours moins coupables aux yeux des hommes que les
initiateurs. Pour te donner un exemple : si tu acceptes
l'hypothèse d'une destruction rapide de l’État d'Israël,
factuellement tu acceptes l'hypothèse d'un génocide. Et ce n'est
pas bon.
***
Il convient de franchir un
dernier cap. René Guénon a rappelé avec force : la tradition
juive est, au regard de la Tradition primordiale, un surgeon
parfaitement légitime. Celui qui écrit ces lignes est frère des
kabbalistes médiévaux, et plus encore des kabbalistes chrétiens de
la Renaissance. Le peuple juif est depuis l'origine, un sujet de
fierté et d'enrichissement pour l'Europe, pour l'Empire, et depuis
des milliers d'années. La tradition juive est un canal d'en Haut ;
et il n'est d'autre malheur pour l'homme spirituel que la fermeture
des canaux d'en Haut, ceux qui fournissent le monde, ce pauvre monde
de plus en plus figé dans la cendre, en rosée céleste, parfums et
feu.
Pour un traditionaliste, il
n'y a rien à ajouter sur l'antisémitisme. Il est une maladie
moderne, et la modernité commence au Moyen Âge. Je pourrais juste
répéter les moqueries de Nietzsche.
A la fin de l'Empire Romain,
toutes sortes de peuples ont envahi l'Europe, et la véritable
question n'était pas de les chasser, mais de faire une nation avec
cette multitude. L'Empire, le projet impérial, est de faire cette
unité dans le respect de cette infinie diversité des deux sexes,
des peuples et des hommes, des langues et des usages. La tradition
Abkharienne ne dit pas autre chose quand elle dit que tout adorateur
ne peut adorer que Dieu seul. L'Empire, c'est l'unité, la paix et
l'harmonie de la multitude, sans exception du fou ou du mendiant. Une
telle forme politique a existé, dans l'Empire Romain, Chinois,
Arabe, Ottoman, Mongol : elle n'est pas utopique en tant
qu’irréelle, mais universelle. En Europe, l'Empereur Frédéric II
Hohenstaufen a porté cette forme politique en portant les titres de
cosmocrator ou de pantocrator. Ce ne sont pas des
titres illusoires ou narcissiques, chez un homme qui venait de
partout, parlait toutes les langues et respectait tous les cultes ;
elles signifient certes une souveraineté, mais aussi une
bienveillance universelle. Que celui qui veut être le plus grand soit le serviteur de tous - telle est la parole du Maître au sujet de l'Empereur, que l'on retrouve dans les mots d'Ibn Arabi. Frédéric II est l'homme qui a obtenu le
protectorat de Jérusalem sans guerre ni argent du Sultan d'Egypte,
en discutant d'homme à homme – et la véritable fin de l'Empire
est la paix – selon le Salâm, le Shalom, le paix sur la Terre
aux hommes de bonne volonté.
Le seul
obstacle à l'Empire sont les oligarchies nationales, qui bloquent
aussi l'Europe depuis plus de cinquante ans, et qui ont causé la fin
de l'URSS. L'appropriation du sol et l'exploitation sans partage des
peuples est la principale motivation du maintien des nations par les
oligarchies nationales. Car elles n'y croient plus du tout en tant
que projet politique ; à tel point qu'elles ne peuvent sans
ridicule jouer la figure de l'Empereur, qui est le rôle véritable
que jouent les chefs d’État. Ce qui maintient si solidement le
morcellement infini de l'Europe n'est pas la défense des libertés,
ou tout autre noble raison qui est toujours abandonnée dès que
possible : ce qui maintient ce morcellement est l'intérêt
concret des professionnels de la politique, tout comme le
morcellement de plus en plus poussé de l'Afrique en est le résultat.
Melkitsedeq
est une figure impériale traditionnelle, l'Empereur du tarot, et en
même temps prêtre. Il est celui qui réunit les descendants
d'Abraham dans un hommage commun – un hommage féodal, comportant
une dîme : Melchisédech, roi de Salem, apporta
du pain et du vin ; il était prêtre du Dieu très haut. Il
prononça cette bénédiction : « Béni soit Abraham par
le Dieu très haut qui créa ciel et terre, et béni soit le Dieu
Très Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains ». Et
Abraham lui donna la dîme de tout.
