Du sang, de la volupté et de la mort . Maurice Barrès, un frère...proche et lointain.

(Barrès par Jacques Emile Blanche)


L'homme qui a choisi un tel titre et écrit un tel ouvrage ne peut être entièrement mauvais .


Le sang, ce liquide pourpre comme l'aurore, le sang des femmes accouchées, et comme le crépuscule, l'occident sur l'émeraude des routes de la baleine, le sang des guerriers, nourriture des corbeaux . Le sang est l'analogon de la vie, l'image et la ressemblance de l'âme ; comme la mer, il file entre les serres qui veulent le saisir, il est tout, l'essence, et s'écoule et s'insinue en premier sous le sol, parmi les racines et les sources . Le sang somptueux est l'image et la ressemblance de l'Esprit ; il lave, comme l'eau, se boit pour s'emmêler à mon corps comme le vin élève l'âme de l'homme noble, et abaisse l'homme abaissé par le destin inflexible .

La sang du sacrifice est un mystère d'Union : le sacrificateur montre sa puissance de mort pour racheter sa mort, son néant ; il s'asperge du sang pour mourir à la mort et s'ouvrir comme une corolle souterraine à la vie . Le sang bu est l'union des frères de sang, et l'Union à l'Un indicible ; la jouissance du sang doré de la terre, l'assimilation du soleil éternel, des courbes des collines et des ceps, parcourus par le Serpent .


La volupté est la fille de la vie et de la mort, le fruit de la vie et de la mort, la métaphysique de la mort . La volupté est l'image et la ressemblance de ce qui participe à la vie au delà du misérable être qui nous est reconnu comme pleine propriété, donc comme vol : un pavillon d'ego, entouré de petites haies taillées, de hauts murs, de bêtise . La volupté est l'assimilation de soi à l'autre, et de l'autre à soi, don, fruit éclaté des lèvres, algues rêveuses des chevelures quand s'y enroulent les louvoyants corps blancs des noyés, pareils au ventre du requin, partie innocente et native de l'animal porteur de faux ; ouvertures de labyrinthes obscurs des mondes souterrains, où murissent les fruits de pierre et de métaux, et racines écartant les fentes de la Terre . On distingue, dans le monde déterminé, loti, labouré de systèmes d'assainissement, de la Science, l'assimilation à soi qui nie l'autre, de l'assimilation à l'autre qui nie ma volonté . Mais cette distinction ne vaut rien pour comprendre, que l'envahissement du jour par la nuit obscure, où plus rien n'est soi et plus rien autre, dans l'ivresse de l'expansion et la détresse minérale du néant qui s'emmêlent comme les fumées . Le monde du dandy est celui là même où l'apparence n'est rien de plus que la lanterne magique de naufrageurs étranges, sur les côtes dures à la vague de ma terre, où rêvèrent hiératiques les ermites celtes .


J'aime m'égarer en ces lieux que le danger rend déserts . Donne moi ton âpre désir d'être, ô pin tordu par les tempêtes, qui s'enracine dans le granit amer . Sur un tel granit l'homme ancien a gravé ses visions, comme les pas des Anges et du serpent . J'ai pris une écaille de ton écorce, semblable à celle d'un dragon, et je l'ai placée à ma vue, pour écrire .


Homme nocturne, pareil à un vampire, ami du loup, se vivant de vent . Son miroir, son miroir ascétique, où se love le mystère, est l'exhibition de l'extase de mort .


Au contraire, la peur, l'égarement premier du puritain est de se perdre lui-même . Le puritain ne veut que des miroirs, des miroirs de lui-même, sans rideaux de dentelle noire ni voile d'obscurité . Pourquoi le miroir se brise-t-il à la mort du maître de maison ? Sinon parce que la pièce est jouée ? L'énigme muette et brisée ? Au dessus du miroir il place l'ampoule, là où la bougie éclairait la table, la réunion des hommes, là où la braise éclairait le centre, le foyer . Le puritain est citoyen du monde car il n'a pas de foyer, pas d'union, pas de sang, et désirerait vivre sans mort . Sa punition est sa détresse . Le puritain veut la volupté sans le sang, sans le citron d'or de l'idéal amer, sans le dénuement du vaincu, à nouveau nu comme un enfantelet dans le sang et l'herbe nouvelle des guerres des hommes, la cruauté du vainqueur, la folie du marin d'aventure, qui laisse les lames l'enrouler comme les flammes autour d'un bûche, pour trouver les autres mondes et devenir et revenir tout autre, ou rien .


