Sur le "connard" de Gainsbourg à Guy Béart, comme noble mot d'artiste.


(Iris de Dürer)


Deux problématiques s'unissent dans les prochains textes, la question de l'Empire, comme réalité pensée de la pluralité ordonnée et juste, résonnant dans l'harmonie de l'Un, et la pensée de l'organisation des hommes nobles, comme analogon de l'Empire . Cette question est celle de la Loi et du Droit comme principes d'organisation justes de la pluralité réelle . Une telle conception du Droit doit être entièrement reconstruite . En effet, l'idéologie racine ne peut penser simultanément l'ordonné et le juste : pour elle, l'ordre n'est que le masque de l'injustice, et la justice ne peut produire que la destruction de l'ordre, dans un « choix » entre Jésus et le Grand Inquisiteur .

Préalable à la conception symphonique de la pluralité tant désirée, il est indispensable de déconstruire le morcellement moderne de l'être, où tout est pensé comme si la « réalité consistante » pour parler non techniquement, l'être, extérieur à la conscience, n'était qu'une partie de la totalité . On trouverait aussi dans la totalité des irréalités, des productions subjectives, signes, symboles, relations, valeurs, images...je l'ai déjà noté, il s'agit de la chose, res, comme archétype, modèle et mesure de l'étance de tout objet en général, et par exemple de la réplication de cette ontologie dans la parole sur l'homme, de l'individu comme archétype, modèle et mesure de l'homme en général . Ici nous traiterons d'un aspect et d'une conséquence de cette ontologie, qui pose dans le langage commun la différence entre le jugement sur l'être (X est un oiseau) et le jugement de valeur (X est beau) .

Ce morcellement donc se traduit dans le cas présent en séparation entre « axiologie », science des jugements de valeur, et « ontologie », science des objets : on constate la séparation moderne des jugements en deux ordres, le jugement de nature, ou d'être, qui peut être validé, qui fait référence au réel ( intentionnalité , suppositio), dont le contenu dépend du pôle objectif de la relation de connaissance, et le jugement de valeur, qui est arbitraire, étranger au réel malgré sa visée d'un étant, puisqu'entièrement à la charge du pôle subjectif de la relation de connaissance .
Or le sujet se construit par référence à l'objet, et réciproquement ; c'est à dire que c'est la polarité même qui détermine les pôles . La séparation fait de un deux, ce qui est une erreur dans toute voie .

Or l'ontologie implicite d'une telle conception n'est autre que l'ontologie implicite de l'idéologie racine, partie fonctionnelle du Système global . On peut monter au lecteur attentif que cette distinction reçue entre ontologie et axiologie est directement et clairement au service du Système .

Enfin le présent texte se veut élément d'une destruction phénoménologique de cette séparation invalide .


L'analogie de l'ontologie et du droit (axiologie) : le Temps et l'Espace comme archétypes du Droit .



Préalables .



L'étude du droit, ancien comme moderne exige de comprendre que l'analogie de l'espace et du temps au droit est très étroite . L'ontologie (le Temps et l'Espace) et l'axiologie (le Droit) sont par essence inséparables .
Dans l'idéologie racine elle même, ces aspects analogués sont des parties fonctionnelles indissociables de l'idéologie racine, elle même partie fonctionnelle du Système général . Ils sont par contre complètement voilés, implicites, et explicitement niés : l'idéologie racine sépare l'ontologique de l'axiologique, les pense comme deux ordres séparés par essence .
Et cela en niant par ailleurs toute réalité essentielle, en assimilant l'essence à « la somme des accidents » (B. Russell), ce qui est contradictoire . Si l'essence est une convention sémantique, alors rien n'est séparé par essence, comme l' « économique » et le « politique », séparation libérale pourtant fondatrice .
L'ontologie (le Temps et l'Espace) et l'axiologie (le Droit) sont par essence inséparables . Mais le Système les sépare en principe . Je ne saurais trop insister sur la forfaiture de la pensée moderne sur ce point : il n'existe aucune coupure fonctionnelle stricto sensu entre l'ontologie, l'axiologie, la sémantique et la symbolique . Tout simplement parce que ces coupures sont arbitraires, qu'elles ne sont pas valides ontologiquement .

Réciprocité de l'axiologique et de l'ontologique .

En clair, pour s'arrêter aux deux premiers termes, la catégorisation ontologique d'un X est nécessitée par sa catégorisation axiologique et réciproquement, non pas dans les cas limites où l'on en prend conscience si on fait l'effort de s'y arrêter, comme le débat sur la nature/statut de l'embryon, (est-il une personne ? Alors il doit être protégé comme tel par la loi, comme obstacle à ma liberté ; est-il une chose appropriée poussée en un corps, produite par une volonté, alors je peut le détruire en tant que propriété) mais dans tous les cas .
Dans toutes les civilisations, y compris la nôtre, l'appartenance à une catégorie de nature est liée à l'appartenance à une catégorie statutaire . Tu peux tuer un cerf parce que c'est un animal ; tu ne peut pas tuer un homme . Sauf celui-là, parce que c'est un ennemi . C'est pour cette raison que l'Âge moderne fait si facilement appel à la Science, comme arbitre de l'Être, pour définir un statut : par exemple l'anthropologie physique, chargée de légitimer le statut des peuples colonisés (inférieurs), ou plus tard celui des juifs...comme la biologie qui doit nous dire aujourd'hui si l'embryon est une personne . (Voyez l'excellent S.J Gould, la mal mesure de l'homme, livre exemplaire).
Ainsi, « être animal », « être une chose brute », « être un homme » est dans la société humaine indissociablement une essence et un statut . Et un point essentiel du statut dans la société moderne est de savoir si, et comment, on relève du marché, comme référence de mesure et d'être . Je précise qu'être objet de la technique, et être objet du marché, relève d'une constellation unique . Si je suis un tel objet, même vivant, comme une plante, je suis un être pensé dans l'horizon du marché, indéfiniment manipulable par la technique, mesuré par une valeur, et rien de plus . Cela est sensible pour un paysage, rivière et montagne : dans la perspective du marché, le lieu, par la « mise en valeur » peut recevoir une valeur de l'exploitation touristique, d'un barrage hydroélectrique ou d'une mine ; et les profits escomptés seront comparés avant exploitation . Que ce « paysage » aux yeux modernes soit aussi un lieu sacré est indifférent, la plupart du temps . Le phénomène est ancien, voyez le Mont St Michel, transformé en prison puis en Luna-park .
La question « combien coûte un Iris ? » est normale pour la civilisation moderne . La contemplation de l'Iris par les yeux de Dürer montre assez que pour lui la question n'existait pas . Si je suis un animal, alors on peut me tuer pour découper mon corps en morceaux commercialisables, manger ma chair, se livrer à des expériences, m'acheter et me vendre, etc, mais j'ai certaines protection contre les « mauvais traitements à animaux » . Si je suis une personne, mon statut est tout différent, et le marché ne mesure pas mon corps, ou encore à ce jour, dans peu d'aspects . Car il demeure une évidence du passé : tout n'est pas commercialisable, ni objet de la technique .
Il existe un rapport direct entre l'assimilable et le commercialisable, le manipulable par la technique : car est commercialisable et manipulable ce que je peux de droit utiliser à mes propres fins . Le corps humain, et la personne humaine sont des exemples de ce non commercialisable (l'inverse étant l'esclavage, l'expérimentation humaine et le cannibalisme, dont nous ressentons assez le rejet par la common decency). (Car mon corps n'est objet de la technique, la médecine ou la chirurgie, que pour mes propres fins . )
Cette limite traditionnelle du « commercialisable » autrefois très étendue, demeure, mais est très fragile et ne cesse de reculer, même si elle a connu des avancées, à examiner, comme l'abolition de l'esclavage . (voyez par exemple le mot « enclosure » ou l'évolution du droit maritime) . Elle résulte d'une classification onto-axiologique : nous savons que le commercialisable est axiologiquement inférieur . Ainsi les négriers du commerce triangulaire devaient parler de « mâles », de « pièces d'Inde », ou de « femelles », et non d'hommes et de femmes pour accepter leur commerce à leurs propres yeux, sur le même principe par lequel les nazis inventèrent tout un jargon de la solution finale, qui fait d'hommes l'objet d'un déchainement technique . Ce qui est commercialisable ne vaut rien de plus que de l'argent, et cette mesure ne peut être appliquée universellement .
Nous connaissons et acceptons de manière irréfléchie l'expression : « cela n'a pas de prix ». Mais la justification, le fondement de cette interdit est d'ordre hiérarchique, liée à une ontologie qui permet de le penser . La pensée traditionnelle explicite est celle de la séparation de domaines d'objets extérieurs au marché . Sinon, en l'absence d'un savoir explicite, cette common decency qui ne peut s'argumenter s'effondre devant la montée des eaux du Système, et le domaine du commercialisable ne cesse de s'étendre au delà de ses limites légitimes, analogiquement au déluge, comme inondation des eaux inférieures -et c'est bien le cas .

