Neutralisation et radicalité . Lucifer à l'ombre de l'arbre du monde .


(souvenir de Sade)


Nous autres hommes modernes, nous lisons beaucoup, beaucoup de suites, d'enroulements, d'averses de mots, de vagues de mots ; et ainsi les mots finissent par couler sur nos cuirasses comme les gouttes de pluie sur la carrosserie des voitures . Nous avons perdu les mots par excès, le sens des mots par obésité verbale . L'Ecclésiaste dit : les mots sont usés, on ne peut plus les dire . Je ne doute pas que cela soit un signe particulièrement grave, significatif de la difficulté que rencontre un homme ne serait-ce que pour se faire bien comprendre de manière élémentaire sur des problèmes particulièrement liés à l'abîme, obscurs, fascinants, trompeurs . Les Avant-gardes de l'Est ont particulièrement médité sur cette usure . L'usure des mots est l'impuissance à la vérité . La vérité, c'est le discernement appliqué à ma relation à l'être, à mon expérience vitale . L'usure des mots est l'impuissance à être pour l'homme, l'être qui habite en parole .

L'occultation de la vérité est une et même avec le règne du Spectacle et le nihilisme . La communication est monopolisée par des produits techniques syntones au marché, au Système . L'illusoire devient principe directeur de la monstration, le vrai un moment du faux .

La communication est à la fois le passage, la transmission, le pont entre les mortels dans les cycles du temps comme dans les entrelacs de l'espace – et l'auto-position de la communauté humaine, de la Cité des hommes . La communication ne cesse de s'obscurcir, selon le modèle du formatage de plus en plus purement quantitatif d'une communication essentiellement basée sur l'échange de choses matérielles et d'argent – modèle, au sens d'analogué premier et principal de la communication générale . L'information est échangée comme un bien, en vue d'un gain matériel ou symbolique . Il y a un marché de l'information, même gratuite . Le modèle économique, le modèle de l'argent prend le dessus sur le modèle de la langue ; et les maîtres du langage ne sont plus rien face aux banquiers . Ce changement hiérarchique produit de l'amertume chez les maîtres du langage ; mais cette amertume est triste et pitoyable faiblesse de demi-maîtres . L'amertume doit rester l'étrangère au maîtres, même face à la mort .

Infiniment plus grave est le monde humain produit par la fin de la culture et de la langue comme forme générale de la Cité – que ce soit la Parole de Dieu dans les sociétés prophétiques, ou la paroles des hommes depuis la sophistique, dans la Démocratie athénienne, ou la parole divine répercutée par l'Empereur dans les Empires . En effet, la société post-culturelle est aussi la société post-humaine : l'être humain n'y est plus reconnu, ni comme puissance d'universalité, ni comme être parlant, ni comme puissance d'androgynie et de grâce . Voyez : il n'est plus de problèmes légitimes que locaux, dépolitisés, liés à la gouvernance régionale de problèmes homologues parlés par une idéologie unique qui n'est jamais ne serait-ce qu'interrogée, une idéologie unique qui prétend à la transparence du réel comme dans les pires caricatures ethnologiques des idéologies des hommes premiers . Voyez : il n'est plus d'être humains, mais des genres, qui n'ont guère d'autres enjeux que le partage des richesses matérielles, et des transgenres, sans que cela vienne à l'esprit d'aucun journaliste que définir l'homme par sa classe sexuelle est d'une pitoyable pauvreté, encore plus vide que la définition par la classe sociale ou la race . L'universalité est niée par le localisme comme par le Genre .

Il n'y a plus de problèmes politiques, dilués dans le traitement local des problèmes par des bureaucraties tentaculaires ; et il n'y a plus d'hommes, fragmentés en genres hostiles et concurrents . La fin de l'histoire est en route dans la gouvernance, quand bien même l'abîme s'ouvre sous les pieds du Système .


***


Je vais étudier l'idéologie véhiculée par les Gender Studies, car elle est une manifestation caractéristique de l'oubli moderne du processus général du totalitarisme .

De tous ces fragments, la seule unité est l'unité du marché, la seule mesure l'unité monétaire et statistique . L'Empire moderne est celui non de la Loi, mais de l'argent et de la mesure . Le Genre est parfaitement conforme à ce monde, et ne mérite rien d'autre que la destruction, comme pire formation idéologique produite depuis le racisme biologique . Mais comme le racisme biologique est longtemps apparu comme une idéologie moderne, émancipatrice du cléricalisme obscurantiste, un savoir scientifique, objet de très nombreux programmes de recherches universitaires, enseignés dans la presse et les école de la République coloniale comme en Allemagne et dans les pays Anglo-Saxons, le Genre est en train de s'installer comme une idéologie d'émancipation avec des caractères très analogues .

La légitimité de la science et de l'université moderne seraient puissamment remises en cause par des études approfondies d'histoire des sciences, car les sciences humaines biologiques ont été un des creusets de l'idéologie nazie . Il est un révisionnisme portant sur cette histoire, quand on présente les études de Genre comme des pratiques évidemment progressistes, modernes et émancipatrices, alors même que les idéologues officiels du Genre ont pour la plupart rallié les franges les plus radicales du Parti Républicain au États Unis, et œuvrent dans des universités financées par des organisations patronales, qui représentent les intérêts de l'oligarchie . Comme le racisme biologique, la logique des Genres est celle de la fragmentation infinie du corps de la communauté humaine . Arendt comme Aron ont noté comme principale caractéristique du processus totalitaire l'atomisation des hommes, la production des individus isolés, donc impuissants – c'est aujourd'hui la logique du Système .

Les arguments des études de Genre sont tout à fait conformes à l'idéologie antisémite . Ainsi, dans certaines villes allemandes, aux XIXème et au XXème siècle, le pourcentage de médecins juifs sur le total des médecins dépassait 40% ; or la population juive, par exemple, représentait 10% de la population totale ; il s'ensuit que des quotas de juifs sur les études médicales semblait justifié . A partir d'une situation mesurée statistiquement, il était posé deux pseudos constats : tout d'abord, que la situation était injuste – or la spécialisation ethnique sur des métiers relève d'une socialisation et d'une tradition familiale, qui est profitable à la communauté, en règle générale – et ensuite, qu'il appartient à l'État de trouver par la force, par la Loi, une disparition de cette injustice agissant sur les indicateurs statistiques utilisés – c'est à dire que si 10% de médecins sont juifs à la fin de l'application d'une « réforme éthique », ou que 50% des députés sont de sexe féminin, on considérera que la justice est établie sur terre . Autant dire que l'application de quotas crée au contraire des situations d'injustice individuelle et d'arbitraire bureaucratique infinis ; que le service médical sera moins bon ; et que cette recherche d'égalité est sans fin . Dit autrement, cette recherche d'égalité statistique ne peut avoir d'autre conséquence que l'inflation indéfinie de la bureaucratie et du règlement .

Mais cela n'a aucune importance pour les puritains du Genre, ou les racistes ; et cela a servi ses fins véritables, qui est un renforcement indéfini de la puissance bureaucratique, cette délicieuse puissance de faire la pluie et le beau temps pour les vivants, pour les hommes orgueilleux, pour les belles femmes qui ne veulent pas se plier aux rites bureaucratiques, comme pour l'humiliation du misérable, l'humiliation de l'autochtone incapable de se défendre et de se faire valoir comme genre ou comme transgenre . La bureaucratie, ce grand conglomérat de petits hommes pourvus d'un petit rouage calculateur, d'adorateurs du Règlement, ces hommes du Procès intenté à toute grandeur . Le procès de Joseph K n'est pas terminé, il ne cesse au contraire de se ramifier à l'infini, et nous ne le voyons plus .

Prenons le cas des professions juridiques . Admettons que 1% de la population d'une ville soient notaires, et que l'on souhaite que pas plus de 1% des nouveaux notaires soient fils de notaires, pour lever cette injustice intolérable qui fait que les enfants de la bourgeoisie ont plus d'accès aux métiers d'officiers de justice, très rentables et très fermés . Il faudrait prendre des mesures très inégalitaires contre les enfants des notaires, leur interdire de choisir le droit, par exemple . De même, pour les professions commerciales ; il faut saisir les boutiques transmises par héritage ; et enfin, pour les Grandes Écoles, il faut obtenir que 99% des élèves ne soient pas enfants d'anciens élèves...le sens général de ces position pseudo-éthique est que la reproduction sociale, normale et naturelle, comme la transmission familiale d'un capital matériel ou culturel est inacceptable, contraire à l'éthique, à la vision du monde du Système . Il s'agit là encore de manifestations d'une suspicion idéologique des liens privés, liens sauvages, car non contrôlés par le Système . Il est tout à fait évident que la transmission familiale de la culture et de la tradition crée des lignages plus ou moins spécialisés, et de grandes divergences statistiques .

Seule l'école rigoureusement égalitaire et enseignant les genres est légitime ; et puisque les concours et les élections laissent apparaître des inégalités statistiques, ils doivent être corrigés . La solution la plus « juste » serait que les professions soient tirées au sort par la Loi, selon de rigoureux quotas statistiques ; l'exemple des boutiques, du capital industriel ou financier montre au contraire que la transmission de la propriété n'est pas tant interrogée que la transmission culturelle, on s'en serait douté à vrai dire . Au total, la véritable question est celle d'une finalité de monopole de la reproduction sociale assurée par le monopole de l'édiction des normes du Vrai, du Bien et du Juste par tous les pseudos comités d'éthique fonctionnels de la bureaucratie . Les écoles, alliées et asservies aux entreprises d'ailleurs, auraient ainsi la puissance d'exercer de manière optimale leur fonction de sélection et de classement des ressources humaines en fonction du seul critère de compétence, c'est à dire du critère de puissance de produire de la Valeur ajoutée par son travail dans le Système . La logique interne de l'entreprise des Genres aboutit à disqualifier toute transmission extérieure au Système, et à ses contenus de masse formatés et évaluables, et à empêcher toute formation de liens puissants capables de contrebalancer les bureaucraties de la « gouvernance » . Bref, les Gender sont un aspect de l'idéologie de guerre « moderniste »des bureaucraties du Système, qui sont indifféremment « publiques » ou « privées » . Et les bureaucraties sont les nouvelles Églises et les nouvelles Inquisitions, chargées de réprimer l'infection des hérésies, des pensées et des comportements jugés non fonctionnels au Système, non conformes à l'idéologie officielle .

Les Genres procèdent de la même manière qu'une politique antisémite d'État comme celle de l'Empire Russe d'avant 1914 : on constate par hypothèse que 70% des humains de telles professions sont, non pas juifs, mais de sexe mâle ; et il s'ensuit qu'il faut établir des quotas de mâles dans cette profession . Le remède n'est lié à aucune réflexion sur les sources et la construction du « problème » . Qu'une infinité de statistiques soient possibles pour montrer des inégalités, c'est ce qui est passé sous silence ; que des quotas par sexe ou par origine ethnique soit la négation en acte de l'universalité humaine, c'est encore ce qui est passé sous silence . Enfin, qu'une telle égalité arithmétique et statistique soit présentée comme une figure de la Justice, que l'on écarte d'un geste l'injustice manifeste de quotas univoques (sur un critère) ne peut signifier qu'une chose : les Genres voient le monde par les lunettes de l'évaluation statistique, quantitative, et construisent le monde par les yeux et les outils du Système .

Le monde des statistiques était censé être une mesure fiable du monde existant ; mais c'est le monde existant qui désormais doit se plier aux statistiques . La mesure quantitative devient l'énonciateur de la Loi . Les genres, diffusés par les ambassades des États Unis, par les universités nationales, par des manuels Armand Colin en France, par des mastères, par des campagnes de promotion ministérielles, par des lois, sont un avatar des idéologies bureaucratiques, après le racisme d'État . Mais nous sommes tellement neutralisés que même une énormité, un monstrueux attentat à l'égalité naturelle des hommes, comme la définition d'un crime de féminicide – signifiant que la vie d'un humain de sexe mâle n'est pas la vie d'un humain de sexe féminin – ne crée même pas le plus petit scandale . Cela n'est pas bon, à dire le vrai ; nous baissons les yeux comme baissaient les yeux ceux qui voyaient l'application des lois de Vichy .

***


Mais je suis las...j'ai l'âme trop pesante ! Tous ces mots des genres, qui accepte d'en voir le caractère résolument, glacialement monstrueux ? Même la voix d'Elisabeth Badinter, dans la fausse route, est inaudible, face à l'arrivisme cynique et au fanatisme des idéologues traducteurs des Genres . Tous ces gens de gauche qui baissent la tête devant tous ces crachats à la face de l'Égalité, qui répètent une idéologie inégalitaire et destructrice financée et diffusée par le MEDEF et par l'État, avec la furieuse bêtise des imbéciles, quelle sanie, quelle nausée – et cette absence de recul . C'est un spectacle véritablement horrible à voir . Mais qui le voit ?

Les mots sont usés, on ne peut plus les dire . Les mots s'accumulent, provoquant la grande censure par le bruit . La blague ancienne, disant que la dictature c'est ferme ta gueule, et la démocratie cause toujours, est profondément réaliste . Tous veulent parler, tous veulent courir à dire, tout en n'ayant presque jamais rien à dire . Tous ont désappris à écouter plus de cinq minutes, tous ont désappris la loyauté, la ténacité, la force, le fanatisme . Alors tous mettent mécaniquement de la musique vue et revue, des images vues et revues, des mots usés jusqu'à la corde . Tous – je n'en suis pas absent, vu ? Et ceux qui veulent des émotions fortes, des informations de valeur dans le monde de la neutralisation, diffusent des mensonges, des légendes urbaines, du complot à la pelle, du révisionnisme, bref, n'importe quoi pour sortir de ce monde étouffant qui ne cesse d'empiler des signes qui perdent progressivement toute signification par saturation, comme si on cherchait à combler de boues la mer de la signification .

Dans l'accumulation quantitative des signes, la valeur de l'Avant-garde se mêle à tout ce qui est provocation, donnant des émotions, offrant de l'inconnu, du nouveau pour des hommes de plus en plus blasés, ayant vu les plus grands délires, des images atroces de morts et de lynchages, des images pornographiques selon une logique inflationniste de la surenchère vers le choquant, l'obscène, le scatologique, le blasphématoire . Tant et si bien que le trash peut se présenter comme Avant garde, et que le fait de déféquer sur scène, ou de se moquer des morts, devient expressivité de l'artiste pour les faussaires de l'art, comparables aux faussaires de l'action politique .

C'est dans ces marécages que les mots, et la vie même, deviennent des jouets, des hochets de pontifes universitaires fumeux, qui alignent les pensées les plus corrosives comme des requins dans des tableau de chasse sous-marine . Lautréamont et Sade, Nietzsche, Marx, Tiqqun, le Comité invisible, Mein Kampf, les traités de sorcellerie, Aleisteir Crowley, l'épopée Punk, Guy Debord...et les Vampires, les serials killers, Ted Bundy, les œuvres immondes de Schaefer, comme des requins alignés, pendus par la queue ; des lectures comme de la cocaïne ou comme des amphés, sur le mode de la part d'ombre de James Ellroy, des excitants pour sortir de l'ennui et de l'usure des mots .

Oui, j'en témoigne, c'est aspirés par le vide que nous avons cherché le sang et la chair vivante des mots de folie et de fureur, quitte à rendre un culte à un assassin plutôt que de mourir de la folie blanche de l'autodestruction dans les filets du Système . Le Système est pour nous l'équivalent de l'Enfer ; et ce que nous éprouvons pour lui, du fond du cœur, est de la haine, de la rage . Nous voulons le détruire sans rémission . Nous sommes des loups . Une vie humaine mesurée par l'argent est la vie d'un chien, et le loup attaché à une laisse aspire à la mort . Il devient fou, mauvais, cruel . Nous nous sommes compris avant de perdre la raison . Nous avons abandonné volontairement, consciemment, la raison du Système .

Nous avons finalement compris le sens du processus du Nihilisme européen : il révèle que tout ce qui existe mérite d'être détruit, par cela même qu'il est né – Mani proclame que la naissance est une malédiction . Telle est la Gnose dans l'Empire Romain, cette réputation d'ennemi de l'homme des gnostiques, adorateurs du Serpent . Telle est aussi le secret de notre Gnose appliquée aux productions du Système, à ses lotissements, ses supermarchés, ses prisons intérieures, extérieures, explicites ou implicites toutes équivalentes, son spectacle . Oui, tout ce qui existe mérite d'être détruit, même si tout ce qui existe est bon et beau . Mais nous, nous avons l'intention ferme de connaître la félicité de l'enfer . Nous sommes le souffle de Méphistophélès :

Je suis l'esprit qui toujours nie ; et c'est justice, car tout ce qui existe est digne d'être détruit ; il serait donc mieux que rien n'existât . Ainsi, tout ce que vous nommez péché, destruction, bref, ce qu'on entend par mal, voilà mon élément .

Les blooms usés, blasés par le flot monochrome des mots dans le Spectacle, accumulent les signes de provocation pour entendre enfin une voix humaine, ne serait-ce qu'une fois dans leur vie misérable en fait, et toujours construite comme une puissante grandeur, le règne de l'homme souverain du Système, ce vide aux reflets d'or . Ils entendent le vide et le creusent dans l'espoir que des voix d'hommes, des échos, viennent dénier cette antique intuition sans cesse refoulée par les lumières du Spectacle : leur monde est vide, tissé de vide, une vacuité absolue vouée à la destruction par la puissance du Temps . Mais l'antique intuition du vide est aussi la terrible fascination de l'abîme ; aussi se tournent-ils vers ce qu'ils refoulent, et tournent autour du vide en brandissant des mots ou des images qui sans cesse le voilent . Fascinés et effrayés, ils pratiquent des conjurations extatiques .

Notre plus grande cruauté est de tourner leur regard vers le vide, d'arrêter leurs danses, et de pointer l'abîme, de le rendre désirable comme une femme, comme le somptueux corps nu d'une femme sorcière, puissante . Notre plus grande cruauté est de dévoiler la chair de Kali et ses voluptés sombres . Le désir s'abîme vers l'abîme – et le choc donnera en retour la puissance du chaos et de la destruction qui peut faire refleurir des printemps . L'abîme et le néant sont les dernières puissances d'évocation dans l'ère du nihilisme : Satan est la dernière figure du Dieu puissant, armé du glaive de la destruction .

Mais ce contact de la grâce par la morsure du vide, ce retournement par la panique et le vertige des ténèbres, par l'aspiration de la démence solaire, le bloom s'en protège une dernière fois – non par l'idéologie usée jusqu'à la corde, mais par la fiction et le rire . Ainsi un sectateur des Gender Studies peut aussi se réclamer de Sade, quand bien même une puissante antinomie sépare Sade comme philosophe du puritanisme matriarcal déformé par la névrose des Gender . Comment est-ce possible, ce mélange désordonné de la production symbolique moderne ?

Pour les hommes blasés par les mots, chaque auteur, chaque philosophe est une sorte d'artiste faisant une composition de mots, mots dressés dans l'espace vide comme ces requins déjà montrés pendus par la queue, neutralisés, morts, exhibés comme des emblèmes incompris par leur extraction de la mer, par leur isolement de leur milieu de vie, par leur éclairement même . Aussi peut-on goûter sans danger tout penseur comme créateur d'univers fantasmatiques, puisque complètement dégagé de tout lien aux mondes, comme on peut promener ses mains sur les dents des requins ensanglantés, aux yeux vides . La pensée est alors un catalogue de fictions, tout comme des romans, la forme la plus neutralisée de la littérature . Sade est l'expression de l'anomie du désir, le désir en action dans sa libre perversité polymorphe ; et rien de plus . En fait, Sade est conçu comme le concepteur d'un jeu vidéo, un monde d'émotions dégagé de la vie réelle . Sade est réellement drôle, du rire satanique qui se réjouit du mal et qui se rit de la moraline cléricale ; mais leur rire de bloom est celui de la mise à distance de la gravité de Sade, de cet homme qui a passé tant d'années en prison .

Ce que trop de lecteurs modernes qui prétendent aimer Sade oublient – ne peuvent intégrer à leur pensée . Sade ne riait pas, ne jouait pas, pas comme ils espèrent l'entendre . Sade était un philosophe sérieux, il croyait en Dieu et était du parti du Diable . Il se voulait méchant, cruel . Certes, il l'était moins qu'il ne l'aurait voulu . Mais il ne riait pas de ses paroles de défi . Il ne se défendait pas d'être cruel, il ne se voulait pas d'avant garde . Il était de la race de Caïn, il multipliait les malédictions et les blasphèmes comme des défis au Créateur .

Il se savait concurrent de Voltaire et différent de lui . Il ne se voulait pas des Lumières, et ne croyait pas au progrès de la morale .

Quel homme moderne peut comprendre Sade sans le mettre à distance par les mots d'Avant-garde ou d'humour ? Mais Sade ignore et l'Avant-garde, et l'humour . Sade est à prendre nu, à dévorer cru, avec le souffle, le foutre et le sang . Qui s'avance pour en dire la vérité de minuit ? Sade ne fait pas rire, il ne fait pas rire l'homme qui l'écoute, hiératique, avec un loup noir dans un fauteuil d'or .

J'aime le rire, et je ris . Quand je dis que Sade ne rit pas, qu'il est sérieux, je ne dit que cela : ses paroles relèvent manifestement d'une pratique, et tout homme qui pense avec sérieux doit, comme Lautréamont, sentir ses cheveux qui se dressent sur la tête, et sentir une sueur de mort lui couler le long du dos . Le lecteur qui ne se demande pas ce qu'il ferait, ce qu'il ressentirait, en torturant comme Sade, met à distance, participe de toutes les neutralisations du monde moderne . Le monde moderne est un champ de boue, une glu qui colle et alourdit les ailes des mots, qui ferme à toute compréhension du texte comme sève, sang, souffle, vie . Et s'il sait cela...Oui, il a le droit de rire, s'il sait cela .

Marx, Nietzsche, ou encore Sade, tous ces hommes écrivaient avec le plus grand sérieux, même s'ils riaient – et il n'est pas certain que tous riaient . La pensée est sérieuse qui engage la vie . Marx n'écrivait pas pour être commenté avec forfanterie par un psychotique, prétendant dire mieux que lui ce qu'il voulait dire, enfermé dans l'École Normale Supérieure, enseignant à des enfants bourgeois ignorants de la vie . Nietzsche n'a jamais écrit, le pauvre, pour être enseigné au troisième âge dans une université populaire . Dante n'a jamais écrit pour être commenté par un homme mêlant pseudo-situationnisme enfermé dans les méandres sommaires d'un lacanisme de parade, et idéologie positiviste – progressiste, nommé Mehdi Beladj Kacem, qui ignore profondément et méprise la mystique que Dante place au sommet de l'indicible .

Le salut de la pensée passe par la rigueur, et non par la compassion . La pensée doit être pratique expérimentale, et non pas l'enflure de paroles verbales, non pas des jouets, pas des fictions . Les mots sont les mots . Notre temps n'est pas le temps des danses de printemps, il le temps des brasiers de l'hiver, de la Faux qui sépare le grain et l'épi, et du fléau qui s'abat sur l'aire, pour séparer le grain du son et de la balle . Faux, Fléaux, temps du recours au forêts et des charbonniers noircis veillant sur les braises des éruptions et des enfers .

Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux:
un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté;
un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir;
un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser;
un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres; un temps pour embrasser, et un temps pour s'éloigner des embrassements
un temps pour chercher, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour jeter;
un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler;
un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix
.

Ecclésiaste 3, 1-8

Telle est la race des feuilles, telle est la race des hommes . Autant pour tout homme chaque jour apporte ses peines et ses rires, le présent cycle du monde est celui du règne de la Mort . Il est pour le mortel de nombreux délices à vivre à l'âge de fer – mais ce temps est le temps des arrachements, des larmes, et des pierres . Les hommes se sont perdus, et les mots nouveaux doivent tomber comme des pierres – c'est un cycle de guerre . Les livres nouveaux doivent être des manuels, des pensées pour soi-même, des Hagakure - des mots écrits pour la main autant que pour la bouche, des mots qui soient des actes, des décisions, des invocations avant d'être des poèmes qui chantent le crépuscule . A diminuer l'impossible exigence, on rend l'exigence impossible .

Nous nous devons des mots tranchants, des épées dans la bouche . Quand on est en prison, comme les sept jeunes gens dans la caverne d'Éphèse, on existe de trois manières : quand on creuse vers l'air libre, quand on respire un filet d'air, un vol d'oiseau, un rayon de lune ; quand on crée un lien loyal . Et le reste est divertissement de l'enfermement . Un tel divertissement est humain, mais justement nous revendiquons une certaine inhumanité . J'ose écrire cela de ma plume qui tremble...comme Lautréamont, qui s'est jeté résolument dans la carrière du mal . Kourouma chante Koyaga : « (...)je deviendrais cruel, sans humanité ni concession quelconque . Termine Koyaga . » Sans humanité ni concession quelconque . Telle est la radicalité de l'homme de l'exil .

Le psaume est terriblement sérieux qui dit :

Sur les rives des fleuves de Babylone, là nous nous assîmes, et nous pleurâmes au souvenir de Sion. Aux saules qui les bordent, nous suspendîmes nos harpes; car là nos maîtres nous demandaient des hymnes, nos oppresseurs des chants de joie. "Chantez-nous [disaient-ils],un des cantiques de Sion!" Comment chanterions-nous l’hymne de l'Éternel en terre étrangère? Si je t’oublie jamais, Jérusalem, que ma droite me refuse son service! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens toujours de toi, si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies! Souviens-toi, Seigneur, pour la perte des fils d’Edom, du jour [fatal] de Jérusalem, où ils disaient: "Démolissez-la, démolissez-la, jusqu’en ses fondements!" Fille de Babel, vouée à la ruine, heureux qui te rendra le mal que tu nous as fait! Heureux qui saisira tes petits et les brisera contre le rocher!

Voilà ce que nous pensons chaque jour du Système et des pensées issues du Système : heureux qui les brisera sur le rocher de l'intransigeance ! Nos maîtres nous demandaient des hymnes, nos oppresseurs des chants de joie...je ne peux admettre de penser l'art en dehors des cycles de l'histoire . En vérité l'art est prophétie, exigence de vérité et de justice . L'art est par essence lutte contre le règne de l'or, contre l'asservissement du monde à l'or . Ce monde doit être détruit – et tant qu'il règne avec sa totale insolence – nos paroles sont celles de Lucifer : le mal, la destruction, voilà mon élément .

La bénédiction de Dieu soit sur le Sauroctone .

Vive la mort !

Pain et vin . La vérité comme faim et comme soif .

(Dürer, essais de fleurs)


A Hölderlin, frère du pain et du vin à la table des dieux .

Il est un grand mal qui doit être mieux connu du penseur, et qui est le reniement de son cœur – du cœur de l'être, celui qui est à droite du corps - au nom de la raison, de la soi-disant raison, qui n'est que le nom de l'idéologie . Le vivant a besoin de vivre, et de vivre de la vérité ; il a besoin du souffle des étoiles comme ses poumons ont besoin des souffles d'air . Mais la vérité ne se trouve pas dans les articulations les plus fines des systèmes sémantiques . Les systèmes sémantiques sont des voies, des forêts éperdues où il n'est pas de maisons de forêt, si ce n'est dans l'illusion des contes des hommes . Il est bon de les parcourir, et mauvais de s'enfermer dans les ronces passées en barbelés d'un système de mots . Les mots sont les mots .

Il est hors de la portée de l'homme de clore le langage, de fermer les chemins de forêt ou les portes du ciel . Blake écrit : car l'homme s'est enfermé en lui-même et voit le monde par les étroites fissures de sa caverne . Il peut sembler à l'élève, qui écoute les paroles d'un Maître, qu'il ne puisse aller au delà de la sphère de ses paroles, image de la Splendeur de la voûte céleste . Mais celui qui n'ose pas dépasser son Maître est un timoré .

Alors les paroles du Maître ne sont plus ce qu'elles doivent être, des étincelles jetées dans l'obscurité sur le chemin de la vie, qui permette de le dépasser . Car l'homme n'est autre que le dépassement de soi-même, et le Maître sait qu'il sera dépassé s'il est digne d'être un maître authentique . Dans le livre III du Metalogicon, Jean de Salisbury fait dire à son maître Bernard de Chartres : Nous sommes des nains assis sur des épaules de géants. Si nous voyons plus de choses et plus lointaines qu’eux, ce n’est pas à cause de la perspicacité de notre vue, ni de notre grandeur, c’est parce que nous sommes élevés par eux.

Le Maître doit élever, et ainsi porter au dessus de lui ; car ce qui le porte n'est pas l'amour de la puissance, mais l'ardent désir du Haut tant désiré ; et ainsi, si celui qu'il a porté contre son cœur est au dessus de lui, il en ressent une grande joie – si, comme Jean le Baptiste le dit de Jésus : il faut qu'il grandisse et que je diminue (…) je ne suis pas digne de dénouer la lanière de sa sandale . (…) voici ma joie, elle est parfaite .

Il n'est pas de grandeur plus haute, pour l'homme terrestre, que de savoir devenir nu, renonçant, petit . L'homme qui marche vers l'Un est en compagnie d'un jumeau, est une syzygie de l'homme mort et de l'homme de lumière . Une très ancienne parole dit : pas de série pour le nombre un . La nécessité unique, le trépas, père de la douleur – rien de moins, rien de plus . Il n'est d'autre issue pour un être qui a atteint son plus haut degré que de disparaître, de connaître l'extinction . C'est bien la boisson la plus amère, et la plus grande, de se savoir et se dire serviteur . Qu'un homme élevé comme Ibn Arabi se soit voulu serviteur, ou agneau de Dieu, est un signe de la vérité de ces paroles . Dante n'a pas eu de lieu pour poser ses livres et sa vie . L'homme le plus établi est pour le Ciel un nomade - et celui qui le sait chante l'éternité de la fleur éphémère .

Le serviteur du Verbe ne peut clore les spirales indéfinies du verbe, ce que tout système, tout jugement se propose de faire sans cesse, comme une onde qui repart à l'assaut dans le déroulement de ses spires, en vain . Le verbe est un chemin indéfini – il est ce souffle qui passe entre les lèvres des hommes : le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix – mais tu ne sais d'où il vient ni où il va . Aussi le Maître a t-il ajouté : ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés . Il n'est rien de plus étranger à l'homme spirituel que le système philosophique . Rien n'est plus illusoire que la puissance des vérités, des théories . Woland déclare justement à ce sujet, dans le Maître et Marguerite, en parlant à la tête coupée d'un homme mort :

Ce sont des faits . Et les faits sont la chose la plus obstinée du monde . Mais ce qui nous intéresse maintenant, c'est ce qui va suivre, et non les faits déjà accomplis . Vous avez toujours été un ardent défenseur de la théorie selon laquelle lorsqu'on coupe la tête d'un homme, sa vie s'arrête, lui même se transforme en cendres et s'évanouit dans le non être . Il m'est agréable de vous informer, en présence de mes invités, et bien que leur présence même soit la démonstration d'une tout autre théorie, que votre théorie à vous ne manque ni de rigueur ni d'ingéniosité . D'ailleurs, toutes les théories se valent . Il en est une, par exemple, selon laquelle il sera donné à chacun selon sa foi . Ainsi soit-il ! Vous vous évanouissez dans le non-être, et moi, dans la coupe en laquelle vous allez vous transformer, je suis heureux de boire à l'être !

D'ailleurs, toutes les théories se valent . Voilà exactement ce que Ibn Arabi aurait pu dire de la philosophie : elles se valent pour ceux qui y croient, étant des puissances déterminées de vertu, et des puissances indéterminées d'enfermement, comme l'être est tissé d'indétermination, c'est à dire d'infini . Les théories, les systèmes, ferment l'accès à l'infini reflété par le verbe comme le bleu de la mer est le reflet de l'azur du ciel . La voix est l'aile qui porte les mondes en suspens dans l'air . C'est la voix qui porte, le verbe qui emporte, et non les idées encloses sur elles-même, et qui ne portent pas de fleur ni de fruit . Et les vagues de sa voix me bercent et m'entrainent sur le rayon de lune, comme les alizés autrefois sur la mer berçaient le vaisseau fantôme .

Les paroles que je prononce sont des paroles de science, de saveur de la vie : de gnose . La gnose n'est pas un système, ni une possession, mais un récit, une symbolisation de souffles, de crépuscules, de vies humaines indéfinies . Depuis très longtemps les maîtres de parole, qui ne sont ni les poètes ni les hommes du souffle et du serpent, veulent la puissance des mots comme possession ; ainsi sont nées la sophistique, la logique, et les sciences locales au sens moderne, des mots de puissance et de possession, avant devenir à nouveau déprivées de mots, des domaines techniques – des domaines d'appropriation de l'inanimé où l'inanimé s'approprie l'animé... Les maîtres de parole veulent dire non l'être, par le poème, mais les étants, saisir leurs essences pour les classer, les déterminer, les partager, les ranger dans des boîtes . Il est possible de le comprendre par le double sens du mot essence .

L'essence du sage extatique est le noble acte d'être, cette puissance imprévue de l'aurore déployant de la dissolution de la nuit les éclatantes couleurs et les mystères du monde ; et le langage, tel Adam nommant les animaux, est le frère du souffle de Dieu donnant la vie et déployant la lumière et les ténèbres de son Verbe, pour créer cette splendeur devant laquelle Dieu lui-même s'extasie d'une auto-extase, d'une félicité dont l'être plié de la conscience d'Adam est l'image . Ainsi le poète ordonne et dévoile la Splendeur à l'image de Dieu, et ainsi le poète, le barde est l'enchanteur, et le double occulté du Roi .

Et le poète sait aussi que tout le spectacle somptueux du monde, toute sa gloire, son essence, est vent et poursuite du vent, aussi bien vacuité que souffle, vide et or du monde résumés dans le cœur de l'Un . L'essence du manifesté comme manifesté est le souffle, le passager – ainsi l'ego de l'homme est la flamme fragile d'une bougie au vent, quant tes mains jointes en cercle ne la protègent pas de son nid de chair et de peau . Ruteboeuf dit : Ce sont amis que vent emporte – et il ventait devant ma porte – les emporta .

L'essence du manifesté comme manifesté est identité, et l'identité est vide et tournoyante ; et l'essence du manifesté comme non-manifesté est l'éternité invisible de la puissance, le centre immobile et sans dimension de la roue des mondes . Comme les mondes et les étoiles, le sage est un être tournoyant . Blake note : The man who never alters his opinion is like standing water, and breed reptiles of the mind . L'homme qui ne change jamais d'opinion est comme une eau stagnante, qui génère les reptiles de l'esprit . Le sage est libre vis à vis des théories, car les théories ne sont là que pour manifester la Splendeur . Tout ce que nous avons vu n'était du qu'à ta métaphysique . Car lorsque tu as fui, je n'ai plus vu qu'un joueur de harpe sur une rive, au clair de lune .

