L'arbitraire du signe, ou la poétique de l'Âge de Fer .



La thèse de l'arbitraire du signe est établie comme relevant de l'ordre du fait depuis Saussure . Mais cette théorie fut posée en Occident au moins depuis Guillaume d'Occam, au XIVème siècle, et en réalité, elle est déjà celui d'Hermogène dans le Cratyle de Platon .


La thèse de l'arbitraire du signe pose les conséquences suivantes : le signe, c'est à dire le mot, qui désigne un étant sans signifiant général, comme un nom propre (Albert), ou un étant dans un acte de langage (cet homme désigné) et un signifiant de classe d'étants (les hommes), comme un nom commun – le signe est arbitraire .


Arbitraire signifie que le libre arbitre de l'homme pose ce signe, de manière accidentelle relativement au signifiant et au signifié, en ce sens qu'il pourrait toujours être un autre, qu'il contingent . Si je m'entends avec d'autres hommes pour dire que « chien » se dira désormais « oua », nous pourrons parfaitement nous entendre . C'est pour cela qu'il peut y avoir des langages codés, qui remplacent lettre par lettre ou signe par signe . Arbitraire signifie d'abord la contingence du lien du signe au signifié et au signifiant .


Première remarque, l'arbitraire du signe ne s'exerce pas de manière perpétuelle par chaque homme, et résulte plutôt d'un contrat social de dénomination ; car si je change sans cesse les signes que j'utilise, je serais bientôt incompréhensible et isolé, alors que langue est largement constituante de la communauté humaine où je m'insère, et qui me nomme « homme » . Cet arbitraire se constate pratiquement lors de la formation de mots nouveaux : une espèce animale découverte à neuf reçoit un nom par son classificateur, et pourrait en avoir un autre ; un objet industriel de même .


Deuxième remarque : l'arbitraire est très étroitement déterminé, à tel point que l'évolution des langues est très lente, et que les règles étymologiques permettent de reconstituer des caractères de langues disparues . Pour un être humain normal, la manière de nommer n'est nullement le résultat d'un arbitraire .


L'arbitraire du signe a des conséquences sur l'ontologie du signe, habituellement présenté comme un triangle, Signe (le mot « chien »)-Signifiant (sa définition)-Signifié (l'animal poilu, là) . Il signifie que l'unité du signe à travers ses trois pôles est contingente ; ou encore, qu'il n'est rien tel que « le signe », conçu comme l'unité des trois pôles du processus de signification .


Le signe en tant que pôle serait le substitut, c'est à dire l'unité sémantique insérable dans un acte de communication ; le signifiant son sens (dictionnaire, par exemple), et le signifié l'étant désigné dans le monde, auquel le signe se substitue, le substitué, donc . L'arbitraire du signe signifie essentiellement que les liens entre le substitué et le substitut sont conventionnels, plus exactement même que le substitut est conventionnel, et n'a aucun lien essentiel ni avec le substitué, ni avec la définition .


C'est une position assez étrange . Car l'homme qui choisit le substitut pourrait choisir un étant évoquant le substitué par sa forme, S et serpent, sa sonorité, sserpent . Mais l'arbitraire serait maintenu, en ce que le choix des caractères évocateurs du signe est contingent dans la fiabilité du processus de communication . On peut imaginer une culture qui nommerait les serpents Y, ou peu importe . Il demeure que la théorie de l'arbitraire du signe serait sans doute moins naturelle à défendre dans des langues iconiques, quand bien même la phonétique du signe sonore pourrait être posée comme arbitraire .


Et ces relations signe - signifiant - signifié sont une roue selon l'acte sémantique . Les polarités de la roue sont cycliques . Si je vois un arbre, cette icône est un signe, qui me renvoie au signifiant, et selon les circonstances à un signifié : le mot arbre . Si je reconnais un étant comme un arbre, je vois un arbre et je dis « arbre », le processus place l'étant comme signe, et le signe comme signifié . Le signifiant reste unique . Mais il existe des figures de mots qui prennent des éléments du signifiant comme signe, comme l'ensemble des périphrases qui remplacent un nom . Alors le signifiant devient fonctionnellement signe, et le nom fonctionnellement signifiant . Ce processus en rotation constante est la sémiosis selon Peirce, un processus indéfini d'interprétation .


