La "lutte contre les discriminations"comme dispositif de domination.I.Qu'est ce qu'un dispositif de domination idéologique?

(William Blake)



Un dispositif de domination est un sous-système fonctionnel du Système général . (Il lui est utile .)
L'étude d'un sous-système idéologique du Système dominant actuellement le monde-la société de marché- ne peut avoir pour nous qu'un sens, qui est de montrer que ce sous-système est une fonction utile du Système général, une partie fonctionnelle . Montrer qu'il est une partie fonctionnelle peut se faire de deux manières principales à ce que nous savons, d'abord en montrant les points d'insertion du sous-système au Système (par exemple, si une idéologie est produite et diffusée par les cadres du Système général, on peut supposer que cette idéologie est fonctionnelle) et ensuite et surtout en montrant que la finalité immanente du Système, appelée entéléchie, est servie par le fonctionnement et la production du sous-système .

L'entéléchie du Système peut être approximativement formulée comme étant la maximisation (indéfinie) du déploiement de la puissance matérielle . Cette finalité est immanente et non visée par l'homme comme fin ; elle est la direction générale que prend de lui-même le Système, à travers tous les méandres possibles, et qu'il a toujours rejoint à ce jour, depuis qu'a été institué en Grande Bretagne un marché autorégulateur . Le Système est circulaire, ses effets nourrissent ses causes, et augmentent sa puissance . Un tel Système peut être qualifié d'"inflationniste", à la manière d'une réaction en chaîne . La « liberté » dans un tel système est étroitement déterminée . On peut faire tout ce qui va dans le sens du Système sans difficultés, sans principe général, mais le reste pose des difficultés . Les entreprises surveillent étroitement la vie sexuelle de leurs employés parce que le puritanisme au travail rend plus productif ; mais la pornographie et le sexe sont « libérés », car ils favorisent la diffusion de produits très divers .

L'analyse des produits du Système général est l'analyse de sous-systèmes fonctionnels intelligibles comme tels, ayant donc une certaine autonomie en image de la totalité, comme le Système de Santé, le Système judiciaire, etc, tout en accomplissant des fonctions du Système général . Un sous-système fonctionnel n'a pas besoin de ne produire que des effets favorables au Système général, il suffit qu'il en produise statistiquement assez .

Par exemple, la guerre froide est un dispositif de maximisation du déploiement de la puissance matérielle, avec la course technologique et la course aux armements ; mais on pourrait citer de nombreux exemples dans le contexte de la guerre froide ou du capital a pu être gaspillé de manière non optimale . Il n'empêche que l'entéléchie d'un conflit comme la guerre froide ne peut être différent de l'accumulation gigantesque de puissance et de son déploiement, que toute la logique du conflit rend urgent . Il en est de même de la "guerre totale" excluant réciproquement tout marchandage, et n'envisageant que l'anéantissement physique de l'adversaire, qui commence en 1941 . La nouveauté la plus intime de cette époque est là, dans la guerre d'extermination . Avec la mondialisation, la guerre économique pousse à l'optimisation maximale du déploiement de la puissance et de l'exploitation des hommes dans l'industrie et les services, le monde devient un Système unique de production et d'échange, dont les « pays » doivent être pensés comme des sous-systèmes fonctionnels pour devenir intelligibles . Dans un pays de consommation de masse, les contraintes seront moins voyantes que dans un pays de production comme la Chine ; mais tout le Système est lié à la tyrannie chinoise .

La culture et l'idéologie comme sous-systèmes fonctionnels .
La société de marché est un Système de civilisation totale ; il véhicule des modes de production mais aussi une ontologie, une constitution culturelle générale du monde qui lui est caractéristique . Le Système tend à transformer tout étant en "objet-marchandise", l'objet étant une série de déterminations ontologiques de base, soumis par définition à la puissance de l'homme par la technique, et la marchandise étant à la fois l'ensemble des liens possibles d'insertion de cet objet dans le monde des marchandises, et la mesure de cet objet .

Toute pensée d'étant qui ne soit pas un objet, (comme par exemple un lien social, un amour), et qui ne puisse pas être une marchandise, (comme un objet sacré, ou le corps humain comme exclu par principe de l'échange), sont rejetés par le mouvement de l'idéologie racine vers le non-être (non être pensé par l'idéologie comme ensemble de tout ce qui n'est ni objet, ni marchandise) avec des étapes d'exténuation ontologique encore en cours, qui passent par "l'imaginaire" ou la "superstition", la « suppression des tabous » . Ces étranges arrières mondes de l'idéologie-racine sont à la fois pour elle inexistants-comme l'âme, dans la psychophysiologie- et nommés, décrits, puisque l'idéologie racine doit les nommer, ou les étudier, pour les nier, mais les étudier en les présentant comme des illusions (assimilation de la vision à l'hallucination), symptôme, erreur, etc...avec ce paradoxe que l'idéologie moderne doit sans cesse penser des « illusions puissantes », des illusions ayant une force causale sur la « réalité » au sens de l'idéologie moderne .

La "psychanalyse" matérialiste de "la religion" avec ses interprétations alambiquées et réductionnistes, ou évolutionnistes, est un modèle de cette démarche de "purification de la réalité de l'illusion", de l'exorcisme scientiste qui s'accomplit dans le discours idéologique moderne . Il s'agit véritablement d'une guerre métaphysique, qui est ancienne, et encore parfaitement actuelle .

Historiquement, le réductionnisme matérialiste dans l'idéologie (qui d'un point de vue analytique n'est qu'un changement de vocabulaire, doublé d'un changement d'attitude par rapport au signifié lié à ce changement de vocabulaire) est parallèle à la réduction du monde en marchandise, au siècle de la naissance du marché autorégulateur, c'est à dire souverain . Pour donner un exemple simpliste, traiter de superstition les vaches sacrées signifie les passer à la boucherie (transformation en marchandise), et lever des obstacles "absurdes et aléatoires aux échanges" . La destruction des superstitions, vue par des demis habiles comme un progrès, est en ce sens la destruction d'obstacles au libre marché, et pas un progrès du savoir humain des masses, progrès cruellement fantomatique pour celles ci .

La vache sacrée, ou la vache marchandise n'ont rien qui soit "objectif", mais résultent de la relation entre les bovins et les hommes intermédiée par la culture ; il n'y a là aucun conflit de vérité que "la Science" pourrait trancher . Croire qu'un habitus face au monde, une attitude générale, soit autre chose qu'un choix souverain, une décision humaine, est poser qu'il existe une façon vraie d'être au monde, alors que l'habitus n'est pas du domaine du vrai, mais du désirable .

Je crois qu'un paysan de l'époque moderne avait plus de savoirs, et d'autonomie qu'un habitant sans diplôme des cités modernes, et comme le dit Brassens, celui qui ne donnait pas à l'âne des coups de pied au ventre, et qui savait donner du pain et du feu à l'errant, celui là était déjà d'un type humain supérieur à un grand nombre d'hommes de ce temps, qui se délectent de violence et haïssent leurs voisins, à la manière de la plèbe de Rome . Bien sûr, il priait, et voulait être conduit à travers ciel au père éternel . Horreur ? Naïveté, que cette condamnation . Car ces « superstitions », autant que des thèses sur la réalité (comme l'existence du Ciel, du Père éternel, ou des fantômes), sont conjointement des liens humains et des pratiques étrangères au marché, (Donne et on te donnera...quel père, à qui ses enfants demandent un poisson, donnera des pierres?), à la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, comme aujourd'hui encore la sanctification du dimanche, ou la condamnation de l'usure, ou les lois somptuaires, et j'en passe . La destruction des superstitions a été celle de pratiques culturelles et de liens sociaux qui protégeaient l'homme de la technique et du marché, qui étaient connus et condamnés . Maintenant c'est fait, et il est vain de vouloir revenir en arrière .

Globalement, toutes les idéologies qui ont historiquement été des parties fonctionnelles de la maximisation du déploiement de la puissance matérielle, en particulier le "marxisme" de l'URSS, le nazisme et le libéralisme moderne se situent sur le même socle idéologique, que j'appelle l'idéologie racine . C'est un point décisif de la critique idéologique . Cela peut être démontré par l'archéologie idéologique, mais ce n'est pas le lieu ici : notons que ce socle est ontologique, c'est à dire a pour base les définitions de ce qui est (donc vaut dans cette idéologie, mais on pourrait dire aussi ce qui vaut comme marchandise, ou saisissable par la technique, donc mérite d'être) et de ce qui n'est pas (et ne vaut rien, est insaisissable et ne doit pas être, donc mérite d'être détruit ou nié si nécessaire) . C'est pour cette raison que les origines lointaines de l'idéologie racine se situent, tout à fait concrètement, dans les débats métaphysiques de l'automne du Moyen Âge .

Propriétés de l'idéologie syntones (conformes, utiles) au Système :
Rendre le Système désirable...
L'idéologie comme sous-système a aussi pour finalité de masquer le caractère inhumain, ou absurde, de l'entéléchie - la maximisation indéfinie du déploiement de la puissance matérielle, ou "croissance économique", qui rend par exemple la guerre locale tout à fait fonctionnelle-et de le présenter sous des traits positifs . Système absurde, car l'oreille n'est pas remplie de ce qu'elle entend, l'œil de ce qu'il voit, la bouche de ce que l'on mange, que la course au bonheur par l'accumulation est vaine, et doit s'étourdir de divertissements de plus en plus puissants pour continuer à croire en elle même .

Globalement, l'idéologie présente comme "progrès"(sans s'interroger sur la perspective qui en fait un "progrès") le déploiement du Système, et comme libération : libération des Ouvriers, des travailleurs Allemands, des esclaves, de la femme, temps libre, libéralisme, etc, etc . Cette lecture du déploiement du Système dans toutes ses variantes est le "progressisme". L'idéologie est l'opium des intellectuels : elle permet de faire croire à des gens qui perçoivent l'absurdité du Système général - c'est au fond assez aisé de s'en rendre compte- qu'ils se placent en opposants, se démarquent, quant ils servent le déploiement du Système . Dans le spectacle médiatique, ce Système tout à fait amoral par principe se revêt sans cesse des oripeaux du discours moral . Le résumé du progressisme est "le déploiement du Système est moral, c'est à dire bon et juste", (malgré les difficultés de quelques uns qui doivent accepter une "reconversion" pour suivre le développement inéluctable, etc)

Rendre le Système bon et omnipotent...
Il est tout à fait hors de doute que la préservation de la santé des populations, la sécurité, l'écologie...sont les moyens des fins du Système, les innombrables facettes de la mainmise tyrannique du Système sur les hommes, l'avancée de leur domestication et de leur assimilation au Système . La prévention du cancer a été d'abord l'œuvre du IIIème Reich, avec la publicité anti-tabac ; et ce n'est qu'un exemple . Le Système est une mécanique inflationniste qui ne peut pas s'arrêter, et son déploiement suppose l'asservissement à son entéléchie toujours plus poussée des hommes dans la totalité de leur vie . Le totalitarisme n'est pas un accident de l'histoire mais une tendance de fond du Système . Le contrôle doit être toujours plus étendu spatialement, c'est l'extensivité du déploiement, et toujours plus présent dans l'existence humaine, c'est son intensivité . L'omniprésence, l'extensivité du Système se montre par exemple dans la multiplication automatisée des contrôles, par exemple la vidéo-surveillance et les radars automatiques, la surveillance d'internet, et l'intensivité dans le codage toujours plus poussé de l'ordre de la vie professionnelle ou privée, par exemple "la prévention de santé", ou encore le budget énorme de "la politique de la famille et de l'enfance" des collectivités territoriales, dont la réalité d'observation et d'action normative n'échappe même plus aux travailleurs sociaux .

Dans notre monde "démocratique", l'application mécanisée de la loi, contraire à toute conception humaine du juste, conception qui se glorifie à raison de la capacité à l'exception, tel le jugement de la femme adultère, rend le "citoyen" objet passif et impuissant de mécanismes bureaucratiques sur lesquels sa "souveraineté" en tant que membre de la Nation est une plaisanterie mélancolique . Mais cet écrasement du "citoyen" n'en est sans doute qu'à ses débuts . Le totalitarisme de demain est en gestation dans la réalité déterminée du Système . Idéologiquement, la culpabilisation, le Bien (et le rejet de l'Axe du mal) et la morale deviennent les arguments les plus répandus de son enracinement dans l'être humain .

Un exemple majeur de ce codage de la vie, et de cette instrumentalisation de la morale pour briser des résistances au Système s'appelle "la lutte contre les discriminations" . La moraline politiquement correct est alors le cheval de Troie de la mise au pas de la société, au travers de la confiscation de la détermination des critères d'organisation de la société . C'est le sujet général de cette étude, nécessairement complexe au regard de la complexité actuelle du Système, qui multiplie de plus les dénégations et les masques, au risque de détruire toute possibilité de parole commune par sa continuelle manipulation et inversion des mots . La lutte contre les discriminations a pour enjeu de définir les classifications sociales légitimes ; la totalité de l'organisation sociale y est donc questionnée . La classification est une opération archétypique de la pensée humaine et du langage, un fondement du discours idéologique . L'étude en soi des classifications et de leurs propriétés est une clef de l'analyse idéologique capable de détruire l'évidence de l'idéologie racine .

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Zinaida Serebriakova