De la suppression de l'axio-ontologie et de ses conséquences .

L'entéléchie du Système porte à réduire indéfiniment l'espace de « ce qui n'a pas de prix », pour augmenter intensivement et extensivement l'expansion de sa puissance .
Pour cela, il est aisé, pour les idéologues du Système, de montrer que « ce qui n'a pas de prix », l'ensemble des étants x tels que x E(ce qui n'a pas de prix )-( E pris comme signifiant « appartient à »), est défini par l'ensemble des jugements tels que y quelconque E (ce qui n'a pas de prix) ; et si l'on réfute les qualités essentielles, en posant qu'avoir ou pas un prix ne résulte que d'une évaluation en acte, et pas de sa nature, par un tour de passe-passe, on pose que : y E (ce qui n'a pas de prix) est synonyme de : y E (ce qui a un prix indéfini) . Si on veut affecter une haute posture morale, on a qu'à dire que le prix de y est infini . « le prix de la vie humaine est infini », belle idée reçue et tarte à la crème morale .

Ainsi une ontologie hiérarchique distinguant ce qui par nature, est en puissance objet de commerce ou de technique, et ce qui ne l'est pas par impossibilité de nature, est remplace par une échelle axiologique unique définie par le marché, ou l'entéléchie du Système, « l'utilité » posée en absolu, car il est inutile de préciser à quoi se réfère cette utilité .

En effet, le jugement « y n'a pas de prix » est un jugement d'extériorité de la qualité « avoir un prix » au sujet supposé de celle-ci, par essence et non par accident, formulable comme « la qualité « avoir un prix » ne peut s'appliquer à y » (Exemple : avoir une pointure s'applique aux chaussures, pas aux oiseaux ; ou un point, une droite, ne peuvent avoir de couleur . On dit que la puissance de refléter la lumière, ou pas, est une qualité première d'un objet, qualité indépendante de mon jugement . ). Bien au contraire, si je dit que « le prix de y est indéfini », je dit que la qualité avoir un prix s'applique à y, mais que cette qualité est indéfinie . Nous quittons alors le domaine de la logique pour celui de la dynamique du Système .

« L'in(dé)fini », concept assez vide dans l'idéologie racine, et dans les mesures humaines, devient très vite l'indéfini, non comme essence, comme par exemple le nombre des nombres, mais comme état relatif à une absence provisoire de mesure adéquate, qu'une bonne mesure contractuelle, par le marché, pourra un jour définir . L'indéfini pour le Système est un défini en puissance, une matière, domaine à conquérir à la mesure, un objet d'irritation, un incompréhensible, un irrationnel, ce qu'on ne peut ni saisir, ni mesurer à la raison humaine, etc . Le Système « veut », par son entéléchie, mesurer, évaluer, réduire au quantitatif . Ainsi par exemple, la valeur infinie du corps humain est la porte d'entrée de la définition de la valeur du corps .
Si la résistance de la common decency est excessive malgré ces efforts, il reste un autre tour de passe passe argumentatif très utile . Il suffit alors de dire que l'on ne vend pas l' « objet » litigieux, puisque la conscience populaire ne peut admettre qu'il soit commercialisable, mais que l'on paye un service qui lui est commercialisable . Par exemple, l'esclave moderne ne vend pas son corps, mais sa force de travail ; la mère porteuse ne vend pas l'enfant, ni ne loue sa matrice, mais reçoit une indemnité pour le service rendu . On pourrait utiliser le même argument pour une automobile : on ne vend pas l'automobile, on la donne, mais on demande une indemnité pour le service de fabrication et de mise à disposition gracieuse du véhicule . Voir Quine, « relativité de l'ontologie », très utile pour toute argumentation de ce genre .
Allons plus loin : la théorie nominaliste de l'essence (l'essence comme définition, pure convention sémantique, qui est la négation de l'essence) permet « la philosophie des valeurs modernes » ; la négation de l'essence est l'ontologie qui permet la toute puissance du marché . Et prenons un exemple dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : les « droits imprescriptibles et inaliénables » ne le peuvent être que s'ils sont essentiels, la Déclaration dit naturels, et la nature et l'essence sont employés comme synonymes .
Ces droits naturels, inaliénables et imprescriptibles, ne sont pas définis dans un droit positif, auquel cas ils seraient aussi fluents que ce droit, et ne seraient pas ce qu'ils sont, qui n'est autre que ce qu'ils doivent être . Ces droits sont antérieurs et condition du droit positif : ils sont antérieurs à toute convention . Ils sont essentiels, inclus dans la nature même de l'homme .

Cette déclaration n'est plus respectée (voyez l'immunité du chef de l'État contradictoire avec l'égalité en droit, voyez la défense de la discrimination « positive »également contradictoire .) avant tout parce que le Système ne peut tolérer de s'arrêter à une nature, à une essence ; ne peut tolérer durablement de l'inaliénable . Inaliénable et incommensurable au Système sont convertibles .
La théorie conventionnaliste de l'essence et du droit laisse la totalité à la merci de la puissance du Système, et présente l'exercice de cette puissance comme l'acte de la liberté .
Si je nie les réalités essentielles, l'existence de qualités premières, j'ouvre la porte à l'idée que la valeur résulte du jugement - le jugement de valeur - extérieur d'une conscience, d'une volonté, sur un objet jugé, objet de la conscience et de la volonté, et soumis arbitrairement à leur toute puissance, comme le fait « d'être suspect », d'« être mis en examen », qui préservent mon « innocence présumée » essentielle . Alors, tout étant peut être objet d'un jugement de valeur valable, étranger à son essence . C'est le triomphe de la volonté, de l'arbitraire, du « c'est moi qui décide qui est juif » de Goering . Si telle est la puissance de la volonté, telle est la puissance de la puissance déchaînée du Système, alors aucun droit inaliénable ne peut endiguer les flots de la tyrannie moderne, au nom d'une liberté individuelle toute puissante, du droit de tous sur tout . Le marché peut transgresser sans cesse la limite du commercialisable, de l'objet accessible à la technique . Cette idéologie est précisément celle des postmodernes .
(Du point de vue artistique, l'analogon de cette métaphysique générale se retrouve dans l'idée si commune que les mass-media produisent de l'art au même titre qu'un artiste, les différences entre Mozart et la Star Académy étant arbitraires . Belle réponse de Gainsbourg à Guy Béart sur la question, Gainsbourg disant que la chanson est un art mineur, Béart le niant selon le même type de discours : « connard ». )



Étrangeté impensée de la construction du monde dans l'idéologie -racine .



La construction du monde dans l'idéologie racine n'est pas explicitement saisie et décrite par les idéologues modernes . Poser cette description ne peut être le fait que d'un étranger, ce qui rend le règne de la quantité si pertinent malgré l'étrangeté des mondes guénoniens . Voyons quelques postulats de l'idéologie -racine .
Accepter cette idée des « jugements de valeurs »est donc par exemple accepter les postulats suivants :
Conscience et objet sont étrangers l'un à l'autre ; ils sont dans une relation hiérarchique, où la conscience est totalement dominante ; mais du fait de l'étrangeté de l'objet à la conscience, la conscience ne peut que détruire l'objet en le consommant, en l'assimilant à soi et à ses fins, ou en lui conférant une valeur qui lui est extérieure . L'objet en soi reste fermé à la conscience, et ne peut être connu « réellement ». A la limite l'objet est une construction de la conscience, n'est que parce qu'il est senti ou conçu .
La valeur ne vaut que par la conscience, ou l'échange de l'objet entre consciences s'accordant sur cette « valeur ».
Notons que la détermination de l'objet, en tant que polarité d'une relation, est de droit détermination du sujet, de la personne . Ainsi la toute puissance de la volonté sur l'objet du « jugement de valeur » est-elle un leurre, l'image illusoire d'une incarcération réelle .
En définissant Épictète comme mon esclave, je me donne l'illusion d'une toute puissance sur lui, mais je ferme toute la variété des relations que nous aurions pu avoir . Je met un nom simple, le mien, sur une énigme . Mon nom, mon utilité étriquée sur l'Énigme : vanité et aveuglement . Dürer au contraire révèle l'énigme de l'Iris . Si un instant je vois ce que voyais Dürer, alors je vois la relativité du regard moderne sur le monde, la relativité du monde « désenchanté » de l'Âge de fer .
Comme le paysan qui pris une toile de Van Gogh pour boucher un trou de son poulailler, ou celui qui prend le plan du labyrinthe où il est égaré comme cale pour un meuble, parce qu'il ne sait pas lire . Telle est la relation moderne aux objets du monde .
N'est ce pas, ainsi explicité, d'étranges croyances, une étrange weltanschuung, que cette idéologie racine moderne? Elle est aussi « métaphysique » qu'une autre, au nom du rejet de la « métaphysique »...Conscience et objets sont étrangers, l'objet est objet en soi, fermé sur lui-même en tant que noumène...cela ne vous rappelle rien, amis ? Et cette étrangeté supposée ne redouble-t-elle pas quand il s'agit d'une œuvre d'art, d'une communication, où le caractère bizarre du postulat implicite : l'objet est étranger à la conscience devrait me semble-t-il sauter aux yeux ? Et n'y-a-t-il pas des analogies psychanalytiques à cet objet étranger, que je veux détruire, m'assimiler par impuissance, par dépit ? N'est ce pas aussi la mort de Dieu ?



Récapitulatif simplifié :



Reprenons de manière plus simple, moins technique peut être : pour les idéologues modernes de l'« éthique », désireux de conserver la catégorie « ce qui n'a pas de prix » hors de tout « postulat ontologique », le jugement « y n'a pas de prix » est un jugement de valeur de forme : « la valeur de y est in(dé)finie ».

Si on accepte la « valeur infinie »(ce qui peut être fait avec les meilleures intentions du monde, par naïveté), on admet que tout ce qui est considéré sous l'ordre de la valeur l'est avec raison, que la valeur est une mesure universelle légitime . Et donc, que tout est de l'ordre de la valeur, tout étant mesurable par elle .

Or -continue avec sa raison l'idéologue moderne – tout jugement de valeur n'est pas lié à l'objet de ce jugement, mais au sujet qui le prononce . Par exemple, « la glace à la vanille est meilleure que la glace à la fraise » ne veut rien dire d'autre que « je préfère, etc ». (interlude : un psychanalyste conclurait : la glace à la fraise, mais je m'en cache en disant et en croyant fermement le contraire ) Nous avons le résumé de cette thèse dans la formule : « les goûts et les couleurs ne se discutent pas ». Le raisonnement se termine en disant que tout sujet souverain de jugements de valeur, donc tout individu humain également, a des droits égaux de prononcer de tels jugements, mais à son usage propre ; que donc ces jugements sont arbitraires, liés aux caprices et aux préjugés individuels, en tant qu' indépendants de la nature de l'objet sur lequel est prononcé ce jugement, et donc hors de porté d'un arbitrage par expérience, par la science . L'intérêt pour tous de tels jugements est purement documentaire, « psychologique », en tant qu'exprimant une idiotie individuelle . L'idiotie n'est plus péjorative .
La société doit être organisée pour maximiser la liberté individuelle, donc pour permettre à l'intégralité des jugements de valeurs de « s'exprimer » également, car il y a un droit à « s'exprimer ». (« S'exprimer » est ainsi une des grandes valeurs du Système, qui suppose qu'il y a quelqu'un qui veut s'exprimer, et qu'il y a quelque chose à exprimer pour paraphraser un mot de De Gaulle.) Cette multitude des « expressions » est ainsi le bruit qui permet une censure passive de la pensée, par la masse et par l'égalisation des « expressions personnelles » . Tous les jugements sont donc réduits à une valeur identique nulle .
Ajoutons que comme les jugements doivent respecter les autres jugements qui ont autant de droits qu'eux, ils ne peuvent ni médire ni remettre en cause le cadre général de la liberté de jugement, c'est à dire qu'il ne peuvent qu'être vides, ou répéter l'idéologie racine, et rien d'autre . La simple argumentation savante peut ainsi devenir suspecte et être réprimandée, par prétention à la supériorité, ou par pédantisme vide . La recherche de la Vérité est ainsi autant condamnée que dans un État totalitaire : voyez le Maître et Marguerite de Boulgakov, au sujet des critiques du livre du Maître ; on croirait lire la presse libre de la République, avec cette obligation d'être conforme, ces indignations de commande d'autant plus sévères qu'elles sont vides .
Donc (concluent les comités d'éthique un beau jour, quand le Système en a besoin, quand « la société est prête ») les jugements de valeur infini sont aussi arbitraires que les autres : et c'est l'effet d'un préjugé regrettable et nuisible au progrès, à la liberté, et toutes autres conneries de ce genre, si les femmes ne peuvent sans réticences de la société vendre entièrement leur corps, ou du moins son usage à terme, et pas seulement son image ; ou les pauvres louer (avec joie et sans aucune contrainte, sinon le noble désir d'argent qui est le premier éducateur des pauvres) leur matrice, vendre leurs organes, ou leurs embryons, ou leurs enfants peut être . Car tout ce qui est propriété est aliénable, et donc a un prix, au moins potentiellement, en étant l'objet d'une « estimation » .
A retenir, il n'existe dans le cadre idéologique du Système aucune digue qui puisse garantir des droits « inaliénables et sacrés » .

Éléments de conclusion :


Pensez aussi au fameux « l'esclave est un outil animé »d'Aristote...rappelez vous amis, le statut s'exprime comme nature, comme essence, et la nature, l'essence, expriment un statut . Ou encore, statut et nature expriment des relations, le tissage arachnéen des relations, constituées par la civilisation, entre les objets et le monde des hommes . Et ces relations sont justes si elles sont conformes à l'essence des pôles, analoguées de l'archétype . L'homme domine la nature, mais cette domination n'est pas une exploitation, une assimilation destructrice, elle est un règne . Le règne respecte la justice, c'est à dire l'équilibre des liens .
Saturne, père dévorant ses enfants, est le Saturne de notre âge, qui est le modèle du mauvais règne . Le père qui jouit de ses enfants n'est pas pour rien une terreur moderne .
En posant le pôle subjectif des relations d'objet comme déterminant la relation dans une relation de toute puissance, l'idéologie de la chose, l'idéologie racine détruit tout les autres mondes possibles . Elle montre aussi son lien structurel à la structure narcissique de personnalité, et le caractère non accidentel de la fascination moderne pour le tueur sadique, et le sadisme en général . Il est possible de nier l'essence comme de nier le statut essentiel d'un objet, de faire travailler des chinois comme des machines, de vendre un homme comme esclave, de prostituer une femme par la force, de vendre les organes d'un enfant des rues, d'abattre une montagne magique, de proclamer l'égalité de l'idéologie moderne et d'une grande pensée humaine, l'égalité de la pensée de François Hollande et de Jacob Taubes . Il est possible de proclamer cela bon, et d'interdire que l'on proclame le contraire . Comme la seiche, l'idéologie moderne crache un brouillard d'encre .
Mais ce n'est pas bon, et chacun le sait dans le secret . Car ceci est l'analogie inverse de la réalité des mondes, où le statut, l'être défini par sa position hiérarchique, n'est pas différent de l'être de l'étant . La différence n'étant qu'une différence de perspective . Il n'existe pas de jugement de valeur authentique, juste l'expression de l'être de l'étant dans le Verbe . Ainsi le Logos est-il commun, parce que similaire, analogue, mesure de l'Être . En déstructurant le logos commun au profit de la mesure du marché, plus exactement de la mesure du déploiement de la puissance, l'entéléchie moderne est une négation de toute civilisation humaine possible .
L'Empire authentique, qui fonde la communion des hommes, autorise le commerce, mais n'est en lui-même rien de commercialisable ou de technique .

P.S :


Pour tenir parole, je résume :
Pour le Système, la séparation moderne de l'ontologique et de l'axiologique permet :

1-L'extension indéfinie du domaine de l'arraisonnement, du marché ;
2-En proclamant le caractère arbitraire de la valeur, du jugement de valeur, d'exercer au nom de la liberté un brouillage massif, et une culpabilisation, de toute résistance argumentée à l'extension du marché .
La « gauche » est aisément noyée par cette distinction qui lui paraît moralement souhaitable, politiquement correcte, dans un souci d'égalité des hommes, qui semble passer par l'égalité de valeur des « jugement de valeur ».
Cette séparation entre jugement de valeur et jugement de nature qui paraît être une question abstraite, épistémologique voire métaphysique, est bien une partie fonctionnelle efficace du système général . CQFD.

Enfin la propriété est un relatif qui répond de son pôle opposé, le propriétaire, ou « la personne » . (voyez l'expression juridique de « personne morale ».) Ce sera l'objet de la prochaine étude, le statut moderne de la personne propriétaire du monde .


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Zinaida Serebriakova