Analogie du pain et du vin : donner et recevoir la mort .



Ce que peuvent les mots ailés n'est rien par rapport à ce que peut éclore l'étincelle des âmes . Ce que peuvent les mots ailés n'est rien par rapport à la puissance de ta peau, de ton odeur . Ce que peuvent les mots ailés n'est rien sans l'arche de tes bras au dessus de mon front baissé .

Rien ne remplace le goût du sang qui coule sous la peau, l'âpre saveur de la vie, l'odeur mêlée du sang et des roses . Aucun prix n'est trop élevé pour atteindre l'éveil, pour échapper à la mort, au destin d'airain de cet âge de fer . Aucune folie pour le monde n'est folle pensée pour la sagesse suprême de l'hymne à la nuit . Aucun sang versé dans la quête du savoir ne manque pour atteindre la paix, la divine porte du ciel .

Le poète est arbre aux racines de mort et de douleur, car ses mots sont des aveux d'impuissance face au poids des ténèbres . Sinon quand il invoque l'élévation de la mort et de la douleur, quand il invoque la nostalgie . Mais que sont mes amis devenus...ce sont amis que vent emporte, avec les neiges d'antan .

Le vol des feuilles mortes est celui de la race misérable des hommes, qui se croient maîtres du monde, d'un monde de fer et de boue . Comme les feuilles, comme les vents qui parcourent la peau de la mer, et la hérissent, les mots ailés ne sont rien .

Sinon que les mots ailés peuvent chanter le chemin parcouru sur les linéaments de ton corps, peuvent garder l'empreinte d'une caresse comme un suaire de nos amours . Sinon que les mots peuvent adoucir comme la peau de pamplemousse la dureté cristalline de la tristesse, de la nostalgie qui transporte le cœur au bout des doigts, le cœur tout entier fragmenté par une folle pensée, et rassemblé dans la profondeur de la peau . La nostalgie d'être là, les mains vides, quand tu les a remplies . D'être là battu par le vent froid venu des mers lointaines du pôle, comme le récif battu par les vagues malignes, quand tu m'a réchauffé dans tes bras . D'être là, l'âme vide s'enroulant dans les ténèbres nocturnes des nuages, quand tu l'a ensoleillée d'aurores de toutes les îles vertes, de toutes les amours perdues .

Ce qu'est la voie de la main gauche se résume en poème . Comment la puissance est par delà le bien et le mal, et reste puissance, fidèle à son essence ; comment l'analogue de la puissance est la puissance . Comment l'inversion de la puissance est puissance, et l'inversion de son inversion, une et même . Les premiers seront les derniers . Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, les deux faces d'une même pièce dans la main du Maître . L'Obscur le prononce : "le chemin vers le haut et le chemin vers le bas : Un et même ."

Le monde se résume dans un miroir . Ce qui est l'effondrement de soi est l'effondrement des mondes . Ce qui est la mort des hommes est la mort des mondes . Ce qui est l'ampleur et l'exaltation de l'homme est l'ampleur et l'exaltation des mondes . Tu est aussi cela : le Brahman, le Suprême .

L'Être est Dieu . L'Être est puissance, ainsi Dieu est puissance, et nous sommes là, êtres de peau et d'os voués à la mort, nous sommes des actes, des vagues sur la mer, des vagues sur la peau lumineuse du Dragon, jailli des Ténèbres . Vagues qui toutes lentement s'échoueront sur la douceur de la grève . La destruction est création, la fin touche intimement le commencement .

La puissance suprême n'est pas bonne pour l'insecte fermé sur sa sphère d'excréments ; pour lui elle est foudre, terreur et destruction . Ne croie pas trouver en Lui un ami, ne l'appelle pas pour préserver ton corps de boue de la morsure de la lance . Homme des lointains, repose ton regard sur le berceau de l'horizon, dans la discipline de la mort . Il n'aime pas la mort comme le port après la traversée de la vie du maître de maison, celui qui crie vive la mort au devant de l'ironie de la lune , il s'involue dans un désir plus puissant que sa vie même . Il ne peut être la place réservée d'un ordre, il est celui qui voit que le Roi Marc a des oreilles de cheval, que le Crucifié est l'autorité de la chose jugée . Il porte en son cœur l'abîme de la négation, qui le dévore . La puissance du désir ne doit pas être freinée par la peur de la mort . Au guetteur du Paradis, c'est bien à cela que sert la mort, à nous faire reculer devant son glaive de feu .

Or, de ce qu'est ton identité dans le monde, de ton visage ou de tout ce à quoi tu tiens comme homme mortel, tu n'a rien à perdre, car c'est la masse de ta perdition . Telle est la voie sinistre .

