Neutralisation et radicalité . Lucifer à l'ombre de l'arbre du monde .


(souvenir de Sade)


Nous autres hommes modernes, nous lisons beaucoup, beaucoup de suites, d'enroulements, d'averses de mots, de vagues de mots ; et ainsi les mots finissent par couler sur nos cuirasses comme les gouttes de pluie sur la carrosserie des voitures . Nous avons perdu les mots par excès, le sens des mots par obésité verbale . L'Ecclésiaste dit : les mots sont usés, on ne peut plus les dire . Je ne doute pas que cela soit un signe particulièrement grave, significatif de la difficulté que rencontre un homme ne serait-ce que pour se faire bien comprendre de manière élémentaire sur des problèmes particulièrement liés à l'abîme, obscurs, fascinants, trompeurs . Les Avant-gardes de l'Est ont particulièrement médité sur cette usure . L'usure des mots est l'impuissance à la vérité . La vérité, c'est le discernement appliqué à ma relation à l'être, à mon expérience vitale . L'usure des mots est l'impuissance à être pour l'homme, l'être qui habite en parole .

L'occultation de la vérité est une et même avec le règne du Spectacle et le nihilisme . La communication est monopolisée par des produits techniques syntones au marché, au Système . L'illusoire devient principe directeur de la monstration, le vrai un moment du faux .

La communication est à la fois le passage, la transmission, le pont entre les mortels dans les cycles du temps comme dans les entrelacs de l'espace – et l'auto-position de la communauté humaine, de la Cité des hommes . La communication ne cesse de s'obscurcir, selon le modèle du formatage de plus en plus purement quantitatif d'une communication essentiellement basée sur l'échange de choses matérielles et d'argent – modèle, au sens d'analogué premier et principal de la communication générale . L'information est échangée comme un bien, en vue d'un gain matériel ou symbolique . Il y a un marché de l'information, même gratuite . Le modèle économique, le modèle de l'argent prend le dessus sur le modèle de la langue ; et les maîtres du langage ne sont plus rien face aux banquiers . Ce changement hiérarchique produit de l'amertume chez les maîtres du langage ; mais cette amertume est triste et pitoyable faiblesse de demi-maîtres . L'amertume doit rester l'étrangère au maîtres, même face à la mort .

Infiniment plus grave est le monde humain produit par la fin de la culture et de la langue comme forme générale de la Cité – que ce soit la Parole de Dieu dans les sociétés prophétiques, ou la paroles des hommes depuis la sophistique, dans la Démocratie athénienne, ou la parole divine répercutée par l'Empereur dans les Empires . En effet, la société post-culturelle est aussi la société post-humaine : l'être humain n'y est plus reconnu, ni comme puissance d'universalité, ni comme être parlant, ni comme puissance d'androgynie et de grâce . Voyez : il n'est plus de problèmes légitimes que locaux, dépolitisés, liés à la gouvernance régionale de problèmes homologues parlés par une idéologie unique qui n'est jamais ne serait-ce qu'interrogée, une idéologie unique qui prétend à la transparence du réel comme dans les pires caricatures ethnologiques des idéologies des hommes premiers . Voyez : il n'est plus d'être humains, mais des genres, qui n'ont guère d'autres enjeux que le partage des richesses matérielles, et des transgenres, sans que cela vienne à l'esprit d'aucun journaliste que définir l'homme par sa classe sexuelle est d'une pitoyable pauvreté, encore plus vide que la définition par la classe sociale ou la race . L'universalité est niée par le localisme comme par le Genre .

Il n'y a plus de problèmes politiques, dilués dans le traitement local des problèmes par des bureaucraties tentaculaires ; et il n'y a plus d'hommes, fragmentés en genres hostiles et concurrents . La fin de l'histoire est en route dans la gouvernance, quand bien même l'abîme s'ouvre sous les pieds du Système .


***


Je vais étudier l'idéologie véhiculée par les Gender Studies, car elle est une manifestation caractéristique de l'oubli moderne du processus général du totalitarisme .