L’État
moderne ne trouve l'image de la paix et de l'unité impériale que
dans la guerre. Il en trouve l'image, et non la réalité, car il
fonde son unité sur la découverte de l'ennemi. Carl Schmitt a
raison en tant que moderne, en définissant la politique dans le
cadre de l’État moderne. En cherchant l'unité, la gauche ne cesse
de se définir des ennemis : le Racisme, le Fascisme, le
Machisme, et j'en passe – et la droite le Juif, l'Immigré, et j'en
passe. Les ennemis de la gauche comme ceux de la droite sont des
aliénations de l'exploitation capitaliste réelle, construits sur
mesure pour un marché politique. La société moderne proclame la
tolérance, mais a sans cesse besoin de force, de violence et de
sacrifice, d'ennemis et d'exclusive. La production d'armes et la
puissance de destruction accumulée vont au delà de tout ce que des
millénaires d'âges sombres ont jamais produits. En désignant des
ennemis, les ennemis de ce jour sont mutuellement complices de la
mutilation, du morcellement de l'humanité, accompli pour donner des
semblants d'unité à des factions. L'Empire est en tout l'idée
d'inclusion – l'esprit de toutes les sectes qui se partagent les
modernes est la proclamation permanente de l'inclusion ou de la
réconciliation, et la réalité permanente de l'exclusion. Par
exemple, la fascination pour le nazisme, issue de la fascination
nazie pour l'unité du peuple dans un monde pulvérisé, est un piège
– quand l'heure fut venue d'assumer un rôle impérial, le
soit-disant Reich ne sut que diviser et permettre l'unité de
l'ennemi. Les communautés juives, comme les peuples slaves, auraient
pu servir un Empire Européen de toute leur énergie, de tout leur
génie – et furent vouées à une œuvre aveugle et folle de
destruction.
Le
crime, mon frère, est une notion qualitative. Si un homme, une
femme, un enfant, ont été déportés ou assassinés par un autre
homme, je n'ai pas besoin de savoir s'il l'a fait pour tel ou tel
nombre de toute manière insensée. Si des hommes, des femmes et des
enfants ont été abattus nus devant des fosses, ou affamés à mort,
je n'ai pas besoin de savoir comment, et combien de fois, pour savoir
que les tueurs sont des assassins, et qu'un homme sage ne doit pas
s'engager dans des chaînes de pensées ou d'action qui l'amènent,
parfois de manière involontaire et trompeuse, sur de telles voies.
Tu reconnaîtras l'arbre à ses fruits ; tu ne t'engageras pas
dans une voie qui fait pleurer le cœur, et remonter la bile même
des plus durs des hommes.
Devant
les situations du monde, les modernes ne cessent de s'exhorter à
l'action, de s’arraisonner au monde, et donc de se diviser. Il
n'est pas nécessaire d'agir avant de savoir comment et pourquoi
agir. Le non-agir est l'agir le plus puissant. Agir est toujours
chercher l'ennemi. Et on le trouve toujours, vois-tu ?
***
J'ai eu
un signe il y a peu. Les Sept Dormants d’Éphèse ont été pour
moi un grand signe dans ma voie – et voilà que le livre qui
m'avait montré ce signe est en fait un livre sur les sept moines
assassinés à Thibirine. Ces hommes, dans la lignée aussi du Père
Charles de Foucauld, lignée de témoignage qui est résolument du
non-agir, travaillaient sur la compréhension de l'Islam et du
monachisme chrétien, non sur la théologie, mais dans les actes. Et
sans doute ces Sept Dormants agissaient-ils plus que bien des hommes.
Car le nombre n'est qu'en tant que puissance et que signe. Et ainsi
la prophétie rend-elle hommage aux jeunes chrétiens :
"On dira
bientôt : "Ils étaient trois, leur chien quatrième."
Et on dira, tirant sur l’invisible : "Cinq, leur chien
sixième." Et on dira : "Sept, leur chien huitième."
- Dis : "Mon Seigneur sait mieux leur nombre. Il n’en est
que peu qui le savent", Coran, 18:22.
L'alliance des hommes : du Serpent et du Papillon.
Il faudrait que je te parle...et c'est
de plus en plus dur, comme si un nénuphar croissait dans mes
poumons, à moi aussi, comme si l'espoir qui porte toute parole
humaine devait être définitivement vaincu, entraîné dans des eaux
noires et froides par je ne sais quel crocodile de l’orgueil...il
faudrait que je te parle, pour te donner des choses qui sont
l'essence de toute préciosité, comme la poussière de l'émeraude
tombée du front de l'ange ; pour que tu les conserves comme un
sceau sur ton cœur...
L'histoire du monde est l'histoire du
désir et de la tristesse. Les anciens bardes avaient trois thèmes
principaux à leur répertoire : le joie, l'amour, la tristesse
et la nostalgie...cela fait trois, oui. Le monde réside dans
l'amour, et l'histoire du monde dans l'histoire de l'amour.
Place-moi
comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras, car
l'amour est fort comme la mort, la passion terrible comme l'Enfer;
ses traits sont des traits de feu, une flamme divine. Des torrents
d'eau ne sauraient éteindre l'amour, des fleuves ne sauraient le
noyer.