Le lien entre l'icône et le signifiant, la définition, ou l'encyclopédie, ne paraît pas pouvoir être arbitraire . Une définition simple peut être une simple description, et on m'accordera qu'une définition ne peut être arbitraire . Elle comporte de la contingence, en ce que je retiens certaines caractéristiques et pas d'autres, mais cette contingence est limitée si la définition doit être largement partagée . L'arbitraire du signe ne concerne ni la théorie, comme ensemble de signes testables, ni les signes iconiques (on peut représenter selon indéfiniment de manières une classe d'étants, mais l'icône n'est pas pour autant totalement contingente ) . L'arbitraire du signe n'est que le résultat de ceci : le vécu moderne des paroles vides, des flatus voci ; l'idéologie moderne de la toute puissance individuelle, ou de l'homme, analogue au contrat social . Le modèle est l'imposition du nom propre par les parents, qui est devenu si libre dans notre paradis terrestre que même les fautes d'orthographe sont soigneusement respectées par l'état civil .


L'absolue liberté de la parole se paie de l'absurdité absolue . Je peux librement proférer n'importe quels sons . Mais quelle est la puissance de ma parole ? Toute proposition appelle sa proposition contraire, et en l'absence de vérité, « chacun pense et dit ce qu'il veut » . Je n'ai aucune obligation d'en tenir compte, ni moi ni personne, d'ailleurs, sauf si une opinion devenait l'opinion majoritaire . Selon certains idéologues du Système, une opinion majoritaire est une vérité majoritaire . Ainsi, dans le cas où la majorité relative avait l'opinion qu'il est urgent d'humilier et de tuer une partie minoritaire de la population, il ne me resterait, par devoir, qu'à obéir, selon la thèse du préfet Papon . Disons-le : avec l'idéologie queer, la vérité majoritaire est une des plus répugnantes rencontres que le Système puisse offrir .


L'arbitraire du signe rompt le lien entre le Verbe et la manifestation, posant le problème de la validation, de la véridiction des paroles . Mène à l'arbitraire de la parole, et donc à la négation de la vérité – la vérité, idée d'un étant qui accorde plusieurs hommes indépendamment de leur volonté, sur un sujet, par exemple « devant nous n'est pas un taureau noir » . A tel point que celui qui ne voit pas ce qui paraît évident à tous paraît proche de la folie . La vérité, l'évidence, sont peut être discutés par les spécialistes, mais pas dans la vie quotidienne et dans la vie sociale . C'est à dire que l'accumulation d'arguments qui fait de l'arbitraire du signe l'idéologie officielle de la linguistique n'amène pas ces personnes au quotidien à remettre en cause l'ordre de la langue, ne serait que pour exprimer leur thèses inverses .


Ce genre de paradoxe est criant quand un homme remet en cause la vérité . Car tous ses propos sont alors indécidables, alors qu'en parlant, en disant la vérité est ceci ou cela, il s'appuie sur une notion normale de vérité . Il en est de même pour ceux qui refusent tout classement hiérarchique, comme Deleuze et Guattari, dans Mille Plateaux . Ils estiment que ce refus est un « progrès », notion qui suppose un classement hiérarchique . Ils sous-entendent que ce classement refusant le classement est supérieur à tout autre classement . Rien n'est plus courant que ce phénomène dans notre société : le point de vue de l'égalité des points de vue sans cesse présenté comme intrinsèquement supérieur à tout autre point de vue, ce qui justifie l'usage toujours plus autoritaire de la tolérance .


Ou encore, ce souvenir d'adolescence, la haine des apôtres de la tolérance, proclamant « il ne faut pas faire de différences entre les gens à cause de leurs idées », pour ceux qui pensaient qu' « il faut faire des différences entre les gens à cause de leurs idées » . Ce genre de paradoxe est tout à fait courant, mais cela ne dérange guère, dans le monde de l'arbitraire de la parole, où la discussion métaphysique peut s'arrêter à l'ordre des préférences . Le premier pas de la sagesse est de concevoir que les mondes se moquent de tes préférences .


La thèse de l'arbitraire du signe pense un langage produit par l'homme, par sa toute puissance arbitraire, à la manière d'un monarque organisant son règne . Mais au contraire, l'homme est produit par le langage, à savoir qu'un rejet humain isolé est fort éloigné de l'humanité ordinaire, et encore plus éloigné d'inventer une langue . Ce travers se rencontre aussi dans la théorie du Contrat Social : pour faire un contrat, les êtres isolés que sont les premiers hommes doivent avoir une élaboration de la notion de contrat, ce qui suppose qu'ils ne sont pas isolés ; un langage commun, ce qui suppose qu'ils ne sont pas isolés . Autant dire que pour le langage l'élaboration est un tour de force encore supérieur .


Qu'une thèse aussi absurde que la production volontaire du langage soit devenue la règle dans les croyances modernes ne se fait pas au hasard . Cette thèse est conforme à l'idéologie racine, comme la théorie de l'évolution est conforme à l'idéologie racine . L'idéologie racine se projette sur les origines, exactement comme les mythes des peuples sauvages dont nous nous plaisons à moquer la naïveté désarmante . Nous sommes des romains qui, du haut de leurs mythes, se moquent des sumériens, surtout quand ils ne sont pas armés – auquel cas, où s'ils sont nombreux, nous sommes prêts à nous rappeler que l'Europe est la patrie de la tolérance, ce que la deuxième guerre mondiale a exactement démontré .


A partir de l'arbitraire du signe s'est développé une poétique savante, issue entre autre de débats de l'entre deux guerres sur la poésie pure . Le nom propre est devenu, comme modèle de l'imposition arbitraire du nom, modèle de la poésie . Le tercet :


Orléans, Beaugency,

Notre Dame de Cléry,

Vendôme...



Est devenu un exemple de poésie pure . Rueff est le continuateur de cette conception . Autant dire que rien n'est nouveau sous le soleil de l'idéologie racine, qui ne peut que développer sans cesse le même, sous les aspects variables des œuvres . Dans le cadre d'une idéologie, toute parole est une itération, une confirmation, et un signe de soumission à l'ordre idéologique .


Mais il faut rétablir une vérité . Cette conception du verbe est étrangère aux Maîtres de la Grèce, comme elle l'est à Dante . Se réclamer de Dante, ou des troubadours, pour défendre une telle poétique, relève de l'illusion idéologique, ou du détournement .


Je cite d'abord un résumé du livre de Détienne, les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, un universitaire convenable .


« On rencontre à l'époque archaïque l'idée d'une correspondance essentielle entre l'inspiration divine du poète sacerdotal et l'usage sacré du verbe, identifié à la vérité . Ainsi envisagée, la parole était dotée d'une efficacité propre, transformante et agissante, de même que sa fonction sapientiale et oraculaire . Les maîtres d'Alethéia (la vérité), qui sont aussi des voyants, interprètent également les songes, et sont capables de voyager dans l'au-delà . Ils véhiculent la réalité secrète du monde au moyen d'une parole vivante, harmonieuse, juste . Par leur rôle ils dévoilent l'essence des choses, indépendamment d'une volonté ou d'une pensée individuelle (pensez au logos commun d'Héraclite)– et sont disciples d'Hermès, messager entre les dieux et les hommes . (…) nous avons affaire à une vision opérative, théurgique de la parole, selon laquelle le signe symbolique recèle l'intériorité (je dirais l'implication) et l'énergie (ou puissance) de chaque être . »


Selon Détienne, « l'acte de décès de la parole efficace » a lieu avec la sophistique .


Cassirer fait remarquer, dans la philosophie des formes symboliques que cette conception du nom est la plus répandue, et la plus naturelle . Avant de continuer, notons que quand Agamben prétend découvrir, dans l'usage de la parole comme commandement, une ontologie différente de l'ontologie apophatique, il commet une double erreur . Tout d'abord, il dévoile l'arrogante ignorance des modernes, en ignorant les conceptions de la langue comme puissance ; ensuite, il se trompe en estimant qu'il s'agit d'une autre ontologie . Car entre la langue qui dévoile la vérité, qui montre l'implication des mondes dans les étants, la prophétie comme dévoilement de l'ordre du monde, l'oracle comme avertissement sur le destin, et la parole puissante d'invocation, il n'est qu'une ontologie, manifestée tant chez Héraclite que chez Empédocle .


La vérité des conceptions suivantes de ce concept, issues de la sophistique, ou du scepticisme, tel est le concept auquel se réfère implicitement Agamben comme modèle de la tradition philosophique .


Il importe de voir, maintenant, que cette conception de la parole comme puissance n'est nullement morte dans l'Antiquité, et qu'elle a survécu jusqu'à nous . Elle est puissamment véhiculée par la Kabbale, par le christianisme – voyez le prologue de l'Évangile de Jean :


Au commencement était le Verbe,
Et le Verbe était Dieu...



Jean Scot Erigène, au IXème siècle, commente ainsi : « Voix de l'oiseau de haut vol (…) de celui qui s'élève au delà de toute théorie, au delà de toutes les choses qui sont et de toutes celles qui ne sont pas . Par choses qui sont, j'entends celles qui n'échappent pas absolument à toute intelligence, soit humaine, soit angélique, étant inférieures à Dieu, et comprises dans les limites des réalités (…) de l'univers ; par choses qui ne sont pas, j'entends celles qui dépassent absolument les forces de toute intelligence . (…) Ô bienheureux Jean, ce n'est pas sans raison que l'on t'appelle Jean . Le nom de Jean est hébreu ; (…) ce qui veut dire «celui à qui une grâce a été accordée » . »



Ainsi la voix de Jean s'élève-t-elle au delà des limites de l'Univers, « jusqu'aux arcanes du principe unique de toutes choses » – ainsi son nom est-il significatif, contient-il l'implication de la puissance de sa parole . En passant, l'ontologie qui comprend les choses qui sont et celles qui ne sont pas montre que la multiplication des sous-ensembles ontologiques n'a rien, là encore, d'extraordinaire pour une personne normalement informée – la bizarrerie de l'ignorance apparente d'Agamben n'étant que plus évidente .


Rueff se réclame de Dante . Mais de même que la Laure (Or) de Pétrarque ne doit rien au hasard, la Béatrice (béatitude) de Dante non plus . Beaucoup plus, l'œuvre de Dante est le réceptacle de toute une tradition ésotérique du langage et des lettres .


Œuvre de nature est que l'homme parle

Mais ainsi ou ainsi, nature vous le laisse

Faire ensuite comme il vous plaît

Avant que je descende à l'angoisse d'enfer

I était sur la terre le nom du bien suprême

D'où vient la joie qui m'enveloppe

Puis on l'appela El, et ce fut bien,

Car l'usage des mortels est comme une feuille

Sur la branche, qui s'en va et l'autre vient.
..(Paradis XXVI, 130 – 137)


Ce passage doit être rapproché du De Vulgari Eloquentia (I, IX) : le langage humain, hormis celui qui fut crée par Dieu avec le premier homme – (est dit avoir) été refait selon notre gré après la dite confusion (Babel) laquelle ne fut autre chose qu'un oubli de la langue première .


De tout cela il s'ensuit que dans la langue première crée par Dieu, le I, qui correspond au Yod hébreu, fut le nom du Suprême ; ou encore que cette lettre est le nom qui indique le Pôle primordial . Mais aussi que dans les cycles du temps, et des printemps des mondes humains, la division de I en EL se poursuit ; de la sorte le modèle de l'arbitraire du signe devient régnant dans les langues humaines . Cela est bien, car les cycles se déroulent selon la nécessité interne de l'implication ; et cela est angoisse d'enfer, car il s'agit bien d'une descente, de la perte de la joie qui enveloppe, et d'une perte de compréhension des mondes par l'homme .


Ce logos qui gouverne l'ensemble de toutes choses (tout l'univers), avec lequel ils ont continuellement le plus étroit commerce, ils en sont séparés, et les choses qu'ils rencontrent chaque jour leur paraissent étrangères . Héraclite .


Par la cyclicité des langues humaines, il s'ensuit que la doctrine de l'arbitraire du signe, rupture des liens internes au signe, et rupture des liens entre le langage, l'homme et le monde, est la forme de langage qui correspond au cycle de fer . L'arbitraire du signe, en tant qu'abîme ouvert entre l'être et la parole est l'analogue linguistique de la rupture kantienne entre le noumène et sa représentation – et la conséquence de ces deux thèses analogues est la fermeture des portes de la Gnose, puisque l'être devient à chaque fois inatteignable . C'est pour cette raison que le langage de l'arbitraire a tendance à se désincarner, à devenir puritain ou moralisateur – parce qu'il ne peut atteindre que l'énonciation de la loi en tant que devoir être, et qu'il est impuissant, donc lié au ressentiment .