De tous ces fragments, la seule unité est l'unité du marché, la seule mesure l'unité monétaire et statistique . L'Empire moderne est celui non de la Loi, mais de l'argent et de la mesure . Le Genre est parfaitement conforme à ce monde, et ne mérite rien d'autre que la destruction, comme pire formation idéologique produite depuis le racisme biologique . Mais comme le racisme biologique est longtemps apparu comme une idéologie moderne, émancipatrice du cléricalisme obscurantiste, un savoir scientifique, objet de très nombreux programmes de recherches universitaires, enseignés dans la presse et les école de la République coloniale comme en Allemagne et dans les pays Anglo-Saxons, le Genre est en train de s'installer comme une idéologie d'émancipation avec des caractères très analogues .

La légitimité de la science et de l'université moderne seraient puissamment remises en cause par des études approfondies d'histoire des sciences, car les sciences humaines biologiques ont été un des creusets de l'idéologie nazie . Il est un révisionnisme portant sur cette histoire, quand on présente les études de Genre comme des pratiques évidemment progressistes, modernes et émancipatrices, alors même que les idéologues officiels du Genre ont pour la plupart rallié les franges les plus radicales du Parti Républicain au États Unis, et œuvrent dans des universités financées par des organisations patronales, qui représentent les intérêts de l'oligarchie . Comme le racisme biologique, la logique des Genres est celle de la fragmentation infinie du corps de la communauté humaine . Arendt comme Aron ont noté comme principale caractéristique du processus totalitaire l'atomisation des hommes, la production des individus isolés, donc impuissants – c'est aujourd'hui la logique du Système .

Les arguments des études de Genre sont tout à fait conformes à l'idéologie antisémite . Ainsi, dans certaines villes allemandes, aux XIXème et au XXème siècle, le pourcentage de médecins juifs sur le total des médecins dépassait 40% ; or la population juive, par exemple, représentait 10% de la population totale ; il s'ensuit que des quotas de juifs sur les études médicales semblait justifié . A partir d'une situation mesurée statistiquement, il était posé deux pseudos constats : tout d'abord, que la situation était injuste – or la spécialisation ethnique sur des métiers relève d'une socialisation et d'une tradition familiale, qui est profitable à la communauté, en règle générale – et ensuite, qu'il appartient à l'État de trouver par la force, par la Loi, une disparition de cette injustice agissant sur les indicateurs statistiques utilisés – c'est à dire que si 10% de médecins sont juifs à la fin de l'application d'une « réforme éthique », ou que 50% des députés sont de sexe féminin, on considérera que la justice est établie sur terre . Autant dire que l'application de quotas crée au contraire des situations d'injustice individuelle et d'arbitraire bureaucratique infinis ; que le service médical sera moins bon ; et que cette recherche d'égalité est sans fin . Dit autrement, cette recherche d'égalité statistique ne peut avoir d'autre conséquence que l'inflation indéfinie de la bureaucratie et du règlement .

Mais cela n'a aucune importance pour les puritains du Genre, ou les racistes ; et cela a servi ses fins véritables, qui est un renforcement indéfini de la puissance bureaucratique, cette délicieuse puissance de faire la pluie et le beau temps pour les vivants, pour les hommes orgueilleux, pour les belles femmes qui ne veulent pas se plier aux rites bureaucratiques, comme pour l'humiliation du misérable, l'humiliation de l'autochtone incapable de se défendre et de se faire valoir comme genre ou comme transgenre . La bureaucratie, ce grand conglomérat de petits hommes pourvus d'un petit rouage calculateur, d'adorateurs du Règlement, ces hommes du Procès intenté à toute grandeur . Le procès de Joseph K n'est pas terminé, il ne cesse au contraire de se ramifier à l'infini, et nous ne le voyons plus .

Prenons le cas des professions juridiques . Admettons que 1% de la population d'une ville soient notaires, et que l'on souhaite que pas plus de 1% des nouveaux notaires soient fils de notaires, pour lever cette injustice intolérable qui fait que les enfants de la bourgeoisie ont plus d'accès aux métiers d'officiers de justice, très rentables et très fermés . Il faudrait prendre des mesures très inégalitaires contre les enfants des notaires, leur interdire de choisir le droit, par exemple . De même, pour les professions commerciales ; il faut saisir les boutiques transmises par héritage ; et enfin, pour les Grandes Écoles, il faut obtenir que 99% des élèves ne soient pas enfants d'anciens élèves...le sens général de ces position pseudo-éthique est que la reproduction sociale, normale et naturelle, comme la transmission familiale d'un capital matériel ou culturel est inacceptable, contraire à l'éthique, à la vision du monde du Système . Il s'agit là encore de manifestations d'une suspicion idéologique des liens privés, liens sauvages, car non contrôlés par le Système . Il est tout à fait évident que la transmission familiale de la culture et de la tradition crée des lignages plus ou moins spécialisés, et de grandes divergences statistiques .

Seule l'école rigoureusement égalitaire et enseignant les genres est légitime ; et puisque les concours et les élections laissent apparaître des inégalités statistiques, ils doivent être corrigés . La solution la plus « juste » serait que les professions soient tirées au sort par la Loi, selon de rigoureux quotas statistiques ; l'exemple des boutiques, du capital industriel ou financier montre au contraire que la transmission de la propriété n'est pas tant interrogée que la transmission culturelle, on s'en serait douté à vrai dire . Au total, la véritable question est celle d'une finalité de monopole de la reproduction sociale assurée par le monopole de l'édiction des normes du Vrai, du Bien et du Juste par tous les pseudos comités d'éthique fonctionnels de la bureaucratie . Les écoles, alliées et asservies aux entreprises d'ailleurs, auraient ainsi la puissance d'exercer de manière optimale leur fonction de sélection et de classement des ressources humaines en fonction du seul critère de compétence, c'est à dire du critère de puissance de produire de la Valeur ajoutée par son travail dans le Système . La logique interne de l'entreprise des Genres aboutit à disqualifier toute transmission extérieure au Système, et à ses contenus de masse formatés et évaluables, et à empêcher toute formation de liens puissants capables de contrebalancer les bureaucraties de la « gouvernance » . Bref, les Gender sont un aspect de l'idéologie de guerre « moderniste »des bureaucraties du Système, qui sont indifféremment « publiques » ou « privées » . Et les bureaucraties sont les nouvelles Églises et les nouvelles Inquisitions, chargées de réprimer l'infection des hérésies, des pensées et des comportements jugés non fonctionnels au Système, non conformes à l'idéologie officielle .

Les Genres procèdent de la même manière qu'une politique antisémite d'État comme celle de l'Empire Russe d'avant 1914 : on constate par hypothèse que 70% des humains de telles professions sont, non pas juifs, mais de sexe mâle ; et il s'ensuit qu'il faut établir des quotas de mâles dans cette profession . Le remède n'est lié à aucune réflexion sur les sources et la construction du « problème » . Qu'une infinité de statistiques soient possibles pour montrer des inégalités, c'est ce qui est passé sous silence ; que des quotas par sexe ou par origine ethnique soit la négation en acte de l'universalité humaine, c'est encore ce qui est passé sous silence . Enfin, qu'une telle égalité arithmétique et statistique soit présentée comme une figure de la Justice, que l'on écarte d'un geste l'injustice manifeste de quotas univoques (sur un critère) ne peut signifier qu'une chose : les Genres voient le monde par les lunettes de l'évaluation statistique, quantitative, et construisent le monde par les yeux et les outils du Système .

Le monde des statistiques était censé être une mesure fiable du monde existant ; mais c'est le monde existant qui désormais doit se plier aux statistiques . La mesure quantitative devient l'énonciateur de la Loi . Les genres, diffusés par les ambassades des États Unis, par les universités nationales, par des manuels Armand Colin en France, par des mastères, par des campagnes de promotion ministérielles, par des lois, sont un avatar des idéologies bureaucratiques, après le racisme d'État . Mais nous sommes tellement neutralisés que même une énormité, un monstrueux attentat à l'égalité naturelle des hommes, comme la définition d'un crime de féminicide – signifiant que la vie d'un humain de sexe mâle n'est pas la vie d'un humain de sexe féminin – ne crée même pas le plus petit scandale . Cela n'est pas bon, à dire le vrai ; nous baissons les yeux comme baissaient les yeux ceux qui voyaient l'application des lois de Vichy .

***


Mais je suis las...j'ai l'âme trop pesante ! Tous ces mots des genres, qui accepte d'en voir le caractère résolument, glacialement monstrueux ? Même la voix d'Elisabeth Badinter, dans la fausse route, est inaudible, face à l'arrivisme cynique et au fanatisme des idéologues traducteurs des Genres . Tous ces gens de gauche qui baissent la tête devant tous ces crachats à la face de l'Égalité, qui répètent une idéologie inégalitaire et destructrice financée et diffusée par le MEDEF et par l'État, avec la furieuse bêtise des imbéciles, quelle sanie, quelle nausée – et cette absence de recul . C'est un spectacle véritablement horrible à voir . Mais qui le voit ?

Les mots sont usés, on ne peut plus les dire . Les mots s'accumulent, provoquant la grande censure par le bruit . La blague ancienne, disant que la dictature c'est ferme ta gueule, et la démocratie cause toujours, est profondément réaliste . Tous veulent parler, tous veulent courir à dire, tout en n'ayant presque jamais rien à dire . Tous ont désappris à écouter plus de cinq minutes, tous ont désappris la loyauté, la ténacité, la force, le fanatisme . Alors tous mettent mécaniquement de la musique vue et revue, des images vues et revues, des mots usés jusqu'à la corde . Tous – je n'en suis pas absent, vu ? Et ceux qui veulent des émotions fortes, des informations de valeur dans le monde de la neutralisation, diffusent des mensonges, des légendes urbaines, du complot à la pelle, du révisionnisme, bref, n'importe quoi pour sortir de ce monde étouffant qui ne cesse d'empiler des signes qui perdent progressivement toute signification par saturation, comme si on cherchait à combler de boues la mer de la signification .

Dans l'accumulation quantitative des signes, la valeur de l'Avant-garde se mêle à tout ce qui est provocation, donnant des émotions, offrant de l'inconnu, du nouveau pour des hommes de plus en plus blasés, ayant vu les plus grands délires, des images atroces de morts et de lynchages, des images pornographiques selon une logique inflationniste de la surenchère vers le choquant, l'obscène, le scatologique, le blasphématoire . Tant et si bien que le trash peut se présenter comme Avant garde, et que le fait de déféquer sur scène, ou de se moquer des morts, devient expressivité de l'artiste pour les faussaires de l'art, comparables aux faussaires de l'action politique .

C'est dans ces marécages que les mots, et la vie même, deviennent des jouets, des hochets de pontifes universitaires fumeux, qui alignent les pensées les plus corrosives comme des requins dans des tableau de chasse sous-marine . Lautréamont et Sade, Nietzsche, Marx, Tiqqun, le Comité invisible, Mein Kampf, les traités de sorcellerie, Aleisteir Crowley, l'épopée Punk, Guy Debord...et les Vampires, les serials killers, Ted Bundy, les œuvres immondes de Schaefer, comme des requins alignés, pendus par la queue ; des lectures comme de la cocaïne ou comme des amphés, sur le mode de la part d'ombre de James Ellroy, des excitants pour sortir de l'ennui et de l'usure des mots .

Oui, j'en témoigne, c'est aspirés par le vide que nous avons cherché le sang et la chair vivante des mots de folie et de fureur, quitte à rendre un culte à un assassin plutôt que de mourir de la folie blanche de l'autodestruction dans les filets du Système . Le Système est pour nous l'équivalent de l'Enfer ; et ce que nous éprouvons pour lui, du fond du cœur, est de la haine, de la rage . Nous voulons le détruire sans rémission . Nous sommes des loups . Une vie humaine mesurée par l'argent est la vie d'un chien, et le loup attaché à une laisse aspire à la mort . Il devient fou, mauvais, cruel . Nous nous sommes compris avant de perdre la raison . Nous avons abandonné volontairement, consciemment, la raison du Système .

Nous avons finalement compris le sens du processus du Nihilisme européen : il révèle que tout ce qui existe mérite d'être détruit, par cela même qu'il est né – Mani proclame que la naissance est une malédiction . Telle est la Gnose dans l'Empire Romain, cette réputation d'ennemi de l'homme des gnostiques, adorateurs du Serpent . Telle est aussi le secret de notre Gnose appliquée aux productions du Système, à ses lotissements, ses supermarchés, ses prisons intérieures, extérieures, explicites ou implicites toutes équivalentes, son spectacle . Oui, tout ce qui existe mérite d'être détruit, même si tout ce qui existe est bon et beau . Mais nous, nous avons l'intention ferme de connaître la félicité de l'enfer . Nous sommes le souffle de Méphistophélès :

Je suis l'esprit qui toujours nie ; et c'est justice, car tout ce qui existe est digne d'être détruit ; il serait donc mieux que rien n'existât . Ainsi, tout ce que vous nommez péché, destruction, bref, ce qu'on entend par mal, voilà mon élément .

Les blooms usés, blasés par le flot monochrome des mots dans le Spectacle, accumulent les signes de provocation pour entendre enfin une voix humaine, ne serait-ce qu'une fois dans leur vie misérable en fait, et toujours construite comme une puissante grandeur, le règne de l'homme souverain du Système, ce vide aux reflets d'or . Ils entendent le vide et le creusent dans l'espoir que des voix d'hommes, des échos, viennent dénier cette antique intuition sans cesse refoulée par les lumières du Spectacle : leur monde est vide, tissé de vide, une vacuité absolue vouée à la destruction par la puissance du Temps . Mais l'antique intuition du vide est aussi la terrible fascination de l'abîme ; aussi se tournent-ils vers ce qu'ils refoulent, et tournent autour du vide en brandissant des mots ou des images qui sans cesse le voilent . Fascinés et effrayés, ils pratiquent des conjurations extatiques .

Notre plus grande cruauté est de tourner leur regard vers le vide, d'arrêter leurs danses, et de pointer l'abîme, de le rendre désirable comme une femme, comme le somptueux corps nu d'une femme sorcière, puissante . Notre plus grande cruauté est de dévoiler la chair de Kali et ses voluptés sombres . Le désir s'abîme vers l'abîme – et le choc donnera en retour la puissance du chaos et de la destruction qui peut faire refleurir des printemps . L'abîme et le néant sont les dernières puissances d'évocation dans l'ère du nihilisme : Satan est la dernière figure du Dieu puissant, armé du glaive de la destruction .

Mais ce contact de la grâce par la morsure du vide, ce retournement par la panique et le vertige des ténèbres, par l'aspiration de la démence solaire, le bloom s'en protège une dernière fois – non par l'idéologie usée jusqu'à la corde, mais par la fiction et le rire . Ainsi un sectateur des Gender Studies peut aussi se réclamer de Sade, quand bien même une puissante antinomie sépare Sade comme philosophe du puritanisme matriarcal déformé par la névrose des Gender . Comment est-ce possible, ce mélange désordonné de la production symbolique moderne ?

Pour les hommes blasés par les mots, chaque auteur, chaque philosophe est une sorte d'artiste faisant une composition de mots, mots dressés dans l'espace vide comme ces requins déjà montrés pendus par la queue, neutralisés, morts, exhibés comme des emblèmes incompris par leur extraction de la mer, par leur isolement de leur milieu de vie, par leur éclairement même . Aussi peut-on goûter sans danger tout penseur comme créateur d'univers fantasmatiques, puisque complètement dégagé de tout lien aux mondes, comme on peut promener ses mains sur les dents des requins ensanglantés, aux yeux vides . La pensée est alors un catalogue de fictions, tout comme des romans, la forme la plus neutralisée de la littérature . Sade est l'expression de l'anomie du désir, le désir en action dans sa libre perversité polymorphe ; et rien de plus . En fait, Sade est conçu comme le concepteur d'un jeu vidéo, un monde d'émotions dégagé de la vie réelle . Sade est réellement drôle, du rire satanique qui se réjouit du mal et qui se rit de la moraline cléricale ; mais leur rire de bloom est celui de la mise à distance de la gravité de Sade, de cet homme qui a passé tant d'années en prison .

Ce que trop de lecteurs modernes qui prétendent aimer Sade oublient – ne peuvent intégrer à leur pensée . Sade ne riait pas, ne jouait pas, pas comme ils espèrent l'entendre . Sade était un philosophe sérieux, il croyait en Dieu et était du parti du Diable . Il se voulait méchant, cruel . Certes, il l'était moins qu'il ne l'aurait voulu . Mais il ne riait pas de ses paroles de défi . Il ne se défendait pas d'être cruel, il ne se voulait pas d'avant garde . Il était de la race de Caïn, il multipliait les malédictions et les blasphèmes comme des défis au Créateur .

Il se savait concurrent de Voltaire et différent de lui . Il ne se voulait pas des Lumières, et ne croyait pas au progrès de la morale .

Quel homme moderne peut comprendre Sade sans le mettre à distance par les mots d'Avant-garde ou d'humour ? Mais Sade ignore et l'Avant-garde, et l'humour . Sade est à prendre nu, à dévorer cru, avec le souffle, le foutre et le sang . Qui s'avance pour en dire la vérité de minuit ? Sade ne fait pas rire, il ne fait pas rire l'homme qui l'écoute, hiératique, avec un loup noir dans un fauteuil d'or .

J'aime le rire, et je ris . Quand je dis que Sade ne rit pas, qu'il est sérieux, je ne dit que cela : ses paroles relèvent manifestement d'une pratique, et tout homme qui pense avec sérieux doit, comme Lautréamont, sentir ses cheveux qui se dressent sur la tête, et sentir une sueur de mort lui couler le long du dos . Le lecteur qui ne se demande pas ce qu'il ferait, ce qu'il ressentirait, en torturant comme Sade, met à distance, participe de toutes les neutralisations du monde moderne . Le monde moderne est un champ de boue, une glu qui colle et alourdit les ailes des mots, qui ferme à toute compréhension du texte comme sève, sang, souffle, vie . Et s'il sait cela...Oui, il a le droit de rire, s'il sait cela .

Marx, Nietzsche, ou encore Sade, tous ces hommes écrivaient avec le plus grand sérieux, même s'ils riaient – et il n'est pas certain que tous riaient . La pensée est sérieuse qui engage la vie . Marx n'écrivait pas pour être commenté avec forfanterie par un psychotique, prétendant dire mieux que lui ce qu'il voulait dire, enfermé dans l'École Normale Supérieure, enseignant à des enfants bourgeois ignorants de la vie . Nietzsche n'a jamais écrit, le pauvre, pour être enseigné au troisième âge dans une université populaire . Dante n'a jamais écrit pour être commenté par un homme mêlant pseudo-situationnisme enfermé dans les méandres sommaires d'un lacanisme de parade, et idéologie positiviste – progressiste, nommé Mehdi Beladj Kacem, qui ignore profondément et méprise la mystique que Dante place au sommet de l'indicible .

Le salut de la pensée passe par la rigueur, et non par la compassion . La pensée doit être pratique expérimentale, et non pas l'enflure de paroles verbales, non pas des jouets, pas des fictions . Les mots sont les mots . Notre temps n'est pas le temps des danses de printemps, il le temps des brasiers de l'hiver, de la Faux qui sépare le grain et l'épi, et du fléau qui s'abat sur l'aire, pour séparer le grain du son et de la balle . Faux, Fléaux, temps du recours au forêts et des charbonniers noircis veillant sur les braises des éruptions et des enfers .

Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux:
un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté;
un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir;
un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser;
un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres; un temps pour embrasser, et un temps pour s'éloigner des embrassements
un temps pour chercher, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour jeter;
un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler;
un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix
.

Ecclésiaste 3, 1-8

Telle est la race des feuilles, telle est la race des hommes . Autant pour tout homme chaque jour apporte ses peines et ses rires, le présent cycle du monde est celui du règne de la Mort . Il est pour le mortel de nombreux délices à vivre à l'âge de fer – mais ce temps est le temps des arrachements, des larmes, et des pierres . Les hommes se sont perdus, et les mots nouveaux doivent tomber comme des pierres – c'est un cycle de guerre . Les livres nouveaux doivent être des manuels, des pensées pour soi-même, des Hagakure - des mots écrits pour la main autant que pour la bouche, des mots qui soient des actes, des décisions, des invocations avant d'être des poèmes qui chantent le crépuscule . A diminuer l'impossible exigence, on rend l'exigence impossible .

Nous nous devons des mots tranchants, des épées dans la bouche . Quand on est en prison, comme les sept jeunes gens dans la caverne d'Éphèse, on existe de trois manières : quand on creuse vers l'air libre, quand on respire un filet d'air, un vol d'oiseau, un rayon de lune ; quand on crée un lien loyal . Et le reste est divertissement de l'enfermement . Un tel divertissement est humain, mais justement nous revendiquons une certaine inhumanité . J'ose écrire cela de ma plume qui tremble...comme Lautréamont, qui s'est jeté résolument dans la carrière du mal . Kourouma chante Koyaga : « (...)je deviendrais cruel, sans humanité ni concession quelconque . Termine Koyaga . » Sans humanité ni concession quelconque . Telle est la radicalité de l'homme de l'exil .

Le psaume est terriblement sérieux qui dit :

Sur les rives des fleuves de Babylone, là nous nous assîmes, et nous pleurâmes au souvenir de Sion. Aux saules qui les bordent, nous suspendîmes nos harpes; car là nos maîtres nous demandaient des hymnes, nos oppresseurs des chants de joie. "Chantez-nous [disaient-ils],un des cantiques de Sion!" Comment chanterions-nous l’hymne de l'Éternel en terre étrangère? Si je t’oublie jamais, Jérusalem, que ma droite me refuse son service! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens toujours de toi, si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies! Souviens-toi, Seigneur, pour la perte des fils d’Edom, du jour [fatal] de Jérusalem, où ils disaient: "Démolissez-la, démolissez-la, jusqu’en ses fondements!" Fille de Babel, vouée à la ruine, heureux qui te rendra le mal que tu nous as fait! Heureux qui saisira tes petits et les brisera contre le rocher!

Voilà ce que nous pensons chaque jour du Système et des pensées issues du Système : heureux qui les brisera sur le rocher de l'intransigeance ! Nos maîtres nous demandaient des hymnes, nos oppresseurs des chants de joie...je ne peux admettre de penser l'art en dehors des cycles de l'histoire . En vérité l'art est prophétie, exigence de vérité et de justice . L'art est par essence lutte contre le règne de l'or, contre l'asservissement du monde à l'or . Ce monde doit être détruit – et tant qu'il règne avec sa totale insolence – nos paroles sont celles de Lucifer : le mal, la destruction, voilà mon élément .

La bénédiction de Dieu soit sur le Sauroctone .

Vive la mort !

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Zinaida Serebriakova