Comprendra-tu,
ô toi, comprendras-tu jamais ces mots : la passion terrible
comme l'Enfer, la passion du Royaume de Lucibel. Et les eaux dont
parle le sage Salomon sont les eaux d'en Haut les torrents d'eau
lâchés sur la terre lors du Déluge, comme les eaux d'en bas, l'eau
des quatre fleuves d’Éden. Comprend ces mots, et tu commencera à
comprendre des choses que les hommes ont perdu, ont laissé derrière
eux comme des archives pleines de poussière. Satan ne fut pas porté
par l'orgueil, mais par l'amour et la nostalgie. Et cela aussi fut
vain.
Tu
nies parfois, mais tout montre que tu désires les ténèbres – la
bouche de sang et d'émeraude, ou l'éclat vibrant de la peau en haut
des cuisses. Satan fut porté par l'amour, et les sages savent un
chose sur l'objet de l'amour – on
ne peut prier que Dieu seul, on ne
peut aimer que Dieu seul, que ce soit par l'image ou par ce qui la
produit, le miroir. Quel fut l'objet de l'amour de Marie-Madeleine,
dans le labyrinthe des objets d'amour, sinon Dieu seul ? Sinon,
quel est le sens des mots du Maître : il
lui sera beaucoup pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé...
Satan
ne fut pas porté par l'orgueil, mais par l'amour et la nostalgie. Et
cela aussi fut vain. Il lui sera beaucoup pardonné car il a beaucoup
aimé.
Quand un homme
donnerait toute la fortune de sa maison pour acheter l'amour, il ne
recueillerait que dédain.
***
Et cette image aussi, cette image porte
tout l'enseignement de la race des hommes, cette race qui est comme
la race des feuilles d'automne. Elle montre le Serpent et le
Papillon.
Le Serpent est le maître de la Terre,
qui vit dans la poussière et se love sous les pierres. Voilà
pourquoi le Serpent est celui qui poussa Adam vers la Terre. En
montant sur l'Arbre de la Science, il devient l'image de Dieu au
dessus de l'Homme, et en soi cette position est la première
transgression, ou plutôt l'image de la première transgression. La
femme a une relation spéciale avec le Serpent : puisque c'est
par elle qu'il s'est élevé, en Ève, c'est par elle qu'il retourne
à la poussière, Ève, car elle marche sur sa tête ; et il la
mord au talon, c'est à dire à la colonne qui la relie à la terre,
pour la tourner vers le Ciel. C'est pourquoi la Femme des fidèles
d'Amour est Laure, l'aurore, ou encore Béatrice, la divine porte du
Ciel.
La Femme des fidèles d'Amour a reçu
le pouvoir des clefs à l'origine du Temps.
Le Serpent est la Terre, et
l'Ouroboros, le cercle du Temps, dont nul mortel ne peut sortir. Il
est un cercle de fer qu'il crée par sa morsure, par l'amour fort
comme l'Enfer. C'est l'appétit au sens le plus ancien qui fait
mordre, et ferme le cercle ; le Temps est le cercle du désir.
Le Serviteur de la Roue peut avoir deux noms, dont le premier est
Adam. Si tu comprends le deuxième, alors tu sauras ce que vois
l'homme qui, au crépuscule d'hiver, regarde l'eau claire d'un lac,
parmi les herbes du fond, au milieu des forêts.
Le papillon est d'abord la Liberté.
Dans nombre de mondes, les prisonniers évadés, les hommes libres
malgré la haine du monde, les voyageurs ont porté le papillon :
tatoué, sur des bijoux, par exemple sur des bagues portant des
pierres du Lune pour le ciel nocturne, ou des Lapis Lazuli veinés
d'or pour le ciel étoilé, au crépuscule ; ou encore la
turquoise, azur souterrain des pays de désert. Le papillon vole
librement, mais aussi est éphémère, est vivant l'intervalle d'un
soupir de Dieu, comme l'homme , et tout particulièrement comme
l'homme libre se sait et s'accepte mortel. La vie est un jeu, le
temps est un enfant qui joue, et
celui qui ne sait pas, l'instant venu, nouer le Temps et l’Éternité
n'est pas un homme véritablement vivant, héritier du souffle d'Adam
passé dans la Terre.
Le moment crucial peut être
l'instant présent ; l'instant crucial peut être le moment
présent.
Il n'y a de vol de
papillon que dans l'air. Il n'y a de liberté que parce que Dieu
s'est retiré, comme la mer sur l'estran.
Le Papillon a aussi un deuxième sens,
qui répond aux paroles du grand Origène aux habitants
d'Alexandrie : transformez vous !
Le papillon est issu de métamorphoses,
de l’œuf à la chenille, de la chrysalide au papillon déployé.
