Discipline de l'extrême .

(Austin Osman Spare)



"Toi peuple des extrêmes-des écueils venteux
Et jachères enneigées-Et toi peuple du désert brûlant!
Berceau du dieu fantôme...également éloignés
De la mer sereine et de l'Intérieur où la vie
se vit à son terme dans un univers du dieu et de l'image!..
Blonds ou noirs vous êtes issus du même giron
Frères méconnus vous cherchant vous détestant
Toujours errants et donc jamais comblés!"

Stefan George, l'étoile de l'alliance .

You never know what is enough, unless you know what is more than enough .


William Blake, proverbes de l'Enfer . (Hagakure . Evangiles . Apocalypse. Goethe . Empédocle . Crowley . Nietzsche . Livre de la Clarté .)


La pensée que je quête, que je forme de spires, comme le crotale dans le désert cherche sa proie, est la discipline de l'extrême . Est vie, et vie le long des falaises de marbre, parmi les vautours, non avec les autres hommes . Je parle des derniers hommes, ceux qui clignent des yeux en aimant leur vide, et se détournent du soleil de Zarathoustra . Ceux qui ne sont ni froids ni brûlants . Passé le pas de la porte, parmi eux, l'homme est parmi les morts – aussi je cherche les déserts de ce monde, auprès des falaises de l'âme . Sur les falaises, tu regardes l'abîme, et tu te familiarise de Son regard en toi .

Celui qui désire mais n'agit pas engendre la pestilence . La pensée que je quête est l'intensité du risque, le goût du sang, de mon sang dans ma bouche, dans l'éclair de mes yeux . Elle est nécessité du passage à l'acte . Et je suis le premier objet de mon acte .

Brûler est acte . Il n'y a rien de plus important, le moment venu, qu'un zèle fervent. La vie est faite de cette ferveur, ce feu qui se renouvelle à l'infini . Peut importe qu'il soit tard, pour voler des étincelles .

La quête d'une vie ne connaît pas de fin. Un homme qui pense qu'il est arrivé est un homme malavisé. Si nous voulons découvrir le chemin de l'accomplissement, il nous faut continuer à penser que les résultats obtenus ne sont jamais totalement satisfaisants et continuer à explorer les pistes qui jalonnent notre vie . C'est pourquoi il n'y a pas de lieu d'où partir, pas de lieu où arriver, rien à chercher . J'ai fondé ma cause sur rien .

La vérité ne se situe pas dans un endroit, mais dans la quête même de la vérité.

La pensée dont je déroule les spires est venimeuse comme le venin du Serpent . Elle ne convient qu'aux sorciers, mithridatisés par une longue fascination des enroulements de la mort, quand le serpent est entré dans l'orbite du crâne, venu des orbes de leurs astres défavorables .

Si le choix est entre vivre et mourir sans l'étoile, il est préférable de mourir . La vie sans le feu du commencement, sagesse et bénédiction, est mort à l'homme éternel . Le visage qui ne donne pas de lumière ne deviendra pas étoile . La vie sans le reflet de la rose pourpre au fond des yeux est mort . La vie sans l'ivresse indéfinie de tes sucs est mort ; mort aussi celui qui a oublié Jérusalem pour chanter au bord des fleuves, qui ne cherche plus l'Éden .

Où est le jardin d'Eden ? Rabbi Amoraï demanda : Le jardin d'Eden, où se trouve-t-il ? On lui répondit : sur la terre .

Il n'est qu'une loi pour la force qui va . Fait ce que tu veux est le tout de la Loi . Règle mortelle, venin pour l'homme vil . L'homme noble veut ce qui veut la volonté à travers les battements de son cœur, à travers les cycles du souffle, analogues aux orbes des astres . Il veut la volonté de puissance, il est l'amor fati, l'amour du destin . Il ne veut rien de tel que l'ego . Il est aussi le serpent, le rameau couvert de bourgeons tendres, la fleur, le sommeil pensif de la roche, l'arbre, le patient travail des racines qui fendent le roc .

Tu attends sur l'horizon des montagnes – tu attends que de l'océan se lève le spectre de la Baleine Blanche . Tu attends immobile, pareils à un phare sur la mer . Alors se lève ce qui est attendu, l'alliance du Temps et de l’Éternité, le Kairos .

Le destin ne parle ni ne cèle, mais fait signe à travers le Kairos . Le moment présent peut se révéler être le moment crucial, le moment crucial peut bien être le moment présent. Si en un instant ta vie se joue, alors tu dois être prêt à la jouer en un instant. A ce moment la pensée de la mort ne dois pas t'arrêter. C'est cela, l'entrainement à la mort. Vivant, il faut être mort par délices, par amour infini de la vie, par débordement, par folie . Un homme attaché aux bonnes manières et au bon sens est incapable d'affronter le destin .

Si quelqu'un devait dire en quelques mots comment agir pour le bien, ce serait se préparer à endurer la souffrance. Il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré .

Tout ce qui existe mérite d'être détruit, de toute façons . Tout ce qui est dans le temps sera détruit, et l'ordre du Temps est justice . La pensée n'est pas la réflexion, et n'aborde pas tous les problèmes des dédales vides de la réflexion et de la culpabilité humaine . La pensée fonde sa cause sur rien – elle est sans raison ni péché, immémoriale . Elle est jeu, et l'enjeu est la vie même . C'est le jeu de la fleur et du soleil, le jeu des crocs et de la chair . L'essence de la réflexion n'est pas la sagesse, mais le recul, la temporisation . La pensée cherchée est le saut au dessus des abîmes de l'âme, la percée .

Aussi nombre de problèmes des sages de ce monde ne sont-ils que des nœuds gordiens, qui doivent être tranchés comme ils le méritent, par l'épée . Les longues chaînes de la raison sont des chaînes – et fort courtes, qui conviennent aux chiens . La voie est la voie du loup .

L'homme noble doit préférer une attitude excessive à un comportement intelligent et discret. Il doit se monter excessif jusque dans son obstination. Lorsque la modération prévaut dans la réalisation d'une action, les conséquences risquent de se révéler totalement insuffisantes. (...) quand quelqu'un pense qu'il est allé trop loin, c'est qu'il ne s'est pas trompé . Et la pensée est action . Il en est des mots comme des larmes - des brouillées, ridicules, et d'autres qui reflètent les mondes. Il est des mots vides, des coups de fouet au visage - et des mots serpents de l’Éden, d'abord glacés, qui remontent le long de ta cuisse, percent la voie de la fleur et se lovent en ton âme - ils résonnent en toi - et tu vis de leur vie .

Mais percer la fleur ne se fait pas sans couteau - Que m'importe le jongleur de mots qui n'est pas sorcier, voyant, lanceur de couteau - et serpent sur les lèvres, et brûleur d'encens, pour lire dans les volutes les voies de la guerre .

Dans les labyrinthes du monde, sur les lèvres d'Ariane, le sorcier enroule et déroule comme l'antique serpent la chaîne d'or des destins éternels, impliqués comme le dragon endormi – il lit les pas de la jeune fille qui marche sur ses yeux . Comme le chasseur, il lit les signes, les vestiges des feux du Ciel sur la terre .

Il parle aux fils de Dieu, descendu sur la terre pour l'amour et la splendeur des filles des hommes . Il est le frère des anges déchus . Il embrasse les lianes et les sexes fleuris devant le dieu Thot . Il converse avec les anges de l'Enfer, au couchant, quand le soleil se lève . C'est par eux qu'il sait que la pondération, la raison, la mesure, la prudence sont des vices de morts et de végétariens.

La pensée que je déroule est l'ascèse de la tentation – l'ermitage de Béhémoth . Comme Empédocle, elle est enroulée dans les spires souterraines des volcans . L'éruption balaye les cendres et les roches qui ferment les bouches de l'Enfer et du Ciel . Le monde est couvert de cendres – cendres de vie, cendres de guerres, de crimes, cendres de mots, de systèmes morts, qui couvrent le monde de leurs complexes toiles d'araignées, scintillantes et fascinantes au soleil, mais qui sont d'impalpables prisons de soie et de poussière, qui empêchent la respiration et le souffle des mondes . Le penseur porte le signe de la Tarentule - Tarentule, danseuse de corde - que m'importe celui qui ne joue pas sa vie - il est déjà mort .

Le joueur le plus subtil, qui distingue la soie de la soie, le soi du Soi - une tarentule qui se bat contre l'universelle araigne des mots du passé- labyrinthe, réseaux, entraves, crocs, venin - et sang tournoyant comme le soleil, à mort.

Je lève mon verre empli d'un vin de miel, au dessus de ton sein délicat éclairé par les braises des volcans du cœur .

Le vin de miel – tu as choisi la meilleure part, et elle ne te seras pas enlevée .

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Le Sutra des Loups
- Lotus à l’attention des derniers Hommes debout au milieu des ruines.

[« Regarde derrière, regarde dehors : si nous nous rencontrons, tue sur l'heure!... »
« Alors seulement tu trouveras la Délivrance. Alors seulement tu esquiveras l'entrave des choses, et tu seras libre..."
« Ces mots m'arrachèrent à l'impuissance où j'avais sombré. D'un seul coup, je sentis dans tout mon être une surabondance d'énergie. Une partie de moi s'obstinait bien à me répéter que ce que j'allais faire était maintenant sans utilité : ma force neuve ne redoutait pas cette inutilité. Parce que c'était inutile, je me devais d'agir. »
Mishima – Le Pavillon d’Or]

Premier Pétale.
Le Kairos est une question.
Suis-je digne de marcher debout sous les étoiles ?
Là où la foule voit un droit inaliénable, l’Homme Vrai voit son devoir.
Il s’interroge sur ce qu’il doit - et devra - à lui-même et aux Sphères.

Deuxième Pétale.
Le Kairos est une réponse.
La Mort est chose nécessaire.
Elle est l’Arbre de Vie.
Un Arbre dont les branches porteront toujours plus haut que la plus haute des dunes. Jamais le Désert ne pourra le recouvrir…
Tout doit donc tendre vers cet instant – la Mort. Car elle est pur sublimation du Soi et de la matière.
La Mort… sombre racine et fleur héliotrope.
Sol Invictus !

Troisième Pétale.
Le Kairos est profession de foi.
Je ne crains pas la Mort.
Car je ne saurais craindre ma Parèdre.
Je ne crains pas la Vie.
Car je SUIS la Vie.
Volonté de Puissance, je vibre à l’unisson de la Musique des Sphères, et mon cœur, inexpugnable, est catacombe à la verticale du Paradis.
Ainsi, mes rêves sont l’anti-chambre d’Asgard-Agartha.
Et mes actes, le Verbe qui se déploie.

Quatrième Pétale.
Le Kairos est Alchimie.
Et l’Homme réellement Libre est l’Athanor de cette Quintessence.
Froid, comme la statue du Bouddha - Prince dont on ne sait si les yeux mi-clos reflètent la sérénité la plus pure, ou le Mal le plus sournois.
Humide, comme le Naga - Le Temps et l’Espace glissent sur lui et ne peuvent plus l’étreindre.
Sec, plus sec encore que le désert – l’Eau de ta Vie est bien trop précieuse pour être offerte en libation aux Djinns qui peuplent le néant.
Chaud, comme une super nova qui explose – son point de fusion atteint, elle génère de l’Or Pur qu’elle propulse dans les douze cadrans du zodiaque.
Puis elle meurt, et se transforme en Trou Noir - le Pôle d’une galaxie nouvelle.
Seul un Homme neuf peut accoucher d’un Monde neuf.

Cinquième Pétale.
Le Kairos est action.
Il n’existe que si on le provoque.
Il ne vaut que si on le saisit.
Souffle d’Idéal, il ne doit jamais rester idéel – il doit devenir le don concret d’une étincelle de vie, se faire image évocatrice de LA Lumière enclose dans les Ténèbres de la Caverne.
Et les nouveaux Oracles de lire les augures sur la lame des sabres…

Sixième Pétale.
Ainsi, le Kairos est la Voix du Prophète et la Voie du Guerrier.
Ainsi, tu seras tout à la fois
Brahmane, qui évoquera le Verbe pour faire taire l’intellect et la cacophonie du monde
Kshatriya, qui chantera les Sphères et les fécondera de son sacrifice
Et même Vaishaya, qui par sa patience construira des Cathédrales avec le sable du Désert.
Ainsi, ta salive, ton sang et ta sueur seront trois fois Nobles.
« On » te prendra pour un fou et un Intouchable.
Mais réjouis-toi ! « Les derniers seront les premiers » - « On » n’a pas droit de cité dans l’Île des Bienheureux.

Septième Pétale.
Le Kairos est un koan :
« Quel est le bruit d’un Homme Libre qui tombe dans le désert ? »
Et le disciple de s’ouvrir le ventre….

N’oublie jamais, Homme - On ne peut sortir de l’Enfer que par le Haut.

Ultime Pétale.
Le Silence.

Maldoror, Disciple d’Al Khadir.

lancelot a dit…

Maldoror...sais-tu ce qu'est pour moi Abd El Kader?

Anonyme a dit…

Par "Fils d'Al Khadir", j'entends "Afrâd", c'est à dire celui qui suit une voie initiatique sans l'aide d'un "guru" terrestre, et qui, dans sa quête de l'Eau de la Vie, ne se rattache à aucune religion en particulier .
Al Khadir est un Prophète qu'on retrouve dans de nombreux contes, dont les thèmes sont similaires à ceux de la Quête du Graal - et dans ce cas,je crois pouvoir aisément imaginer ce qu'il peut représenter pour un homme qui se surnomme Lancelot...

Si en revanche, tu fais référence à l'Emir Abd El Kader... peut-être es-tu l'un de ses descendants, ou membre d'une confrérie soufiste?
Ou tout simplement originaire d'Algérie?

lancelot a dit…

Je le connais sous le nom de Khezr...Abd El Kader est un maître soufi de la lignée d'Ibn Arabi. Tu trouveras au seuil ses écrits spirituels...

A bientôt, ami aux pétales.

Anonyme a dit…

Khezr/Al Khadir (Litt."L'Homme Vert") est LE Maître Soufi par excellence - il s'agit d'une figure mythique du Coran, voire de LA figure ésotérique musulmane par excellence.
On peut donc dire que c'est Ibn Arabi qui est de la lignée d'Al Khadir, et non l'inverse...
Mais plusieurs sheiks et auteurs visionnaires se sont parés du surnom de cet Hermès oriental, dont le vert n'est pas sans rappeler l'Emeraude d'une célèbre Table venue d'Egypte...
On notera aussi qu'il inspire les Initiés solitaires par le biais du Rêve.

A bientôt mon Ami!

lancelot a dit…

Oui, celui dont je parle est un tel homme, non Kherz lui-même. Cela me rappelle l'île verte des anciens druides.

La langue que tu parles est l'intime mienne.

A bientôt, ami!

Anonyme a dit…

Oui, le Vert est une des couleurs récurrentes de l'Esotérisme - elle fait référence au printemps, c'est à dire à la régénération, à la renaissance... et donc à l'Initiation. Ce qui n'a rien d'étonnant pour quiconque connait le principe du "vieil homme qui doit mourir" pour mieux renaitre à lui-même, au monde et à l'Un.
D'où la Table d'Emeraude égyptienne, le Jade comme pierre magique en Asie... Et bien sûr, l'Île des Druides,haut lieu d'initiation et séjour des Héros pour les Celtes.
Héros, dont la racine est la même qu'Héra, déesse du printemps, de l'aurore - et donc de la renaissance et de la lumière...
Herakles, premier des Héros, littéralement la "Fierté d'Héra", le "Porteur de Lumière", et donc lui aussi Initié...
Vaste sujet que tout cela - mais qui finalement nous ramène toujours au même Principe.

A bientôt mon ami!

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova