Alchimie comme chair hiératique . Lier par la puissance en acte et la vie et l'art . (Henri Corbin-Appolonius de Tyane-Aydamor Jadalki)



In memoriam Yves Saint Laurent
Au seul nombre qui ne peut être un autre.

Qu'est ce que créer, s'il faut pour cela souffrir mille morts ? Yves St Laurent créait ainsi, dans les abîmes de la folie, de la passion et des substances psychotropes .

"Yves connait effectivement l'état de grâce auquel aspirent tous les esprits créatifs, cet instant où la crainte de l'échec et de la médiocrité, de la lutte pour la reconnaissance, s'évanouit (...) . Moment éphémère et enchanté où l'esprit se disloque (...) C'est un état de grâce qu'Yves ferait n'importe quoi pour atteindre . A quarante ans, il choisit de se consumer et les résultats sont stupéfiants . "L'autodestruction était essentielle à sa créativité (...)il l'a utilisée pour aller au delà de ce qu'il pouvait imaginer (...) il avait des périodes terrifiantes, mais toujours une porte de sortie à cet enfer (...) il en émergeait triomphant." Alicia Drake, Beautiful people, Denoël 2008 .

Il mourrait, puis renaissait victorieux parmi les splendeurs des toiles et des corps à la domination surintensive, puis mourait à nouveau, repartait entre des infirmiers . Il était l'alchimie en personne .

Le lien du penseur-du poète qui pense-à la vérité ressemble à l'art du couturier ; il y met des apparences, des tourbillons, des songes, parce que la vérité du vêtement n'est pas sa forme et sa couleur, mais l'intensité que vêtu il dégage un instant . Un instant, et cette intensité pourrait être cendres . Cette intensité est une marque royale, une marque de puissance, et c'est cette puissance et cet impact sont la vérité des mots .

COMME SI l'entrelacs des mots à l'infini comme ligne rejoignait
Ma rue infinie où je ne voulais rien
La lucide et seigneuriale aigrette d'algues
de vertige
au front invisible
scintille
puis ombrage
une stature mignonne ténébreuse
debout
en sa torsion de sirène
Au bassin de l'Ange

COMME SI le souvenir amer de la peine rejoignait
Le corps chargé de ces noirs maux violents
l’ultérieur démon immémorial
N'ayant pas trouvé de bel exutoire

QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES ÉTERNELLES
DU FOND D’UN NAUFRAGE

Il n'est pas de proposition analysable dans un dédale de miroirs indéfinis .

Un homme qui croit à la question de la vérité littérale peut se demander ce qu'un mythe-faux par définition dans son idéologie-peut faire connaître de vérité . De même, un masque tient sur de l'être et de la chair . Sous nos pieds, et au dessus de nos têtes, analogiquement, s'étendent des mondes indicibles . Ils peuvent être murmurés, comme la rumeur de la ville, entre les mots, dans les silences du mythe . J'ai aimé les livres pour ce qu'ils ignorent .

Un tel homme peut croire que la biographie est l'implication de la pensée . Ce n'est pas faux, si l'on corrige en disant que la pensée est l'explication de ce que la vie implique . Explication analogique, donc avec écart, tromperie, effet optique . Mais alors, sa vie est l'implication de sa croyance en ce que la vie est l'implication de la pensée, à l'indéfini...sa position de sanglier stupide dominant se retrouve singulièrement vide . Un tel homme n'est pas un penseur, mais un idéologue de marché .

Le système céleste des liens entre la vie et la pensée peut être symbolisé par l'alchimie-ce n'est pas Jung qui le dit seul, ce sont les alchimistes depuis le commencement de cette science . St Jean de la Croix, dans la nuit obscure, le redécouvre . La biographie au sens moderne est, dans son schématisme sémiotique, le déroulement temporel des accidents d'une essence, pensée sur le modèle tangible et fermé de la chose ; ainsi on décrit la naissance, les errements et la mort de cette essence chosifiée . Cette essence est portée par un nom propre qui se répète tout au long des cycles de sa vie . Alors l'œuvre sera vue comme la reprise des complexes essentiels de cette essence, leur répétition lancinante, à travers des masques . Un auteur dans ses mémoires, enfermé dans cette idéologie, pourra écrire : "toute ma vie, j'ai été obsédé d'idées fixes" . Il ne pourra comprendre ces mots d'Yves Saint Laurent : "je me sens écartelé entre le passé et le futur, entre la vie et la mort" . Il pourra être Michel Onfray . Ou Freud, vu par Michel Onfray . Qu'importe !

Si je ne suis pas une chose, mais le pôle qui se dégage de polarités multiples en mouvement, le concept implicite de chose échoue à décrire mes cycles, pas plus que le rapport entre "moi" et "mon œuvre" ne peut être pensé sous la forme d'un rapport des choses, d'une causalité, d'une proximité, d'un contact, mais comme une déchirure, un étrangement, un exorcisme, une dislocation de l'esprit, une catharsis, un hurlement, une jouissance, un puits de ténèbres . Et de ce savoir peut fleurir la tige unique d'une volonté, d'une exploration méthodique-chaotique .

Moi, pôle au sein de cycles indéfinis, d'une consistance accidentelle, variable, états multiples de l'être et analogie de l'un, comme l'image indéfiniment répétée du soleil sur les vagues mobiles de la mer ; mon œuvre, reprise, tissage, lieu du langage des hommes lié à l'infini des mots, dans ma langue, dans les autres, paroles des sages, des prophètes, des fols, des poètes mêlées, rires, sang et larmes entrelacés dans la poussière de la guerre civile mondiale . Des liens, un système de liens, mais pas une chose, rien de fermé, de définitif, sinon dans l'esprit morbide de l'idéologie racine . Il ne faut pas discuter, mais creuser le principe même . Le mode de lecture d'Onfray lui permet de dire : j'ai lu TOUS ses écrits . Lire, parcourir la feuille, le livre, d'un bout à l'autre, en tant que chose . Qui peut dire, ô sages, j'ai lu toute l'Écriture ? J'ai parcouru toutes les feuilles, toutes les lettres, mais lu toute l'Écriture, en avoir fermé le cycle de l'interprétation ? Nul mortel, même après l'avoir maintes fois terminée comme objet . Car la sémiosis , le cycle de l'interprétation, est indéfini-nul ne peut lire TOUTE une œuvre .

C’ÉTAIT
LE NOMBRE
issu stellaire


EXISTAT-IL
autrement qu’hallucination éparse d’agonie


Parce qu'un tel objet-le TOUT d'une œuvre, la TOTALITÉ des nombres- n'a qu'une existence fictive . Seul compte l'unique nombre qui ne peut être un autre, et par cela est puissance de tous .

La totalité constituée par le lecteur est une image de la totalité . Sa fermeture est relative à la dignité du lecteur . Un lecteur digne ouvre le sens à l'infini . Un lecteur indigne voit dans l'Écriture le récit de crimes et de turpitudes ; et cela est vrai de la Bible, où on ne peut lire que l'aspect transgressif d'un épisode comme les filles de Loth ; et cela est vrai de Freud lu par Onfray . Freud menteur, manipulateur, ambitieux, intéressé . Les passions et les crimes qui traversent Hamlet, ou le quatuor de Los Angeles ne sont elles que turpitudes, ou sont elles abîmes métaphysiques ? Que m'importe la vertu, si l'avidité cruelle perce les murs . Qu'importe le jugement de l'homme vertueux...La lecture est le miroir du lecteur ; tel il lit, tel il est . Est-il borné par la loi humaine locale, alors la parole lui est insaisissable . Remarquez bien qu'il m'importe peu de défendre Freud .

La lecture d'un être humain, dans quelque lien qu'il ouvre comme un abîme, est analogue à celle d'un livre . C'est pourquoi dans l'absolu, le juste ne peut pécher absolument, et que chacun de ses pas insaisissables va vers le lieu de l'absence de lieu, ce qui ne peut être situé, ni compté, donc compté à sa charge . Chacun de ses pas insaisissable est fulgurance de poème, grâce ; le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix . Mais tu ne sais d'où il vient ni où il va . Il en est ainsi de ceux qui sont nés de l'esprit . L'éternité est amoureuse des productions du temps, et le péché est amoureux de Sa grâce . L'aile de la grâce se moque de la loi des hommes . Se moque de la loi avec passion, et culpabilité . La grâce se paie à prix d'homme .

On peut écrire, créer des aurores rêvées avec haine, avec rage, avec folie, avec calcul, avec le venin de la méchanceté et de la haine de soi . Ne pas le savoir ne relève pas d'une compréhension avancée de l'alchimie de l'écriture, et même de Nietzsche lui même . Ne pas se haïr, ne pas désirer mille fois la mort fait manquer le désir de transformation . La transformation n'est pas revêtir un accident, changer de vêtement, c'est mourir . Mourir-on meurt à douleur, à viles odeurs . L'odeur de la mort est la manifestation physique de l'horreur de la mort-en soi, il n'est pas de "mauvaise odeur", il est un signe de ténèbres .

Quand on vit un monde, mourir n'est jamais mourir pour renaître de manière tangible . La mort est un mur absolu, car l'autre monde est autre parce qu'il ne peut se manifester qu'obscurément, symboliquement, dans le nôtre . Mourir, c'est lâcher la proie pour l'ombre . Seule la grâce permet cette légèreté lucide, grave et recueillie . L'exercice de la mort rend cela plus aisé, ainsi les multiples morts, les oeuvres au noir d'Yves St Laurent . La Nuit obscure n'est rien d'autre : face à l'abîme sans fond, dévoré par le vertige, j'ai la foi, je lâche mes prises et je chute indéfiniment, sans connaître, voir ou ressentir de limites . C'est la leçon de ténèbres . C'est une décision atroce, déchirante, de surmonter l'horreur intime de la folie .

Je ne sais pas si l'immense puissance de la vague va me briser, petite pierre battue par la mer, ou si elle va me porter d'un pas vertigineux au sommet impassible des monts, comme l'Arche de Noé . Je l'ignore, et pourtant je plonge vers elle avec le désir indéfini de Poséidon . Je ne sais pas si je vis dans l'illusion, ou si je vis le sommet de la vie humaine . Je ne peux en posséder la certitude, pas plus que, marin de la nuit illuminée, je ne peux posséder les merveilleux nuages d'étoiles des mers du Sud, les mers phosphorescentes sur la route de la baleine . Mais je sais que si je ne me dirige pas vers cette immense falaise de mer, qui me barre l'horizon-si je fait un pas de côté, si je me retourne, alors elle passera sans plus me voir, silencieuse comme un feu de St Elme . Et je resterai immobile, pareil à un phare sur la mer, qui pleure au dessus des eaux .

Sans la puissance indéfinie de la nostalgie essentielle, nul homme ne va vers son destin . Saisir le kairos, l'instant éternel, ne peut être que l'aboutissement de la légèreté du désespoir, d'un puits indéfini d'inquiétude . Là se lient, s'entrelacent la vie et l'œuvre, l'alchimie des ténèbres et de la lumière de la beauté .

QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES ÉTERNELLES
DU FOND D’UN NAUFRAGE

Tristan rencontre Iseult et commence l'alchimie essentielle dans les splendeurs enroulées de l'instant infime . Iseult sert légèrement le philtre sans hésiter, d'un premier mouvement, malgré son immense tension intérieure, comme on lâche prise face au plus grand danger . Tristan porte en blason le soleil noir de la mélancolie, Iseult a perdu son pays et son père . Le Barde dit leur désir essentiel, le céleste pays et la grande amitié . Comme le Tantrika, ils sont dénoués des liens des mortels, suffisamment pour entrer dans les cycles de l'Oeuvre . Comme la Sulamite du Cantique, ils sont errance et perdition . "J'ai cherché dans les nuits, celui qui aime mon âme, je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé . Je me lèverai, je ferais le tour de la ville, et je chercherais dans les rues et dans les places publiques celui qui est le bien aimé de mon âme ; je l'ai cherché, et je ne l'ai pas trouvé" . Mais tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais pas toujours déjà trouvé . Jusqu'à ce que le jour commence à paraître, et que les ombres se dissipent peu à peu, avant que souffle le vent du jour et que les ombres ne deviennent fuyantes, reviens, ma bien aimée, soit semblable à une gazelle ou au faon des biches sur les montagnes de l'horizon...





(idem)

Dans le Verbe s'amorce le chant de la chair produisant la foudre, et dans la neige blanche se forme la figure sanglante du corbeau, rassemblant la blancheur stellaire de la peau parfumante, le noir de ailes de corbeau de ses cheveux et de ses yeux, la blessure sanglante de sa bouche, et l'abîme atroce de l'absence, l'absence dure, amère, cruelle : la dislocation de l'esprit . C'est le souterrain obscur d'Hermès, dont le Grand Livre du Soleil dit :

"Et sachez que je comporte différents modes d'être : je suis transfert, régime stellaire, occultation .

Quand a celui qui est entré dans le souterrain obscur d'Hermès-Thot et en est ressorti à la clarté du jour et du rayonnement de la Lumière suressentielle qui est la parure du Philosophe, celui là, avec ce qui fit la matière de l'initiation qu'il y reçu, a saisi quelque chose de mon secret ."

De ce terrible ensemble de polarités, de couleurs en lutte, naît la tempêtes des déchirements et du sang sous le signe de l'Un .

"Je l'embrasse mon âme toujours pleine de désir
Mais après peut-on se rapprocher plus encore?
Je pose un voile sur sa bouche afin que meure ma passion
Mais mon délire ne fait que s'accroître
Ce qui me possède me consume tellement
Que rien de ce que je peux boire à ses fontaines ne peut l'apaiser
Cette passion de feu illimitée qui s'élève
Fait nos âmes et nos esprits s'entrelacer comme les fumées ."

Commentaire : Quant à l'explication des mots prononcés (...)il n'y a rien alors en ce monde qui soit d'un rang supérieur à nous, rien qui soit plus parfait en puissance et en magnificence . (...)je dis : dans les secret des natures des conjonctions, Il a mis a mis des indices révélant les modalités attachées aux êtres, parce qu'elles sont des signes, surtout la conjonction du Soleil et de la Lune qui se produit à la fin de chaque mois-alors se produit la consociation entre les deux . Lors donc que se produit cette conjonction, il n'y a rien en ce monde ci qui soit d'un rang supérieur au leur, ni plus parfait qu'eux en puissance et en magnificence (...)en effet Il les a comblés et a fait de tous les deux les signes de la nuit et du jour(...)le corps brille de l'éclat de la lumière aurorale...Dans la forme de leur consociation il a mis des signes (...) de toutes les questions et les choix qui s'y poseront (...) de même aussi dans le monde produit par l'Art quand ils sont réunis et en conjonction ; car alors en procède tout être comme beauté (...)"

La conjonction est l'explication d'une implication éternelle du kairos : y sont impliquées toutes les questions, tous les choix qui s'y poseront, le labyrinthe entier, mais occulté aux regards mortels . L'œuvre est la manifestation et le sceau de l'occulté . De l'explication, de la manifestation, procède un être et un regard, un monde nouveau . Alors apparait dans le regard et dans les mots l'aurore essentielle, l'aube d'été, la Splendeur de l'Un dans l'éclat de la couleur de leur embrasement .

"Je suis celui par la Lumière de qui l'air est illuminé . Je suis celui qui échauffe la Terre et en fait sortir les merveilles végétales . Je suis celui qui, par sa puissance souveraine, repousse l'obscurité des nuits . C'est moi qui fait croître toute fleur . C'est moi qui fait lever l'aurore des mondes .

C'est moi qui revêt de lumière toute chose possédant la lumière . Toute chose belle, toute chose gracieuse et éclatante, relève de mon œuvre . Celui que je revêt d'une partie de mon vêtement, celui-là perçoit la complète beauté et l'éclat total, parce que ma couleur est la plus puissante, la plus belle et la plus éclatante des couleurs ."

La beauté est dans l'œil de celui qui regarde après avoir traversé les morts dans l'embrasement de ses embrassements, signe unique du jour et de l'abîme des nuits . L'œuvre revêt de lumière toute chose possédant la lumière . Elle est la couleur la plus puissante . Alors l'œuvre d'art, alors l'écriture s'élèvent, fleuve végétal emplis de fragrances étranges et charnelles, empli de l'âme éternelle de la forme des fleurs-et cette forme est celle de la Lune en ses fontaines .

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Nu

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Zinaida Serebriakova