Attente sur l'horizon des montagnes .

(Spitzer, Cantiques des cantiques . Galerie Célia B.Guedj à Lyon)

L'attente est mortelle et ne doit pas nous tuer .

Nous regardons l'horizon, et loin, très loin, nous voyons des colonnes de fumée se lever comme une aube d'été des montagnes de l'horizon . Le signe du feu annonçant l'arrivée d'autres choses, du convoi de la Reine de Saba, du Prêtre Jean, la fin des labyrinthes de rêves de Merlin-la mort du Duc de Cornouailles, la jouissance d'Uther Pendragon .

Les colonnes de fumées des armées des trois mondes en marche, du feu dévorant la paille des mondes vides et secs construits par la main des pères . La puissante trompette frappera le monde-le kairos est là, toujours déjà présent . La vie humaine est, dans l'attente, d'une amertume infinie, et si grande . L'essence de l'homme est aussi cette attente . La vie est en soi comme être, conscience, félicité, toujours déjà présente . Et j'attends ce toujours déjà présent, comme un a-venir, un monde à naître de cette aube sur les montagnes de l'horizon . Est-ce ignorance, aveuglement, ou déroulement, explication du Serpent du temps, dont les spires se rejoignent dans l'Ouroboros des cieux étoilés, giflés par la queue scintillante du Dragon ? J'attends, alors que chaque grain du sablier céleste est tissé d'éternité . Mais je t'attends, je viens doucement vers toi .

Être au grand midi du kairos, c'est être plus en un instant que n'importe quel organisme centenaire de forme humaine, à la peau de tortue et au cerveau de reptile rassis de lâchetés et d'aveuglements, le modèle moderne de l'immortalité : le rentier centeniais-re, le vieillard baveux, impuissant, inepte, plein de gratitude pour son infirmière . Ce que l'État voudrait être, l'infirmière du plus grand nombre, de tous ceux qui n'attendent plus rien que d'attendre encore, en glissant lentement dans la poussière des linceuls . Attendre ? Mais quoi, sinon le Progrès ? C'est à dire la mort oui, mais l'euthanasie, la mort dans le bonheur du plus blanc que blanc, de l'hygiène, du politiquement correct- Chers clients de la Clinique de la Mer, chaque vie humaine est également précieuse pour nous...comment le pourraient-elles, quand la mort de mon ennemi me réjouit, et que je mourrais de ta mort ? Les floraisons de centenaires tremblotants comme des flammes de bougie au vent du siècle à venir ne sont pas une attente, mais la manifestation du caractère pathétique et vide du Progrès dans le Système .

Le monde de la sécurité que nous connaissons a des fondations, des pôles aussi vides, illusoires et fragiles que le monde de la sécurité d'avant 1914, et les puissances de destruction sont tellement, tellement plus développées . Notre monde de la sécurité est gonflé de vide, de vent . Et le rien perce toujours davantage, creuse toujours davantage . Notre monde est une danse macabre silencieuse, invisible, couverte par les images des poteaux de couleur où la vie humaine est clouée . Un monde aussi monstrueux en son essence peut s'involuer indéfiniment, mais il ne peut durer, il ne peut être .

Pourtant il nous permet de vivre . La vie doit continuer, alors que nous voyons ces colonnes au loin qui la nient comme continuation, qui annoncent la grande guerre . Alors que la singularité se rapproche qui rendra le monde de la sécurité monde passé, perdu, éperdu dans ses illusions, la sécurité mythe passé, la folie et la destruction réalité massive et déjà présente .

La vie est vidée de sa substance intime, n'est plus crédible, la vie est comme un dessin naïf en noir et blanc, mais qui reste le support matériel de la vie, car ce qui est fatalement en cours n'est pas arrivé jusqu'ici . C'est vivre alors que la vague monte, qui inéluctablement, s'abattra . Mais il faut vivre, c'est la loi des hommes . C'était déjà l'expérience de la mort soudaine de l'homme travailleur, avec son plan épargne retraite . De la mort soudaine de l'homme ambitieux, avec son plan de carrière . Salomon dit : et cela aussi est vanité et poursuite du vent .

L'art philosophique véritable est d'écrire un chant à la lyre alors que dans Rome se déchaîne l'incendie . Néron était peut être ce grand poète qu'il voulait être - D'écrire une lettre d'amour alors que Moscou brûle . D'écrire un roman ironique et léger sur des cartes à jouer pendant les affres de la retraite de Russie...ou un roman sur Jésus sous le règne du Soleil trompeur, Staline...de tisser un lien d'amour pendant la guerre civile mondiale...d'aimer comme Juliette un homme de la maison ennemie pendant des désordres civils...de sauver des hommes au coeur des massacres, au péril de sa sécurité et de son épargne retraite...d'appeler au goût des roses blanches en enfer... oui, quels hommes c'étaient !

Rien n'est plus grand qu'un baiser de ta bouche . Rien n'est plus follement, terriblement humain, vertigineux, solaire . Qu'importe alors Rome et ses incendies ! Qu'importe la prise de Rome par Alaric, les barbares déferlant au siège de l'Empire du monde si la Cité de Dieu est sur ta bouche... Pascal le disait lui-même, la vie doit commencer par l'amour . Elle peut continuer par l'ambition . L'ambition est un pis aller .

Nous continuons à devoir agir comme si le monde était éternel pour survivre, alors que sa destruction est en cours de manière visible et invisible . Grande est la tentation de perdre pied dans ce monde, et cela ne nous aidera en rien pour affronter ce qui arrive .

Funambules, nous marchons sur un fil de plus en plus fin et élevé, riant au dessus des abîmes . Mais comment ne pas continuer ?

Rire au dessus de l'abîme est la grandeur du Dandy-rire de sa propre mort, rire des hommes, et boire les rayons de l'Aube au dessus de l'horizon, avec des larmes dans les yeux . Embrasser l'Ange aux ailes de feu qui paraît au delà des ténèbres .

Sol Invictus .

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Zinaida Serebriakova