Mission historiale du prolétariat spirituel .


(http://www.stalwart.ru/en/)

Après les mouvements de révolte de la génération à 7OO euros en Grèce, diverses "actualités"(je remercie le Nouvel Observateur) invitent à reposer la mission historiale de ceux qui ont reçu en partage le développement -quasi pathologique eu égard à la nature de l'homme - d'outils intellectuels adaptés aux besoins du Système, (je parle des étudiants, et particulièrement des chercheurs), mais sont nus, démunis de toute possibilité d'exister dans le réel du Système lui même, qui ne reconnaît que la puissance, le nombre de cylindres en l'homme : le prolétariat spirituel .

Les énormes tensions matérielles, morales et spirituelles qui pèsent sur ces individus parcellisés et oppressés bien au delà des oppressés officiels du spectacle, les "femmes", les "communautés" et les "animaux de compagnie abandonnés"les portent à des extrémités individuelles, sans leur offrir de capacités de révoltes authentiques : car ces individus hautement compétents et spécialisés sont dépourvus, ont été dépourvus volontairement, des outils qui leur permettrait de penser lucidement leur monde, pour y être quelque chose, et non pas rien .

Dépourvus de capital social, financier, immobilier, de terres pour y habiter, de tradition et de racines, ces individus ne peuvent qu'être locataires du monde, à jamais mineurs, obligés de demander au propriétaire pour bâtir l'espace d'une vie, et dépendants de leurs parents, ou de la société matriarcale moderne . Dépourvus de moyens de s'affirmer seuls sur le marché sociétal, dépendants encore de la machinerie humaine du Système, ces individus doivent accepter de modiques salaires et des tâches, soit ingrates, soit inadaptées, soit encore proches du travail de contrôle social matriarcal, qui ainsi devient leur tâche, au nom de la Morale . De sorte que leur révolte contre le Système se met encore au service du Système . Il en est de même pour ceux qui dans la recherche ou les jeux vidéos, trouvent une place grâce à des activités compensatoires . Mais le combat doit se mener dans le réel, et non dans la no-life des addicts.

Ajoutons à cela que les « jeunes filles », le stock de femmes disponibles par génération, restent très lucidement, mais hors de toute raison explicite et obscurément (ça ne se pense pas, ne se dit pas ces choses là!), attachées à la puissance sociale qui leur apporte « la libération de la femme », c'est à dire à l'extension du domaine de la lutte . La valeur des hommes de cette catégorie sur le marché du sexe, à la fois pauvres et pénibles, « pas concrets », est très réduite . Qui veut d'un pauvre thésard névrosé, maigre et pâle, à côté du bling-bling d'un journaliste aussi demeuré soit-il, d'un chirurgien opulent, ou d'un commercial ignare et fortuné ? C'est pourquoi la misère sexuelle est un autre lot de cette race, et le principe du chef de la horde, c'est à dire de l'oligarchie et de ses proches cercles, qui se réservent le monopole de la jouissance doit-il être bien compris d'eux, pourvu qu'ils affrontent l'amertume de la vérité .

Dépourvus de liberté d'esprit, ces individus sont intoxiqués par l'idéologie racine, culpabilisés, névrosés, hypersocialisés, incapables aussi de connaître la félicité de la bête féroce-le loup- et du Saint . On rencontre chez eux toxicomanies, addictions, dépendances, militantismes manipulés, tartufferie...rien pour eux n'est vierge, saint, net et propre, rien non plus teinté d'obscurité : tout est empreint d'une mièvrerie et d'une fadeur qui fait de leur vie la vie des fantômes de l'Hadès . Ces individus atomisés sont humiliés : matériellement, sexuellement, spirituellement, et symboliquement, car même leur humiliation ne reçoit aucune reconnaissance, y compris d'eux-même . Car le plus souvent enfermés dans leurs spirales pourries, dans leurs sous-idéologie carcérales, ils se vivent comme responsables de leur sort, ce qui est vrai, et comme des nullités, ce qui est faux . Le mal n'est pas de dépendre de l'Un indicible, mais de dépendre d'autrui pour sa vie et sa dignité d'homme - dont la common decency est la conservation dégénérée .

On sait en Occident depuis le citoyen athénien comme dans l'âge féodal, qu'il n'est pas d'homme libre sans autonomie matérielle, sexuelle et reproductrice, et défensive, c'est à dire militaire . A Athènes, le salarié ne pouvait être citoyen, le citoyen se devait d'avoir une femme, et enfin l'homme qui ne combattait pas perdait la citoyenneté . Celui à qui cette autonomie est refusée ne peut entrer dans les liens d'alliance, analogues à l'alliance première, car il ne peut ni acceuillir son frère, ni le défendre, ni être parent : l'hospitalité envers l'homme inconnu, la solidarité dans le combat, le soin et la défense de sa progéniture sont des devoirs envers autrui, l'autre l'être humain image et ressemblance de l'Un, comme envers moi-même . Le droit le plus élevé est le devoir envers soi même-même, devoir d'être un être humain envers l'être humain .

Car celui qui a besoin de la société pour nourrir les siens, pour abriter, pour se défendre dans toutes les circonstances, celui qui est empêché de tirer vengeance des affronts qu'il subit, perd sa dignité, à ses propres yeux . Mieux vaut la mort que la perte de la dignité : tel est l'amer message des vies passées . La vie est la mesure de la liberté véritable . L'esclave n'est rien d'autre que celui qui a préféré la vie à la liberté, qui actuellement préfère la vie . Et tout les hommes de l'Âge de fer sont plus ou moins teintés d'esclavage .

Et pas seulement dans l'habitat, ou dans le travail . L'inflation du juridique et de l'éducatif, la fin des peines afflictives pour celui qui a commis un crime de sang est aussi la perte du sens de la dignité humaine tant pour les victimes que pour celui qui a commis le crime . A celui qui a perdu un enfant par meurtre, à celle qui a subi un viol, la faiblesse de certaines peines et la considération pour le coupable sont le mépris de sa dignité . Si un enfant est victime d'une grave agression, qu'il se plaint à des adultes de confiance, et que cette plainte est traitée à la légère, et que le coupable ne reçoit pas de châtiment, l'enfant perd confiance en lui-même, en les adultes, en la justice : c'est une maltraitance plus grave que l'agression première . Une telle société ne peut éduquer à la droiture, à la solidarité et à la fidélité : c'est pourquoi elle les méprise jusque dans ses représentants les plus élevés, c'est pourquoi elle est proprement indécente . La gravité des peines anciennes est à la mesure de la rage et du désespoir que provoquaient la moindre insulte dans les sociétés traditionnelles, et de l'obligation fatale de la vengeance qui s'y attachaient . Beaucoup d'adultes subissent une telle violence symbolique, le mépris ostensible de leur peine, de la part de la société matriarcale moderne .

La liberté ancienne est une liberté d'autonomie de la dignité, et donc d'ascèse du désir, non par principe mais au nom des finalités supérieures de l'homme, de son principe directeur. C'est au nom de cette autonomie ascétique, garante de la liberté que Diogène se masturbait publiquement, en regrettant de ne pouvoir se nourrir en se frottant le ventre . Le Cynique, comme les Stoïciens veulent obtenir la liberté, l'indépendance des dieux en perdant leurs désirs et leurs appétits qui les asservissent :

« En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,

Nous passons près des rois tout le temps de nos vies,

A souffrir les mépris et ployer le genoux (...) »

(Malherbe)