Le cercle du Serpent est aussi le Cercle des métamorphoses. Sais-tu
que l'on nomme des papillons grand paon de nuit, et un autre sphinx,
et un autre encore phoenix ? Les noms des papillons étaient des
noms de la science grecque des métamorphoses. Le Papillon est le
symbole de la transformation de l'homme éphémère, et comme la Rose
et les gemmes, de la splendeur du monde dans le Temps, de la
splendeur de la Terre et des mondes souterrains. Je met des
majuscules pour signaler les mots qui ne sont pas des signifiants de
choses du monde, mais des concepts ; non pour être fastueux,
mais pour ne pas égarer ton regard vers le monde quand je voudrais
que tu le tourne vers toi.
Le papillon est dans le Cercle de fer
du Temps, et pourtant il est aussi cette puissance d'en sortir, de
disparaître. Disparaître est le propre du Soleil au crépuscule, et
le propre de l'homme libre. Le vent souffle où il veut, et tu
entends sa voix. Mais tu ne sais d'où il vient ni où il va.
Regarde les sous-bois : le chêne
et le châtaigner vivent dans les vallées, le mélèze vigoureux sur
les pentes les plus terribles, près des falaises, plus haut
l'edelweiss dans la glace et le rocher, là où le souffle se fait
court et l'homme peut mourir de froid en une nuit sans feu. Il en est
de même pour les animaux. Le truite profite là où se noient les
hommes, et la truite meurt au soleil, sur les fleurs, sur le lit des
amoureux. Une autre émeraude à conserver repose dans ces mots :
chaque être a sa place, et elle lui est parfaite. La
splendeur de l'edelweiss naît là où l'homme meurt ; partout
la vie apprivoise la mort. L'homme noble tue avec ses poings trente
paysans, mais meurt de faim sur un champ fertile ; le paysan
repose en paix sur sa terre quand l'homme noble et juste veille sur
la tour aux brigands de passage. La princesse est incapable de
produire un pain, mange de la brioche en chicanant, mais produit sur
terre la poésie et la nostalgie que personne ne peut entendre sans
larmes ni fidélité. Un seul de ses sourires sauve un poète.
Ne demande pas à l'homme noble de
construire des vaisseaux comme le charpentier ; ne demande pas à
la princesse de cultiver la terre ; ne demande pas au
charpentier d'écouter le poète au rythme de ses outils de fer. Ne
dis pas à tous les hommes qu'il est bon d'être roi, ou
charpentier ; le malheur vient de ce que tous les hommes veulent
désormais être beaux, forts, riches tous également, veulent être
identiques à une place identique, et ne trouvent plus de place pour
vivre. Le riche naît de la pauvreté des pauvres : et ainsi
tous se haïssent et sont malheureux. Abandonne l'idée que tous les
hommes doivent être mesurés à une mesure unique : c'est la
cause la plus profonde de tous leurs malheurs.
Un homme ordinaire doit accepter et
aimer la place que Dieu lui donne à travers l'Empereur ; c'est
le secret de sa joie. Les hommes nobles combattront pour la
reconnaissance : mais n'oblige pas tous les hommes à combattre
pour une reconnaissance qu'ils n'auront jamais – comme si tous les
arbres se mettaient à se combattre – le combat des arbres est un
antique signe de malheur, vois la fin de Macbeth, l'homme noble des
écossais.
L'homme noble combat et part dans
l'errance, car il n'a pas de place dans le monde. L'homme noble est
celui qui erre, non par joie, mais par destin – et sa joy
est l'Amor fati. Le papillon est dans le Cercle de fer du
Temps, et pourtant il est aussi cette puissance d'en sortir, de
disparaître. Disparaître est le propre du Soleil au crépuscule, et
le propre de l'homme libre. Le vent souffle où il veut, et tu
entends sa voix. Mais tu ne sais d'où il vient ni où il va.
Le lien, la foi jurée à un autre
homme, c'est la seule chose qui soit patrie pour l'homme noble, la
seule chose qui le rende vivant. La foi jurée est la Terre Sainte de
l'errant. C'est la dernière poussière d'émeraude : il n'est
rien de plus grand sur la terre que l'amour et l'amitié. Et à ce
titre je voudrais te rappeler une dernière chose liée à la
disparition.
Dieu a tellement aimé l'homme et la
folle liberté humaine qu'un beau jour – et il vit que cela était
beau, très beau – il s'est levé et a disparu vers l'Orient. Il
est mort sur la Terre. Il ne pouvait pas assurer sa promesse
autrement, tu comprends ? Dieu s'est retiré pour permettre
l'athéisme et l'infidélité, car l'athéisme et l'infidélité sont
l'attestation de la fidélité des croyants. Voilà pourquoi
l'Antéchrist est une figure du Jugement.
L'ami de Dieu aime tellement Dieu que
sa foi jurée lui fait traverser une éternité de ténèbres. Tu
sauras que de tout l'amour, le plus grand est aussi le plus distant.
Un très grand amour – celui que très peu d'hommes connaissent, et
dont ils se font une image à leur mesure et à leur ressemblance,
avec leurs tout petits mondes de haies, de cases, de pavillons, de
boîtes – est si difficile à vivre sans mourir... tu ne peux pas
savoir. Il est un feu dévorant comme l'Enfer, dit l’Écriture. Il
peut porter la mort et le malheur, comme l'amour de Juliette et de
Roméo : il n'y eu pas de plus grand malheur que l'amour de
Juliette et de Roméo. Dieu peut brûler, aveugler, plonger aux
portes de la mort le vivant, car il n'est pas de ce monde de mort.
Dieu n'est pas miel, il est folie pour
celui qui ne l'attend pas, pour Holderlin, pour Nietzsche.
L'amour...on ne peut aimer que Dieu sous le Serpent et le
Papillon.
Aussi le plus grand amour reste vivant
éternellement dans le cœur du vivant. La foi jurée, la loyauté
profonde, ne sont pas creusés par le Temps, comme la falaise de
granit impavide face aux recommencements cycliques de la mer.
Il n'est pas besoin de revenir toujours
- le papillon sur la fleur, l'arbre recouvert des tendres feuilles du
printemps, le chant du rossignol au crépuscule sont des paroles de
l'aimé, les pas foulant lentement l'herbe des cimetières sont des
paroles de l'aimé. C'est pourquoi, ma chérie, si je meurs je ne
t'aurais pas quittée, c'est pourquoi tu ne devras pas m'en vouloir
ni t'en vouloir de ma disparition. Quand je disparaîtrai, tu
penseras à Dieu, et ma disparition ne te seras pas douleur, comme
n'est pas douleur l'écoulement des fleuves sous le regard du poète.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours...
Telle est la race des hommes, telle
est la race des feuilles, et le printemps arrive...
Pour savoir cela il faut savoir donner
sa foi ; sa foi aux instants innombrables, sa foi aux forêts et
aux fleuves – la foi indéfinie n'est pas la vie toujours déjà
finie...et donner sa foi, quel humain le sait dans ces sombres
journées ? Donner indéfiniment, comme Marguerite au bal de
Satan...N'est-tu pas au contraire comme la feuille morte d'automne
qui tourne dans les tourbillons de vent, au coin des murs de la
Ville ? Compte-tu ce qui n'est pas compté ? Je ne cherche
pas les tourbillons, et toujours j'ai cherché la fraternité du sang
et du souffle dans les labyrinthes – on ne peut aimer que Dieu seul
– tout amour est issu du souffle d'Adam et du Serpent. Donner sa
foi réside en ces mots que j'ai entendu d'une bouche humaine :
Demain n'existe pas – il n'y a que
maintenant.
Es-tu forte comme l'étoile qui
dispense sa lumière inépuisable aux abîmes, ou simple flamme de
bougie qui veut se prendre pour une étoile ? Et moi, ne le
suis-je pas, pauvre fou, avant l'instant crucial ? Pauvre,
pauvre fol !
Je ferme mon livre...Une lueur
scintille à l'horizon...l’œil de la rouge, de la morne Aldébaran.
La senteur de
tes parfums surpasse tous les aromates. Tes lèvres, ô fiancée,
distillent la douceur du miel; du miel et du lait coulent sous ta
-langue, et le parfum de tes vêtements est comme l'odeur du Liban.
C'est un jardin clos que ma sœur, ma fiancée, une source fermée,
une fontaine scellée; un parc de plaisance où poussent des
grenades et tous les beaux fruits, le troène et les nards; le
nard, le safran, la cannelle et le cinname, avec tous les bois
odorants, la myrrhe, l'aloès et toutes les essences aromatiques ;
une fontaine des jardins, une source d'eaux vives, un ruisseau qui
descend du Liban. Réveille-toi, rafale du Nord! Accours, brise du
Midi! Balayez de votre souffle mon jardin, pour que ses parfums
s'épandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et en goûte
les fruits exquis !
Sur la Gnose du Serpent et l'interprétation de l’Écriture.
![]() |
(Piero di Cosimo, portrait de Simonetta Vespucci) |
Première Épître de Saint Jean.
"La nouvelle que nous avons
apprise de lui, et que nous vous annonçons, c'est que Dieu est
lumière, et qu'il n'y a point en lui de ténèbres. Si nous disons
que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les
ténèbres, nous mentons, et nous ne pratiquons pas la vérité. Mais
si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la
lumière, nous sommes mutuellement en communion, et le sang de Jésus
son Fils nous purifie de tout péché. Si nous disons que nous
n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la
vérité n'est point en nous. Si nous confessons nos péchés, il est
fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de
toute iniquité. Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous le
faisons menteur, et sa parole n'est point en nous. (...) Si quelqu'un
aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui; car tout ce qui
est dans le monde, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux,
et l'orgueil de la vie, ne vient point du Père, mais vient du monde.
Et le monde passe, et sa convoitise aussi; mais celui qui fait la
volonté de Dieu demeure éternellement."
L'interprétation de l’Écriture
n'est pas une prise de pouvoir sur l’Écriture mais une écoute. Il
n'est pas sage pour un homme, au sujet de l’Écriture, d'attester
de sa vérité, de sa véracité, de sa vraisemblance ou de sa
vérisimilarité, car seul le supérieur peut se porter garant de
l'inférieur. L'inversion de cette position dans l'exégèse moderne
n'est qu'un signe d'ignorance.
Il n'est pas de sens isolé, de sens
d'une phrase, qui soit isolé de l’Écriture. L’interprétation
sacrée est une entreprise de rumination qui n'a pas de fin. De ce
fait, le sens de l’Écriture est indéfini. Cela ne signifie pas
que chaque phrase veut dire tout et son contraire, cela signifie
qu'il existe une harmonie indéfinie et hiérarchisée de sens. La
contradiction entre les différents sens n'est pas absolue, mais
relative au lecteur. Elle n'est pas purement néant : elle est
de la nature de l'illusion.
Le sens est à la mesure du lisant ;
c'est à dire que de multiples sens d'ordre supérieur apparaissent à
celui qui gravit la montagne sainte. Et aucun sens littéral ne
garantit ces sens ; bien au contraire, la pleine compréhension
du sens littéral n’apparaît qu'à la complète compréhension du
sens spirituel. C'est à dire que le sens littéral est au fond le
plus caché de tous, étant tout à la fois le principe et la fin du
cercle de l'interprétation. Il en est de même des manifestations de
Dieu dans la Nature selon Jean Scot Erigène : Dieu est éclatant
en toutes choses, mais en celui qui regarde, et comme l'aigle,
l'Aigle mystique est le seul à fixer le soleil sans être aveuglé.
Dieu est lumière, dit Jean, et il n'y
a point en lui de ténèbres. C'est par l'ombre que la créature
comprend la lumière, qu'elle lui pose une limite et en extrait des
formes – formes sensibles comme formes intelligibles. L'homme ne
peut posséder Dieu ; il contemple des vestiges dans les ombres.
En communion avec Dieu, l'homme est comme l'Aigle tendu vers le
soleil ; sans lumière, les ténèbres de l'homme deviennent
indéfinies, aussi immenses dans son regard que la Lumière des
lumières. Mais celui qui marche dans la Lumière n'est pas seulement
dans la lumière : c'est pourquoi l'homme de l'ombre ne ment ni
ne se ment.
Mais là n'est pas le point essentiel.
Le point essentiel est que les ténèbres sont par la Lumière, car
« tout fut par lui, et rien de ce qui fut, fut sans lui ».
Les puissances des ténèbres se savent pécheresses, et indéfiniment
pécheresses à la mesure de leurs abysses de ténèbres. Elles le
sont par leur être et non pas accident, car le mal est la séparation
et l'éloignement. Le monde est aussi par essence séparation et
éloignement ; c'est à dire que ténèbres et monde sont deux
noms d'une même réalité. C'est pour cette raison, à savoir
l'identité du monde et des ténèbres, que Dieu mis les luminaires
dans le Ciel ; car en lui-même le monde est sans lumière. Pour
dire que le Fils est venu dans le monde, l'Apôtre dit bien :
« il est venu dans les ténèbres ».
Le Père a tellement aimé les hommes
perdus dans les ténèbres qu'il leur a donné le sang de son fils
unique. A l'analogie de l'homme, Il a aimé ce monde, en disant
devant lui, à la fin des Six Jours, que « cela était bon,
était très bon ». La magnificence du Monde est telle que des
Anges ont voulu l'habiter, pour la beauté des femmes des hommes.
C'est ainsi que l'esprit devint chair, « sur la Terre comme au
Ciel ». Mais aussi Dieu a vu le mal qui en naissait et a voulu
détruire ce monde par le Déluge, offrant au monde un nouvel Adam et
une nouvelle Alliance par le Prophète Noé.
Or, quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre, et que des filles leur naquirent, les fils de Dieu trouvèrent que les filles de l'homme étaient belles, et ils choisirent pour femmes toutes celles qui leur convinrent. L'Éternel dit: "Mon esprit n'animera plus les hommes pendant une longue durée, car lui aussi devient chair. Leurs jours seront réduits à cent vingt ans." Les Nefilim parurent sur la terre à cette époque et aussi depuis, lorsque les hommes de Dieu se mêlaient aux filles de l'homme et qu'elles leur donnaient des enfants. Ce furent ces forts d'autrefois, ces hommes si renommés. L'Éternel vit que les méfaits de l'homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son cœur était uniquement, constamment mauvais ; et l'Éternel regretta d'avoir créé l'homme sur la terre.