Seigneur, Ta puissance est un feu dévorant, Tes mâchoires de ténèbres broient les hommes comme des grappes de raisin dans un pressoir, comme la roue de la meule les grains, et c'est ainsi que le pain et le vin nourrissent et abreuvent . La vie est puissance qui se nourrit de tant et tant de morts .

Telle est l'analogie inverse . L'Âge de fer rejoint l'âge d'or . Dans les ténèbres de la puissance qui me traverse vit la vie de la roche pensive, vit la vie de l'arbre aux bras lourdement tournés en orant vers le Soleil, vit la vie du Serpent . Quand je t'entrelace comme tu m'entrelace, entre lierre et arbre, le serpent darde sa tête à travers toi, à travers moi . La sève de l'arbre, la rotation des étoiles tracent le temps de nos embrassements . Nous lisons ces cascades de roues de fer, ces contrepoids, ces échappements, ces aiguilles qui résument la roue des mondes, où nous nous sommes lovés dans une infime tanière, animaux, corps animés où pulse le sang tiède en cercles analogues au battements du temps .

Le monde se résume dans un miroir et une épée . L'épée tranche et sépare, ainsi de cette violence, de ce sacrifice sanglant de la séparation jaillit la lumière, et jaillissent les ténèbres qui l'enchâssent et la rendent visible et belle et délectable . Ainsi le Serpent est-il né de l'épée, mal tortueux et obscur, et promesse du retour . L'homme qui manie l'épée et aime la souffrance des combats est l'homme tourné vers l'origine, qui reproduit l'horreur de la séparation, et en jouit . Oui, c'est une grandeur de donner la mort noblement . Il est l'image et la ressemblance de Dieu, celui qui tranche et celui qui tue, celui qui reprend vers lui et celui qui éloigne, celui qui s'exerce au jugement .

Pour l'homme noble qui renonce, ne pas tuer est une ascèse, comme tout autre renoncement de la vie . Donner la mort, recevoir la mort est pour l'homme noble la forme suprême du don . Le don est jouissance . C'est la même grandeur, analogue de la même Puissance unique aux multiples parfums, teintures et formes, qui est renoncement et désir . S'il n'espère pas sans mesure, il n'atteindra pas l'inespéré . S'il ne désire pas, il ne désirera pas renoncer . Et si son désir n'est pas sans limites, son renoncement sera de glace, sans larmes et sans Joie .

La liberté naît de la connaissance du bien et du mal, qui rend l'homme comme un dieu . Je m'enracine dans la racine des ténèbres, je suis une étrange sirène de l'Abîme, au corps de mortel et à l'âme d'un démon . Ainsi fut le noble Merlin, qui dort des invocations d'une fille de l'homme . Comme le chien qui hurle à la mort, je vois que l'homme de l'Âge moderne hurle à la vie, s'il n'est déjà mort, machine, boîte qui se déplace . Car la vie atteint son crépuscule .

L'homme du crépuscule veut oublier quel abîme fonde la fierté de son bien . L'homme du crépuscule regarde avec horreur celui qui se tatoue de larges écailles sur la peau, en souvenir du Dragon . Cet homme veut chasser le dragon en lui, comme si la main droite voulait tuer la main gauche dans un miroir, comme si l'homme par horreur de la mort voulait ôter de son corps le squelette grimaçant toujours déjà présent .

C'est par amour des ténèbres que les hommes à face longue et pâle se tournèrent vers les étoiles, vers la larme de sang d'Aldébaran . C'est par amour des ténèbres qu'ils désirèrent le retour, la rédemption, la jouissance . La jouissance de la main gauche est une figure du retour, quand l'homme et la femme deviennent un . Jouissance éphémère image de la jouissance éternelle . Aveugle comme assouvissement, voie quand elle est larmes, et sel versé sur les plaies . Car le feu de la blessure est le feu de la nostalgie . Que grandisse à la folie ma nostalgie, être de chair et de la race des démons, qui virent que les filles des hommes étaient belles, et eurent d'elle des fils .

Ô ma grande douleur et ma grande folie .

Que grandisse à la folie ma nostalgie, et que pareil à l'homme pieux et fidèle qui pleure sur le souvenir de Jérusalem, que je pleure sur le souvenir des filles des hommes, sur la vérité de leur beauté issue des ténèbres des commencements, sur l'écume de leur bouche de ménades, sur leurs corps reposant sur la mousse . Si je t'oublie, ô sublime beauté! que ma bouche se charge d'amertume, que mon cœur devienne un morceau de fer qui m'entraîne vers l'Abîme, que je ne puisse être sauvé par l'amour .

Il te sera beaucoup pardonné parce que tu as beaucoup aimé . Ainsi Judas eu son Évangile, ainsi le gnostique vénère-t-il l'image du Serpent .

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Nu

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Zinaida Serebriakova