Le puritain veut la volupté et ne la trouve pas-il en tire un amer savoir, d'interdire à chaque homme de la chercher . Il porte le deuil, de ce que pourtant il pourrait trouver en se perdant ; mais le prix est pour lui trop élevé . Nos puritains modernes laissent exister le spectacle de la volupté, car il ne peuvent distinguer le spectacle de la volupté de la vie de la volupté, étant ignorants d'icelle . L'ascète connait la volupté, et veut la volupté qui ne cesse pas : Don Juan doit finir ermite, et pas banquier .


C'est pourquoi la morale protestante a pu devenir la morale du capitalisme, car se conserver soi même est accumuler les choses qui affirment la consistance de soi, force, c'est à dire armes, richesse, comme la montre, nom de la revue militaire, la puissance, même à coups de médecines, et l'exhibition si frappante des femmes , ou des éromènes, en pleine simulation d'extase lascive, pour certains, en posture corporelle de soumission souriante aux codes de présentation, pour d'autres . Vanité des vanités, et poussière : « le garde qui veille à la barrière du Louvre n'en protège point les rois . »


Il est des voluptés en processions, depuis l'assimilation de l'aliment, des aliments emplis de mondes, de soleil, de saisons, humides du cycle de la reproduction, comme le vin, fruit de la vigne, mais aussi les juvéniles, le veau et l'agneau de printemps, le fromage et le beurre éclatants des alpages, les entrelacs des épices, le lait et le miel, des voluptés issues des paradis artificiels, des avatars de réalité foudroyante et de frustration, comme les voluptés du spectacle, les voluptés d'assimilation de l'autre homme, de l'autre sexe, assimilation à lui dans la vibration de son corps dans la danse, de sa voix et de ses paroles, sienne et autre, et l'amour, ou je m'assimile l'aimé et où il m'assimile dans l'enroulement des draps, humides et tâchés comme les suaires des morts ; où les baisers de ta bouche, les parfums de ton corps, les courbes lisses de ta chair m'entraînent loin de moi comme un grand vaisseau chargé d'esclaves vers l'Occident et les mers du Sud . Car la volupté de l'amour est leçon de ténèbres, je suis noire, fille de Jérusalem ! Et fermée à la raison . Et les voluptés d'âme, comme la lecture recueillie d'un homme, l'écoute d'une pièce, le surgissement du vide dans la lumière du symbole, les Anges montant et descendant, la parole lente des fleurs cueillies...l'expiration du taureau, le jet de sang par ses narines...volupté de la mort !


La mort, enfin ! Je te salue, heureuse et profitable mort !


La mort est l'attestation de la fin, tant du puritain que de l'homme moderne, qui se veut illimité . Elle est le voilé par excellence de l'âge de fer . L'ascèse a le visage de la mort pour l'être né au multiple . La mort, l'écoulement des âges, sont durs, âpres et rudes, et sont l'écoulement du lait et du miel de la volupté . La mort est la compagne de la volupté .

"Le temps s'en va, le temps s'en va, Ma dame
Las le temps non, mais nous nous en allons
Et tôt seront étendus sous la lame ..."

Tout s'écoule, le feu passe en air, l'air passe en eau, l'eau en terre, et retour . Et tout demeure Un et même. La vie est un cercle : on sort du Suprême, et on retourne vers le Suprême . Aussi l'impermanent, la fleur, est à la fois éphémère, et méditation de l'éternelle puissance, à la manières des amours des hommes . Homère le dit bien : telle est la race des hommes, telle est la race des feuilles, et le printemps arrive...



Sans le sang, sans la volupté, sans la mort, la vie est un désert, un squelette sans la chair qui l'habite... Autant dire, le vide de l'Âge moderne .



Viva la muerte!

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Nu

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Zinaida Serebriakova