Or, quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre, et que des filles leur naquirent, les fils de Dieu trouvèrent que les filles de l'homme étaient belles, et ils choisirent pour femmes toutes celles qui leur convinrent. L'Éternel dit: "Mon esprit n'animera plus les hommes pendant une longue durée, car lui aussi devient chair. Leurs jours seront réduits à cent vingt ans." Les Nefilim parurent sur la terre à cette époque et aussi depuis, lorsque les hommes de Dieu se mêlaient aux filles de l'homme et qu'elles leur donnaient des enfants. Ce furent ces forts d'autrefois, ces hommes si renommés. L'Éternel vit que les méfaits de l'homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son cœur était uniquement, constamment mauvais ; et l'Éternel regretta d'avoir créé l'homme sur la terre.
Le monde est départ et retour au
Suprême par l'éphémère de la chair, violence de la haine et
réconciliation – il est drame dans le Ciel. La vie est un cercle.
A celui qui est sur ce cercle, il
apparaît deux pôles, deux destinations, deux montagnes de
l'horizon : Dieu et le Monde. Pour celui qui chemine sur le
Cercle, le monde est abaissement et destruction ; Dieu est
ascension et vie éternelle. L'homme est à la fois créature et
Adam, fils de Dieu et être animé comme les bêtes, pécheur et
maître des animaux ; l'homme est éternelle déchirure.
Pourtant Dieu veut le monde et aime le monde, en voulant que la
lumière soit dans le Monde, et que la Lumière des lumières
devienne la Lumière du monde. De même que les anges déchus sont
nommés fils de Dieu, de même le Verbe est symétriquement nommé
Fils de l'homme, car si l'homme n'était pas le Fils de l'homme ne
serait pas ainsi descendu sur Terre.
Pour ceux qui aspirent à l'éternité
du Père, l'Orient est le centre immobile, le pôle, le lieu
invisible et sans espace du Père, partout et nulle part. La Roue
mouvante est une figure du mal pour les hommes du Pôle. La Roue est
l'image mobile de l'obscurité. La créature est cet être qui se
définit d'abord par le vide, et l'expression du vide et du manque
est l'avidité, le désir indéfini, la tristesse de la nostalgie. La
créature est désir et passion, et celui qui veut revenir au sein du
Père veut abolir la créature, déraciner de la chair désir et
passion, vaincre la faiblesse intrinsèque de la chair. Les hommes
dont l'Orient est le moyeu immobile sont par nature des ascètes.
Le désir multiplie les êtres,
prolonge les temps et les vides. L'essence de la manifestation de la
chair est l'amour. Dante dit : Amour fait mouvoir le Ciel et
les autres Étoiles, c'est à dire la Roue. L'Amour est la figure
de Dieu dans le monde, la puissance qui unifie le divers dans
l'harmonie du temps. La musique est une ligne temporelle et
l'expression même de l'harmonie. L'Amour et le Temps, comme la
Chair, sont des noms du Monde. l'Apôtre parle ainsi :
Si quelqu'un aime le monde, l'amour
du Père n'est point en lui; car tout ce qui est dans le monde, la
convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l'orgueil de la
vie, ne vient point du Père, mais vient du monde. Et le monde passe,
et sa convoitise aussi; mais celui qui fait la volonté de Dieu
demeure éternellement.
Pour permettre la Splendeur de la
Nature comme vestige du Père, le Père doit se sacrifier et
disparaître à la vue ; c'est à dire se morceler indéfiniment,
dans un processus de fragmentation progressive, de descente. La
division du mâle et de la femelle, tout comme le nombril, l'omphalos
de l'homme, sont les vestiges de cette division primordiale, le signe
originaire du caractère essentiellement incomplet, insuffisant, de
toute créature. Le cycle des Printemps, des naissances et des morts
est l’œuvre et la musique de ce vestige – et en voyant la bonté
du Monde, le Seigneur des Armées a enjoint à l'homme et aux animaux
de croître et de multiplier, non de revenir à l'unité originaire.
Le Monde et le Temps sont des explications de l'implication éternelle
du Principe créateur et générateur, et le Monde et le Temps sont
un autre nom des ténèbres. Le Serviteur de la Roue, le cosmocrator,
comme les gardiens de la Terre Sainte, sont au contraire les amis de
Dieu dans le Temps, les gardiens de l'Amour. C'est pourquoi on les
nomme les fidèles d'Amour.
C'est de la révolte d'Adam sous le
pommier d'Eden, de la division des sexes et de la mère de toute
humanité, Ève, qu'est né l'Amour. Ainsi le dit le Cantique :
Qui est-elle, celle qui monte du désert,
appuyée sur son bien-aimé ? C'est sous ce pommier que j'ai éveillé
ton amour, là où ta mère te mit au monde, là où ta mère te
donna le jour. Place-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un
sceau sur ton bras, car l'amour est fort comme la mort, la passion
terrible comme le Cheol; ses traits sont des traits de feu, une
flamme divine.
La
prière traditionnelle à Marie dit au sujet du retour : sauve
nous du péché en retournant le nom
d’Eva.
Ils sont pécheurs, et se savent
pécheurs, mais comme dit Luther – pecca, pecca fortiter, sed crede
fortius - croient encore plus, ont une totale confiance en Dieu, une
confiance du vassal envers son Suzerain, celui qui pardonne les
fautes de celui qui verse son sang dans les combats du monde, et
celui qui pardonne celui qui a beaucoup aimé. Ils portent convoitise
et orgueil, mais se savent misérables et pourtant lumineux – avec
les ténèbres ils font des fleurs d'or. Ils ne sont pas ennemis des
apôtres, car qui n'est pas contre vous est pour vous. Ils
vivent de l'épée, et il périssent par l'épée. Ils sont les
chevaliers errants de la Main gauche de Dieu, très précisément les
fils prodigues. Comme l'Adam d'avant le péché, ils sont des images
de Dieu ; comme l'Adam déchu, ils veulent être au delà de
l'image comme Dieu, maîtres du Bien et du Mal, et donc séparés de
Dieu, errants dans les cycles du temps, dans la splendeur du monde.
Un tel être veut le monde, la chair,
le temps, la nostalgie, le désir : il veut aussi en pleine
communion la mort et la douleur, la division, les bêtes sauvages et
les déserts. Je suis entré dans mon
jardin, ô ma sœur, ma fiancée; j'ai récolté ma myrrhe et mon
baume, j'ai mangé de mes rayons de miel, j'ai bu mon vin et mon
lait. Mangez, mes compagnons, buvez et enivrez-vous, amis.
Il ne prétend pas que le monde puisse être bon – il est de
l'essence du monde d'être de l'ordre du mal, et l'ordre du mal doit
être pleinement enduré par celui qui est parti vers les montagnes
de l'horizon. Pour autant les montagnes de l'horizon sont splendeur
pour l'homme de la Main gauche.
Cette séparation entre main droite et
main gauche est ainsi racontée au sens spirituel dans le Livre de la
Genèse : Il s'éleva des différends
entre les pasteurs des troupeaux d'Abram et les pasteurs des
troupeaux de Loth ; le Cananéen et le Phérezéen occupaient
alors le pays. Abram dit à Loth: "Qu'il n'y ait donc point de
querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens; car nous
sommes frères. Toute la contrée n'est elle pas devant toi? De
grâce, sépare-toi de moi: si tu vas à gauche, j'irai à droite; si
tu vas à droite, je prendrai la gauche." Loth leva les yeux et
considéra toute la plaine du Jourdain, tout entière arrosée, avant
que l'Éternel eût détruit Sodome et Gommorhe; semblable à un
jardin du Seigneur, à la contrée d'Egypte, et s'étendant jusqu'à
Çoar. Loth choisit toute la plaine du Jourdain, et se dirigea du
côté oriental; et ils se séparèrent l'un de l'autre. Or, les
habitants de Sodome étaient pervers et pécheurs devant l'Éternel,
à un haut degré.
Il est de multiples voies. Tout
d'abord, à la suite de l'Alliance de Noé, des anges des Nations
veillent aux différents cultes ; ensuite, dans les cycles des
temps, les Alliances du peuple se sont succédées. Ainsi se tracent
dans la Terre les pas du Seigneur, selon le geste du Maître écoutant
le peuple lui demander s'il devait tuer la femme adultère.
Ils sont parfois Saint Georges, et
parfois Marie Madeleine. Parfois Tristan et parfois Dante. A un autre
titre que les Saints, ils sont des piliers du Monde, et tous ceux qui
sont sages le savent obscurément, ou très clairement. Denys a
autrefois repris le propos d'Héraclite : le chemin vers le
Haut et le chemin vers le Bas, un et même.
Abraham,
le premier des Prophètes, le proclame : Nous sommes
frères. La Vierge est une
figure de l'unité des voies, en tant que figure du retour d’Ève.
Le Vent souffle où il veut, et tu
entends sa voix. Mais tu ne sais d'où il vient ni où il va. Il en
est de même de ceux qui sont nés de l'Esprit.
C'est pourquoi au sortir de la forêt
de Mort éternellement l'Ermite accueille Tristan et Iseult dans le
Royaume.
Nous avons perdu le monde, et le
monde, nous ; que vous en samble, Tristan, ami
?
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Zinaida Serebriakova