Ils ne cherchent pas la liberté en satisfaisant leurs pulsions comme le prône l'illusion moderne, qui réserve la liberté à ceux qui jouissent de la puissance matérielle . Le Système instrumentalise le désir de liberté, ce devoir, cette nostalgie de devenir adulte qui se love au cœur de l'être humain, comme désir d'assumer l'humanité ; il se sert de ce que l'homme a de plus haut pour en faire de la boue, de la boue qui scintille comme l'or trompeur de la cité d'Eldorado, ce mirage terrestre pour lequel furent sacrifiés des milliers d'êtres humains, finalité qui pris comme moyen la proclamation morale de la fin des sacrifices humains . La mort de l'Indien et de l'Africain dans l'air étouffant des mines du Potosi, sous la gifle du fouet et les entraves, a été la première œuvre de la libération moderne, avant la libération du prolétariat dans l'URSS de la Grande Terreur, la libération de la femme, et aujourd'hui toutes les libérations qui s'accumulent et qui ne se distinguent plus dans l'infernal désert moderne .

Les appétits portent des fouets qui asservissent l'homme : telle est l'iconographie traditionnelle, qui n'a rien de puritain . Le puritanisme n'est le rejet du désir qu'en tant qu'il favorise le sérieux, ce que Stendhal appelle le cant, c'est à dire l'asservissement à l'entéléchie . Quand l'entéléchie plus avancée a besoin de consommateurs ivres de pulsions, le puritanisme appelle à jouïr sans entraves sans cesser d'être puritain .

Le Système asservit les humiliés par le désir, par l'excitation du désir et l'amertume se son assouvissement corrompu, pornographique et explicitement décevant . La puissance du savoir sans maîtrise, la science de l'étudiant brillant, n'est que la science de son abjection propre, de son indignité . Ainsi indigne, l'homme spirituel est-il assez humilié pour s'asservir ou se nier dans son essence . Et cela est conforme à l'entéléchie du Système, comme terrorisme, militantisme, ou adhésion au matérialisme idéologique et axiologique de l'idéologie racine .

Comme autrefois, comme ailleurs, voyez particulièrement les possédés de Dostoïevski, ces individus sont hantés par la tentation du terrorisme et du nihilisme, de la destruction rageuse et brutale de celui qui est pris dans les voiles de l'étouffement sans recevoir la bénédiction du combat et de l'affrontement censé à la mort . La tentation terroriste grandit dans les stupeurs cérébrales des intellectuels modernes ; terrorisme du psychotique isolé ou en groupe qui massacre ceux qui lui refusent une reconnaissance qu'il est incapable de gagner ; terrorisme sur le modèle islamiste, spectaculaire, nihiliste et suicidaire, ou terrorisme romantique et désespéré des « autonomes », tous ces modèles ont en commun l'usage plus ou moins artisanal de la violence pour ouvrir le couvercle de fer qui pèse sur les souffrances modernes . Il a déjà été question de ce terrorisme, ici et ailleurs, et je renouvelle l'avertissement de Nada, de J.P Manchette, ce roman qui a quelque chose de l'essai définitif à l'usage de la guerre métaphysique... :

« Le terrorisme et la terreur d'État sont les deux mâchoires du même piège à cons (...) »

Le terrorisme est en effet le carburant de la répression du Système, le prétexte idéal de la destruction des garanties humaines de la loi, les fameux droits de l'Homme, si gênantes pour le déploiement ultérieur du Système, après l'avoir servi en détruisant des obstacles à ce même déploiement en d'autres cycles historiques . De plus, en tant qu'usage de la puissance matérielle, et je rappelle que l'industrie du Spectacle des « Actualités » est le produit, autant que le moyen, du déploiement de cette puissance, le terrorisme est au service de l'entéléchie générale du Système . Autant que « le travail social », le terrorisme est une face du Système général – et c'est pour cela qu'autant de moyens sont consacrés à le chercher, c'est à dire parfois à le susciter . Ajoutons pour finir que la comparaison à la résistance nationale de certains peuples n'est pas valable, car la résistance authentique est d'abord militaire et secondairement spectaculaire, très secondairement voire pas du tout – alors que la nullité militaire des actions terroristes est évidente, même si la distinction dans les guerres modernes perd, il est vrai, de sa clarté .