L'essence de l'Un est l'être, l'éternité, l'instant infini sans durée . Le tissu du monde visible est l'infime très précieux, insaisissable, le germe de tous les mondes résumés dans l'oeuf de serpent . Dans ce sens le parfumeur saisit l'essence de la Rose pour la déposer dans ses parfums précieux, qui sont des microcosmes de jardins .

L'essence dans le langage du maître de parole est l'essence d'une substance, son « identité » nécessairement attribuée par une puissance se voulant souveraine, la puissance humaine . Cette essence d'une chose est une saisie dans le langage pour opérer une détermination, une négation, une appropriation et un contrôle, l'initiale du principe d'identité, des papiers, des statistiques, des autorisations, des livres de comptes . L'essence de rose du chimiste est une liste de composés organiques, dont il est possible de faire une réplication synthétique dont le prix sera plus compétitif – il n'est pas de profondeur de la saveur, pas de microcosme, juste au fond une odeur là où d'autres voyaient un monde ; et une liste de signes, de chiffres, de diagrammes – une saisie complète en apparence, mais où se perd l'insaisissable .

Il ne s'agit pas de revenir indéfiniment aux poncifs de l'opposition de l'ingénieur et du poète, mais de comprendre que dans chaque homme se posent ces choix – le puissant désir d'appropriation est un voile qui se dépose sur l'objet désiré ; le moteur du désir d'appropriation ne peut être approprié . Car l'acte d'attribution d'une essence est une réduction de l'étant singulier au cas particulier d'un système de pensée . L'acte de réduction à une essence sémantique fait de l'étant singulier, un abîme de sens possible, un signe de l'ensemble de tout être en puissance un étant particulier : le cas particulier d'une règle posée par la volonté de l'homme . L'acte d'attribution d'une essence n'est pas le dévoilement d'une essence préexistante, mais une détermination, une négation, une fermeture, une appropriation : au fond, le prélude d'un anéantissement . Le processus d'appropriation et le processus du nihilisme sont un et même .

Celui qui cultive des Iris dans le monde moderne ne peut voir l'Iris avec les yeux de Dürer, la preuve de l'existence de Dieu . Blake dit à l'ange de la philosophie : Je perds mon temps à converser avec toi dont les œuvres se limitent aux analytiques (d'Aristote)...

Il importe de voir que les maîtres de parole qui imposent des essences, des identités à des choses déterminées, veulent avec force que leur monde soit le Vrai Monde, et pas le monde de Turner, un monde sans formes ni limites, donc sans identités ; et nombre d'hommes, et même des penseurs, en viennent à penser que si un conflit nait entre une théorie « scientifique » et la perception vécue immédiate, il faut sacrifier la vie . Dans l'ancienne Église catholique, on parlait déjà de sacrifice de l'intellect, quand des affirmations de l'Église semblaient contredire l'évidence de l'intellect...Le monde du sacrifice de l'évidence sensible n'est pas meilleur que le monde du sacrifice de l'intellect .

Cette problématique est très ancienne . Je prends l'exemple de Zénon d'Elée . En vérité, si Zénon cherchait à nier le mouvement manifesté par ses paradoxes – ce qui me semble faux, car Zénon ne cherchait qu'à donner tort, au contraire, aux négateurs de l'Un – il était aisé au philosophe de marcher pour lui présenter la réalité vécue du mouvement .

Voilà un paradoxe de Zénon :

Car, si l’être était divisible, supposons-le sectionné en deux, et ensuite chacune des parties en deux, et que cela se reproduise sans cesse, il est évident que : ou bien il subsisterait certaines grandeurs ultimes qui seraient minimales et insécables, mais infinies en nombre ; ou bien il s’évanouirait et se résoudrait en ce qui n’est plus rien, et serait constitué de ce qui n’est plus rien ; deux conclusions qui précisément sont absurdes. Donc il ne sera pas divisé, mais demeurera un. De plus, en effet, puisqu’il est semblable en tout point, si on lui attribue la divisibilité il sera divisible semblablement en tout point, et non pas ici divisible et là non. Supposons-le donc divisé en tout point : alors il est évident que rien ne subsistera, qu’il s’évanouira, et que s’il est vrai qu’il soit constitué, il sera à nouveau de ce qui n’est rien. Car tant que quelque chose en subsistera, le procès de division en tout point ne sera pas encore achevé. En sorte que il est encore manifeste d’après ce qui précède que l'Être est indivisible, et sans parties, et un.

Un commentateur moderne note : De toutes les apories qu’un Zénon relevait dans le concept du mouvement, il n’y a pas lieu de conclure que le mouvement n’existe pas mais bien qu’il est contradiction en acte . Contradiction en acte, c'est à dire qu'il est en acte des contradictions logiques, des faits que dans la logique, le principe de non-contradiction déclare impossibles ; ou encore, entre ce qui ne peut être pensé mais qui est, et ce qui peut être pensé et qui n'est pas, il n'est pas possible de choisir rationnellement le deuxième - car c'est la même chose de penser et d'être si et seulement si l'être est le principe de la pensée . Le principe de contradiction énonce : une substance ne peut pas être et ne pas être en même temps et sous le même rapport ; et le mouvement d'une substance montre une substance qui est en un lieu et n'est pas dans un lieu en même temps et sous le même rapport . Les paradoxes de Zénon sont d'un homme disciple de Parménide : il défend l'éternité de l'être un qui tisse le monde illusoire des apparences mouvantes . L'unicité de l'être, un intangible principe traditionnel que Blake formule ainsi : God only Acts and Is, in existing beings or Men . Dieu seul Agit, Dieu seul Est, dans les choses existantes comme dans les Hommes .

Depuis l'affaire Galilée, de nombreux hommes ignorants - Héraclite note : L'étendue des connaissances n'enseigne pas à avoir l'esprit ; sans quoi elle l'aurait enseigné à Hésiode et Pythagore, et encore à Xénophane et Hécatalos – ont préféré l'apparence de mots et de théories scientifiques à la vie . De ce que la terre semble immobile et le soleil accomplir de larges cercles, et qu'ils soient persuadés que c'est l'inverse qui est vrai – alors que dans un univers indéfini, choisir le repère soit un acte de souverain, et qu'il n'est aucune obligation pour le souverain d'être plus simple, ou le plus simple, bien au contraire – ils ont considéré que toute expérience vécue qui se trouvait contredite par une théorie devait être niée . Ils ont douté de la vie même pour sauver leurs réseaux de mots et de nombres, dont ils sont devenus les valets . Après Laplace, ils ont cru au déterminisme contre l'évidence de leurs journées passées à faire des choix . Voyez les notes de Claude Bernard, le fameux expérimentateur qui fut une nouvelle idole de la IIIème République : nous nous croyons libres, comme nous croyons que le soleil se lève et se couche...Ils ont cru au caractère illusoire de la vie dévoilé par la science, et ils y croient encore . Ils ont cru être la fin de l'existence humaine, et ont cru de manière institutionnelle au racisme, avec le consensus des scientifiques des derniers siècles . Voyez Gould, la mal-mesure de l'homme, si vous en doutez, ou allez dans une bibliothèque et voyez un Larousse ou une encyclopédie des années 1880 à 1945, ou une revue anthropologique prise au hasard . Certains croient même encore la fable plaisante que des millions d'années d'évolution humaine ascendante ont conduit jusqu'à eux, et que n'importe quel être obèse, au faciès porcin, habitué à toues les trahisons et à tous les mensonges, peut être supérieur au grand Platon, du seul fait qu'il affirme que la Science a donné tort à Platon, à la télévision, devant un journaliste qui ne sait pas de quoi diable il s'agit, et reste bouche bée .

Il n'est pas sage de tant s'extasier sur Galilée sans utiliser la puissance de négation et de réflexion de Galilée . Il est indéfiniment plus important pour l'homme de se savoir gouverner que de savoir que la terre tourne autour du soleil – , et se savoir gouverner, c'est ce qu'il ne sait toujours pas . Il ne faut pas se laisser impressionner par les mots qui évoquent des fantômes comme la Science – car ce n'est pas l'édifice théorique qui gouverne l'expérience, mais l'expérience qui gouverne l'édifice théorique .

Chacun devrait une fois dans sa vie méditer la Logique de la découverte scientifique de Popper, qui fut un penseur sincère et rigoureux, ce qui d'emblée le place à part de l'essentiel des philosophes professionnels modernes . Il existe une dissymétrie expérimentale . Une théorie ne peut pas, par principe être prouvée . Elle peut être, et difficilement, et de manière discutable, testée . Ce que Popper n'ajoute absolument pas, puisque sa conception de la philosophie est d'abord théorique, c'est que le grand appareil de la Science n'est pas déterminant pour une philosophie qui se veut avant tout une philosophie de la vie, du Manuel, des pensées pour moi-même . Bien au contraire, le grand appareil de la Science est une des plus grandes matrices idéologique de l'idéologie moderne, un lieu de production d'illusions et de mensonges très éloignés de la liberté d'imagination et de construction tant des mathématiciens d'Alexandrie, que des scientifiques de l'âge classique comme Kepler ou Newton, jamais très éloignés de Platon, de la gnose ou de la sorcellerie .

Ce qui est grand, c'est de s'opposer aux croyances du peuple quand cela est juste ; et ils sont très loin de s'opposer à de telles croyances, les laquais de la Science . Tout ceux aujourd'hui qui condamnent le racisme oublient que leurs pères l'on enseigné, ou appris sur les bancs de l'école . Tous ceux aujourd'hui qui sont « à gauche » oublient que le courage ne réside pas dans la nature des idées, mais dans les réalités du champ idéologique, dans l'isolement de celui qui s'oppose au consensus d'un champ . René Bousquet, chef de la Police de Vichy, est devenu un radical socialiste des Trente Glorieuses très convenable – quand le lieutenant-colonel de la Roque, chef des Croix de Feu dans les années 30, fut un authentique résistant de la première heure condamné faussement pour collaboration après la guerre . Et croyez bien que tous les gens très convenables qui aujourd'hui défendent le politiquement correct auraient été marxistes-léninistes en Russie en 1970, ou pétainistes en 1940 . Ce n'est pas le contenu du politiquement correct qui est à vomir, c'est la structure de soumission qui le porte – c'est une forme qui peut contenir absolument n'importe quoi, qui est aussi dépourvue d'éthique que la mâchoire du grand requin blanc . Ce qui est à vomir, c'est d'attendre d'un homme la soumission aux arcanes idéologiques de son temps comme une évidence . Wilde a écrit ces fières paroles d'un homme libre :

Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa propre vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose (...) Le monde pris en masse est un monstre bourré de préjugés, rempli de préventions, rongé par ce qu'il appelle les vertus, un puritain, un poseur . Or l'art de la vie est l'art du défi . Le défi, voilà ce pourquoi nous devrions vivre, au lieu de vivre comme nous faisons, en acquiesçant . Qu'un homme cultivé puisse accepter les normes de cette époque me semble la pire des immoralités .

L'homme maître de lui-même est celui qui a abandonné l'idée de s'entendre dire ce qu'il voit, vit ou sent . La vérité, cet être infime, ce miroir voilé, est le pain et le vin, la saveur des mondes . Ô mon amour lointain, comme je connais mieux la nostalgie et la tristesse des horizons écarlates que toutes les vérités illusoires des hommes ! Eckhart dit :

La Sainte Écriture insiste partout sur le fait que l'homme doit se détacher de lui-même . C'est seulement dans la mesure où tu te détaches de toi-même que tu es maître de toi . C'est dans la mesure où tu es maître de toi que tu te réalises toi-même . Et c'est dans la mesure où tu te réalises que tu réalises Dieu et tout ce qu'il crée à jamais .

Vive la mort, et vive la guerre idéologique des hommes libres !

O magnum mysterium . Adresse au Maître d'émeraude .

(Hiéronymus Bosch, la nef des fous)


O magnum mysterium,
et admirabile sacramentum...


Le mot mysterion (grec) signifiait autrefois les mystères, les opérations des religions initiatiques . Mais ce sens repose sur une évidence vécue, un tissage intime de l'expérience humaine, l'expérience du mystère et de l'énigme . Cette expérience est évidente, et pourtant elle est plutôt l'objet de paroles s'enroulant autour de son soleil noir sans la nommer, que de paroles portant sur son sujet – que d'évocations du mystère .

L'expérience de l'énigme est l'expérience de l'indéfini de soi, de la lacune de l'homme, impuissant face à des zones de ténèbres . C'est l'expérience de l'homme comme partie, comme créature abandonnée de tous, et même des autres hommes . Et c'est celle d'une béance narcissique ; et c'est peut être pour cette raison que les hommes évitent d'en parler, comme en général ils baissent la voix et détournent le regard à l'évocation de leurs laideurs et de leurs échecs, tels l'échec collectif du monde moderne comme lieu de bonheur et de libération .

Nous savons que le monde s'interprète, que le visible est signe du caché dans l'expérience immédiate de la nature – dans l'expérience du sens, des traces d'animaux, des remous signalant les poissons, dans le souffle puissant et oblique de Moby Dick, image des merveilles de la mer .

La nature même des sens corporels et de la psyché est de passer d'états du corps humain à des états de monde, de passer de la lumière dans l'œil aux images du monde, de la vibration du tympan à l'arrivée de l'être ennemi ou ami . L'évidence du macrocosme, et du microcosme image du monde est une expérience immédiate . Comme l'épaule de l'amoureuse sous le premier contact, le corps entier frémit sans cesse de la rumeur du monde, et passe le monde comme saveur, comme lumière, comme obscurité, comme peur .

Quelle que soit la folie froide et méthodique qui l'anime, une œuvre comme la Critique de la Raison Pure de Kant offre quelque chose à son lecteur : elle offre l'évidence de l'abîme des évidences premières, leur dissolution face au simple et pauvre tribunal de la raison . L'évidence première, c'est l'ouverture, l'offrande du visible, la splendeur d'un monde ou d'un corps ; mais cette évidence première repose sur les sensations du corps, qui ne connaissent ni espace, ni temps, ni lumière, ni rien d'extérieur sensible . L'évidence première est la première des énigmes .

En vérité, Kant s'éloigne très loin de l'évidence première de l'expérience de la vie, mais accomplit un cercle : il passe sur la tête, puis revient sur ses pas, pour dire que finalement il faut vivre tout comme si l'évidence du bon sens complètement ensevelie sous la Critique était spontanément, naïvement vraie . Il est l'homme du retournement du retournement – un être accomplissant un reniement . Il est un gnostique de l'ordre bourgeois, qui offre l'étrangeté du monde dans le cadre rassurant du philosophe de la République, de l'école normale et du jury de l'agrégation – sa perfection de maître académique se comprend, comme une bonne paire de pantoufle confortables, et en plus assez chic pour être portées dans un club anglais .

Que Kant, la raisonnable et vertueux Kant, soit la porte du romantisme et de l'idéalisme allemands ne se comprend pas par les aberrations de sa morale, mais bien par la perte de l'évidence de la séparation de l'esprit et de l'être qui s'accomplit dans la Critique . Si le temps et l'espace sont des dynamiques de la psyché, que reste-t-il du monde, sinon le déploiement d'un tissu unique du moi et du non-moi dans les plis structurés, tendus par la dynamique des contradictions ? Alors les dits des hommes du Mystère, dialoguant avec les temps anciens, ou réunissant l'espace immense sous leurs pieds ne parlent plus d'une sortie essentielle des règles du monde, de « miracles », mais de l'indéfinie multiplicité des règles des mondes qui s'expérimente dans les mystères .

Le miracle n'est que la perspective de celui qui est enfermé dans les règles étriquées de son monde, ou encore le miracle unique est la simple perspective de l'être, pour l'homme d'une sagesse rare . Il n'est aucune limite à l'indéfinie réplication en miroir, aux plis, aux enroulement des mondes, aux états multiples de l'Être . Tel est la manifestation ultime de l'Or du Rhin au crépuscule des temps, quand le soleil se multiplie sur les ondes des grands fleuves .

Définir l'être...dé-finir est déterminer, indiquer une limite . Or l'être, dit Hegel dans le premier chapitre de la Science de la Logique, est sans aucune détermination . Si je répète, après Parménide, l'être est, le non-être n'est pas, je dois ajouter qu'aucun étant ne détermine l'être, essence sans identité, masque blanc sans yeux ni bouche, énigme – mystère . Dans l'Exode, à la question « qui est tu ?, Moïse reçoit cette réponse : je suis celui qui suis - il est celui qui est .

Il est de l'être enroulé sur l'être indéfiniment, en spirales . Il est, comme il pleut, mais aussi tu es, et je suis . Dire que l'être n'est pas conscient, n'est pas sujet et objet ensemble, est en effet le déterminer par un étant, la conscience . L'être le dit ainsi Sat (être) Chit (conscience) Ananda ( joie, félicité) . Pour tout être qui voit, il voit par lui ; et pour tout être qui aspire le souffle, le sang et la joie du monde, il aspire le souffle et jouit par lui . Et le il, comme le lui, peuvent dans ces mots être Lui, ou désigner l'être vivant qui est par lui . Dire que la métaphysique de l'être ne peut penser de limite signifie clairement que poser que l'être n'est pas conscience est transgression de l'évidence .

La transmission des mystères dans le monde des hommes est elle-même un mystère . En vérité, la Tradition est une puissance d'autres mondes, et ce qui se manifeste dans un monde ne respecte les règles de ce monde que pour celui qui s'y trouve . Un plan qui traverse un plan est une droite . La vision de ce plan sécant dans la perspective d'un être unidimensionnel est une droite ; il ne peut voir l'indéfini vertical qui le surplombe . La théurgie gnostique qui fait de l'homme un voyant ne lui fait voir que ce qui est toujours déjà présent, rien de plus . Que la Tradition respecte les règles du temps et de l'espace de ce monde dans sa manifestation ne signifie rien de plus que la hauteur est dans l'œil de celui qui regarde . Les conceptions de Guénon à ce sujet sont de l'ordre de la protection dans un temps de désordre et d'usurpation, non une loi .

Il était dans les temps anciens des signes visibles, des maîtres vers qui aller pour les hommes qui meurent de soif auprès de la fontaine . Mais de ces signes ne restent que des vestiges, des souvenirs, des légendes . Le monde moderne est pour l'homme noble comme un miroir voilé par une dentelle noire, un signe de mort . Quand un sage de l'Inde, assis nu sur la cendre, ou quand un moine en robe de bure affirmait que l'or était une passion mortifère de l'homme, sa parole pouvait être entendue des pauvres, des exploités du travail des grands seigneurs . Mais quand un homme riche et puissant appelle les peuples à travailler et à faire des sacrifices pour servir mieux le veau d'or, quelle éclat, quelle puissance peut avoir sa parole ?

Que vaut la parole dans ce monde ? Et presque tous les liens des hommes sont déliés . Il est indispensable, plus que jamais, de fonder des ordres, des organisations – mais une telle puissance semble perdue dans la parole humaine, dans le sang et dans le souffle des hommes . Le monde pousse comme une prison de ronces, de fer et de béton autour de la princesse endormie, l'âme humaine ; et nul ne se lève pour sonner l'alerte, ou les alertes isolées sonnent dans le vide, comme fut la parole de Simone Weil . Le vivant exige la vie. La créature respirante exige de respirer. Est-ce présomption de sa part, où a-t-il simplement désir de vie, et ce paradis étouffant qu'on lui vend est une prison où l'orchidée se meurt - la grande illusion ? Et pourtant le mystère est que la grande illusion est exposée au yeux de tous, et persiste dans l'être .

Car le prophétisme m'amène à nommer un ultime mystère, qui est celui de l'injustice – l'exposition de Job . Dans un monde de plus en plus infernal, n'est-ce pas une profonde surprise de voir les victimes collaborer avec leurs bourreaux ? Le monde de cette fin de cycle est la nef des fous : on y tue, on y viole, on y massacre, et on y apprend qu'il faut travailler, travailler, travailler, sans même se demander pourquoi vivre . Les peuples remboursent des dettes qu'ils n'ont pas prises, et elles ne sont pas remboursées, à l'infini, puisque que les États ne paient que les intérêts ; et on pousse des pays à l'effondrement pour les faire rembourser plus vite – comme si des chevaliers aller massacrer leurs paysans pour avoir plus de revenus ! Le monde du progrès et de l'avenir radieux touche partout la fin de son futur .

Et dans cette nef des fous, la voix des révoltés est si faible, si peu audible, dans le déchaînement des hurlements de joie et des roulements de tambours .

Les hommes modernes ont peur de perdre leur esclavage, car ils savent désormais, obscurément, que derrière lui et ses cadres rassurants, il n'est que le vide, l'abîme, le retour violent du mystère dans leur vie – et qu'ils n'ont pas en eux même la puissance, la force et le courage de combler le vide, et pas en eux même non plus la force et le courage de se livrer à l'abîme, quand bien même leur vie serait absolument vide et mécanique .

Ils seraient impuissants et transis face à la liberté, au froid et à la faim, en dehors de leurs boîtes bien sages, de leurs fonctions dans le Système – tant il est vrai que même le pauvre humilié finit par avoir une fonction symbolique de crécelle de lépreux, qui pousse les autres à travailler par horreur de la misère, comme le riche du Spectacle est un leurre qui fait croire que la richesse est issue du travail ou du talent . Le Spectacle de l'humiliation et de la jouissance tapageuse de richesses indéfinies est le dernier moteur du progressisme tombé dans le vide .

Le mystère de l'injustice est mystère d'iniquité ! Car nous savons aussi la justice du justicier, nous l'admirons dans le spectacle, l'homme qui ne peut laisser une injustice ou un crime sans vengeance et qui l'accomplit . Nous aimons à le voir, parce que le monde réel est de plus en plus étranger à toute justice . Nous savons, nous aimons, nous désirons la justice et nous sommes résignés et impuissants dans un ordre de fer qui ne cesse de se proclamer libre et juste . Rien de nouveau sous le soleil, mes mots sont analogues à ceux de Blaise Pascal au XVIIème siècle . A ceux du Roi Salomon dans les siècles . Ne pouvant faire que le juste soit fort, on a fait que le fort fût juste, note Pascal .

Quand je regarde le sol d'une forêt après un orage, et que je te sais auprès de moi posée comme un grand oiseau mystérieux, alors je sens en moi la réconciliation des mondes . Parfois les mondes se réconcilient dans l'éclat de l'Aube, et même dans la splendeur du crépuscule, à l'heure du rayon vert des cycles des éons .

Et quand je regarde le monde des hommes, j'y vois entrelacées la splendeur et l'abîme, au delà de toute compréhension – le mystère, lové comme un serpent de brume qui voile l'éclat certain de toute choses du monde face au soleil invaincu .

Dans cette obscurité il faut dire la vérité : j'attends des signes . Je crois que certaines limites de l'homme, de son annihilation, sont atteintes, et qu'il lui faut la grâce . L'homme n'est rien, et l'homme moderne est moins qu'aucun homme : et pourtant plus qu'aucun autre homme dans les spires du temps, sa tâche demande de la démesure .

Ô toi le Maître du printemps, toi au reflet incrusté sur le front des Anges déchus – je t'en prie devant le miséricordieux : couvre la noirceur d'abîme de mon être de charbon de ton manteau de nuit constellé d'étincelles mystiques – donne moi les mots, les signes – l'ivresse de tes élus.

De la guerre et de l'Aube entrelacée des éons .

(Joachim de Fiore, les cercles des temps, liber figurarum)


« J'ai trop aimé la guerre... » Louis XIV mourant .

Ô Seigneur des mondes, accorde nous la vison et la compréhension . Car l'homme seul, ce petit morceau de ferment – dit Loup Larsen, dans le Loup des mers de Jack London – ce petit morceau de vie promise à la mort, balloté par les vents et les eaux, et que les mots des grandes idéologies du monde agitent comme une marionnette – comment pourrait-il arriver seul à la vérité ? Et même pas à la vérité, celle qui est Voie et Vie, celle de l'Aigle qui s'élève au dessus des choses qui sont et de celles qui ne sont pas, dans la souffle délicieux de la prophétie et des parfums des montagnes d'Orient ; non, même pas à la vérité des humbles, à la vérité du pas lourd des hommes qui vont au travail, qui vont au café, qui rentrent chez eux vers leurs famille, vers ceux qui les haïssent ou qui les accusent, ou vers ceux qui les font vivre par leur amour . Vers la vérité du froid, des odeurs violentes, et du poids des charges sur les chantiers – la vérité des marchés au petit matin, quand se déploie dans le froid la structure de métal, tendue de toile, qui doit protéger les biens qui seront vendus aux passants, et qui donneront la vie à tous, le fruit sur la table de la cuisine pour l'enfant, la soupe de légumes du vieillard, le panier de fruits rougeoyant de la maîtresse de maison qui veut honorer une visite .

Seul un grand poète peut simplement saisir la puissance de sang, de sève, de souffle de la rue d'une grande ville, le chatoiement des destins indéfinis entrelacés jetés là, et dérivant comme des épaves sur la mer . Saisir un instant, une image, de tout ce monde qui court vers l'abîme et la nuit, comme – que ton âme s'éveille au flot des souvenirs – les images peintes de la grande ville d'il y a des siècles, la gloire des rois, les images d'encre sautillante des premiers films pris au hasard dans la Ville, les souvenirs poignants des grandes guerres, les couleurs des Trente Glorieuses – tout cela, qui est parti comme les feuilles mortes qui tournoient dans le vent au pied du mur, avec des cartons et des sacs plastiques . Les bouteilles de shampoing, de bière, les sacs, les débris indéfinis de la grande ville durent plus, et craignent moins la mort que la vie humaine, que la pulsation tiède du sang et du souffle...

Les hommes vivent comme des horloges bien réglées, avec une mer de rouages, et la perte des rouages n'est rien, puisque les plus grandes mortalités, comme les grandes guerres, la Peste Noire de 1348, ou les lentes vagues des guerres mondiales ne changent au fond que l'écume de la vie humaine, qui est essentiellement répétition indéfinie de cycles qui s'enfuient de la mémoire aussitôt arrivés, et qui sont le tissu fondamental de la vie humaine – amener chez soi la nourriture, la chaleur, l'eau, évacuer les déchets – sans cesse amener, amener, amener . Toutes les expressions des passants des villes au cours des siècles se ressemblent, cet air affairé dans ses petites affaires, toutes ces urgences microscopiques sans cesse répétées . Prenez les passants de Paris en 1930, de Varsovie en 1939, et ceux de 1941, 42, 43...des vêtements plus sales, une survie plus difficile, mais au fond...et les morts, les disparus, disparus de la mémoire et de la parole...Comprenez vous que l'homme qui conserve dans son cœur l'alliance originaire, l'homme qui s'efforce de ne pas oublier dans l'usure universelle des petites affaires de la survie, comprenez vous qu'un tel homme soit juste, et que le juste soit le fondement du monde, ?

Pourquoi ce qui est pompeusement nommé philosophie ne commence-t-il pas par l'essentiel, l'observation de la journée du philosophe, de ses motivations, de ses actes réels ? Quel est l'homme qui ne cesse de prononcer de grands mots, et que la découverte de sang dans les selles tue encore davantage que la perspective philosophique de sa mort, sur laquelle il fait cours depuis trente ans ?

Et n'y a-t-il pas bien des hommes qui ne parlent que de liberté, et sont en réalité des tyrans immatures, des tortures pour leur entourage ? Et d'autres qui proclament leur désintéressement, et sont secrètement dévorés par le ressentiment pour leur voisin qui n'a qu'une voiture plus grosse que la leur ? La vérité est que la philosophie, depuis longtemps, refuse de regarder les hommes, et est devenue un spectacle que le penseur se donne à lui-même . Nous ne pensons plus la pensée naissant dans le fumier du corps transpirant et mourant, sublime et empli de la lumière des étoiles ; nous ne partons plus de l'intérieur, mais de l'extérieur . Le penseur veut être le penseur de Rodin, mais quand il le regarde, il ne sent pas tout l'inconfort et la mélancolie du penseur, il jouit plastiquement de la beauté de son corps – en réalité, il reste extérieur à la pensée en croyant lui rendre hommage .

Le monde des hommes est depuis longtemps, depuis toujours, un Système qui dépasse les petits morceaux de ferment individuels ; et de nombreux "primitifs" le savaient, qui le disaient par leurs symboles ou l'exprimaient ouvertement . Le Système moderne de l'humain a atteint un niveau de sophistication et de complexité qui le rend sans cesse plus illisible, qui l'éloigne toujours plus vers l'horizon des indiscernables ; mais l'homme moderne se la raconte toujours davantage souverain individuel, producteur souverain, consommateur souverain décidant des prix, et toutes ses conneries, de paroles de crânes aux yeux ouverts sur le vide . L'homme est plus que jamais un rouage, un rouage corporel, un portefaix chargé de sacs, un âne du Système ; et dans son âme même, un sous-système psychique du Système qui fait comme le philosophe, qui se la raconte, et qui se la laisse raconter, tant est grande la douleur, l'âpreté de la vérité, et tant est le long le temps depuis lequel on a renoncé à la lucidité de l'enfant, à l'abîme qui s'ouvre derrière les théâtres du monde .

Le Système moderne connaît une inflation de complexité indéfinie, et son reflet dans l'homme individuel, sa compréhension par le rouage, par le sous-système psychique, devient de plus en plus irréaliste, de plus en plus détachée de toute sa vie concrète, de plus en plus pauvre en savoir – l'inflation de la complexité sociale s'accompagne d'une inflation de la représentation fantasmatique de la réalité sociale . L'inflation de la complexité s'accompagne également d'une exténuation de l'auto-compréhension, et donc d'une régression collective des médias de communication symboliquement généralisés, ou encore des facteurs d'unification de la société humaine . Il est deux puissances visibles qui reflètent l'unité dans le monde des hommes, la langue et le culte – et deux invisibles, le sang et le souffle .

Dans une société de petite taille, prenons une cité grecque, l'unification est consciente et vécue ( je suis « athénien », par exemple) et passe par la langue, le culte, les fêtes, les lois, le pouvoir partagé...la production de richesse est pensée comme la condition matérielle de la vie humaine – le travail est le paiement de la dette des hommes primordiaux aux mondes inférieurs, ou encore un mal qui doit être circonscrit – d'où les interdictions rituelles du travail – et minimisé – d'où le mépris général de la recherche du confort dans les sociétés traditionnelles . Nous moquons les Grecs ou les Égyptiens d'avoir construit d'immenses édifices cultuels, et d'habiter des maisons minuscules et fragiles ; ou encore le Roi Louis XIV d'avoir construit un palais grandiose, mais totalement inconfortable – un pavillon moderne fait bien mieux – il nous échappe que le confort, aux yeux de ces hommes, est une vilenie, et que leurs palais royaux sont des lieux de rituels, pas de confort . Le travail des anciens hommes était l'effort pour se libérer d'une malédiction, et sûrement pas un lieu d'épanouissement . C'était le lieu d'où partir pour vivre une vie humaine .

La vie humaine au sens plein du terme, est politique, c'est à dire ancrée dans une civilisation, une puissance collective de réalisation de la pensée dans le monde, capable de faire des ferments misérables, dévorés par le vide et la mort, des héros à la guerre par la culture de l'amitié, des hommes imprégnés des mondes d'en haut, initiés au mystères, des poètes et des penseurs . La minuscule Athènes fut dans cette fin, de fondation d'un monde humain de dépassement de l'homme, plus que l'énorme Union Européenne, ce Léviathan vide de sang, échoué dans un cycle vide des temps .

Il est fut de même des Empires, projets d'épiphanie du Ciel sur la Terre dans l'ordre impérial – tel est le sens de l'oeuvre de Virgile, qui montre le caractère divin de la race impériale sur la terre, tel est le sens du rôle de guide de Virgile en Enfer chez Dante . La puissance impériale est l'étincelle enfermée dans l'obscurité, analogue dans l'âme et dans le monde . Dans les éons, les cycles des temps, Auguste et la Paix Romaine sont la manifestation du règne des dieux ; et la fin de l'Empire est ainsi pour Augustin, dans la Cité de Dieu, non pas la fin d'un cycle, mais le renonciation au règne terrestre des dieux . Pourtant même Augustin reste fortement ambivalent .

Au contraire, chez Denys, la hiérarchie terrestre est l'image et la continuité de la hiérarchie céleste, les fruits de l'arbre de l'ordre terrestre permettent de goûter par avance les délices du ciel . Et sans aucun doute, malgré son imprégnation augustinienne, Joachim de Fiore est l'homme d'un appel à la descente de l'Esprit sur la Terre, de l'entrecroisement des cercles, de l'arbre-aigle inversé . Sur la terre comme au ciel : ce qui est en bas doit être comme ce qui est en haut, ce qui est en haut doit être comme ce qui est en bas, pour accomplir les mystères d'Un seul .

Le projet impérial est l'Orient du monde, l'ordonnancement unificateur de la terre – celui de Frédéric II Hohenstaufen, le roi-sorcier : l'Empereur des derniers temps . La table ronde est d'émeraude :

Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d'Un (...)
Le père de toute la puissance du monde est ici sur le sol
Sa puissance est entière si elle est convertie en terre

Il monte de la terre au ciel, et descend du ciel à la terre
Et reçoit la force des choses supérieures et inférieures
Tu auras par ce moyen la lumière du monde
Et pour cela toute obscurité s'enfuira de ton cœur
C'est la force forte de toutes choses
.

Chez Dante, la présence de Virgile, la valeur de la poésie en langue vulgaire, langue du monde terrestre transsubstantiée par le Poète, le De Monarchia, le gibelinisme (nom qui désigne les partisans impériaux), tout converge pour montrer que le fidèle d'Amour, qui voit les cercles des Cieux s'ouvrir dans le cercle des bras de l'Aimée, est l'aspect microcosmique de la manifestation terrestre de la puissance impériale . L'alchimie est la science de l'union du haut et du bas, le retour à l'unité du tronc de l'arbre du bonheur et du malheur par delà le Bien et le Mal - La puissance impériale est la manifestation terrestre de l'Aube ; et toute puissance visible comme toute beauté, telle la beauté d'une femme, quand elle provoque cet étonnement et ce respect que nous voyons parfois, beauté qui fut révérée même par les manichéens, participe de la puissance des anciens empereurs .

Dans les sociétés des cycles précédents, la puissance symbolique d'unification était la racine du ciel, le canal par lequel s'épanche le secret du ciel et de la terre . Aussi la vie civique était-elle paiedia, éducation au sens le plus noble d'élévation, formation de l'homme en tant que modèle de l'humanité . Si nous regardons le sens contemporain de citoyenneté, nous verrons que ce sens s'est restreint à n'être qu'un réceptacle de compétences sociales minimales et de moraline, comme dans ces expressions comiques que sont « l'engagement citoyen », quand des jeunes font la quête « pour les handicapés », ou nettoient les détritus sur la plage ; sans parler de « l'entreprise citoyenne », alors même que la libération du travail matériel vers le travail sur soi était l'essence de la paiedia grecque...car ce qui était le dernier dans les anciens mondes, le travail, est devenu le premier : notre Empire n'est autre que l'Empire du travail, ou Enfer .

L'extrême complexification de la société produit des forces de dislocation et donc d'exténuation de la complexité des puissances d'unification . Le langage et la culture symbolique ne sont plus déterminants, et l'argent est lentement, insidieusement, devenu le dernier facteur d'unification du monde des hommes, désormais non plus mesuré à la hauteur des cimes de l'humain sédimentées dans la culture, mais mesurée par la quantité, par l'argent, signe simple, et incontestable adapté à une complexité devenue impensée . Le développement de la société s'est retourné en production de vide et d'abaissement de la vie humaine - en production de la société post-culturelle . Mais au point extrême de l'abaissement, l'homme peut retrouver en lui le kairos, "le moment juste ne pouvant être que celui où les forces, auxquelles la chaîne n'a pas été encore mesurée, atteindront, par l'effet d'un déterminisme immanent, leur limites (...)-le moment où, en face de situations existentielles extrêmes,un instinct désespéré de défense jaillissant des profondeurs-de la mémoire du sang (...)- exaltera à nouveau l'être (...) et donnera une vraie puissance efficiente à des idées et à des mystères liés à l'héritage de l'Âge d'or ."




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Le Système socio-politique dit « capitaliste libéral » est un régime politique global, total, avec une vision globale des fins de la société humaine, qui serait la maximisation permanente du profit comme mode d'auto-constitution et de révolution permanente . Pour permettre la maximisation de l'exploitation des ressources humaines, son coup de génie est d'abandonner les formes externalisées et directes de contrainte politique au travail des dominés – le fouet du maître, par exemple – pour favoriser l'internalisation de la motivation au travail et la médiation de la domination : la recherche individuelle de profit et la faim, par exemple .

Ainsi le Système peut asservir à sa finalité immanente non seulement les besoins, limités des hommes, mais aussi leurs désirs illimités, leur passion de la reconnaissance, passion archétypique par excellence, à condition de n'orienter ces désir que vers la satisfaction matérielle . Le désir et la passion sont archétypes, sont essentiels à la vie humaine ; et le puritanisme « écologique », qui vise à anéantir désir et passion pour réduire l'existence humaine à une définition minimale des besoins pour « économiser l'environnement » n'est que le produit d'une pensée enfermée dans les déterminismes de l'idéologie racine . La plupart des mondes humains ont reconnu le désir infini, et la passion, sans les orienter vers la production et la consommation de richesses matérielles .

Permettre à tout homme de chercher le bonheur par la production et la recherche de richesse dans les règles du Système, c'est ce que le Système nomme « liberté » . Et en effet le Système permet une indéfinité de possibles – le Système est the land of possibilities – dans le strict cadre d'accepter de se livrer volontairement à un travail illimité en principe, avec la consommation comme exutoire premier et principal .

L'ensemble des comportements admissibles est vaste, et en même temps très étroitement déterminé . Le premier point permet aux bourgeois matérialistes de croire sincèrement dans la « liberté » offerte par le Système, et de faire partager cette croyance par la propagande du Spectacle . La deuxième point, l'étroite détermination de l'acceptable, est soigneusement rendu flou, implicite, et variable selon la puissance financière ; ce que peut se permettre un homme très riche est très éloigné de ce que peuvent se permettre les autres hommes . Le Spectacle montre la vie de l'oligarchie comme la norme de la liberté vécue dans le Système – voyez par exemple Vicky Christina Barcelona de Woody Allen pour illustrer cela . En clair, les règles réelles sont celles d'un asservissement et d'une exploitation essentiellement semblables aux formes totalitaires du pouvoir moderne, mais présentées dans le papier cadeau d'une idéologie et d'une auto-constitution du récit de soi qui les présentent comme l'effet d'une volonté, d'un désir ou d'une responsabilité individuelle .

Comme tout autre système social, le Système connait des modes de traitement de la déviance . Il est possible de distinguer trois types de traitement de l'écart dans notre monde : le mode de la faute et de la punition ; le mode de l'erreur et de la correction de l'erreur ; le mode de la maladie et du traitement .

Par exemple, rechercher la richesse en dehors des règles est « délinquance », et mérite une punition ; sauf peut être si un paysan vendait au marché les produits issus de ses propres semences, ce qui est interdit, mais peut être accepté comme une erreur . Le Système exalte la richesse et la violence auprès des enfants pauvres, puis traite leur comportement imité de modèles du Spectacle comme une faute et les punit ; de même, le Système intensifie par le Spectacle le désir sexuel des jeunes mâles des classes inférieures, puisque cette intensification participe de sous-systèmes d'exploitation et d'humiliation symbolique ; mais il punit très sévèrement les violences sexuelles qu'il valorise par ailleurs implicitement dans le Spectacle pornographique . Un Système de domination a besoin de coupables à punir ; et au besoin, il pousse à la faute . Voire même, il invente la faute pour pouvoir réprimer la déviance .

Pour ce qui est de la déviance posée comme erreur, il faut souligner que le lien entre le capitalisme et le mensonge n'est pas un lien accidentel, mais un lien essentiel : le Système ne peut fonctionner sans le Spectacle, sans se la raconter . Organiser la domination dans le cadre d'une autonomie individuelle de l'asservissement oblige évidemment à produire des récits essentiellement mensongers, puisque dont la finalité même est dès l'origine la dissimulation et le détournement de la réalité . Tels sont les contes de la liberté individuelle, de l'individu tout-puissant auto-constitué du Contrat Social, et le conte de la liberté et de la recherche du bonheur dans un Système complètement verrouillé, qu'il est réellement . Telle est avant tout l'idéologie racine du Système, c'est à dire le discours qui présente le monde comme un chaos horizontal de choses matérielles individuelles, et qui nie toute constitution propre d'un ordre du monde comme effet de la subjectivité, et qui nie encore toute ontologie de la constitution symbolique des mondes – sans parler de sa négation du souffle des dieux .

Aussi les orientations verticales du désir, le désir du Tout-Autre, qui ne peuvent être présentées aisément comme délinquantes – en dehors de la consommation de drogues psychédélique ou de recherche collective de la transe – sont elles présentées par les laquais du Système comme l'effet de mauvaises manigances de sectes – qui existent, bien sûr – et des erreurs, comme des asservissements monstrueux des religions, dont il faut se libérer pour entrer pleinement dans la liberté du Système . C'est à dire que pour ces marchands de soupe idéologique, il faut réduire rigoureusement les états multiples de l'être, réduire indéfiniment le champ de l'imagination et de la pensée, pour accéder à la liberté – cette liberté qui de ce fait devient l'autonomie de l'asservissement . Une telle liberté n'est que la perte de conscience des chaînes, l'ignorance présentée comme une vertu, tant il est vrai que la connaissance augmente la douleur . Le discours des idéologues de la libération syntones au Système doit sans cesse masquer cette évidence historique, à savoir que les plus puissants mouvements de libération de l'histoire se sont très souvent appuyés sur un discours théologique pour s'opposer à une domination matérielle .

L'idéologie racine du Système est une fonction d'asservissement individuel, le logiciel individuel de socialisation des valets . Penser ou croire hors de l'idéologie racine, voilà ce qui est nommé « erreur », et pour lequel nombre de bonnes gens sont prêts à vous « éclairer » ou à vous « former », même s'ils participent de l'ignorance la plus crasse . Et si vous résistez, vous risquez d'être traité comme un malade .

Il est vrai qu'un écart creusé risque de provoquer souffrance et isolement . En cas de non-respect massif du « principe de réalité » du Système, et d'inadaptation au fonctionnement social, il est évident que la personne concernée montrera aussi des signes évidents de souffrance . Par contre, il n'est pas du tout prévisible que cette personne soit capable de comprendre et de remettre en cause le fonctionnement global de sa propre stigmatisation . En clair, sur le modèle soviétique de traitement de la dissidence, l'inadaptation au Système peut être traitée comme une maladie – ce trait est typique chez Freud, dans sa haine non dissimulée pour Moïse et de toute conception sacrée du monde . Pourtant dans un monde malade, être parfaitement sain et adapté est le signe d'une déshumanisation extrême .




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Le mensonge généralisé est un fondement du Système moderne . Le Spectacle, le progressisme, la propagande à l'échelle de la communauté ; le narcissisme, le récit de soi, à l'échelle individuelle . L'idéologie racine est la langue commune des mensonges des adultes, le langue commune de la la négation moderne de tout l'héritage des hommes, c'est à dire d'Adam . Très clairement, il ne peut y avoir d'autre guerre que cette guerre intérieure d'abandon de l'ego, et de sortie du Spectacle et de l'idéologie racine des modernes .

Les contradictions économiques qui écartèlent le Système dans son auto-constitution destructrice ne sont pas l'équivalent d'une libération des principes du Système .

Nous allons vers le chaos sans pensée de rechange. Dire "le chaos nous permet d'éviter de construire un monde par la pensée et par la grâce" est une sottise. L'ordre impliqué dans l'homme, le reflet éloigné de la puissance impériale qui mène la guerre contre le Système chez l'homme noble aspire à détruire les enfermements du Système, mais pas à détruire pour détruire. La destruction d'un enfermement dans le cadre du Système n'a jamais été qu'un remplacement . Pendant la guerre totale, à partir de 1916, le travail des femmes a permis de fournir le front en armes – telle est la racine de la « libération de la femme » vendue par le Système, la mobilisation totale de la main d'œuvre par delà les limites coutumières ou sociales . Les destructions actuelles des ordres de la production ne sont pas grosses de libérations à venir, mais creusent des voies nouvelles de l'asservissement – il est essentiel de penser hors du Système pour sortir du Système .

Parfois nous parlons de guerre, de destruction nécessaire . Cette destruction est intentionnelle, elle vise à détruire ce qui est identifié comme un mal . Elle vise à détruire non pour mettre à mort le monde des hommes, mais en désirant vivre encore, et plus . Ce qui est à détruire n'est que ce qui peut être détruit, l'immense accumulation infinie de richesses et d'images qui par cette quantité même, dévorent le temps des hommes . L'accumulation de choses et d'images pousse les hommes, qui ne cessent d'accélérer leur passage, à en perdre la mémoire, la réflexion, la rumination, la connaissance . En vérité, les hommes perdent leur sang, leur vie, leur souffle .

Nous perdons la justice par la fermeture des canaux des mondes . Il n'y a pas besoin de tant d'argent et de biens pour respirer sous les étoiles . Nous avons besoin de nudité, parfois . Le soleil brille pour tous les hommes .

Quand nous parlons de détruire, nous pensons détruire par amour et avec amour au delà de la haine et de la révolte . Détruire pour respirer, comme Rimbaud écrivait, comme un artiste qui projette des formes, répliquant le souffle initial .




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Il est impossible de comprendre mes propos sans comprendre la théorie du pli constitutif de l'ordre social, pli en réalité toujours déjà présent dans le langage . Pour parler, il nous faut nous appuyer sur des ordres sémantiques déjà constitués, qu'il faut admettre sans discussion pour pouvoir exprimer un discours . Les discours les plus opposés d'une époque se lèvent ainsi sur un horizon sémantique commun, une ontologie, un dictionnaire, ou conception du monde implicite commune . Revenir sur ce socle est l'acte révolutionnaire de la pensée par excellence, et c'est pourquoi l'ontologie, le creusement des principes de la pensée, est le lieu obscur où se forment les révolutions – que ce soit dans la métaphysique scolastique du XIVème siècle, forge de l'idéologie racine, ou dans l'idéalisme allemand, forge du marxisme .

L'horizon sémantique commun est un ensemble de décisions sur l'être, ce ce qui est et qui n'est pas, sur ce qui est possible et impossible – et donc sur ce qui peut être fait, établi, désiré dans le monde . C'est un ensemble de déterminations qui limite le visible, un processus de réduction de la complexité indispensable qui facilite communication et décisions . Sans réduction de la complexité, il n'y aurait pas de groupes humains capable de survivre des siècles . Mais de telles décisions, qui sont ensuite vécues comme des faits d'être, relèvent de la souveraineté humaine, des lois primordiales, des personnages de premier législateur .

Cette puissance reste présente parmi les hommes . Toujours, les hommes savent obscurément que le monde pourrait être autre ; la puissance qui a constitué leur monde commun par sédimentation de décisions parfois à peine conscientes comme telles, peut aussi décider d'autres mondes .

Mais l'ordre du monde posé par la souveraineté humaine, pour être généralement accepté, doit être reçu comme essentiellement étranger à la volonté de puissance de l'homme ; de ce fait, le Système social voile à ses propres regards sa liberté essentielle de constituer le monde . Autrement dit, la constitution du monde est ainsi la constitution du Bien et du Mal ; et une fois cette constitution opérée, le principe de souveraineté qui a posé le Bien et le Mal ne peut être que par delà le Bien et le Mal, par delà la puissance de voir de l'homme moral constitué par la souveraineté . L'homme produit par la souveraineté devient aveugle à la souveraineté . La souveraineté est par delà le Bien et le Mal, puisqu'elle les constitue ; et la puissance qui a posé cette distinction ne peut être qu'inquiétante, voire mauvaise, pour celui qui classe tout dans l'ordre moral .

L'homme moral ne peut voir le principe souverain que comme une violence redoutable pouvant à tout instant renverser l'ordre naturel du monde . De même, au niveau individuel, l'ensemble de décisions qui a défini le moi et le non-moi – ensemble de décisions relatif et arbitraire en partie – doit rester voilé, et objet d'une négation dans la construction psychique de la plupart des hommes . Ce que Virginie Despentes exprime à sa façon en disant que nombre de femmes (et d'hommes) ne veulent pas savoir ce qui les excite sexuellement . Car dévoiler que le désir dépasse les bornes de l'ego, et donc du consentement, comprendre que l'on ne désire pas ce que l'on veut, mais que souvent on veut ce qu'une puissance désire à travers soi - comprendre la fragilité de l'ego est destructeur pour les êtres humains constitués de limites rigides pour échapper à l'aspiration infinie du vide intérieur . L'ego n'est pas une positivité, mais la position d'un ensemble de déterminations, un vide essentiel replié sur lui-même .

Le pire traumatisme de toutes les séductions n'est pas le traumatisme physique, mais l'insécurité intérieure et la culpabilité née de la conscience de son désir chez un homme constitué d'un ego normalisé . L'homme noble, qui a fait l'expérience de se donner, de se détacher de l'ego pour se donner à son désir – parce que la puissance de ce désir le déborde, l'incendie voluptueusement – a fait l'expérience des limites de l'ego, selon le mot même de William Blake : tu ne saurais pas ce qu'est assez, si tu ne savais pas ce qu'est plus qu'assez . C'est déjà une première expérience du fidèle d'amour, de passer de l'autre côté du miroir de l'ego, et de l'avoir découvert vide .

La dissociation de l'ordre juridique se réplique dans chaque homme moyen via la dissémination de matrices sémantiques par le langage de la tribu .

La structure de l'homme moderne est schématique . Par terreur de ses profondeurs, tout être humain moderne se clive de la puissance originelle qui sourd dans ses profondeurs . Le reste, nommé « conscience », pose ses règles déterminées comme Raison, et les vestiges du monde, le monde qui reste visible à la conscience est nommé« réalité » - les autres mondes étant nommés « imaginaire » . Cette structuration mutilée, l'homme moderne la nomme « santé », et le respect de cette structure « principe de réalité » . La conscience se pose comme fondement de la liberté qu'il redéfinit, comme volonté consciente d'un ego : cette liberté là, étroitement déterminée, n'est pas la liberté originelle.

La personne est faite de liens tissés centrés sur un abîme insaisissable, même à elle même, un puits insondable et un volcan de flammes. On ne peut définir, et donc assigner des limites à la personne authentique, dont l'objet corps est un masque, persona. Le corps d'un mort est l'objet qui était un constituant de la personne, le résultat de ce que les Anciens appelaient symboliquement « le départ de l'âme ». L'erreur fut de faire de l'âme, tissage de tissages indéfinis, une chose . L'âme est, en quelque sorte, toutes choses (Aristote) .

Reconquérir la puissance originelle de fondation du Verbe par la transgression des frontières de l'ego est un geste commun du poète et du prophète, mais aussi une figure de l'érotique . L'érotique récapitule la prophétie . Cette phrase sera un jour justifiée . Le dérèglement volontaire de tous les sens de Rimbaud en est un exemple d'une telle reconquête par la transgression . Mais une telle œuvre est une œuvre d'illumination, une percée vers la vision, pas le simple désir chaotique de la schizophrénie et de l'oubli de la douleur . Penser ainsi à la schizophrénie est le signe sûr d'une pensée restée enfermée dans les catégories de l'idéologie racine, qui assimile l'abandon du principe de réalité de l'idéologie racine – ce principe de réduction de la complexité du monde réel seulement à tout ce qui est assimilable par le Système et la Raison des sous-systèmes psychiques – à l'abandon de toute réalité possible, au départ vers la folie, voire la démence pure et simple .

La transgression des frontières de l'ego, comme le travail révolutionnaire sur l'idéologie, ne sont pas des activités sans vision, des bouffées délirantes . Ce sont des démarches de libération . Les prisonniers de l'idéologie voient la destruction de leurs fers par l'auto-constitution du Système sans voir leur remplacement par des fers plus puissants . Il n'est pas possible d'attendre l'auto-destruction du Système de sa propre puissance interne . Il ne peut pas suffire d'appeler indistinctement à la guerre et à la destruction du Système non plus . Détruire, pour quoi faire ? Pour établir quel nouvel ordre, voir se lever quelle aube ?

Détruire par le chaos est la plongée dans la nuit sans retour - ce que nous avons tout pour savoir, et peu de courage de regarder, dans les bilans sanglants des siècles . Dans ce monde, j'entends sans cesse appeler à la guerre ; mais appeler à la guerre est un rare privilège du sage . Et tous ne sont pas appelés à la guerre, et même ceux qui sont appelés ne le sont pas uniment .

La proclamation d'une guerre juste passe par la constatation d'un mal, pas par une décision égotique . Une telle constatation, pour ne pas être l'illusion d'un narcissisme moderne, ou un mensonge intéressé du Spectacle, ce qui est strictement analogue, doit s'appuyer sur une légitimité d'ordre impérial essentiellement absente des manifestations modernes du monde . L'homme noble n'a pas besoin d'ennemis pour exister . On est rarement en vérité ce que l'on proclame en hurlant . Trop souvent, les appels à la guerre clament la souffrance de ne pas être – sont des scénarios qui donnent une existence fictive à des blooms . L'illusion d'être ne peut produire que l'illusion de liberté .

Même notre guerre doit se faire avec la conscience que la guerre est l'effet nécessaire d'un mal essentiel . La puissance du guerrier est au service de la justice, mais le guerrier n'est pas le modèle du Sage . Le guerrier peut devenir sage, mais finalement quitte la voie du guerrier . S'organiser comme guerrier est s'organiser pour pérenniser l'ordre du Système . Cet ordre est éphémère, même s'il devait encore durer mille ans . Il est des guerres justes ; il n'est pas de guerres bonnes . Nous nous devons à nous même d'exister, de souffler, sans être constitués par cette opposition à un monde pourtant monstrueux .

La véritable guerre du monde moderne, c'est de rester fidèle aux autres mondes dans l'usure toujours renouvelée du Système – de résister à ce à quoi que même un Rimbaud n' pas résisté, préférant la fuite . Résister à l'exténuation de toute supériorité dans le Système, résister au spectacle du triomphe de la bêtise à front de taureau, résister à toute la puissance d'écrasement et d'annihilation du Spectacle . Résister, être essentiellement dissident, sans retour, telle est l'essence la plus amère de notre guerre .

Je voudrais gagner ma vie de l'écriture, mais sans le joug du marché, sans le conformisme étouffant de l'Université - sans sacrifier la vérité à l'agrément commercial, sans sacrifier la description de la laideur intense du monde moderne à l'« éthique » merchandisée de l'Université . Cela est à ce jour impossible . Devons nous accepter les règles du Système, qui dit implicitement que nous n'existons pas, que nos propos sont des bavardages de plus, devons nous accepter la censure par le bruit ? Nous n'avons pas d'autres choix que refuser les règles du jeu . Edgar Morin note justement : Je suis passé de l’époque de la Résistance où j’étais jeune, où il y avait un ennemi, un occupant et un danger mortel, à d’autres formes de résistances qui ne portaient pas, elles, de danger de mort, mais celui de rester incompris, calomnié ou bafoué.

Le véritable dilemme moral du temps est de se donner la puissance d'autres mondes où vivre debout comme un homme, ou de se complaire dans les affres de la destruction du monde moderne - d'appeler au meurtre, de croire que l'on peut se rassasier de sang une fois qu'il est versé, et versé, et versé . Il est tellement plus dur, et plus sévère, d'identifier en soi ses premiers ennemis . Abd El Kader, un grand chef de guerre terrestre, note lui-même que le gnostique est exempté de l'obligation de guerre contre le mal .

Je veux rester dissident sans m'enivrer de haine, sans désigner des gens en trop . La justice peut être avide de sang, mais pas la miséricorde . La Miséricorde a étendu sa main pour protéger Caïn . Et la splendeur de l'amour m'a enseigné la miséricorde, la miséricorde infinie des aubes des mondes, lues dans tes yeux noirs .

L'érotique récapitule la prophétie . Cette phrase sera un jour justifiée . Je suis fidèle d'Amour, et amant de Miséricorde . Je crois en ces mots durs comme le fer des temps : tu ne tueras pas ton frère . Tu ne verseras pas le sang, la sève, le souffle sur la terre - tu aspireras à établir le ciel sur la terre, à être gardien de la Terre Sainte, parmi toutes les usures et les reniements du temps .

Je ne refuse pas le combat, mais je ne le cherche pas – même celui de la grande guerre intérieure . Si je le rencontre, cela sera par l'ordre de la nécessité . Il n'est pas, à ce jour, nécessaire de tuer . La guerre moderne n'est pas une école d'héroïsme, et depuis très longtemps . La guerre sanglante ne vaut que comme image de la grande guerre dans le Ciel, et pas l'inverse . Enfin, et surtout, il nous appartient de reconnaître la noblesse de nos ennemis, et de ne pas nous abaisser à être perturbé par les aboiements de chiens sans autre maître que le Système . La vérité, la beauté et l'éternité sont plus que toutes les guerres .

Il appartient d'abord au poète de manifester le Verbe . Telle est l'épée de sa bouche .

Sache que celui qui connaît le secret des échelons supérieurs et l'émanation des sephirot, selon le secret de l'épanchant et du recevant, selon le secret du ciel et de la terre et de la terre et du ciel, connaîtra les secrets du lien de toutes les sephirot et le secret de de toutes les créations de l'univers : comment les unes reçoivent des autres et se nourrissent les unes aux autres . Toutes reçoivent puissance émanative, alimentation, subsistance, et vitalité de la part du Nom, béni soit-il . Celui qui connait cette voie connaîtra comment est grande la puissance de l'homme soit qu'il accomplit les (…) commandements, réparant ainsi les canaux en tout épanchant et recevant, soit qu'il endommage les canaux et interrompt les influx . (…) (Le premier est appelé) le juste, et le juste est le fondement du monde .

Nu

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Zinaida Serebriakova