Des formes délirantes de mauvaise interprétation de la co-construction du monde entre l'homme et le reste du monde, que la tradition suppose harmonieuse apparaissent pour surmonter, en vain, le ressentiment et le vide né de l'absence de poids ontologique de la parole moderne . Ce sont toutes les écoles qui posent l'homme en pôle absolu de créateur de son monde, et lui font croire qu'il peut être ce qu'il veut, ou ce qu'il désire, au nom du constructivisme . Ainsi des ego se gonflent à la dimension de l'univers, sans cependant avoir la moindre base, et s'effondrent . Alors que l'orientation traditionnelle du « fais ce que veux » de l'abbaye de Thélème lui donne le sens : désire et veut la volonté impliquée dans ton être – deviens ce que tu es . Ce qui est le sens de l'amor fati . Sans l'amor fati et la science de l'être impliqué dans les destins, « fais ce que tu veux » est une farce .


Le langage incarné des maîtres de vérité est un langage qui entrelace parole, chair et rites ; le sang et la fumée des sacrifices, la chair de l'aimée, l'éclat de la chair des fruits, les viandes issues de la chasse – en tant que puissance, il est lié aux pratiques symboliques de la puissance, le règne, la gloire, la guerre, la chasse, la prédation . Le livre de la Clarté (173, 174) en livre une clef . L'objet de la parole sainte et puissante du Maître, le voici :


(…) c'est la magnificence du tout . C'est la magnificence du Cantique des Cantique, dont il est dit : (Cant. 6, 10) : qui est celle qui surgit comme l'aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, redoutable comme des bataillons ? Tout cela se réfère au principe féminin . C'est pourquoi la femme fut prise de l'homme, car le monde d'ici bas ne saurait subsister sans la femme . (…) Quelle est la magnificence dont tu as parlé dans le Cantique des Cantiques ? - C'est le Livre le plus magnifique des Écritures saintes, comme R. Yohanan a dit : tous les livres bibliques sont saints, mais le Cantique, lui, est Saint des Saints . Et qu'est-ce ? C'est un sanctuaire placé au dessus des autres sanctuaires .


Le vœu de silence, ou la discrétion verbale des ascètes traditionnels se veut un écart par rapport à cette chair des mondes, un processus ascendant de sortie, vers les puissances des autres mondes, mais pas la reconnaissance d'une perte de pouvoir des mots – puisque c'est la prière silencieuse ou parlée des sages qui tient le monde dans la plupart des traditions connues . Dans le sens de la justice, c'est à dire de l'harmonie du monde et du destin, le « fais ce que tu veux »de l'ascète correspond à ce que dit le Livre de la Clarté : « le Juste est le fondement du monde » .


Chaque cycle étant impliqué dans les autres, selon la figure spiralée d'une coquille d'escargot, les différentes formes de langage se rencontrent à différentes intensités à tous niveaux du cycle . D'une certaine manière, pour reprendre le mot d'Abellio, toute forme est à sa manière grande et puissante . Le thème de l'abîme et de l'absence peut ainsi avoir sa poétique, sa grandeur . Il n'en est pas moins impuissance, vide et absence . Cette poétique, sensible chez Houellebecq, atteint vite ses limites .


Le langage poétique des anciens Maîtres est sans auteur, car il n'est pas d'autre auteur que l'Auteur . Pour celui qui veut laisser sourdre le Logos à travers lui, et devenir le Logos, vaut l'avertissement de Jakob Boehme, de la vie au delà des sens, 40 :


(…) Où donc, en ce temps, l'habitation des anges et des démons se trouve-t-elle ?


Là où tu n'habites pas selon ton existence propre et ta volonté propre, c'est là que les anges, chez toi et partout, on leur habitation . Et là où tu habites selon ton existence propre et ta volonté propre; c'est là que les démons, chez toi et partout, ont leur habitation
.


C'est alors que la Splendeur du monde vient à la rencontre de la parole, selon ce qui est écrit :

(…) c'est la magnificence du tout . C'est la magnificence du Cantique des Cantique, dont il est dit : (Cant. 6, 10) : qui est celle qui surgit comme l'aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil, redoutable comme des bataillons ? Quelle est la magnificence dont tu as parlé dans le Cantique des Cantiques ? - C'est le Livre le plus magnifique des Écritures saintes, comme R. Yohanan a dit : tous les livres bibliques sont saints, mais le Cantique, lui, est Saint des Saints .


Cette parole est le sanctuaire placé au dessus des autres sanctuaires, celle dont le signe est la lettre I -le bien Suprême .


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Zinaida Serebriakova