Le terrorisme est la négation essentielle de l'homme spirituel autant que l'asservissement ; plus exactement, le terrorisme est un état de l'asservissement, de l'aliénation de l'homme noble de tendance guerrière dans le monde moderne . Aliénation de l'homme noble, du guerrier, il est d'autant plus trompeur pour celui qui est imprégné de cette teinture : il est une tentation vertigineuse . « Arrière, Satan ! ». Mais il en est bien d'autres pour l'homme spirituel prolétarisé de l'Âge de fer .

Ce prolétariat spirituel en effet, certain voudraient en faire leur marché pour exister dans le Système comme opposants officiels, comme le NPA, qui ne porte son nom que comme une dérision de sa réalité, n'étant ni nouveau, ni anticapitaliste, puisque demandant la libre circulation des personnes et l'expansion de la société de consommation par l'augmentation des salaires . Mais le NPA est anecdotique, comme tout dans le règne de l'anecdote ; il est, pour parler comme Tiqqun, la jeunefillisation du parti révolutionnaire, celui qui veut être télégénique, « concret », sexy pour tout dire . De nombreux « activistes politiques » voudraient, croient utiliser le Spectacle, et sont pitoyablement utilisés par lui, comme pittoresques et distrayants s'ils sont « gentils », épouvantails de paille s'ils sont « méchants » ou « ridicules » (même la télévision la plus sotte a ses limites...), et en tout comme éléments de divertissement et de construction d'un monde de marionnettes et d'ânes ne portant personne, et surtout pas de héros, sur leur dos . A titre d'exemple, je citerais « les cyclistes nus », qui manifestent nus, c'est à dire en short, avec leur VTT pour des « causes humanitaires » . Zizek remarque fort pertinemment que l'humanitaire et le militaire sont les deux faces de la guerre d'oppression, d'extension du Système moderne . Les fragments de la Bretagne catholique et celtique ont été détruits autant par les armées royales dégénérées puis surtout révolutionnaires, que par les écoles où il était "interdit de parler Breton et de cracher", et interdit de prier. Libérer par la force reste un oxymore moderne classique, comme développement durable . Ceux qui demandent à la Turquie de reconnaître le génocide Arménien devraient y réfléchir. Que l'on ne s'étonne pas après de voir les "talibans" afghans dynamiter les "écoles"des missionnaires anticolonialistes "humanitaires"...la forme et le contenu des écoles d'un pays appartiennent à son peuple et à ses maîtres légitimes .

Autres militants flamboyants, les « femmes à barbe » mettent des fausses barbes pour poser sur des photos pour des « causes féministes » . Je dirais tout à l'heure ce qu'il y a à en dire : c'est fait . Enfin certains happenings de l'« Art contemporain », « interrogent profondément » des « thèmes modernes », c'est à dire des préoccupations spectaculaires . Tout cela montre un désert symbolique qui pourrait effrayer des âmes sensibles, un narcissisme proche de l'acarus sarcopte, qui produit la gale, et un âme végétative (guère plus) entièrement informée par les réquisit de la société du Spectacle . Alors pour en sortir...c'est la « rébellion » du fou du Tyran, des femmes d'Aristophane . Pour conclure par une comparaison au terrorisme, si celui si est le piège du Spectacle pour l'homme noble combattant, l'activisme médiatique est le piège de la grenouille de la Fable, le piège du serf envers son asservissement, un spectacle somme toute assez répugnant, comme le chien qui revient vers les charognes qu'il a vomies...

D'autres enfin - déjà beaucoup plus intéressants - voudraient faire du prolétariat intellectuel une classe révolutionnaire, comme les penseurs de grande envergure qui se sont réunis à Londres pour proclamer le retour du marxisme .

