Ce qui manque ne peut être compté . L'homme du lien symbolique et l'homme particule.

(Dissociation-Bacon)

L'homme habite en parole . Dit Heidegger . Cela doit être déployé, manifesté . L'homme est constitué par la parole . Le premier acte de Dieu est son Verbe . Dieu dit : "que la lumière soit"-au commencement était le Verbe, dit l'Aigle .

L'homme est institué par la parole . L'homme est une institution de la parole . Son identité, sa structure, son être, son essence, sont symboliques . Même le domaine du non-verbal, même l'abaissement supposé de la puissance du Verbe sont encore posés dans le Verbe . L'homme n'est pas une chose . Il est lien, il est le lien par excellence d'un chaos primordial qui se dissout, et que la parole ordonne, c'est à dire relie à l'Un, le seul sage, qui veut et ne veut pas être nommé . Le Verbe a ordonné, séparé les Lumières des ténèbres, et analogiquement, d'un ordre inférieur, le verbe de l'homme ordonne un chaos analogique, une matière ordonnée par les Vestiges du Verbe primordial . Il verse dans l'hubris s'il oublie à quel point cette toute puissance n'est qu'un reflet de la toute puissance primordiale, à quel point elle est tissée de néant et de cruauté . L'homme ne tire sa grandeur que de son abaissement primordial . Inversement l'ivresse de sa puissance technique l'aveugle sur l'exténuation de sa puissance humaine ordonnée au supra-humain, de sa puissance à être image et symbole des soleils invaincus .

L'homme relie ce que le Verbe a séparé, lumières et ténèbres, bien et mal ; l'homme est en lui même cercle et croix, tronc de l'arbre de la connaissance . C'est le système des liens dont la tension entre le pôles le constitue, comme un pont de cordes tendu sur l'abîme . L'homme a besoin du mal pour s'étendre, pour exister-tel est l'entêtant enseignement de la Gnose ). L'homme ne peut être entièrement être, conscience et félicité ; il est tissé de néant, d'inconscience, de souffrance . Le mal est une puissance de l'âme, une fontaine scellée . L'homme est comme une voile au vent, il est vide, et captage de puissance . L'homme n'est pas une chose, il est une image, c'est à dire qu'il est l'analogie de l'Un, image, et séparé de lui, car l'image est à l'opposé de son origine . Tendu de vide et image, tel est l'homme .

Le symbole, que porte le Verbe, est vide, il est cet être de néant qui s'analogue à son signifié . Le signe, figure la plus simple du symbole, n'est pas une chose, il est un lien . Le signe est cela : il est ce qui manque . Et ce qui manque ne peut être compté . Le lien n'appartient pas aux étants que le quantitatif peut ordonner . Je ne parle pas d'un contrat quantifié, mais d'un lien ouvert, indéfini . Ouvert sur ce qui manque, sur ce qui ne peut être compté, et sur les frontières de l'indicible .

L'homme qui médite, le barde dont le chant de tristesse s'élève,

Ce sont amis que le vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta


Le mortel qui regrette ses morts face au champ du sang- celui qui regarde, rêveur, le lieu d'un indicible massacre-ceux là se tournent vers ce qui manque . Toute grandeur se tourne vers ce qui manque . Il n'est pas de grandeur humaine sans nostalgie . Ce qui manque ne peut être compté . Qui peut dire combien d'hommes sont morts ici, où là ? Et quand je dis ces paroles, à peu que le coeur ne me fend . Ce qui manque ne peut être compté . Le poète évoque, évoque et le coeur qui pleure jusqu'à la mort, évoque les mondes qui manquent, l'aile des aurores à venir .

Ce qui ne peut être compté est évoqué par le poète . Le symbole tissé d'absence le rencontre . En tant qu'institué par le Verbe, l'homme est intermédié, triangulé dans son lien à autrui . Son lien à autrui est parlé, et intermédié par la parole . Plus même, sa nature d'image, d'être le plus intensément être mêlé de néant, lui impose, pour être quelqu'un, pour s'impliquer dans une structure réfléchissante comme un miroir, de reconnaitre l'autre homme . Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même-c'est n'est pas un conseil de morale, que donne le résumé de la gnose juive, c'est l'explication du pli le plus intime, de l'essence de l'homme . La quête de l'absence infinie, et la nécessité de lire la présence de l'absence dans les signes, et dans les énigmes de la parole d'autrui, tel est l'enseignement de la queste du Saint Graal . Divers drames se nouent dans ces liens . Le plus manifeste est celui de Caïn . Pour exister, l'homme a besoin d'un regard de reconnaissance . C'est un regard de reconnaissance comme être humain qui lui donne l'être . Un enfant qui n'a jamais reçu un tel regard n'accède jamais à l'humanité . Tel est le sens métaphysique de la parole de Paul : "si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien" .

Si ce regard désiré ne se porte pas sur lui, Caïn, il peut, plutôt que de reconnaitre son impuissance sur le regard qui se détourne de lui- c'est à dire implicitement reconnaître son propre caractère haïssable-tuer celui vers lequel le regard se porte quand il se détourne de lui . Car tout regard-celui dont je parle- est regard sur quelqu'un . Le regard dont je parle institue l'être de mondes nouveaux, est regard de l'aurore jamais rêvée .

Toute conscience est conscience de quelque chose-telle est la maxime de l'intentionnalité . Par la chose, j'accède à la conscience de la conscience . Mais pas à la conscience d'être quelqu'un . Être quelqu'un, être un être humain, c'est avoir été regardé comme un être humain par un regard de reconnaissance . C'est le regard croisé du Père et de la Mère . Être un poète, c'est avoir été regardé comme tel par un regard souverain-c'est pour cela que le Barde est indissociable du Roi . C'est pour cela que le troubadour se tourne vers femme noble . La princesse aux yeux sombres t'institue poète-et quand bien même deviendrais tu mal-aimé, comme Apollinaire, ta chanson n'en serait pas moins son reflet, sa démarche, son regard imprimé dans le souvenir . Dans le Maître et Marguerite de Boulgakov, il n'est de Maître que par la puissance de Marguerite, la sorcière ; il n'est de Marguerite que par le regard du Maître . Plus profondément, tout regard essentiel est l'offre et le destin d'un accès à un état de l'être impliqué dans mes puissances, mais fermé à la saveur des mondes, avant qu'il ne se pose de son aile angélique, et puissance en acte . Le regard essentiel est une compréhension non seulement de ce qui est manifeste, et de ce dont j'ai conscience, mais de ce qui m'est inconnu, abîme, non manifesté . Enjeu d'être, donc jeu sur la vie et la mort, le regard est le lieu d'une lutte à mort .

Je peux invoquer une puissance sur le regard qui se tourne vers moi et se détourne . Je peux développer un regard de puissance, celui de la volonté de fer, du désespoir, du plus haut désir . Il naît alors la lutte à mort, entre le pur éclat sombre du regard de la Reine, et le regard du barde, porté par le feu des souterrains, où se vivent les dragons de l'âme . Ce n'est plus son regard d'homme, mais le regard de la mer, du Serpent, de la mort, le regard aquatique du dieu Thot-le regard sauroctone de l'Archange . Une lutte à mort pour la reconnaissance, où la Princesse manifeste une puissance de vie-le secret de la vie-, et le Barde les océans d'éternités traversés pour la trouver, la totalité impliquée de l'infinies mélancolie, rage, folie de la quête . Dans ce croisement a lieu une initiation, une mort et une renaissance, une initiation double . Cet éclat qui lui ouvre la porte des prisons intérieures, des obscurs labyrinthes de la voie du désespoir, ne se refusera pas à lui sans le tuer-il demande : regarde moi encore, ou tue moi . Tel furent Merlin et Viviane . Un tel regard d'abîme ne peut être simulé : il est-ou il n'est pas . Lutte solennelle, rituelle, la lutte entre le dragon rouge et le dragon blanc des Prophéties de Merlin, qui fait naître le lac des fées, le miroir limpide où le ciel aime à se contempler, et où grandissent les puissances de restauration des mondes anciens . C'est un kairos, et rien ne peu plus être comme avant . C'est une lutte à mort, une lutte passionnelle, charnelle, dans la poussière des réalités les plus concrètes . Mais cette lutte à mort, cette lutte qu'engagea Jacob, Caïn n'ose pas l'engager-Caïn se hait lui-même avec passion, Caïn se sait indigne . Ce n'est qu'en tuant son frère Abel qu'il peut attirer le regard . Ainsi versa-t-il le sang de son frère .

S'il tue l'autre homme, il doit le faire avec amour et respect, et donc avec culpabilité . Car c'est son amour, son respect, sa culpabilité qui l'instituent alors humain . La guerre chevaleresque est un combat pour la reconnaissance, accompli selon des règles de respect . C'est un combat qui intègre une dimension symbolique . Mais il porte alors le sentiment de la culpabilité . La culpabilité, cette douleur paralysante que chaque homme veut peser . Mais il n'est pas d'homme sans culpabilité, sans ce sentiment d'avoir manqué à autrui . Avoir manqué, manquer, est un fondement de l'humanité . Ce sentiment est aussi conditionné par la structure sémiotique de l'homme, son caractère d'être tissé, indéfini, sans identité stable . Je sais que l'immense désir peut a se point désespérer que je ne savait plus si je devais me tuer, le tuer lui, te tuer . Le crime passionnel est une horreur . Je crois que je t'aurais suppliée de me tuer . Mais quel que soit le désespoir de Caïn, la culpabilité n'est pas structurellement quelque chose que l'on pourrait cacher sous une pierre, jeter dans une rivière .

Pour échapper à son sort, Caïn veut annihiler son frère, veut se débarrasser de sa culpabilité, de sa mélancolie essentielles-le temps de la nostalgie est révolu, va-t-il proclamer- ; annihiler, lui dénier son humanité, le penser non comme lien, mais comme chose-objet de jouissance, objet de consommation . Il pense son frère comme objet de jouissance, mais ne peut échapper en retour à devenir un tel objet, à devenir objet de consommation, à se sentir consommé-là où il devrait être consumé de folie . Il peut nier son humanité pour le tuer sans le tuer, le faire disparaître, le "traiter" dans une "opération spéciale" . Le traiter comme pou, vermine, bactérie . Telle est la racine de toutes les théories moléculaires, atomiques, électroniques de l'homme, liées à l'ontologie de la chose : penser l'homme comme une chose matérielle vide et nue, penser ses liens si essentiels qui le constituent comme accidents, penser que couper ces liens n'engage en rien la vie . Alors que -je le dis avec certitude- je mourrais de te perdre .

Il peut développer le shock testing - à partir de la science des armes, penser aux moyens de minimiser les effets de l'exercice de la violence sur le bourreau-élaborer une science de la manipulation ou de la destruction qui ne l'afflige pas en retour . Mais c'est impossible, tel est la damnation de Caïn . Celui qui fait des autres des objets ne peut être qu'un objet, des spectacles un spectacle . Celui qui coupe les forêts ne peut plus les comprendre, définitivement, celui qui tue les femmes et les enfants se perd lui-même, perd son âme . Alors furieux, il veut en fermer l'accès à tous . La cruauté acquise se diffuse de cette fureur . Diffuser la cruauté et le meurtre, tel était l'objectif du NSDAP, son entéléchie même . Telle est la fascination, de promettre l'inhumanité au nom du surhomme, du dépassement de l'homme . Promesse venimeuse, morbide . Le dépassement de l'homme est l'homme . Le seul accès permis par cette promesse est l'accès aux mondes infra-humains, aux lares et aux cauchemars de Jérôme Bosch . Notre civilisation du dépassement a été celle des grands massacres . Par la domination et l'asservissement, je sombre vers l'état de l'être que j'accorde à autrui . Par la lien hiérarchique s'élabore une reconnaissance réciproque . Mes puissances de velours noir, vitales et profondes, doivent être transformées pour ne pas m'égarer dans le labyrinthe des ténèbres .

Caïn peut espérer, après le meurtre réel de son frère, être soulagé de la morsure de son désir, de sa haine, de son désespoir . Le meurtre est justement cela, ce qui réduit son frère à n'être qu'un objet ; car tel est le corps, un simple objet, un signe des cycles symboliques qui tournaient autour de ce centre corporel, un signe de la chair céleste qui vivait de ce sang, de ces tripes, de ce coeur, de ces rêves . Il peut posséder ce corps, mais posséder ce corps n'est l'ouverture que sur son néant . En tuant, il vise l'insaisissable qui le torture, en lui renvoyant le reflet de son absence ; mais il n'atteint que le corps . Ce qui manque à un corps pour en faire une vie est insaisissable . Ce qui manque ne peut être compté . Il tue, et ne garde que le néant qu'il voulait fuir ; aussi peut-il tuer à l'infini, sans cesse, sans trêve, sans jamais trouver la paix .

La dialectique est mal comprise, quand on pose que la simple négation est donation d'être . Le fruit accomplit la fleur et la nie-non nier, mais accomplir . Mais la négation de la fleur est tout sauf la fleur, c'est à dire pratiquement le néant . Celui qui domine en écrasant, celui qui tue, celui qui massacre ne saisit que du néant, échoue à se poser tout puissant face à l'autre homme, puisqu'il lui dénie l'humanité, et le regard de reconnaissance qui lui donnerait l'être . Analogiquement dire que l'homme est la négation de la femme et la femme celle de l'homme, ne signifie rien d'autre que leur cycle, pourtant parsemé de lutte à mort, est Un, qu'ils s'accomplissent dans un cycle spiralé qui s'élève vers les puissances des mondes-non par le meurtre, non par l'enfermement dans un pôle, non par la réduction à l'objet que cherche la jouissance immature dans toute son enfantine sottise . Mais par l'habitation archétypale d'un lien infiniment singulier, par essence ouvert vers l'infini-l'habitat de puissances de transformation ascendantes, une alchimie de lumières et de ténèbres entrelacées à la chair .

Cette sottise immature qu'est la jouissance d'un objet porte un nom : c'est la structure de la toute puissance humaine, analoguée de la toute puissance de Dieu pensée par la scolastique du XIVème siècle ; c'est la toute puissance egotique des modernes, qui posent qu'il n'est rien d'autre que le chaos absolu dans l'être, que l'ego ordonne, souverainement, sans avoir ni ordre naturel en lequel trouver demeure et harmonie, sans être limité par des limites pensables ou acceptables, pensées par principes non comme des protections ou des haubans, mais comme des chaînes étrangères . Tout puissant par delà le bien et le mal, l'ego immature aveuglé par la toute puissance moderne croit que rien- aucun être- ne l'empêche de réduire l'autre à l'objet, ou de le tuer . Que rien de réel ne correspond à sa culpabilité, à sa nostalgie, qu'il doit s'en débarrasser . Au fond, il s'imagine qu'autrui est un problème entre lui et lui, un problème interne .

C'est là qu'apparait le nihilisme, le lien structurel entre l'exténuation de l'être de l'homme et l'inflation illusoire, spectaculaire, de la toute puissance egotique du moderne . L'homme pose son moi face au non-moi, ne trouve d'identité que face à un monde, ne se détermine que par négations . Or, en niant toute consistance au monde, au non-moi, le bloom oublie que les limites du Moi sont celles du Non-moi, ou encore, en rendant de plus en plus indéterminé, exténué, l'être du monde, le bloom court vers le néant-le sien . Amené à contempler l'abîme, il se retourne pour se voir, et ne trouve : rien . Le sommet de la toute puissance est sa disparition, sous lui, d'un seul coup . Le caractère infime, indéterminé, liquide du bloom tient à son incapacité structurelle à l'articulation, au recul de sa capacité verbale, surtout sensible en ce qu'il traite le verbe comme un accessoire, un accident de l'homme, ou qu'il le place à équivalence du langage des animaux . Et au seuil de la disparition, le bloom entre dans l'indicible, mais inversé avec l'indicible de la nuit mystique ; cet indicible est à proprement parler, l'horreur froide, banale, de la déshumanisation moderne .

Les maladies de l'âme les plus féroces spécifiques à notre ère, ces hyènes et ces vautours d'âmes en voie de destruction à l'ère du Nihilisme, sont liées à cette indétermination néantisante par destruction des liens, par la destruction des liens traditionnels entre les hommes, constitués de symboles, de rites, vignes arrachées par toutes les "libérations" modernes . Incapable de se définir par sa filiation, sa langue, largement exténuées et rompues, le bloom se détermine par la haine, par la haine de l'Autre qu'il n'est pas, ce qui lui permet de substituer la haine à l'angoisse, selon le mot de Carl Schmitt . Opposé à l'autre haïssable, il est bon, moderne, beau, vainqueur, créateur, triomphant, selon les abjects cortèges de "vainqueurs" hurlant "on a gagné"sans avoir réellement participé à rien . Ainsi le racisme est-il proprement une spécificité de l'ère du bloom . Mais le moralisme, le politiquement correct, la définition de l'ennemi comme caricature de l'être humain dépourvu de la moindre légitimité, etc...possèdent exactement la même fonction de conférer une consistance aveugle, vide du riche regard de l'humain, à l'être fantomatique du bloom .

Dans l'inflation néantisante de sa structure de haine se trouve la racine de l'homme accomplissant un génocide, forme criminelle spécifiquement moderne . Au moment d'un génocide, toutes les barrières morales sont effondrées . Il est interdit d'interdire . La frénésie de meurtre devient contagieuse . Les tueurs ne savent plus qui ils sont-plus exactement, ils ne sont plus .

Eux aussi sont déshumanisés . Tout est déshumanisé . Ils tuent en eux l'humanité en déshumanisant leurs victimes . La folie rode en eux . Au delà de cela naît l'indicible de l'horreur . Cet indicible de l'horreur provient de la mort de l'humanité, donc du langage . Le langage est la substance de la vie humaine, et ne peut exprimer la sortie, y compris la sortie vers le bas, vers l'enfer . Là, dans cette sortie, se trouve la justification réelle du concept de crime contre l'humanité : ces hommes commettent un crime contre l'essence de l'homme .

Face à l'horreur de la déshumanisation, l'homme réinvestit le Verbe . Parler face à l'horreur est se retrouver être humain, digne d'un regard de reconnaissance d'humanité, d'un regard de désir, d'un regard d'homme, non du jaune regard de la Bête . Aussi les victimes qui le peuvent écrivent, parlent de nombreuses langues, investissent le champ du Verbe . Ainsi la poésie est-elle dans la détresse absolue de l'âme le bouclier, la puissante sauvegarde . Ainsi face à l'horreur vécue l'homme doit-il parler, parler, parler, structurer par la puissance du Verbe l'horreur laissée dans l'indicible . Ainsi le Barde, en luttant aux frontières de l'indicible, attend l'aurore du chant retrouvé . Les psaumes sont le plus souvent des chants d'immense détresse, des prières de désespoir, qui réinstituent humain celui qui étouffe dans les ténèbres des labyrinthes des mondes . Le Verbe sauve .

Nous sommes partiellement sortis de ces frénésies immondes de sang, mais pas des structures de pensées qui les ont fait naître . L'histoire des massacres modernes ne peut que constater le rôle déterminant de l'idéologie . L'idéologie crée la puissance d'être qui pose le massacre . Nos idéologies sont les constitutions de substitution de l'être humain face à la destruction brutale des liens traditionnels, face à la production méthodique par le Système d'une société d'atomes, de molécules, de particules élémentaires . En lui même, le Système est un crime contre l'humanité, par l'appropriation technicienne en vue des fins du Système des structures du Verbe qui constituent l'homme . L'humanité essentielle peut être détruite, pour son bien, pour la libérer de la culpabilité et de la nostalgie .

L'idéologie profère que la parole est peu de chose, oppose la parole à la vie, l'art à la vie, comme si la parole, comme si l'art étaient des accidents de l'existence humaine . L'idéologie, pur produit technique à partir de la matière du Verbe, des mots de la tribu, annonce la fin du Verbe . Sur un tel plan, l'homme ne peut qu'opposer une lutte à mort . Il ne s'agit pas de goût ou de littérature, c'est à dire d'ornement, de décor . La parole, l'art, la poiésis, sont de l'essence de l'humain . L'homme, sans elles, étouffe comme un poisson au fond d'une barque . Et la disparition de l'homme, sa dévoration par le bloom, est le crime par excellence . Nous occidentaux, sommes en train de nous laisser mourir .

La guerre métaphysique est inévitable . Ou mourrons .

Viva la muerte !

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Nu

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Zinaida Serebriakova