Sur le principe directeur, ou les fins de l'individu.

(John William Godward)



Ces derniers temps j'ai perdu mon temps . Et j'ai vu des hommes nobles perdre en vain leur temps . Perdre son temps, c'est se bercer des fatuités du monde, c'est bavardages et querelles . Bavardage que de parler à un cuistre . Querelles, que de polémiquer avec des êtres infimes, capables de faire indéfiniment durer les plus petites polémiques . Mon coeur n'est pas le tambourin que bat le monde .

"Zadig dirigeait sa route sur les étoiles. La constellation d'Orion et le brillant astre de Sirius le guidaient vers le port de Canope. Il admirait ces vastes globes de lumière qui ne paraissent que de faibles étincelles à nos yeux, tandis que la terre, qui n'est en effet qu'un point imperceptible dans la nature, paraît à notre cupidité quelque chose de si grand et de si noble. Il se figurait alors les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue." Voltaire.

Les hommes sont des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue. Non qu'ils le soient sans cesse, mais ils le sont quant ils se perdent en querelles vides . Dans l'Âge de fer, ils tendent à le devenir .

Le concept le plus à même de libérer de ces bulles de vide, qui reflètent des mondes et paraissent consistantes, est un antique concept des pensées de Marc-Aurèle, traduit par principe directeur. Je retrouve cette notion chez Oscar Wilde, dans ses aphorismes .

« Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa vie pleinement, entièrement, complètement, ou trainer l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose . »
Oscar Wilde, Aphorismes .

La propre vie qui doit se vivre pleinement, c'est celle du principe directeur.

" Rien de plus misérable que l’homme qui tourne autour de tout, qui scrute, comme on dit, « les profondeurs de la terre », qui cherche à deviner ce qui se passe dans les âmes d’autrui, et qui ne sent pas qu’il lui suffit d’être en face du seul génie qui réside en lui, et de l’honorer d’un culte sincère. Ce culte consiste à le conserver pur de passion, d’inconsidération et de mauvaise humeur contre ce qui nous vient des Dieux et des hommes. Ce qui vient des Dieux, en effet, est respectable en raison de leur excellence ; ce qui vient des hommes est digne d’amour, en vertu de notre parenté commune ; digne aussi parfois d’une sorte de pitié, en raison de leur ignorance des biens et des maux, aveuglement non moindre que celui qui nous prive de distinguer le blanc d’avec le noir."

Barrès avait écrit dans le même esprit le Culte du moi . Non pas un narcissisme infantile qui cède à la première pulsion, mais bien au contraire un ordonnancement étroit de la puissance pulsionnelle au service de l'Orient de l'Âme, de cet "haute étincelle" d'Ekhart . L'entéléchie de l'âme est multiple, habitations multiples, chemin vers le haut et chemin vers le bas Un et même .


L'entéléchie de l'âme, voilà ce qui exige la plus grande impassibilité, et aussi la capacité cruelle à trancher des liens, et à mépriser ; voilà ce qui exclut la haine, car la haine est une passion active, un énorme arraisonnement de l'objet de la haine sur nous . Par ailleurs, il est totalement vain de vouloir discuter, argumenter, convaincre . Il est possible de tout prouver, même la vérité . Et la vérité, c'est que la parole du maître pose un monde . La vérité, ami, c'est que tu ne me lirais pas si tu ne m'avais déjà compris . Si tu n'a pas vécu ce qui se dit dans ces paroles, alors tu ne le vivra pas en le lisant.

La discussion ramène au niveau le plus bas qui seul est commun . Je ne m'abaisserai plus à argumenter sérieusement, sinon avec mes frères d'armes, avec une possibilité réelle d'arracher des vérités, et de se mettre d'accord . Pour les autres, le mensonge de l'accord social sera une forme de compassion, afin de ne pas gâcher leur digestion . Comme dit Wilde, la vérité est bien la dernière chose à dire à une jeune fille bien élevée . Bonjour aux désobéissants, aux malpolis,

Et viva la muerte!

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Zinaida Serebriakova