Je cite « le Nouvel Observateur »n° 2317 p 100 sq :

« Trois jours durant, du vendredi 13 au 15 mars 2009, les plus prestigieux noms de la philosophie politique radicale mondiale, de Slavoj Zizek à Alain Badiou, Toni Negri, Michael Hardt, Jacques Rancière et bien d'autres, se sont réunis à la Birbeck University of London, afin de réfléchir en semble à un avenir possible pour l'idée communiste (…) « on the idea of communism »(...) une foule spectaculairement jeune et attentive venue d'Europe entière avec carnets de notes (pas de portable?) canettes de coca light et Caméscope high-tech (…)

Deux conditions sine qua non déterminaient la présence des intervenants . Être disposé à envisager positivement un renouveau de l'hypothèse communiste aujourd'hui, et n'être le porte parole d'aucune formation politique . Non à la militance d'arrière garde (…) [sauf exceptions] la totalité de la gauche intellectuelle radicale était représentée (…) et ce jusque dans ses nuances les plus irrémédiablement opposées (...)»entre T. Negri, auteur d'Empire, « référence théorique majeure pour tout le mouvement altermondialiste (…) ardent promoteur du oui au traité constitutionnel européen (...)[et Badiou ou Zizek, qui au moins ne sont pas si ouvertement libéraux]. Negri (…) incarnent en effet une sorte de Deleuzisme mutant, (...)qui tend à envisager avec empathie certaines formes du capitalisme avancé comme une possible production de « commun », le paradigme de cela étant fourni par internet . (...) »

On a envie de faire toute sorte de commentaires...d'abord, dans cette gauche radicale, y avait-il Michéa? Tiqqun ou un post-situationniste ? Le radicalisme est-il l'apanage du « communisme »? L'altermondialisme est-il radical ou cup of tea de bobos ? La mondialisation est-elle la production du communisme, merci Negri ? Badiou doit-il vraiment parler avec Negri et d'autres docteurs Pangloss ? A-t-il été pris en otage ? A-t-il subi des mauvais traitements lors du tournage ? Ou encore on pense plus simplement la fameuse réplique librement traduite de Bruce Willis, un modèle d'intellectuel moderne, dans Pulp Fiction :

« putain merde! putain, c'est pas humain d'être aussi con ! »

Comment se vouloir communiste et héritier de Marx en refusant tout représentant de parti ou mouvement politique ? Ce qu'étaient Marx, Lénine ou Che Guevara? Pour les conneries des mutants post-deleuziens, voyez C. Lash, « Culture de masse ou culture populaire », chez Climats, qui prouve qu'un petit texte suffit à répondre à des flots, des déluges de sottises post-modernes, même les plus dégoulinantes .

Le marxisme peut-il renaître ? Est-il si radical, représente-t-il plus la rupture que le néolibéralisme ? C'est la dernière question de fond que je pose, après avoir traité du désir de reconnaissance spectaculaire des prétendus ennemis du Spectacle, terroristes comme exhibitionnistes narcissiques limites qui instrumentalisent la répugnante moraline politiquement correcte des modernes pour « passer à la télé » eux aussi, si dépourvus soient-ils .

Le marxisme a un point commun avec la fascination du Spectacle : il est, par son matérialisme et son versant positiviste chez les sots, la négation théorique de la puissance de la production idéologique, voire du spirituel, même aveugle à lui-même . Le marxisme a cependant et contradictoirement avec lui-même un point de différence hiérarchique qui le rend déjà indéfiniment supérieur aux précédents, c'est qu'il est l'affirmation pratique de la supériorité du travail du concept, de la « patience » du concept . La puissance du marxisme pour penser le monde moderne est déjà bien au delà du panglossisme borné de la plupart des « philosophes » de gauche, si « radicaux » soient-ils . En effet, le marxisme est dialectique, c'est à dire qu'il est capable de penser, il l'a été dans les œuvres majeures de l'école de Francfort, comme la « dialectique de la Raison » ou bien plutôt des « Lumières », le négatif, la formidable négativité à l'œuvre dans le développement progressif de l'entéléchie, négativité non manifestée, obscure dans l'obscurité, et primordiale, qui ne peut être mise en évidence qu'à la lumière des grandes exigences des civilisations humaines précédentes, exigences qui montrent l'abîme que l'on appelle « progrès de l'homme », et qui tend à en faire, à la limite, « un peuple de démons » en « paix perpétuelle », c'est à dire incapable de se penser comme "misérable, aveugle et nu" et donc d'aspirer à être plus, à être moins envahi par le vide .

Pensez-y, amis, le Système s'est imposé par ses think tanks, par ses société du Mont pèlerin, voyez à ce sujet l'excellent grand bond en arrière de Serge Halimi, complément contemporain du meilleur des mondes possibles . Le Système lui même connait le caractère stratégique de la guerre idéologique, qu'il appelle en lui-même « guerre cognitive » . Marx lui a consacré sa vie . Et cela pour développer la thèse du matérialisme dialectique, le caractère déterminant du mode de production matérielle, le caractère superstructurel, adjacent, de l'idéologie – que Michéa, on l'a vu, a lui même abandonnée ? Cette thèse est directement issue de l'idéologie racine dans sa forme du XIXème siècle, du matérialisme positiviste dominant alors le monde scientifique, lié à la fascination pour la science physique de paradigme newtonien-laplacien, déterministe, atomiste, qui fait de la conscience un épiphénomène du cerveau, de l'homme un épiphénomène de la sélection naturelle, de la liberté une apparence trompeuse du déterminisme de la matière cérébrale, du symbole une fiction, de la culture un masque de la barbarie réelle issue de la sélection naturelle, ou une superstructure illusoire de la réalité matérielle de la race, etc, etc, à travers une indéfinité d'analogons idéologiques de cette structure hiérarchique inversée, en miroir du platonisme, structure plus tard identifiée chez Nietzsche par Heidegger .

Pour faire court, le matérialisme dialectique est contradictoire avec la dialectique, avec la propre pratique des marxistes, avec l'expérience historique du libéralisme, mais parfaitement conforme à l'idéologie racine du Système . A ce titre il n'en n'est qu'une variante, comme l'URSS fut le miroir des USA lors de la guerre froide, dans la maximisation du déploiement de la puissance matérielle et la répression des spirituels, de manières il est vrai distinctes, par la police et la peur, ou par le bruit au sens de la théorie de l'information et le marché - le résultat étant sans doute pire pour nous, qui ne pouvons affirmer sans ridicule un statut de dissidents, de refuzniks, faute d'être pris au sérieux...pensez-y, amis ! Si vous argumentez que notre système de répression est plus humain que celui de l'URSS, vous soutenez implicitement que le chauffage et la soupe sont des bontés suffisantes et que la pensée est un luxe évitable, et qu'il vaut mieux parler dans le vide que parler aux murs...Boulgakov, Soljenitsyne, Pasternack n'ont-ils pas été pris plus au sérieux par l'URSS que Rimbaud, Lautréamont et Van Gogh par la République ?

Ce que je voudrais vous faire voir, mes amis spirituels, vous qui sentez bien que vous êtes étrangers à ce monde, c'est que toutes ces solutions qui vous sont offertes sont des images issues du miroir que vous tend le Système, qui vous montrent votre nullité, votre inutilité concrète, irrécupérable justement par le Système et qu'il tend à montrer comme une irrécupérabilité absolue, afin que vous deveniez autonome au sens sinistre du mot, portant en vous même le jugement mortel du Système et son entéléchie .

Toutes ces solutions posent implicitement la nullité du travail conceptuel ou spirituel . Le terrorisme ou le militantisme spectaculaire, qui vous poussent à abandonner ce travail abstrait, vide, sans prise sur le « réel », c'est à dire tout ce que domine le Système, pour devenir « concret », en brûlant un hôtel devant les caméras de TF1, 2, 3,etc . Foutaises, mes amis ! Et le marxisme, qui prône une idéologie matérialiste, directement issue de l'idéologie racine, tout en concevant la nécessité et la priorité de la guerre idéologique ; sans parler des lacaniens, de Zizek à Legendre, confrontés aux mêmes contradictions structurelles, entre la nécessité du symbolique, son caractère exténué dans l'ontologie implicite, et l'évidence de sa destruction, sans prise possible sur le « réel ». Foutaises là encore ! Le fondement de toutes ces contradictions est l'ontologie, c'est à dire la réponse que l'on donne à « qu'est ce qui est, qui existe et comment ? ». Simone Weil en a conçu elle même la nécessité dans ses dernières œuvres, et c'est là que je regarde aussi :

« Ce qui peut être évoqué, dessiné de la main de l'artiste, posé par une opération logique, nommé par les mots de la tribu, tout cela est né et a accédé à l'être.
Ce qui est devient une demeure pour l'homme, un foyer de sacrifices, un lieu où planter au profond ses racines, un centre immobile de sa liberté . »

Au sujet de l'ontologie, certes il y a Heidegger, mais lisez aussi parallèlement Quine, et Henry Corbin, et René Guénon . Vous comprendrez alors à la fois la relativité de l'ontologie et son rôle décisif, nodal, dans l'idéologie racine . La plus puissante résistance de l'homme spirituel n'est ni dans le Spectacle, ni dans la violence spectaculaire qui tire l'épée et coupe l'oreille du Grand-prêtre, mais dans son œuvre, dans le travail spirituel – ainsi Ramana Maharishi dit-il quelque part que sa contemplation fut plus que l'œuvre de Gandhi pour la sauvegarde de l'Inde ; ainsi les spirituels de l'Occident ont-il donné à leurs siècle leur physionomie intime – la deuxième hiérarchiquement est le travail conceptuel, plus accessible à l'homme moderne ; quant à sa puissance, que l'on pense que l'élaboration conceptuelle du XIVème siècle a donné sa physionomie aux siècles suivants jusqu'à nous, en tant qu'ouverture, inauguration d'un cycle historial qui trouve sa fin entre Stalingrad et notre cycle .

Mais ces travaux d'hommes nobles dans notre âge ne doivent pas faire oublier que la musique du musicien, la parole du poète, l'imagerie de l'artiste, sont plus, comme échec de l'entéléchie à totaliser et mesurer toute production humaine, que toute l'œuvre des post-deleuziens . La nostalgie poignante de la Harpe et la poésie irlandaise fut plus, dans la liberté de l'Irlande, que la lutte militaire légitime des leaders politiques .

Ajoutons que dans l'Âge de fer l'art peut présenter une intensité violente, une rage et un désespoir qui n'en font pas pour autant un élément assimilable du spectacle – voyez par exemple J Bosch, comme Discharge 4 (lien dans les blogs) , ou la musique industrielle, ou encore le trash métal dans ses formes radicales, qui semblent bien très difficilement assimilables . Cela pour dire que l'art de l'Âge de fer n'a pas d'obligations formelles, mais la nécessité d'une éthique de la négation ou de la dérision des formes de diffusion liées au Système : le double jeu est de toute façon la règle face au Cyclope .

J'affirme, moi Lancelot, que toutes les voies qui contiennent la négation de l'importance majeure de la fonction spirituelle, tant contemplative que rationnelle, sont des voies qui répliquent en elles la négation de l'idéologie racine. Que donc toutes ces voies sont des voies d'égarement, et qu'il existe pourtant une mission historiale du lumpenprolétariat intellectuel .

C'est la question de l'organisation encyclopédique . J'y viens.

Viva la muerte!


Aucun commentaire:

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova