Brocéliande - sur les anneaux du labyrinthe vertical, II . Savoir, saveur, douleur .

(Madame Yoshino)


Ces textes usent du symbole et du mythe pour parler de ce qui relève d'une structure anthropologique, ou métaphysique . Je ne puis faire autrement . J'ai l'antécédent de Nietzsche, et de Jung . Quant à la pensée moderne, elle ne fait pas mieux que les inquisiteurs, qui brulaient les sorcières : elle en nie purement et simplement l'existence . La pensée moderne ne peut articuler ce qui cherche à se dire dans mes mots...ou faites le . Les sorcières furent la manifestation d'une constante anthropologique, tout comme le culte de Dionysos . Cela un jour sera vu comme une roche au soleil .


Qu'est ce que l'amour du cercle de l'être, l'amour du destin ou de l'éternel retour ? Cela ne peut être dit simplement, comme l'énoncé de la position d'une entité dans l'espace . C'est une teinture de l'être au monde, et une teinture supérieure – qui ne peut être pleinement comprise dans les mots de la tribu . Alors je suis allé à Brocéliande, pour retrouver la puissance des anciennes forêts du langage et des actes .

Les pieds sur le sol, sur les feuilles mortes comme des ossements des temps perdus – les pieds nus, pour être la racine de la mandragore, l'homme imprégné par l'humus et tendu vers le soleil . Les pas dans les pas du Minotaure, dans l'errance de la quête – dans leurs pas je reconnais mes pas – et comme le loup, qui cherche sa proie . La constellation psychique qui se montre est celle du chasseur des ténèbres, dont le loup est le blason .

Sans la poursuite, le loup va mourir . C'est, toujours, lui ou sa proie . Le loup peut creuser son caractère impitoyable . Être impitoyable n'est pas ne pas éprouver de pitié, mais ne pas agir selon la pente de sa pitié – et d'abord envers soi-même . Le sage s'efforce d'atteindre à une synthèse des perspectives – mais le loup agit, et ne peut agir qu'enfermé dans une perspective unique, concentrée comme une essence de fleur, qui s'accompagne d'une connaissance en abîmes de la proie, d'une empathie profonde pour la proie, d'une transformation vers la proie, pour avoir l'impact d'une balle . Le loup en chasse doit n'être que force qui va, avidité silencieuse et mouvante .

L'homme noble, le guerrier, est symboliquement loup, chasseur de loup . Il doit affronter ce qui terrifie, ce qui déchire, dans une ordalie de la volonté de puissance qui le porte . Si cette puissance est noble et pure, il vaincra . Il désire affronter, et les raisons de ce désir implacable sont le désir de savoir, et le désir de ce savoir, savoir la source du désir . La puissance du désir qui le dévore oblige à le mettre à l'épreuve, à le plonger dans la fontaine des destins . S'il n'est rien, s'il est démesure, il s'éteindra comme un incendie . S'il est grandeur, astre, il fera bouillir la fontaine et surgir l'ennemi . Et l'ennemi, la grande guerre, est la guerre et l'ennemi intérieurs .

Si le désir est grandeur, il est désir de Science, c'est à dire de vision, ce que symbolise le feu dévorant du désir de voir le corps nu de l'aimée dans ses moindres détails, comme un paysage que parcourt un visage . Le savoir gnostique est le savoir originaire, celui de l'arbre de la connaissance, et de la chaîne d'or du Verbe – savoir qui rend comme un dieu, qui accomplit la théification proclamée par l'Aréopagite . Or l'Éden est gardé par le chérubin au glaive de feu, par la puissance du dragon . Si l'Éden est en lui -Adam l'homme rouge, l'humus -sur la terre, alors le Chérubin au glaive de feu qui garde les portes de l'Éden est en l'homme, autant que le Royaume . Au drame originaire dans le Ciel répond le drame dans le ciel de l'âme .

L'homme noble sait, comme Brocéliande sait l'obscur des forêts, à quel point il est porteur de ténèbres, de cruauté, d'orgueil – à quel point le porte le désir de déchirer, la joie de tuer l'ennemi . L'homme est un loup pour l'homme signifie aussi : loup pour lui même, loup involué en lui-même . Je est mon pire ennemi . Il sait aussi, par la compassion qu'il porte en son cœur, par la puissance polymorphe qu'est son âme, ce qu'est la souffrance des vaincus . La discipline du loup est ainsi l'intensification co - présente de la cruauté et de la compassion .

Le chasseur de loup, porte le masque du loup, devient loup, accomplit la voie de la transformation, du miroir et de la mort . Quand tu regarde l'abîme, l'abîme regarde au fond de toi . Le regard de l'abîme creuse des souterrains dans l'âme, dans lesquels circule la rosée céleste. L'explication de l'implication du chasseur est de vivre la vie de sa proie, et de désirer et de vivre sa mort . Le travail spirituel du guerrier devient ainsi la voie du sage .

L'intensité de la volonté de puissance, de désir de vie, de l'angoisse de mort, est l'intensité de l'éveil des sens – le vrillement des yeux sur l'éclat des soleils reflétés dans les facettes des mondes, l'écoute intense des abîmes et des voûtes, des cris, des souffles et des frôlements, la respiration des nectars, des mousses, des sèves et des muscs, la peau ouverte aux courants d'air, aux lianes, aux déchirures des ronces – l'âpre goût du sang et de la chair dans le mouvement déchirant de la mâchoire et la bouche - l'aspiration du désir qui éclate sur le monde .

Celui qui se livre aux déchirements originaires – le désir du retour, du sexe, mais aussi la faim et la soif même - creuse son intensité d'être au monde : terreur, angoisse de mort, haut désir – c'est affiner le tranchant de l'épée des sens et de l'esprit . Pendu sous l'arbre de vie sur le cercle de la nuit, déchiré par la corde et la mort, le dieu devint voyant . C'est la saison en enfer qui fond le métal du sorcier . Les rites nocturnes des ombres ne visent rien d'autre, sous la futaie éclairée par la lune . C'est par le toucher de la peau à la peau dans l'entrelacs des corps, c'est par la manducation de la chair, du sein, du sexe, du sang, c'est par l'ivresse des sucs et des souffles de l'aimée, de ses parfums, que la vision du loup devient la vision de la main gauche dans la voie de l'union des sexes .

Le paradis est l'enfer ; le paradis et l'enfer sont portés dans les puissances de l'homme . Mais ce n'est pas en fuyant la souffrance que le paradis des cercles du monde peut être conquis . Car le chemin des cercles du monde, le chemins des soleils de l'âme, est déchirement des pieds, douleur des genoux, soif, errance, égarement, frôlement des abîmes .

Dans la course il se déplace de lui-même, il atteint la sortie de lui-même . Il halète, son cœur s'épuise, son regard se rempli de sang rouge – il se morcèle, comme les héros d'Homère . Le haut Soleil le pousse hors des prisons de l'âme, des habitudes, des mots . Libre, dans la nudité du soleil .

Sur les chemins l'homme croise des crânes, des charognes comme des rameaux, des fleurs . Le temps s'involue dans le crâne, porteur de la peau du destin, et s'étend sur la corolle de la fleur, éphémère, et évanouissante comme toute la race des hommes .

Telle est l'assomption du monde, l'amour du destin – la saveur, sapere, et la crainte de Dieu réunies en tresse comme origine de la sagesse – l'âpre saveur de la vie, l'odeur mêlée du sang et des roses . C'est l'acceptation des puissances d'écartèlement de l'homme à l'œuvre dans les volcans de l'être, parce que les volutes de ces puissances sont aussi les arômes et les jouissances de la vie – le refus de l'anesthésie moderne, anesthésie qui va très au delà de la soustraction de la souffrance . Il n'est pas de position qui ne soit aussi perte . Il perd la puissance de Dieu, celui qui ne le craint plus, celui qui ignore la terreur sacrée . L'anesthésie, la fuite des sens du monde moderne, est aussi la perte de l'intense sensualité du monde du vivant .

La jouissance et la puissance sexuelle de la cérémonie du tatouage, qui consiste à vriller et pointer une aiguille dans la peau, à œuvrer sur la douleur physique et à en faire une œuvre de délices, ou les délices encore des cuisines violentes, brulantes, déchirantes sont des signes de la vie traditionnelle de l'assomption du monde dont je parle .

S'il est écrit tu accoucheras dans la douleur, il est aussi écrit vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal, et à la femme, tu piétineras le Serpent, et il te mordra au talon . Par là, la femme, la femme normale au sens de norme pour les autres, reçoit le pouvoir de vaincre le Serpent – et de résister à sa morsure . La femme reçoit la meilleure part de l'héritage d'Adam, la douleur, le sexe et le serpent . Adam reçoit le travail et le règne sur le monde, qui ne sont pas des puissances comparables, quoique plus visibles . L'interprétation moderne de l'écriture renvoie au visage sa pauvreté désertique .

L'homme qui par Haut désir fait retour fait la reconquête de la puissance du Serpent et du sexe – par son désir de la femme, il en devient un miroir, une image, et porte les puissances sexuelles de celle-ci . Il n'est plus, alors, un loup, mais un enchanteur – il peut dévoiler des éléments de la métaphysique du sexe dans un poème. Il devient l'ami du félin le plus doux, le plus féminin de tous . C'est un signe évident qui me fut donné, ce retour de l'amour des chats .

L'être humain appelé Kshatriya est triple dans son essence : il est sur la voie de la guerre, donc de l'affrontement des contraires pour faire retour à leur harmonie .

Il est maître chasseur, sorcière, ordres initiatiques liés à la terre et au sang - donc être nocturne, lié au monde des songes - êtres sanguinaires et déchirants, s'identifiant à leur proies - et enfin puissance de labyrinthes des forêts, donc, à l'image de la prière à Diane de l'histoire des rois de Bretagne :

Puissante déesse des bois, terreur des sangliers qui les hantent, toi qui a le pouvoir de parcourir les régions célestes et de visiter les demeures infernales, éclaire notre sort terrestre et fixe nous quelle terre tu désire nous voir habiter (...). Vers la troisième heure de la nuit, au moment où une délicieuse torpeur s'empare des mortels, la déesse lui apparut [pour lui répondre](...)
Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britanniae, 16

Guides vers le pays des quatre fleuves, de l'ordre d'Hermès -Thot .

Enfin cet être humain est faune ou nymphe, c'est à dire chasseur d'été au sabot fendu, caché à l'ombre des fontaines, celui qui boit la nuit la sueur et la semence des hommes et femmes comme l'abeille le nectar des fleurs, et les séduit par les visions qui s'élèvent des chemins empoussiérés et des roches au soleil – par la puissance de folie solaire .

Il est celui qui se connait comme devenir éternel du cercle – et celui qui se connaît connaît son Seigneur . Il n'est pas l'Un, le seul Sage, mais le serviteur du sage – non l'axe de la Roue, mais le serviteur de la Roue . Ton amour est un feu dévorant .

Il erre, mais il aime le labyrinthe et s'enroule dans ses ténèbres étoilées . Il souffre et se mêle aux ténèbres de la mélancolie par la séparation du mâle et de la femelle, et aussi est leur assomption puissante, leur transformation en flammes . Il est à la fois le Minotaure et Thésée, devient par la mort, devient Ariane par le désir .

Il est la Voie du Cheminement qui n'aura pas de fin .

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ami Lancelot : vous êtes ce qui manquait à Evola.
La Poésie.
C’est peut-être bien Elle, le Mercure qui transforme les guerriers en héros.
Elle, qui marque (à mon sens) la supériorité de Mishima sur le Tantrika Italien.
La Poésie…

Maldoror, à l’ombre du Pavillon d’Or.

lancelot a dit…

Mon ami, votre soutien est un miel, car parfois je flanche dans mon courage. La poésie est si fragile, si insaisissable, les temps si féroces .Merci, et à bientôt.

Anonyme a dit…

JIGOKU*

Un camp de concentration à ciel ouvert.
Les murs… rose bonbon.
Les barbelés… invisibles.
« Nihilismus macht frei » en 3D au frontispice de cette cathédrale de mort.

Deux prisonniers de guerre – un Samurai et un Taoïste.
Le Samurai, le regard sombre et le sabre en berne : « La Poésie est si fragile… »
Le Taoïste, assis en Lotus sur un charnier : « N’est-ce pas plutôt le Poète ? »
S. soupire : « Parfois le courage me manque. »
T., contre lequel est blottie une déesse au derme bleu : « Qui sommes-nous pour manquer de courage ? Des intellectuels ?!? Ceux qui réfléchissent, réfléchissent le monde. Tel un miroir. Un miroir fêlé qui plus est. Si le monde est sali ou à l’agonie, alors l’intellectuel sincère l’est d’autant plus – il ne peut être que l’écho brisé du rire de Kali. En effet, mon ami ! De quoi être furieusement découragé ! Mais le Poète, lui, ne (ré)fléchit pas. ». Et T. d’embrasser goulûment l’Avatar de la Fin des Temps.
S : « Des penseurs comme Debord restent malheureusement nécessaires ! »
T., gratifiant d’une claque au cul la jeunefille d’Apocalypse : « OK. Le monde est mort. Mais écrire et ré-écrire à longueur de thèses la nécrologie du monde est-il réellement nécessaire ? N’est-ce pas ces avis de décès sans cesse psalmodiés qui tuent insidieusement le Cœur du Poète ? Penser n’est pas panser… Ton Maître en Capoeira ne t’a-t-il donc pas dit un jour de rimer contre vents et marées ? ».
S : « Alors ? La solution ? Se contenter de chanter des vers en attendant la Fin ? S’en foutre ? Bravo le Brahmane ! ».
Kali sert du Saké aux deux Hommes.
T : « La solution ? […bruit de déglutition…] Cet Ambroisie a comme un goût de radium… Bref ! La solution ? Qui dit solution, dit problème. Or, il n’y a aucun problème. [T. vide la coupe]. Celui qui voit un problème à cette fin d’humanité signifie qu’il s’est laissé engloutir. Je ne vois pour ma part que des opportunités. Et qui plus est, des opportunités qui ne demandent aucun courage pour être saisies. Faut-il du courage pour devenir Sorcière ? Non. Simplement du Désir. Faut-il du courage pour respirer les Effluves du Pôle ? Non. Simplement lever les yeux. En cette ère du Kali-Yuga, le Grand et le Petit Jihads ne font qu’Un. Le désordre est avant tout interne. Alors la guerre se doit également d’être interne. Ainsi, la Victoire Ultime consiste simplement à ne pas se laisser engloutir EN DEDANS. Rien de plus simple pour le Poète. ».
L’Ermite-Hiérophante entame alors le Rite du Tonnerre – le Tao de l’Homme toujours Libre.

« J’invoque et j’incarne un million de Noms.
J’ai en moi un million de Sphères
Kali…Huit bras ne seront jamais assez pour me lier.
Car j’ai les Clefs du Ciel. »

Et Kali de s’agenouiller…
http://www.bobafett.net/musee/images/kali-onekneeling.jpg

Maldoror, qui a n’a jamais validé son doctorat... et qui ne l’a jamais regretté.

* « Enfer », dans la langue de Kurosawa.

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova